Proullaud296

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Bien avant ces histoires de caviar

 

Couché dans mon cercueil, reprenant peu à peu mes esprits, sentant les quatre planches, n'étouffant

 

pas - comme j'aurais dû les entendre, ces battements de mon coeur, et comme il est étrange de ne

 

rien entendre...

 

Impossible. Tétra. Plus la tête. Par la fente la lueur d'un cierge - défaut de capitonnage - mes

 

héritiers ne m'ont pas très bien encapitonné - un tic de ma bouche a fait glisser le linceul de mon

 

visage - j'ai chaud, très chaud - soudain je me sens soulevé: le coup discret du Chef de Marche sur

 

le bois près de l'oreille, les six hommes au pas lent, de vagues pleurs chuchotés troublés de temps à

 

autre par un sanglot plus perçant - ils s'imaginent nous transporter doucement. Dignement. C'est

 

faux.

 

Ils nous heurtent aux portes. Ils jurent dans l'escalier en colimaçon par-dessus la boule de rampe -j'ai le mal de terre. Puis le corridor, le perron râpé (je reconnais chaque marche, passager cette fois

 

de mon véhicule) - trottoir. Ma boîte enfournée dans une autre boîte, déposée sur la plate-forme. Pas

 

de grand air, pas de cheval, pas de dais : à présent, les héritiers veulent poser le cul sur des coussins

 

pour suivre leurs morts.

 

Je sentais les relents de pétrole, j'entendais les hoquets du moteur qui s'étouffe en seconde. Puis un

 

ronron fade mêlé à la chaleur distillée par les vitres du corbillard, étalant sur le cercueil une rosace

 

diaprée. Enfin je suppose. Si j'avais réduit ma consommation de clopes, je me serais prolongé de

 

trois mois ; je ne serais pas mort en plein mois d'août... Revivre ? je tords le nez. Le corbillard

 

s'arrête devant Saint-Firmin. La porte arrière bascule, je suis tiré, hissé. A la résonance, j'ai reconnu

 

l'église.

 

C'est quoi ce truc.JPG

Un piétinement de moutons derrière moi. Des chaises qui raclent, des nez qui reniflent. Mes nausées

 

reprennent : un boiteux pour le tangage, et un pédé qui tortille - proportion d'homos dans la

 

profession ? Un cierge se renverse. Petit affolement sous le plancher, puis - mouvement d'ascenseur

 

- le catafalque - un requiem chanté ! Je n'en crois pas mes oreilles. Ils doivent être drôlement

 

débarrassés... Allez donc "prodiguer des largesses"' à des héritiers. On va me laisser longtemps là-dedans?

 

Je vais attraper un chaud et froid. Il ne faut pas éternuer. Collecte. Qui peut être venu ? Au bruit,

 

une cinquantaine de personnes. C'est peu. C'est beaucoup. Bon Dieu ce que cet enfant de choeur

 

chante faux. C'est le petit Haffreddi. Sale Juif. J'espère bien que ma femme, ma fille et les trois

 

frères Fiouse auront de la peine un jour - allez au trou le Bernard ! et bloum, bloum, les mottes de

 

terre... "Il est mieux où il est" - pourquoi pas. Un Dies Irae à présent ! C'est qu'ils réussiraient à

 

m'effrayer, ces cons. Surtout que la voix de l'enfant de chœur filerait la colique à un squelette. Mon

 

prof de biolo disait : "On porte son squelette à l'intérieur de soi. ..."Mes os sont liquéfiés par ta

 

-colère ô Seigneur... - Psaume CIII et des poussières... "Devant ce cher cercueil..." Je crois bien.

 

Plus cher que ce qu'il y a dedans - eh! Père Monnard, tu dois t'en foutre éperdument : une âme en

 

plus pour le serial killer, là-haut ! "Douloureuses circonstances..." "Coup imprévu..." - j'ai dit : «

 

Faites-le entrer, si ça ne me fait pas de bien, ça ne me fera toujours pas de mal !" Alors ils m'ont

 

foutu l'Extrême Onction.

 

Ah curé, curé, qu'est-ce qu'on aura rigolé ensemble, avec tes putains de bondieuseries Mais

 

aujourd'hui je n'ai plus le cœur à rire, un Kyrie, un Pater, c'est le Paradis garanti sur facture, que je

 

sois damné si j'y coupe ! Mais alors pourquoi suis-je toujours allongé là-dedans, 2m x 0,60 - même

 

que malgré le rembourrage ça commence à devenir dur ... Au lieu de répondre il m'encense la

 

charogne - pense-t-il "Fichu métier", ou pense-t-il vraiment "Au pouvoir de l'Enfer arrachez son

 

âme, Seigneur"? Trajet jusqu'au cimetière. Ils enlèvent la femme de sur ma caisse. Elle m'étouffait.

 

Puis on m'enterre. Je regrette les funérailles d'antan, les vraies grandes bouffes grecques, le chant

 

XXIV de l' Iliade, on donnait des jeux, on savait rigoler à l'époque.

 

Puis plus rien. Les petits éboulis de terre qui se tasse. Des chuintements. Le calme plat. Je suis

 

vraiment coupé du monde. Je suis mort, à présent, véritablement mort. Enfant, ma mère

 

m'emmenait choisir le tissu d'un nouveau costume ; à peine sorties des lèvres, les voix s'étouffaient

 

dans les rames d'étoffe - des voix voilées - à présent c'est la terre qui pèse sur mes lèvres, le tissu de

 

la terre sur le couvercle, il le défoncerait, m'envahirait comme une trombe, emplirait ma bouche et

 

mes yeux. Un jour le marbrier me chargera de ses quintaux de pierre...

 

Combien de quintaux pour un tombeau ? Un tombal, des tombeaux. Je voudrais crier. Fuir. Quelle

 

folie ! Que peut-il m'arriver de plus, à moi mort ? Quelque chose me dit que des risques subsistent...

 

Je frissonne. La terre, la terre... Oh ! comme je regrette d' être mort! Et je pensai : « Peut-être que je

 

suis vivant. Qu'on m'a enterré vivant. Pourtant mes muscles ne répondent plus. Peut-être vais-je

 

mourir vraiment. Je perds connaissance. Un bruit de voix qui me réveille. La voix vient d'en haut.

 

Ma tatie, au Paradis ? Dialogue animé : "Personne n'en saura rien ! - Il n'en est pas question

 

Madame. - Il est bien là, j'en suis certaine ! voyons, quelques coups de bêche... - Le règlement... - Je

 

ne vais tout de même pas perdre un chapeau de ce prix-là! - Je ne peux pas rouvrir une fosse... - Et

 

qu'est-ce que je vais mettre pour la communion de sa fille ? »Je devine le geste impuissant du

 

fossoyeur. ...Vais-je passer l'éternité sous le chapeau de ma tante ? Long silence. Puis un grattement

 

sur le bois. J'essaie de me tourner - " il est sous la terre une taupe géante qui fore les cercueils..." -un chuchotement indicible : « Eh... a... an... ou...? » Je m'entends dire :

 

- Qui êtes-vous ? - Etes-vous bien ? Vous - sen - tez - vous - bien?" Une voix sépulcrale, encombrée

 

de parasites - la mienne, un bourdonnement : "Le satin m'étouffe. » - Remuez légèrement. Vous êtes

 

nouveau. Un mort de fraîche date - vous ne tarderez pas à vous habituer. C'est le mort d'à côté qui

 

vous parle. Je vous ai entendu enterrer. Vous verrez, c'est sympa ici, on sait s'organiser - il y a des

 

cimetières où on s'emmerde, mais pas ici. Il y a de l'animation. - Quel âge avez-vous ? - Je suis mort

 

à quarante-cinq ans.

 

« Mais ça fait dix ans que j'habite le caveau treize. On compte dix ans d'âge.

 

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