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Bâtons rompus

L'immeuble au soleil.JPG

13 août 2046
    Il se confirme que tous mes documents antérieurs à décembre 43 sont perdus. Et que je doive remplir ces lignes en présence de Chachniok, toujours à rôder dans la maison. Ce garçon m'a distrait en me faisant jouer aux cartes. Reprenons : hier 12 à 3h du matin, je devais me tourner et me retourner dans mon lit à Clompic, un lit ultra-étroit où Nénette et moi mêlions nos         promiscuités.
    Je me suis levé, j'ai vu Yalda dans un transatlantique intérieur en train de lire une ineptie indienne. Je ne vois pas ce qu'ils trouvent dans cette littérature frelatée. Il y a donc des bourgeois indiens qui écrivent en leur langue de colonisés, l'anglais ? Des histoires sucrées et sentimentales. Jamais je ne foutrai les pieds aux Indes, je n'ai pas envie de revenir malade à crever comme Ruquigny avec son hépatite A.
    Alors Yalda s'est levé pour préparer le petit-déjeuner. Tout le monde se contrefout de ce Yalda : qui était-il ? un barbu sympa et optimiste, d'une douceur énervante, marié à une nez-crochu au profil de squaw arménienne moricaude, très bizarre mélange, fille adoptive peut-être, que j'ai regardée sos le nez comme une curiosité la première fois qu'il me l'a présentée aux ballets Marmelade en 2032.
    Nous avons mis pas mal de temps à nous connaître, nous n'avons jamais su pourquoi ils nous trouvaient sympathiques, il y a trop de monde sur terre voyez-vous, chacun ne peut pas avoir connu des gens exceptionnels, moi j'ai connu Ruquigny et Yalda  au moment où l'homme m'amenait au boulot dans sa 2 CV couleur auburn. Et ils mourront comme les autres, mais y aura-t-il encore des tombes en ce temps-là ?
    Ce sont des agrégés d'italien que nous envions beaucoup. L'homme, le barbu vert, est toujours entre deux émerveillements, trouve toujours tout "extraordinaire", et plaît beaucoup à ma femme. Rien de plus banal que ce que j'écris. La postérité ne connaîtra plus ni bouquins ni nécessités artistiques.
    Nous communiquerons tant qu'il n'y aura plus besoin de ces truchements pénibles qui coûtent leur santé mentale à leurs utilisateurs et propagateurs et qu'on appelait "artistes". Tout le monde se dira : "Moi ça va ; et toi ? ça va ; ça va ? ça va."   Coluche tu me manques. Y aura-t-il des rigolos en ce temps-là ? Et où va l'homme etc ? Bref nous nous sommes tous mis dehors sur la table blanche pour prendre le petit déjeuner.      
    Il fallait mener les deux fillettes, Peste et Choléra, dans un centre de surveillance pour enfants, afin que les parents fussent un petit peu tranquilles. Ils le furent encore bien plus par notre départ. Nous nous étions imposés vingt-quatre heures de plus, et je soupçonne hélas ma femme de vouloir les remmerder d'ici le vingt, à moins qu'ils ne viennent prendre un petit déjeuner de départ pour Nancy-les-Oies où ils habitent.
    Toujours est-il qu'il ont dû pousser un bon soupir de soulagement quand ils se sont retrouvés seuls. Les enfants font un bruit insupportable, toujours à hurler ou geindre derrière nous, et Yalda favorise neuf fois sur dix la soeur cadette. Après moi le déluge bien sûr, et personne ne viendra fouiller là-dedans, ou bien, cela aura un rayonnement plus que restreint. Sachez seulement, braves gens de langue vernaculaire, que j'avais envoyé une carte postale bien précise, où je disais que ma femme n'ayant pas perdu un kilo, ni moi un gramme de folie, nous ne vouloins plus être en butte à des réflexions mortifiantes, car ajoutais-je (connaissant les arguments qui me seraient opposés) "même à quatre ans, jamais il ne serait venu à l'idée de Slurp ou de Chachniok de se planter devant un noir pour s'exclamer "Oh le négro !" ou "Tiens, un bicot!"
    Total, pas de réflexions du tout. Que j'étais fou, passe encore, puisqu'aussi bien je le suis. Mais que ma femme soit grosse, je ne l'aurais jamais toléré en guise de réflexion dans la bouche d'une petite merdeuse de neuf ans. Quand ils sont venus ici, la mère se tenait derrière la porte du jardin avec ses deux filles sur le devant souriantes et bien apprises et tout. Etonnant résultat, non ?
    Cette carte-là aurait dû être écrite depuis longtemps, et que ça avait mis les choses au point. Maintenant, je ne suis pas sûr que les Ruquigny reviendront à Clompic, trois fois de suite c'est déjà beaucoup, et ces Messieur-Dame ont besoin  de voyager. L'aînée a dit : "Quand je serai grande je ferai le tour du monde comme mes parents".
    On voit bien que plus tard tu auras du pognon, petite conne. Une première impression ne s'efface pas, et je te trouverai toujours acidulée, et conne quelque part malgré ton éducation libérale et riche en culture. Les sentiments que nous éprouvons pour cette famille sont des plus ambigus : nous éprouvons une violente envie envers ces gens optimistes et pleins de pognon.
    Deux payes d'agrégés plus les allocs plus la spéculation immobilière - et nous qui avons à peine de réserve ! Veillelarge qui a dit à ma femme que nous n'avions pas de réserve, et qu'il s'en scandalisait ! (au ton...) Mais mon pauvre vieux, avec ma paye unique, et Gros-Porc qui m'a dépouillé de la plus grande partie de mon héritage, où veux-tu que je me la constitue, ma réserve ? 
    Bref, nous sommes arrivés à partir à dix heures vingt, croisant Yalda sur le chemin du retour de sa garde de gosses à Clompic-Stadt. Il nous a fait un petit signe de la main. Le trajet a été dur en raison de la chaleur. Et je me suis excité sur toutes sortes de choses. Nénette était toute crispée en arrivant à Montfer, où nous habitons. Tous les prétextes lui sont bons pour aller se recoucher.
    Moi je suis allé chez mon éditeur, avec lequel j'ai bien failli me brouiller définitivement. Judnaka lui aurait-elle fait part de certains de mes griefs ? Il me caresse un peu les épaules en passant derrière ma chaise. Je corrige Laspaton qui fonctionne au cliché : "Reprocher à un Italien de chanter, c'est reprocher à un oiseau de voler". C'est incroyable de trouver des jugements aussi nuls à propos du "Stabat Mater" de Pergolèse.
    Il y en a d'autres du même acabit sur Dvorak, slave mais parfois réservé... Je vais lui montrer des Italiens grognons et des Russes renfermés. Il doit bien s'en trouver. Et ça se vend, des inepties comme ça. Je dis à l'éditeur : "Alors, on se fait "Les Visiteurs II" ? Il a rigolé. Le n° II a fait moins de pognon que le I, mais suffisamment pour sauver la mise.
    Je me demande toujours s'il va me ressortir "Proufe la Caille" pour la rentrée...




















Commentaires

  • - Pourquoi ? - Parce que transatlantique et Vélosolex." Vous vous souvenez de cette scie d'enfance ?

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