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L'Eclaircie

 

Encore un écrit dont je ne me souviens plus. Sollers, comme la culture, s'évanouit comme un panache au-dessus du train, il est tout ce qui reste quand on a tout oublié ou publié, cette impression évanescente à laquelle nous serions malvenus de faire la moindre référence explicite. Les Américains ne le traduisent plus : trop français, trop léger, trop « champagne ». Ça le fait rire. De même un jour sur une plage une femme disait-elle à Picasso : « Monsieur Picasso, je n'aime pas du tout ce que vous faites ». et le peintre de répartir  : « Mais Madame, ça n'a aucoune immportance. » Si nous n'aimons pas Picasso, si nous dédaignons Sollers, ces deux enflures peuvent nous regarder de haut en nous assassinant d'un « aucoune immportannce », nous renvoyant à nos insignifiances, à nos médiocrités recuites, à nos petits fiels étroits, à nos ternitudes.

 

Sollers assassine Houellebecque démolissant Picasso, ce dernier ayant « l'âme laide » et ne pouvant peindre, d'après monsieur Louis, que la laideur. Ce Louis, alias Houellebecque, peut parler ; à la laideur, il ajoute même l'insignifiance et le tirage à la ligne. Plus l'ambiguïté : est-il dénonciateur, ou profiteur, ou les deux ? Difficile d'échapperr aux clichés, aux réactions convenues, étiquetées, hiérarchisées, déchaînées par Sollers et Picasso. L'éclaircie prétend qu'un jour, qui sait, de ce cap découpé du continent asiatique, surgira au moment où nul ne s'y attend, où tous désespèrent, une «éclaircie » du même genre que Picasso, qui foutit tout en l'air, ou que Manet, dont le nom signifie « il reste » en latin, mais qui lui aussi éclata dans la peinture comme un coup de tonnerre dévastateur, ZIM, BOUM, TA-TSOIN.

 

Mais « les braves gens n'aiment pas que / l'on suive une autre route qu'eux ». Manet m'indiffère au plus haut point, la notion de « progrès » dans l'art me semble, comme à Baudelaire, une infamie ; surtout, chez nous, c'est le reflux : devant la mort tout s'efface. Manet fut un courant d'air salutaire. Picasso un tsunami. Picasso me dépasse. Dépasse pas mal de gens. Ne peut être réduit à un conformisme. Non plus qu'à un anticonformisme, parce que quand même, merde, il a produit, aussi, des merdes. Manet, je m'en fous. Il appartient à une civilisation morte, le XIXe siècle, plus ensevelie que Pompéi : mort en 1883, plus loin encore que la Préhistoire. Picasso en revanche fait partie de nous, il nous infecte, il a démoli la peinture, la sculpture, les femmes, tout ce qu'il touchait.

 

Il pétait, c'était génial. Il chiait, c'était génial. Il se torchait, encore génial. Il éjaculait, c'était du délire. Alors, forcément, les petits esprits, ceux qui ne sont plus des enfants, ceux qui sont dans la connerie, l'ont détesté, le méprisent, le considèrent comme un petit-maître surfait, surévalué, surcoté, monté en graine et en épingle. Dans la mesure où l'opinion de la crotte de nez qui vous parle peut jauger Picasso, nul ne devrait l'estimer plus haut que, tenez, Arcimboldo, qui compose des visages à partir de poissons ou de légumes. Ce qui ne serait déjà pas si mal. Le bonhomme Picasso me déplaît. Pas moyen de se décrotter le nez en sa présence. Pas moyen de parler à bâtons rompus, d'échanger des considérations sur le temps ou le tour de Fragnce, f-r-a-g-n-c-e. De vos crottes et de vos bâtons il ferait des montages, il fait d'une selle de vélo une tête de taureau, comme un môme, et tout le monde encense.

 

Or Picasso est le héros de L'éclaircie. De Sollers, qui attache sa barque au vaisseau Picasso dans l'espoir de se faire emmener lui aussi à la gloire éternelle (si Hollywood, si le Net, si la Photo acceptent la suirvie de Picasso). Sollers ? Autre scandale. Successivement initiateur ou suiveur de toutes les idéologies de gauche ou de droite (papiste même, pas fasciste, non, tout de même). Clown batifolant, inclassable, divaguant de femme en jéroboam, de formidable en jeune fille, fidèle, débauché, chaste, âgé, empaté, Don Juan, évanescent, ne s'intéressant qu'à ceux qui l'aiment lui et son œuvre, et qui a bien raison. Il raconte ses promenades, ses rêveries, tout s'oublie sitôt le livre fermé.

 

Il écrit toujours bien. Pas de ces lourdeurs, de ces longueurs interminables à la Houellebecque. Un éminent bavardage à la Horace, le passage d'un sujet à l'autre, puis le retour, comme un pinceau qui revient, les détails qui se précisent, les parfums qui se renforcent, la mélopée sollersienne, sceptique et obstinée, constructive d'espoirs en dépit de tout – sagesse qui Dieu merci - encore un gros mot – ne sait pas qu'elle est sagesse. Le mystère est de comprendre, d'admettre, qu'un homme si indéfinissable ait pu s'amouracher des vulgarités picassiennes, de ce tape-à-l'œil tapageur et constant poussif, je-rote-je-pète-rien-ne-m'arrête, sans gêne, blaireau, malappris, machiste, haineux, fumier, méprisant, inhumain, écrasant tout sans aucun doute sur sa supériorité, son génie, sa modestie et la légitimité de tout ce qui se rapporte à son nombril et à sa bite de taureau, comme Picasso ?

 

 

Un grand homme d'Aurillac.JPG

Il est vrai que la mauvaise foi petite-bourgeoise et cryptofasciste révélée par ce eommentaire de cuvette à chiottes serait aussitôt prise pour autant de compliments par la clique de flagorneurs de Picasso, qui, au rebours d'un organisme humain ou telle installation artistique engouffrant tout pour le transformer en merde, enfourne ladite merde pour la transformer en pâtisserie fine. Picasso, Sollers, sont des incompris, avec tous deux leurs inconditionnels et leurs vomisseurs, à la différence près que Sollers sera toujours distingué, alors que Picasso sera toujours merdeux. Sollers a toujours changé d'opinions, mais jamais d'être : il est resté cultivé, humain, humaniste dans le sens « pétri d'humanités », de culture. Picasso est inhumain parce qu'il n'y a pas en lui la moindre once de sensibilité humaine, d'humanité, de culture, de connaissance. C'est une mécanique qui chie des mécaniques, et chacun de s'extachier, les lobbies veillent, les lobbies spéculent, les lobbies empochent. Soutine me déchire et m'apporte, le Soulages des années 50 m'illumine et m'emporte (à présent il chie du goudron, mais il faut bien que décrépitude se passe), Barceló m'apporte. On me dira que sans Picasso il n'y eût point eu de Soulages ni de Barceló, certes, de même que sans une abondante merde les rosiers ne produiront jamais de roses.

 

Mais c'est bien connu, la rose a des épines, toi merde, tu n 'en as pas. Et comme disait mon ami Jean T., je m'arrête, parce que je vais dire des conneries. Et je laisse couler le fleuve Sollers, passant d'un sujet à l'autre en ses ressassants méandres 

 

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