Proullaud296

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Les amants de Patagonie

 

 

La gonzesse aux citrons.JPG

Isabelle Autissier n'est pas seulement célèbre pour s'être retournée sous son bateau en pleine mer, ni pour avoir été la première femme à boucler un tour du monde à la voile en solitaire, mais pour avoir écrit, puisqu'il est ici question de littérature, L'Amant de Patagonie, détenteur d'un prix, ce qui n'est pas d'ailleurs la première fois. Evoquer la Patagonie, c'est aussitôt rappeler Qui se souvient des hommes de Jean Raspail, où l'on déplore la disparition des peuples indiens de ces lointaines et frigorifiantes contrées. Lanzmann écrivit pour sa par Le lièvre de Patagonie, qui parle aussi de bien d'autres choses, mais nos trois auteurs s'accordent avec bien d'autres sur la véritable fascination, sur l'inguérissable envoûtement dont souffrent ou bénéficient tous ceux qui sont venus, à la voile ou autrement, dans ce pays balayé par le vent, autour d'Ushuaïa, dont Isabelle Autissier déplore d'ailleurs l'orthographe stupidement anglo-saxonne, et qu'elle transcrit à la française, O-u-c-h-o-u-a-y-a.

 

L'avantage de relire les dernières, puis les premières pages d'un livre, comme une Torah, est de rapprocher l'incipit de l'explicit, et d'expliquer, réciproquement, la fin et le début l'un par l'autre : Isabelle Autissier imagine une fille d'Ecosse, orpheline de mère, élevée à la dure mais dans l'amour paternel par un jeune veuf avec son petit garçon : elle court les landes, garde et voit tondre les moutons, cavalcade dans le vent, et se fait persuader par un pasteur, lorsqu'elle est devenue jeune fille, de s'embarquer à la fin du XIXe siècle en tant que gouvernante auprès de colons épris d'aventures lucratives. Au début, ces Européens, dont on ne voyait pas la peau, dont les hommes avaient le visage mangé de longs poils de barbes, et qui s'estimaient infiniment supérieurs, ne voient que des sauvages qu'il s'agit d'abord de vêtir, mon Dieu quelle horreur d'aller ainsi cul nu, de contaminer par les germes de ces vêtements bourrés de petits microbes ravageurs, puis d'évangéliser, afin de vite vite les rendre coupables d'exister, voire de baiser en plein air ce qui est vomitif ma chère.

 

Pas question de se mêler à ces sauvages, qui n'ont jamais froid, qui puent sous leur épaisse couche de graisse de phoque, et dont l'intelligence se réduit à l'instinct de naviguer parmi les passes, les chenaux, les tempêtes de ce coin rébarbatif : on pourra toujours les faire trimer dans l'exploitation agricole, enfin, les moins bêtes, ce qui ne sera pas facile, car ces gens-là ne sont jamais pressés ; ignorant jusqu'à la notion de bénéfice et de rendement. Quant elle arrive là, Emily, dite Emmie, partage les préjugés de cette famille de pasteurs éleveurs. Elle frémit de voir des museaux si sales et si repoussants, si laids, et se garderait bien de s'éloigner des bâtiments de planches autour desquels hurlent les coups de vent, de peur de se faire violer, car tous ne connaissent pas les Evangiles, dont la lecture empêche absolument les viols, comme nous le constatons tous les jours sous nos latitudes. Mais ne vous en faites pas, avec le Coran, ça ira mieux. Bref ! L'héroïne sympathise peu à peu avec les Indiens, se fait courtiser par le fils de cet autre pasteur antarctique, et surtout, s'apprivoise avec ce pays, dont le livre d'Isabelle Autissier fait le premier personnage. Dès qu'elle l'évoque en effet, le lecteur est littéralement envoûté. Qu'elle s'éprenne peu à peu de cet Indien et le suive par amour malgré la désapprobation de son entourage, qu'elle en conçoive un enfant, Lukka, c'est peu de chose, pour nous, à côté des descriptions lyriques, même mystiques, de ces montagnes d'où descendent sans cesse d'imprévisibles rafales, de ces arbres tordus et vaillamment redressés contre l'acharnement météorologique.

 

L'héroïne en vient à s'éloigner du temple, à se dénuder, à s'enduire de graisse protectrice, à nager dans l'eau glacée, à pêcher au harpon ou à la main, mais le père de son enfant se fait massacrer dans une embuscade tendue par des Européens, qui ont eu peur, et se sont montrés agressifs. L'histoire nous raconte comment elle s'est repliée dans sa communauté d'origine, comment elle a respecté le plus possible la nature et la façon de vivre indigène de son fils, comment elle a désespérément tenté de raccommoder ce qui ne pouvait jamais l'être, car son cas demeurait exceptionnel : les autres Européens ne pensaient pas plus loin que le cul de leurs moutons et leur cubage de bois de charpente à expédier dans l'autre hémisphère pour construire d'autres navires de conquêtes.

 

C'est pourquoi le fils métis rompt avec sa mère, qui n'a fait qu'une année de tourisme indigène, comme il le lui lance à la face, alors que lui, Lukka, se sent purement indien, dépossédé, prêt à la lutte armée contre les colons envahisseurs, et condamné à mort par les autorités argentines qui se sont mêlé d'annexer le pays de ses pères. Il s'évadera pour l'Afrique du Sud, où se déroule aussi l'un des épisodes les moins glorieux de la colonisation. Mais Emily, pour sa part, mûrie, vieillie, épuisée par une vie de combats contre les préjugés raciaux, et les épreuves personnelles, décide de rester en Terre de Feu : le pays l'a ensorcelée, lui a révélé des vastitudes internes et panthéistes d'où nul ne pourra plus la faire chuter sur le sol des Blancs, pourris de combats cupides et de violences entraînant la violence en retour de certains colonisés.

 

Les commentaires sont fermés.