Proullaud296

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Lorraine, ne varietur...

 

LORRAINE

 

 

Le sachem en son bordel.JPG

Le deux novembre 1895, Jour des Morts, Péguy visita Domremy et Vaucouleurs. Je fus jadis enthousiasmé à la lecture de La Colline Inspirée de Barrès. Le Culte du Moi en revanche, me communiqua de tels engourdissements que je me suis surpris bien des fois à somnoler, suivant des yeux des lignes successives entières en sommeillant - que de fadeurs, que d'insignifiances ! ...Barrès, voulant tutoyer l'Eternité, s'ancre et se vautre dans le daté. Comme Joseph de Pesquidoux, autre vaste oublié, celui-là Gascon. Les trois jours que j'ai passés dans ma seizième année au bord de la Meuse - suffirent à me conforter dans l'idée du racisme des Lorrains - "on ne sait jamais avec ces gens-là [les Africains]" - voire de leur indécrottable et criminelle sottise : ma cousine violée dans le foin, ce fut son père qui fut proprement ostracisée à Lacroix-sur-Meuse - "Quand on a une fille, on la tient". C'est ainsi que me laissent froids tous les enracinements, tous les “Blut und Boden” (“Sang et Sol”) et les "Adieux de Jehanne à la Meuse", malgré ses ensorcelantes finales endormeuses, avant de prendre la route du bûcher.

 

 

 

 

 

Les adieux à la Meuse (suite)

 

"Adieu , Meuse endormeuse et douce à mon enfance...

 

O Meuse inépuisable et que j'avais aimée...

 

Meuse qui ne sais rien de la souffrance humaine...

 

O Meuse inaltérable, ô Meuse que j'aimais..." - sont à placer à côté des plus pures lamentations de jeunes filles sacrifiées, de la fille de Jephté, d'Iphigénie, fille d'Agamemnon, d'Antigone, fille maudite d'Edipe (je tiens à cette orthographe), à la lumière, tant il est vrai que par l'inépuisable approfondissement du terroir l'Autochtone parvient, par cette "racination", dit Péguy, (faut-il lire "ratiocination" ? ) - à l'Universel. (Une classe de Viennois, sollicitée, s'abstint hautainement de tout commentaire - jusqu'à ce que j'eusse rencontré, plusieurs années plus tard, le substantif "Möse", prononcez "Meuse", désignant le sexe féminin - avez-vous observé combien l'agglomération bordelaise s'étend désormais très exactement autour de son cimetière?) - sans intention grivoise, ni médicale ; tout simplement, c'est le nom que porte en allemand le sexe de la femme. Impossible, impensable de parler de cela dans la langue française, sans un réprimer quelque rictus. Il existe un mot allemand, qui permet d'appeler le corps par son nom.

 

 

 

Il faut un jour (justement) quitter la matrice.

 

L'enracinement, le ressassement, le repassage incessant au sein de ces mêmes artères bordelaises ou lorraines, voies de passages et d'obstructions, bords de Meuse ou labyrinthe bordelais – constitue pour moi et pour bien d'autres le pire des étouffements, le pire crime. Rester, s'enraciner, demeurer, est un crime. Contre l'esprit. “Péril en la demeure” ne signifie pas “dans la maison”, mais dans le fait de demeurer. Ceux qui demeurent, et se bourrent de leur propre glèbe, de leur propre terroir, de leur sale terre, jusqu'à en crever, qu'ils y crèvent. Il n'est pas vrai que l'on choisisse les situations où l'on s'est empêtré.

 

Où l'on s'est trouvé empêtré. Choix implique adhésion. Implique sincérité, joie, élan. On ne choisit pas par défaut. On ne choisit pas par inertie. On ne choisit pas “faute de mieux”. Je n'ai pas choisi. N'en déplaise à Sartre. Je me revois errer des années durant au long des mêmes voies, je vois des foules de moi-mêmes serrés à n'y pouvoir déambuler couler comme des flots de lave morte dans tous les quartiers de cette ville – n'a-t-il donc servi à rien d'avoir vécu, vieilli, mûri, d'avoir, dit-on, "évolué" ? Pure et simple intransmissibilité, pure imperméabilité, anosmose, avec ceux qui sont nés dans des coquilles de moules adhérentes. “Ceux qui sont nés quelque part” nargués par Brassens, et qui veulent faitre croire que le “crottin de leurs chevaux sent bien mieux que le crottin d'en face”.

 

J'ai rué une fois, une seule petite fois, dans les brancards, je me suis exilé, je nous ai exilés, nous sommes à présent revenus pour toujours, pour le toujours de nos jours terrestres, quoique les morts parfois soient enterrés sous forme de fœtus, mais cela ne console point, ne me consolera jamais. Péguy fut sédentaire. Il ne sortit jamais, que je sache, de France – n'allant jamais plus loin qu'Orange, une seule fois, pour entendre de l'Eschyle (et à Sanary, je crois) - c'est ainsi que tous les lieux de Péguy peuvent s'interchanger ("Orléans, qui êtes au pays de Loire"; Domrémy, la Meuse, Notre-Dame de Paris, Chartres et la Beauce, Notre-Dame de Cléry, Vendôme, Vendôme)) - tous les lieux chez Péguy sont une synecdoque du lieu, tout renvoie à la terre, à Jehanne, à la France, à l'amour terrien - “la partie pour le tout”, ce qu'on appelle donc une synecdoque (“Figure de rhétorique consistant à prendre le plus pour le moins, la matière pour l'objet, l'espèce pour le genre, la partie pour le tout, le singulier pour le pluriel... ou inversement - “les mortels” pour “les hommes”, “un fer” pour “une épée”, “une voile” pour “un navire”.)

 

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