Proullaud296

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Une mécanique des femmes et du monde

 

Lazare m'exhibe un jour avec transport la photo de magazine d'une certaine C. F. : regard féroce, fardée jusqu'au cou, cuissardes jusqu'à l'aine – nul doute dans son esprit : je me dois de m'extasier, de convoiter toutes babines pendantes, de bander peut-être, qui sait, à ses côtés - j'ai éclaté de rire ; voilà mon Lazare tout désarçonné ! Lui qui pensais avoir trouvé l'illustration même du désir féminin ! Ça, « désir féminin » ? Narcissisme absolu, prélude imminent à la branlette, oui, trois fois oui, mais comment penser qu'une telle célébration du Moi soit compatible avec le désir d'une femme sur un homme ? Je hoquète de rire : « Pitoyable ! Pathétique ! » Je parle aussi d'aller se rhabiller et de coups de pied au cul.

 

Lazare se fâcha tout rouge - quoi ! sa Vision des Phâmes n'était pas universelle ! - ben non. Que pouvais-je bien, moi, prétendre apporter à cette mécanique putassière à faire fuir le client, modèle absolu de la sophistique et du bidon, arrogante, qui vous jette à la gueule toutes les facultés possibles de jouir en circuit fermé devant sa glace, renvoyant l'homme aux abysses de son néant pénien ? C'était, en vérité, ridicule. Et je l'entendis souffler pour lui-même : « ...quelle conception de la femme ! » En effet, Lazare : une conception faite de modestie, de respect, de tendresse mutuelle dans l'approche, et non pas de sanglage de viande sous lanières de cuir. Le narcissisme exacerbé de la femme, autant que le désir de copulation hétérosexuelle, là, vite, dans le cul tout de suite, me dégoûte au plus haut point.

 

Parce qu'il n'existe point. Parce qu'il ne saurait exister. Non que je veuille nier le désir des femmes, mais il ne saurait s'exprimer sous l'aspect et l'accoutrement d'une amazone de carton-pâte aux yeux hagards jusqu'au fond du charbonnage avec lippe en bord de pot de chambre. Irais-je moi-même, pour éveiller le désir des femmes, les exciter, poser en peau de bête avec lance et massue et me frapper la poitrine à coups de bite en poussant des hurlements de gorille ? assurément, elles se rouleraient à terre devant moi. Mais de rire. Il est d'ailleurs bien connu que les hommes ne sont pas la préoccupation majeur(e), avec et sans jeu de mots, de Mlle C. F...

 

 

Le doigt de Tadzio.JPG

Sur ses amours il exige le secret le plus absolu. N'est-ce pas lui qui m'avisait de tout quitter après trois mois ? Mais si je me confie à l'ami Lazare, sur le chemin de la boulangerie, par simple vestige d'amitié, la sensation que j'éprouvais était celle de me trahir. De me souiller. “Tu ne connais rien aux femmes, répétait-il, rien aux hommes, rien à la vie”. Mirifique prétention, commune à tant d'hommes ! Quelle prétention ! il connaît tout cela, assurément ; mais de la même façon que tout le monde. Tandis que ma vision me semble unique - j'observe d'ailleurs, depuis l'enfance, que l'essentiel de toute argumentation, de toute déclaration – consiste avant tout à prendre un certain ton, à exhiber de certaines mimiques bien rodées, soutenues et nourries par ce que nous appellerons l'insolence de soi - une insolence sans faille, un mépris bien plombant. Lazare après tant d'autres illustre à la perfection le théorème de Jung : chacun découvre avec scandale que l'Autre a découvert la vie par d'autres expériences que la sienne, qui lui semble la seule concevable et réelle - en douter, c'est l'offenser, attenter à sa propre existence de sujet pensant,

 

voire jusqu'à l'ordre naturel même des choses ! d'où chez l'homme du commun ces multitudes d'incompréhensions, de rancœurs, d'agressivités mortifiantes : “Attendez, dit un colonel à table, ce n'est pas du tout comme ça que ça se passe ; je vais vous expliquer, moi, Mesdames, ce que c'est que la vie” - on l'avait invité, « pour faire nombre », « pour qu'il y ait un homme » - réflexe fréquent chez les lesbiennes honteuses. « Je vais vous montrer, moi» - sèche interruption de la maîtresse de maison : « Mon colonel » - poli, coupant - « vous eûtes sans doute au cours de votre vie telle et telle expérience, qui vous ont mené à votre vérité. Vous devrez bien admettre cependant, concevoir, que ces femmes ici présentes à qui vous parlez sous mon toit en auront connu d'autres» (divorces, abandons, fausses couches et plus) « qui les auront menées à d'autres conclusions, ni plus vraies, ni moins fausses, mais tout à fait dissemblables des vôtres. » Et Mon Colonel de se la boucler.

 

 

 

X

 

 

 

Les derniers mots que Lazare m'asséna sur la place non pas Masséna mais Emile Chasles en terrasse furent pour fustiger ma «vie de con » « à cause de [m]a connerie » - assurément – « de [m]on mariage en particulier » - certes Lazare, j'en demeure en tout point d'accord. « Mais je ne permets pas qu'un autre me le serve ». Nous nous sommes depuis revus, sans dépasser la première fois les rites de réconciliation. Mais nous n'avons plus besoin de nous réconcilier : c'est une évolution naturelle qui présentement nous éloigne l'un de l'autre, plus sûrement que n'eût fait une brouille. Nous n'évoluons plus, nous ne nageons plus - si tant est que nous l'ayons fait - dans les mêmes eaux. Nous ne voyons plus d'attraits à les comparer.

 

Ses préoccupations (promouvoir « la construction du bonheur » ou « la culture pour tous » me semble on ne peut plus plates, ni plus déconnectées de mon expérience, qui n'est pas, hélas, celle de tout le monde ; la conversation se tarit. Je crains l'époque où nous ne trouverons plus rien à nous dire, où le tutoiement semblerait une incongruité. Peut-être faudra-t-il transposer tout cela.

 

Commentaires

  • Il y a des amitiés à la fois sincères et intéressées. Ce sont les plus retorses, les plus difficiles à suivre, car elles sont à la fois candides et truffées de poignards.

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