Proullaud296

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Turista

 

 

Le petit éboulis.JPG

Banderoles et matin éclatant, rock et fiesta, casse-toi touriste, pêches à vendre, pas de carte routière ici, "rue de Teruel", bordée de tranchées au repos, carretera 420, Alcañiz ou Tarragone ? Ciudad romana, va pour Tarragone – "tout ce qu'il faut absolument connaître", parfois touriste – petit tour d'un vignoble entre ses murs de pierres, portefeuille perdu retrouvé, me voici en Alcañiz – changé d'avis.

 

Le nom m'a plu. Garé coincé dans un virage en plein soleil, en pleine ville, bâfrant par la portière deux pêches dégoulinantes, explorons : d'abord le Parador, point de vue occupé par l'hôtel, deux filles accoudées sur la rampe qui donne abruptement sur une porte close, je les refrôle tout confus à la descente mais elles s'en foutent, pas même enlacées. Cathédrale obligatoire. Appareil photo en rébellion. La photographe à son comptoir me frôle de partout, passe les mains dans les manchons pour palper l'appareil, je dis en espagnol que je suis un peu lent, No importa Señor, de verdad, répond la clientèle dans mon dos – la photographe me ramène sur le pas de porte me palpant le bras, l'épaule, et me montre la rue salvatrice (salvadora ?) en direction de l'opticien : "Ils sont trois côte à côte ! ...dans une avenue larga, larga, larga" – prononcer "lar-ha, lar-ha" – mimiques expressionnistes, écarquillements d'yeux, les touristes sont de grands enfants.

 

Sans avoir donné suite à tant de palpations je prends la suite d'un petit vieux, un viejecito, qui justement passe devant les opticiens. "Attendez-moi là", dit le vieux, "cinq minutes à la banque" – si je le suce, combien ? - planté au carrefour des rues piétonnières, j'observe l'incessant va-et-vient au pied du parvis en pente et j'emboîte le pas au petit sexagénaire qui à présent trottine à perdre haleine – rien de plus embarrassant que d'escorter ainsi son propre guide au pas gymnastique. Mon espagnol rudimentaire permet heureusement d'esquiver la conversation de politesse et de rigueur. Tous en chemin le saluent, à tous ils répond en soulevant son chapeau. Vous habitez ici depuis longtemps sans doute ? Il acquiesce et me lâche en face des trois opticiens. C'est une jeune employée lesbienne (comme toutes) qui me redresse en deux minutes la branche autour de l'oreille, laquelle me cuit toujours ce 26 août à l'instant où j'écris ; j'apprends qu'en espagnol apretar veut dire "serrer". Je me laisse donc "apprêter" puis j'achète un gros Atlas Routier d'Espagne en papier bien épais, tout en doubles-pages de part et d'autre d'une forte spirale de plastique blanc malcommode, comme tout ce qui n'est pas français, je n'avais qu'à rester chez moi. En route pour de nouvelles aventures. Chaleur déjà pesante. Partout des panneaux VIÑAROZ, que j'espère atteindre avant toutes les plages qu'il me faut à tout prix éviter, j'étouffe en pleine campagne, c'est super, Puerto Torre Miró 1250m. J'ai souvent roulé à plus de mille mètres.

 

D'après ma carte d'un autre monde c'est le Más del Cap que j'ai visité ("...del Barranc"). Via pecuaria c'est "attention troupeaux" calqué sur le latin, une draille en gros cailloux qui me descend droit dessus. Devant le petit bois de pins qui susurre sous le vent j'ai regretté de n'avoir pas emporté le Sophocle mais une carcasse de bagnole bleue me ranime la tronche, je me vois bien l'enflammer de nuit dans le ravin, plus un chien, petit, jaune, attaché, misérable, pris en photo, voilée. Quand je m'éloigne, il me rappelle. Je reviens sans eau ni salive, je mitraille les pierres sèches et la cabane creuse en tombeau, la charrue et l'angle du mur, le chien encore, hirsute : "C'est tout ce que je peux faire pour toi." Il garde un grand portail de bois neuf au milieu d'un mur pourri qu'un coup de poing descendrait.

 

En revenant sur mes pas je me retourne : c'est une vraie voiture qui stoppe devant le bâtiment neuf d'à côté que je n'ai pas voulu voir, le tout déjà rapetissé dans le lointain ; ni le chien ni la porte neuve n'ont été abandonnés, mais j'ai toujours évité les humains ! en voyage, ne voir personne. Sinon à quoi bon voyager. Sauf les fournisseurs, qui me vendent à boire et à manger. Des pellicules argentiques. Un lit pour la nuit. Morella. Clichés de murailles aussi voilés qu'ailleurs. Je me souviens du chien pelé del Barranc, chaleur sans vent, bonne bifurcation, les arcades de San Mateu, boissons fraîches, les jeunes movida insolents que je fuis, vieux que je cherche et qui s'expriment en catalan (finales en -áts pour -ádos). Dansl'église il fait frais et je touche l'harmonium ; les vieux à casquettes ne se sont pas décollés du banc de bois pour m'entendre. - l'autochtone se reconnaît à son falzar blanc crème sale qu'il n'abandonnera jamais si étouffant qu'il fasse non plus que sa morne incuriosité, toujours moins con qu'un touriste plein pot plein sud.

 

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