Proullaud296

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Je suis allé en Espagne, mais sans rien perdre de mon remarquable sens critique

 

Ça brûle. Dix-huit heures ouverture des boutiques. Ce n'est pas tout de voyager il faut aussi s'emmener avec soi. Au rebours de tous. Mêmes mœurs et les mêmes intervalles. Si ce n'est pas pour se retrouver à quoi bon voyager. Mes textes à photocopier : "diffusion" sur l'emploi du temps. Madame Swatch ma collègue est née ici à Castellón (Castelló) (de la Plana). Catalans, Valenciens, tous m'emmerdent ; tout au long de la route (et jusqu'à Elx ! [Elche...]) - les panneaux arborent de gros barbouillages où les Gens-du-Pays tiennent à rectifier le moindre signe diacritique. Jusqu'à transformer le "c" en "k" : Kreatividad ! Ah mais ! ¡ Filólogo, Senyor ! À Castello : rien à voir. Et total oubli de Mme S. Je réussis tout de même un numéro : l'humain extérieur enfin ravalé au rang de Simple Fournisseur ; quand, de surcroît, il s'agit d'une jeune femme, d'autant plus forte est la jouissance (à quoi sert de voyager ? je reste toujours aussi con.) C'est un magasin de photocopie.

 

Climatisé, très frais. Je me compose une gueule aussi rogue que l'exiguïté de mon short – enfin mes cuisses au frais... Une affiche intérieure m'apprend qu'il existe ici un Centre Culturel français – tout s'explique pour Mme S. - pays conquis, femme conquise. Je tends mes feuilles non pas à la charmante et bandante Señorita Equis ("X") mais à l'employée. Parfaitement. Minijupe ras-la-moule ou pas. Elle me fait la gueule à égalité : elle me sert, je la paie. Ah mais. C'est qu'on est pas des objets sexuels nous autres – excusez-moi si je rajuste mon string j'ai le vagin qui bâille. Séduit – séductrice [homme-femme] – pouahh ! - rapport hiérarchique. Simple. Où chacun voit bien en face la faute à ne pas commettre.

 

Je ressors tout fier. Je lui ai fait sentir, à celle-là, qui j'étais. Un homme. Voyagez, voyagez ! enrichissez vos contacts humains ! - l'horreur... Et la chaleur me retombe dessus de partout. Même aux cuisses. Villareal. Nules. Camions. Camions. Sagonte – Sagunt ! Luxemb(o)urg sur les panneaux belges, le "o" entre parenthèses ! C'est de Sagonte que partit Hannibal, pour conquérir l'Italie. Mais ça serrarrien de savoir ça. Juste au pied de la butte une haute structure en hémicycle exhibe sous verres un petit millier de débris certifiés romains ; quand j'ai gravi la pente bien raide, je me suis retourné pour embrasser du regard toutes les rognures fossilisées dans leurs petites niches à même la muraillle : ingénieux et poignant.

 

Et le château que je vois devant moi cette fois n'est riche que d'une autre histoire, ni romaine, ni punique. Cinquante mètres de pente encore, entre les cigales crissantes, reste ¡ media hora ! la demi-heure avant la fermeture. Deux adolescents arabes décident de visiter trois siècles étalés sur la crête en ruines, et je m'obstine aussi, plan à la main, recherchant partout à ras du sol une Ciudad Histórica qui ne peut être que romaine, mais non, la Cité Historique, c'est Sagonte elle-même que je contourne avec ses rues "étroites et tortueuses", barrées de chaises de mémés : c'est leurs rues à elles. T'y fous pas les pieds. C'était ça, la "Cité Romaine" : un simple parking, trois voitures de larges, dix mètres de long, d'où sort une musique halamód, parce que c'était ça, aussi, le Forum. J'ai donc vu Sagonte. C'était pour ce parking de trois places en bataille que Romains et Puniques s'étaient étripés vingt ans durant. Et moi, Nisard, voyageur, je cherche un camping. Parc et camp sont devenus parking et camping. Après une communication téléphonique vespérale et haletante avec Ma Femme, j'éblouis la serveuse avec ma baratinación,, mon baratin, au bar : le camping est au Grao, terrain du Canet (ne pas prononcer le "t" !). Je longe à pied une vaste esplanade, grouillante à n'en plus pouvoir de tout ce que la jeunesse espagnole peut avoir de plus insolent, de plus puant – toujours la Movida – "C'était mieux sous Franco" me confiait naguère un supérieur hiérarchique. Avec mon âge à moi, je soliloque en français, d'un air de défi, en lançant des doigts à la cantonade.

 

Façades de La Ciotat.JPGPuis retrouvant mon véhicule je me perds, au point d'effectuer un demi-tour sur la quatre voies, et renseignements pris à quatre branleuses – bien me souvenir que j'ai 48 ans – j'obtiens réponse de la plus jeune, qui me tutoie en mastiquant son chewing-gum. Extraordinaire. Quand j'atteins le camping à la nuit bien tombée, au bout d'une banlieue savamment saccagée (fausses industries, tôles et fondations en plan), tout est bondé. "On ne voit pas la mer". Je joue l'aimable. Je déblatère. Capacidad maximum traspasada – aussitôt effacé sur l'écran : me voilà coincé entre une grosse tente et la porte grillagée d'un hangar – enfin pouvoir se laver... demain. Ce soir je conserve la couche de crasse.

 

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