Proullaud296

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N'importe qui fait n'importe quoi

 

Les personnages masculins communiqueront par téléphone et non pas par la Toile,

car je ne sais pas me servir de cette dernière ; je prétexterai quelque préférence

à entendre une voix humaine au bout du fil, alors que certains écrans permettent

d'entendre la voix de celui qui vous parle. Les féminins se déplaceront plus volontiers

corporellement, car il faut, dans les romans contemporains, que les femmes

représentent le mouvement, après avoir symbolisé durant des millénaires l'immobilité

("L'homme est le voyageur, la femme est le clocher", disait à peu près le mauvais Musset).

 

L'apparition sombre.JPG

Nous évoquerons également "la bonne du curé", 
ainsi que la "BCBG",

 qui "essuie les verres au fond du café"
 à La Teste (voir plus haut).

Ces deux femmes sembleront jouer dans
 un premier temps les "choeurs antiques",

mais prendront un rôle capital par la suite.
 CHAPITRE QUATRE
 Voici la présentation d'un gros homme.
Une tête rouge,

 une bouche constamment ouverte,
 comme un poisson hors de l'eau.

Combien de temps à vivre ? Perpétuellement
 essoufflé, perpétuellement vif.

 Pascal Matz le docteur fit sa connaissance
 à l'occasion d'une exposition de peintures :

le gros homme tient galerie, et le Docteur
 veut persuader sa maîtresse,

Hélène Dubost de la rue Huguerie,
 à présenter ses compositions au public.
Naîtra entre ces deux hommes une brève
 mais intense complicité,

 un de ces dévouements entre deux êtres
dissemblables, le temps de réaliser

 quelque improbable circonstance.
 Matz lui parle donc ainsi : "Je veux

que tu trouves belles, incomparables,
 les sculptures de mon "habitude"

 (il le tutoie d'emblée, lui explique brièvement
ce qu'il entend par "habitude").

 "Elle s'appelle Hélène Dubost."
 Le gros patron, qui tient ce bar, où l'on expose,

 commande à travers la salle un
 "Bourbon Quatre Roses" pour lui et son client.

Sa vitalité est proprement increvable :
 toujours haletant, toujours soufflant.
 Il gère donc "un café sur le Bassin", d'Arcachon.
Il boit peu vu son poids.

Offre des orangeades. Est présente
Hélène Dubost, pour son deuxième entretien.

Il s'agit d'exposer ses sculptures. Elles sont laides.
 Pyramides, cubes et sphères

plus ou moins emboîtés, plus ou moins lissés.
Le gros Arabe est enthousiaste !

Je ne connais ni le racisme ni l'enthousiasme.
 Il existe aussi des Arabes maigres,

 et des petits gros parfaitement muets.
 Finies les orangeades au bourbon,
 tout est bon, consommé, signé.

Hélène Dubost a signé. C'est peut-être
un nom basque ("bost" = cinq).

Ou peut-être de l'Ile-de-france.
Elle a échoué rue Huguerie à Bordeaux.

2-72-03-05-61-081. Elle sculpte entre deux passes
, du moins elle installe –

 depuis les sculpteurs ont gueulé : ils manient
 le burin, les autres seulement

des masses et des cailloux. Les installateurs
ne sont guère que des étalagistes. Hélène
 achète les cubes, les taille, les enfonce et adapte.

Les soude. Les critiques sont assassines :
 "L'esthétique du panier à salade"

(Les Aventuriers). Parfois les critiques
écrivent réellement ce qu'ils pensent.

 Rien à dire en fait sur les sculptures
d'Hélène Bost. Pas de quoi se déchaîner.

Alors l'enthousiasme. Ca tient n'importe où,
 ça va avec tout, c'est noir

ou blanc ou gris. Le médecin Matz
l'encourage à ne pas déprimer.

 La médecine après tout n'est-elle pas compromise
 entre un laisser-faire

 naturaliste et l'interventionnisme minimum.
 Pascal Matz est contre

 l'acharnement thérapeutique.
 Il porte sur lui un papier dans ce sens,

 dans son portefeuille : "Mourir dignement".
Mais il veut bien donner son foie,

sa rate et tout le matériel de la science.
 Jamais il n'a pu faire sculpter à sa maîtresse
une Maternité,

ni même une Pietà, quoique maints sculpteurs
 ou installateurs jouent

d'une boule étirée portant dans le creux
 ainsi formé quelque crâne bien ras

de nourrisson : "La Vierge", déclament-ils,
"avecque son Enfant" - Matz ne dit rien

 de trop franc sur les sphères ou les pyramides ;
 le style Saint-Sulpicien,

du moins, peut se targuer de son antériorité.
 Il prie devant sa Vierge bleue. Pas devant des cubes.

Il est bon enfant, il paie bien.
L'homme aussi trouve son compte

 aux relations qu'on appelle "machistes" :
 avez-vous réfléchi que la femme protège
 l'homme ? De l'autre côté de la table
grouillent le gros et son bourbon :

 "Je m'appelle Ben Zaf, autant dire
"Fils du Vent". Je prends 20%,

vous exposerez ici dans mon bar,
quels espaces désirez-vous occuper ?

 lits de gravier, rigoles de galets ?"
Le bar est immense. Décrivons-le
 brièvement.

Une structure en bois sur pilotis,
 face au port de La Teste envasé

14 heures sur 24, pinasses ?
quai plus ou moins sur le flanc.

 La salle du bar en contient une,
merveilleusement conservée,

suspendue au plafond, briquée, entourée
à distance par une

mezzanine en bois clair. Juste en dessous,
 le bar, en forme de spina :

c'est une étroite muraille au centre
des pistes romaines où se perchent

 les spectateurs téméraires - ici, des serveurs.
Et de partout, Gironde, Rhône, Saône-et-Loire,
 viennent des peintres

 et des sculpteurs pour profiter de l'air
 et du parfum de calfatage.

Ben Zaf halète, boit un peu, tend
des contrats que chacun signe et signe.

Les exposants occupent de grands
pans de murs près du bar,

 ou de hautes surfaces boisées tenant
 les deux étages, quoi qu'il soit

interdit d'admirer à bord même de la
 pinasse suspendue, qui tomberait

 et tuerait tout. Ben Zaf se vante d'une
 excellente idée : ajouter du jazz,

 autour d'un grand piano à queue
tenant le fond de la grand-salle,

avec son grand orchestre de cinquante ans
 d'âge moyen.

 Du swing, à fendre les oreilles.
 Un orchestre hilare,

dont on voit la grande photo,
"se produira pour le vernissage".

 Pour l'instant, les oreilles de Matz et de sa compagne
 se font déchirer par

la sono d'une salsa sauvage et dégueulasse,
 mais 20 % de réduction poussent

 à l'indulgence. Crier pour s'entendre
rend jovial, et les buts du Docteur Pascal

 sont encore obscurs.

 

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