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der grüne Affe - Page 41

  • OMMA

    C O L L I G N O N

     

     

    OMMA

    Omma. Prononcez ôm-ma. « L’œil, le regard ». Génitif « ommatos ». Ȋle d’Omma, cent wercz de diamètre. Iris aveugle – bouclier d’Iliade.

    Omma flotte sous les brouillards arctiques. Sa pupille est un lac, que perça l’éclat détaché de quelque planète errante ; le choc a fendu l’œil comme une vitre – qui s’est fissurée d’interminables fjords, écartelées de longs golfes aux eaux troubles, et qui désagrégeraient sa circonférence, si l’on tranchait les ponts qui le suturent comme autant d’agrafes.

    Au sud-est l’iris s’est crevé, boursouflant une épaisse presqu’île : le Plateau des Yeux-Morts.

    Oui, je n’ai que dédain pour ceux qui ne sont pas d’ici – qui n’ont pas planté jusqu’au roc leurs racines dans cette terre si peu profonde. Il faut à mon estime des quartiers de noblesse – quartiers de terre.

    Et moi non plus je ne suis pas d’ici – mais j’ai très vite, fût-ce à mon corps défendant, poussé mes attaches, suffisamment pour rattraper l’acquis de plusieurs générations, au point qu’il me semble qu’Omma n’est plus qu’une boule que je puis serrer à volonté dans mes circonvolutions cérébrales.

    Je suis de loin de très avant sur le Continent, où l’on n’a jamais vu la mer. C’est un vaste creux d’argile et de craie où les vignes mûrissent dès septembre.. Un pays chaud et humide où le bonheur suffoque comme une vapeur.

     

    OMMA 3

    Un jour je suis parti pour ce doigt de grès tendu sur la carte vers Omma, cette île projetée au loin d’une simple chiquenaude.

    Là, pas de routes ; on se rend d’un village à l’autre en barque, si la mer le permet. Aussi dit-on « aller en Pélédie » comme «aller au diable » ; les pères en menacent leurs enfants, et les bureaux, leurs fonctionnaires. Un port, autrefois grand, s’ouvre à la base de la presqu’île : un chancre tapi sous un os. Nous devions longer tout un jour cette presqu’île pour voguer vers Omma – c’est au cours du trajet que j’avais fait connaissance d’un garçon de dix-neuf ans, qui fuyait : Léÿnn. Tandis que derrière nous la machine rebroussait chemin sur sa voie en cul-de-sac, nous découvrions notre vaisseau. La rouille en recouvrait le nom. C’était son dernier trajet : après nous, toute liaison maritime avec Omma serait supprimée.

     

    Le premier jour, Léÿnn et moi n’avons pas quitté la rambarde, voyant défiler à lente allure le gigantesque tumulus de cailloux que longeait notre nef poussive. Au droit des hameaux nous voyions les pêcheurs tirer leurs barques plates sur les galets, entre leurs cahutes basses.

    Le soir nous avons relâché à Kyzralèk. Léÿnn se porta volontaire pour décharger les caisses. Je le suivis dans un café de planches, où se trouvaient quelques pêcheurs velus assis sur des billots. Léÿnn s’adressa a eux en une espèce de langage sémaphorique, des doigts, des mains et des avant-bras, scandé de grognements syllabiques. Quand nous eûmes perdu de vue, dans le crépuscule, l’extrémité redressée vers le nord du grand doigt décharné du Cap sur les cartes, un soulagement malsain s’empara de nous tous. Quinze jongleurs, bateleurs, baladins, funambules – des fruits, des cris, de la musique. Le bateau faisait eau de toute part, la pompe fonctionnait jour et nuit. Pendant quarante-huit heures, de panne en avarie, nous avons circulé, flairé l’île, courant d’un arc de cercle à l’autre.

    Onze hommes et quatre femmes en état d’ébriété, lâché dans le navire comme des rats – nous avons galopé, sifflé, hurlé le long de toutes les cursives. Nous avons arraché, bouteille en main, la barre à son pilote, et le navire dérivait. Nous avons embrouillé les cartes, aimanté le compas, et toujours le rhum blanc et les chants fous grand train, les farandoles – et la farine… Six chaises passèrent par-dessus bord. À ce moment, nouvelle voie d’eau… Ça nous faisait rire. Nous formions barrage pour empêcher les marins de descendre pomper. L’un d’eux a brandi sa hache pour nous menacer.

    « Le capitaine est cocu ! À poil ! »

    Le soleil se levait. Les plus ivres ronflaient à même les planches.

     

    Sur le pont, je me suis réveillé le premier. Je me suis mis sur mon séant. L’équipage, les yeux bouffis, avait repris le travail. On balayait les détritus entre les corps étendus par de savants détours de serpillières. Sous moi, machines relancées, le pont vibrait. Le soleil était haut. Je me levai péniblement jusqu’à la lisse.

    Je voyais Omma pour la première fois.

     

    Une immense falaise noire déchiquetait le ciel de ses aspérités, se précipitant dans l’eau par de grands éboulis. Léÿinn vint me rejoindre d’un pas titubant. Nous nous taisions, pénétrés de sensations indicibles, contemplant cette gigantesque muraille couleur de fer, aux clivures acérées, aux pans coupés de failles noires.

    Par vastes cicatrices la roche s’éventrait sur des hectomètres carrés. Une arête plongeait sous notre étrave son tranchant ébréché. Des oiseaux sombres se distinguaient à peine, planant silencieusement comme un vol de vermine. La marche ralentie de notre vaisseau révélait de loin en loin des effondrements en forme de V s’interrompant net, où les moutons gris en équilibre grignotaient des touffes couleur de fer. Deux bergers hirsutes nous lancèrent des quartiers de pierre. Instinctivement, nous nous reculâmes.

    Chacun de mes compagnons se portait à son tour en direction de la falaise. Un oiseau noir rasa les têtes avec un sifflement sourd.

    Nous longeâmes la falaise jusqu’aux premières heures de l’après-midi. Les machines, avariées, ne pouvaient fournir une vitesse supérieure ; des râles mécaniques montaient de l’entrepont.

    « J’entends de la musique » dit Léÿnn.

    Je tendis l’oreille, incrédule ; c’était exact. Le son, faible encore, et intermittent, par-dessus les vagues, ne pouvait provenir que de la côte. En même temps se rapprochaient les premières silhouettes de Wreggen, port principal et seule ville d’Omma – de hauts bâtiments de pierre à ras de l’eau, comme des blocs détachés de la falaise.

    La musique se fit plus précise, indubitable : c’était une fanfare de gros cuivres, où passaient des éclats de cymbales.

    Le front des immeubles ne tenait qu’une faible distance – la ville s’étendait en profondeur, sur les deux rives d’un fjord. Une embarcation nous montra une douzaine de passagers, hâves et déguenillés, qui tendaient les mains vers nous.

    « Ils veulent gagner le Continent, dit un officier, mais ce sont des moutons que nous devons ramener, pas des hommes !

    Léÿnn leur jeta une bouteille de vin qu’ils ne purent atteindre et qui coula – une vedette de gendarmerie vira vers eux – de la barque surchargée montaient des imprécations – la police maritime la remorqua de force vers la côte. Une femme à genoux tirait en vain sur le câble pour le rompre.

    « Bienvenue à Omma », ricana un matelot qui passait derrière nous.

    À mesure que nous avancions la musique se faisait plus triomphale. Une salve de sirènes salua notre entrée dans le port.

    Nous accostâmes. Au pied des murs noircis, le quai étroit grouillait d’une foule en habits vert et brun, aux yeux inexpressifs de poissons morts, poussant des exclamations et tendant des bouquets de plastique.

    Le matelot repassa près de nous en haussant les épaules :

    « Ils n’ont pas changé, à Wreggen !

    Il avait hâte de repartir.

    Devant ces manifestations disproportionnées, nous avions compris, dès de jour-là, que les Ommides étaient à la fois, ou alternativement, les plus sinistres et les plus exubérants qui soient.

    X

     

    Il y a longtemps de cela. Et j’ai tant bu depuis ce soir-là qu’il me semble avoir rêvé. Ainsi dans ma mémoire la salle apparaît-elle longue et basse, alors que nous avons tous pu sans difficulté nous tenir debout sur les tréteaux disposés au centre et sauter tout notre soûl sans heurter le plafond. Mais qu’elle était immense, j’en suis certain.

     

    Nous avions pris place. Léÿnn à présent m’évitait. Il se tenait à l’autre extrémité, au sein d’un groupe où dominait la haute taille brune d’une Ommide vêtue d’émeraude, - je ne pensais pas la revoir. Qu’il était loin ce temps où je l’avais rencontrée, elle, Jrinka, sur le « Stella Maris ». Car c’était elle. Taille d’anguille, sourire aigu, aussi troublante qu’en ces heures de fusillante mutinerie sur cette autre embarcation, et où je l’entraînais par les coursives, tout effilochée de peur, vers la cabine passagère…

     

    Jrinka, je sais que tu te souviens de moi…

    Sous cette apparence que je te vois, je sais que tu n’as pas oublié. Je sais aussi qu’il n’en faudra rien dire.

    Mais quel est ce gnome qui pose sur toi ses doigts courts et spatuleux ?

     

    Assez vite l’espace s’était empli d’une épaisse et tenace fumée de tabagie : fumées de cigares et de rhum, directement importés des tropiques à 5 000 milles juste en dessous d’Omma, sans terre intermédiaire.

    Nous voyions sur l’estrade au niveau de nos têtes à travers les exhalaisons des piments d’importation s’empourprer les paillasses, chanteurs, énergumènes de profession, brassant l’air épais à grands coups d’accordéon, cavalcadant sur les tréteaux parmi de grands essoufflements de saxophones.

    Nous frappions dans nos mains, perdant toute cadence, puis l’un, puis l’autre, avalant de gros bols de punch ; alors, les jongleurs épuisés ressautaient par dessus les tables, et c’était à nous, c’était à toit, à moi, de monter dans les brumes rougies.

    Et nous chantions, nous tournoyions dans les fumées rousses des longues pipes en zinc d’Omma, faisant courir en gigues nos cuisses tremblantes d’échouer.

    J’ai sauté sur les planches. J’ai amusé et j’ai vu s’esclaffer. J’ai vu s’ouvrir les abîmes voraces des gueules pleines de viande et de glace au café. J’ai fait hurler les vieilles et leurs princes, les gigolos d’acier aux profils de poissons, j’ai fait trembler les goitres et craquer les baleines autour des longues tables rapprochées.

    J’ai succédé aux danseurs de tango, aux travestis, aux claqueteurs, aux strip-teaseurs et -seuses – tous parfaitement ivres, je dis parfaitement. Jrinka, la haute femme brune, souriait en face de moi. J’invitai Léÿnn à venir me rejoindre. Il eut un double geste de dénégation et d’encouragement. Je crus comprendre qu’il danserait plus tard.

    Jrinka me racontera mon numéro : ç’avait été mon tour encore, et j’avais composé un résumé fumeux de tant de contes et de pantomimes que ma mémoire n’avait pas résisté : je ne me souvenais que de Jrinka.

     

    Il ne fallait pas que je réfléchisse ; chaque tour entraînait l’autre sans autre règle que la pente de l’ivresse.

    Je devais être le seul sélectionné. Le seul qui ait survécu, « surnagé », comme ils disent – je ne me souviens plus que de leurs noms, parfois du numéro qu’ils donnaient ce soir-là.

    C’étaient des hommes du sud, des hommes de mon pays, amenant avec eux par-delà l’océan ce parfum de vin sucré qui devait sur moi s’éventer si vite – cette odeur que je cherche encore chaque fois que je pousse la porte d’un nouveau bouge – je leur avais tout volé sans vergogne, cousu tous leurs tours bout à bout. Les grimaces seules étaient de moi – et plus que je n’aurais cru.

     

    Quand je fus rassis parmi vous, Ommides, vos faces avaient l’aspect de museaux de tanches. Et même,on ne voulait plus tant rire. Tous désormais s’amusaient entre eux,pour eux seuls. Nous étions les jouets de nos sombres vies.

    Il y avait sur mon assiette de la viande et des pommes. J’avais commandé la boisson d’Omma, cire et cidre mêlés : l’outcham. Je sentais pour la dernière fois dans mes côtes les coudes de mes compagnons, de part et d’autre. Nous avions beaucoup fumé l’herbe dOmma, si âcre et enivrante – un tabac de lin. Et m’inclinant un peu je voyais le visage de Jrinka, animé par l’outcham, et qui levait pour boire sa corne montée sur deux tiges de fer. À mon tour je brandis ma coupe, Jrinka ne m’aperçut pas, je ne parvins qu’à faire jaillir l’alcool crémeux sur l’épaule de mon voisin, qui d’un regard expressif me montra, écrasé dans la fumée parmi la foule, ce petit homoncule à côté de Jrinka, dont il ceignait la taille du bras – une espèce de gnome, au front énorme et chauve.

    Derrière ses lunettes de fer, ses yeux ne me quittaient pas, chargés d’ironie. Ce qui me répugna surtout, ce fut son menton – rond comme une boule d’ivoire, tout aussi glabre, tout aussi luisant, suintant de quelque sauce malpropre.

    Ses yeux n’étaient qu’intelligence – il me fut impossible de le mépriser – il fallut me hausser dès le premier instant jusqu’à la haine.

    Un mouvement se produisit sur ma gauche, N. se décala, remplacé par l’Ommide, je ne revis jamais N. :

    « Tu veux savoir. Moi dirai à toi.

    L’Ommide écorchait le djungo avec un épouvantable accent noriilsk – je vidais alors une quatrième coupe d’outcham.

    « Eux mariés, lui très jaloux, me dit l’Ommide.

    Je me tournai vers lui, il avait un profil de poisson, je les confondais tous – seslèvres épaisses dégageaient,mêlée à l’outcham, une haleine d’algue. Je lançai vers Jrinka un coup d’œil soupçonneux.

    « Combien ? ai-je demandé, depuis combien de temps sont-ils mariés ?

    L’Ommide écarta plusieurs fois ses phalanges palmées: douze ans d’union ?

    - Dhan, oui.

     

    Autour de nous le vacarme atteignait des proportions sauvages. À l’autre bout de la tablée, très loin, un chœur d’Ommides scandait sur le bois un lourd cantique à la vinasse d’importation.

    « Le nom de lui, Glomod. Lui très jaloux.

    Glomod porta un toast dans ma direction, accompagné d’une grimace qui se voulait affable. Il me montrait sa femme semblait-il, puis me désignait avec un clin d’œil horrible, et cependant je distinguais sur le sein de Jrinka ses doigts de crapaud aux boules glaireuses, il tenait, en levant sa corne, un discours interminable et parfaitement inaudible, Jrinka me regardait.

    « Lui, guérir.

    - Médecin ? Doktior ?

    - Il n’y a pas de médecins à Omma.

    Léÿnn m’avait rejoint. Il n’avait pas bu :

    « Il n’y a que des guérisseurs.

    - Guérissûr, dhan, dhan ! Hospitall !

    Quatre gaillards en bottes avaient escaladé les tréteaux devant nous. J’y reconnus un certain R. T. Ils lui apprenaient le Pas des Basaltes d’Omma.

    La trépidation était telle, parmi les hurlements scandés et les battements de mains, que les cornes d’outcham sautaient sur leurs hampes doubles tout au long de la rangée de tables.

    L’Ommide se versa un plein cruchon d’outcham, qu’il avala dans un gloussement :

    « Eux guérir bergers.

    Je me tournai vers Léÿnn avec exaspération : il avait disparu.

    « Dhan, dhan ! hurlait l’Ommide, toi compris – il but le verre d’un voisin ivre-mort qu’il fit tomber du coude sous la table - nous, avoir langue autrefois, vous, du Continent, l’avoir prise ! Glomod pas d’accent !

    - Il a l’accent nain, hoquetai-je.

    - C’est ça, c’est ça, beuglait l’Ommide hilare – il s’abattit sur ma poitrine en sanglotant, me faisant des serments d’amitié : Glomod, spétsialist, cœur, siertsé, sauf le cœur il ne sait rien, tu m’entends Djungo, rien – mais tu peux avoir besoin de lui.

    On n’avait plus rouvert les fenêtres. L’air était devenu irrespirable. Près des toilettes, une vingtaine de personnes des deux sexes attendaient leur tour en braillant, tambourinant sur les portes – Glomod sur son siège se dandinait d’une fesse sur l’autre, il semblait chantonner, son bras n’avait pas desserré son étreinte sur le torse de Jrinka.

    « Tu peux avoir besoin de lui » répétait l’Ommide, d’une voix sifflante – le climat n’est pas bon pour un Continental – pour un Djungo comme toi. « 

     

    Il lâcha prise enfin, mon nouveau voisin me tendait une cigarette atrocement amère - à présent je sens l’algue et le lin brûlé, comme tous. Quand je revins à moi, c’était l’aube, sans doute, ou bien le crépuscule,  c’est-à-dire qu’on avait éteint les lumières, puisqu’on ne pouvait signaler autrement, sous ces latitudes, le lever du soleil, le commencement légal d’un autre jour.

     

    X

    Je sentis qu’on m’appelait par mon nom, mais ma tête semblait définitivement collée au bois de la table. Au prix d’un effort surhumain je parvins à la soulever. La salle était déserte.

    Un balai s’agitait vers le fond.

    - Djennaïm ?

    Je me redressai. Jrinka et le gnome se tenaient debout près de moi, Glomod souriait de toutes ses dents, qu’il avait jaunes, petites et pointues. J’eus un moment de recul, son sourire s’accentua horriblement, je me redressai sur mes coudes, ils se mirent à rire.

    - Endormi ? grimaça Glomod.

    - Désigné, disait Jrinka – vos camarades vous ont élu, à l’unanimité.

    J’avisai derrière moi, sur le sol, une caisse percée de trous d’où sortait par intervalles un vagissement mécanique. Jrinka suivit mon regard :

    - À l’unanimité, reprit-elle. Vous serez affecté aux Zones-Vertes.

    - Et pendant vos loisirs, préposé à l’inspection et à l’entretien des ponts ; très important!chuinta le gnome.

    En fait, il n’était guère que d’une tête plus petit que son épouse. Je ne pus m’empêcher de contempler l’énorme bague d’émeraude qu’il exhibait au médius de la main droite. À ce moment la caisse manqua basculer. Glomod le gnome pencha vers elle son corps bossu – fit glisser le couvercle.

    - À ce propos dit-il nous voudrions vous présenter – tirant du coffre un corps tout replié – le jeune Nourlik.

     

    Il le dressa sur ses béquilles dépliées – c’était un garçon de douze-treize ans, surchargé de chandails. Vers le haut du visage, au-dessus de la couenne des joues, fendus comme les lunettes en bois des Samoyèdes, les yeux avaient ce bleu gris doux des lacs d’Arkhangelsk où flotte le givre avant la prise des glaces.

     

    La créature me sourit.

    Épaules soulevées jusqu’au mitan des oreilles, jambes nues ballant dans le vide – grêles – glaireuses – directement ramenées sous l’abdomen comme des pattes atrophiées d’insecte – il tient sans aide en équilibre sur ses béquilles aux embouts aplatis – Glomod a claqué le couvercle. J’ai sursauté.

    - Voici ton fils, dit Jrinka. J’ai répondu c’est faux, c’est faux. J’ai ôté mon coude de sur la table – j’avais dormi longtemps – la salle affreusement briquée, et toutes les fenêtres ouvertes dispensant une infinité de courants d’air.

    - Avoir un enfant, Djennaïm – dit Jrinka – est quelque chose d’absolument horrible…

    Glomod essuya une larme.

    - ...ces soins obsédants, cette attention sans trêve, tout cet amour obligatoire et qui détruit…

    À ces mots elle pâlit atrocement.

    - ...Sur cet échafaudage de trahisons, poursuivit-elle, se bâtit la mort et pour finir, l’enfant vous hait à son tour. L’enfant s’en va et ne vous laisse que vos propres ruines…

    Glomod pleurait. De grosses larmes convergeaient vers son menton graisseux.

    - Or sachez-le, reprit Jrinka, il n’est chez nous, à Omma, si petit employé, si fruste, qui n’ait compris la leçon des leçons : que la Fonction de Reproduction constitue pour l’Humanité la Malédiction Suprême.

    - Le peu de naissances qui parvient à franchir les innombrables barrières de la contraception – ce peu-là – dix pour cent de la population, dit Glomod

    - ...nous l’exilons, nous le parquons en Zone-Verte.

     

    L’infirme avait tout écouté sans sourciller, les mains clenchées sur les béquilles, oscillant dans son sourire couenneux et illisible.

    - Vous serez chargé de la couverture de ces Zones-Vertes, dit Glomod, seul de votre espèce, hors de toute hiérarchie.

    Le visage de Jrinka s’était progressivement décomposé tandis qu’elle ne cessait de regarder l’infirme à la dérobée – son fils – le mien peut-être.

    - À vos côtés, dit-elle, ses atrophies, ses excroissances, témoigneront de notre impitoyable Révélation. Car nous aussi, il y a très longtemps, nous avons été détestés.

     

    X

     

    Pour inspecter les ponts, Léÿnn vient avec moi.

    Quand nous avons fini d’éprouver la solidité des passerelles qui agrafent l’une à l’autre les côtes dentelées des fjords, nous montons vers les Serres de Basalte, ou sur le Plateau des Yeux-Morts.

    Léÿnn ne respire qu’au souffle des vents forts. Il a souvent parcouru l’itinéraire unique de la Ligne Maritime, celui qui cerne l’île comme un bord de paupière, mais aussi toutes les lignes désaffectées qui cherchent les derniers moutons du fond des fjords et les déposent, celles que l’on commande plusieurs jours à l’avance à la Capitainerie de Wreggen – et l’on embarque alors sur un rafiot qui fait eau et que pilote un marin taciturne au profil de poisson.

    À terre, Léÿnn reconnaît la pierre taillée à la mesure du poing, parmi les éboulis des anciennes moraines. Il se dirige avec exactitude au sein du vieux réseau des vallées sèches, jusqu’au ras de l’eau grise et morne.

    Il herborise. Il se courbe et recueille la pierre ou l’herbe dans un sac de toile blanche compartimenté qu’il porte à l’épaule.

    - Silex articulé, dit-il.

    J’arrête ma Jeep au sommet de l’escarpement. Tout en bas le pont luit dans l’eau, traînée de bave brodée par l’écume. La route sans bitume s’enfonce en tournant au cœur de la déchirure.

    Nous courons sur la pente qui coupe les lacets. Léÿnn dérape et se reçoit sur ses bras tendus en arrière. Je voudrais baiser chaque écorchure de sa peau blanche. Nous tombons en nous étreignant au milieu des pierres dévalantes.

    Ou bien la route abandonnée s’achève en éventail au ras de l’eau sur les galets.

    Nôus marchons sur les troncs couleur d’ocre ou d’ivoire, tendant les bras en balancier.Le plancher arrondi respire au gré des vagues, on perd l’équilibre, le cœur se décroche. C’est l’occasion encore de lui saisir la main ou l’épaule – du sel attaque la peau des paumes – je compare au froncement félin du tigre blanc disparu des plateaux les plis délicats de son nez. Il faut franchir ainsi cinquante à cent mètres sur l’eau.

    Devant nous l ‘océan soulève les troncs lourds. Nos pas les renfoncent et l’eau gargouille sous nos bottes.

    Au bout des passerelles nous amarrons les troncs à des pitons rouillés. Il y a près des rives une provision de pitons neufs dans des cabanes. Léÿnn maintient la tige, que j’enfonce à coups de pierre. Si la mer est trop forte nous restons au sommet des falaises ; le pont tangue d’un bord à l’autre, long serpent crucifié.

    Au niveau des Yeux-Morts les ponts s’interrompent. Jamais la route n’a suivi ces bords escarpés.

    Depuis les Longues-Pentes la vue plonge sur un éventail de serres noires et vertes où rocs, prairies, forêts alternent en déchirures désolées. Un banc de brumes évoque la Saignée, qui sépare le Plateau du reste de l’île, et plus loin encore, plus haut que nous, par-dessus les nuages, le rebord continu des Yeux-Morts.

    Léÿnn me conduit vers les près les plus exposés. Il cueille les ramyes, les stessilores, observe les élytres d’un ptéral fossile, retrouve, dit-il, au creux de sa paume l’exact contour de la pierre des paumes de ce temps-là – puis il dresse la tête, prend le vent.

    Parfois, nous montons aux Yeux-Morts. Le paysage le plus nu de l’île. Une table d’herbe et de roc, des avens qui s’évasent traîtreusement sous les touffes d’enkystes. Des ronces. Des moutons. Du vent.

    Le sol se dérobe à l’emporte-pièce : d’un pas sur l’autre, un trou d’eau circulaire, d’une centaine de doughs de diamètre, profonds de dix dès le bord. On ne retrouve jamais les corps. Dans la section sud-ouest, des panneaux de métal neuf, incongrus, signalent : ATTENTION, GDOURS.

    Ce sont ces trous d’eau noire qu’on appelle « les Yeux-Morts ». Les quatre plus grands dépassent dix kilomètres de circonférence, et possèdent un déversoir naturel : au nord le Tchviek, au sud l’Odmarsoum. Le Tchviek se précipite dans la mer par une cascade ; l’Odmarsoum se reperd. On lui soupçonne une résurgence sous-marine.

    Léÿnn possède la prescience des gdours. Il sait indiquer leur distance et leur direction. Je le suppose capable de capter de très loin l’odeur de l’eau : jamais un mouton ne tombe dans un gdour. Les accidents humains restent rares : les bergers ne quittent guère leurs gourbis, qu’ils appellent hezzevoud. Léÿnn tient parfois avec ces représentants d’une civilisation déchue de longues conversations, à base de signes e d’onomatopées, qu’il ne traduit jamais.

    Nous repérons, sous les herbes, les vestiges circulaires de ces abris de pierre d’où les Ommides du Xe siècle tiraient à l‘arc le mouton noir : la flèche entraînait une corde, on ramenait la bête, puis on l’achevait à la pierre – crainte des loups.

    Les loups et les moutons vivaient alors en parfaite symbiose. Mais les ovins, pousse à pousse, ont dévoré les forêts ; les loups, faute d’abri et de nourriture, ont disparu.

    Les derniers bergers, plus clochards que pasteurs, subsistaient sous leurs huttes de quelques fromages, pris sur la vingtaine de bêtes qu’ils pouvaient reconnaître. On ne les acceptait pas à Wreggen. Leur marché se tenait à Bilama, près des portes sud-est. Ils ne harponnaient plus, dépensant en gros tabac les bénéfices de leurs schilboms crayeux.

    Quelques hameaux crayeux souillaient le flanc sud-ouest du plateau. Les bêtes de ce coin restaient chétives, souvent traites, souvent tondues. Les chiens, galeux et veules, ne connaissaient que les six pas menant du feu de crottes à leur écuelle.

     

    Nous rencontrions parfois Glomod sur la route ; il assurait la consultation des femmes à l’odeur de chèvre. Les enfants eux-mêmes refusaient de suivre leurs pères sur le plateau, lorsqu’ils se décidaient à traire. Glomod leur apportait la nourriture dans une camionnete. Il emmenait avec lui Nourlik, l’infirme, à qui ces déshérités adressaient des signes de connivence. Puis il gagnait, dans son véhicule au cul carré, les chemins pierreux des hauteurs.

    C’est là qu’un jour Léÿnn et moi fûmes témoins d’une scène extravagante : Glomod contourna la camionnette pour tenir la porte à son fils. Nourlik descendit péniblement, appuyé sur ses béquilles, que son père soudain faucha d’un revers de son pied bot. La plaisanterie leur parut drôle. Ils se mirent ainsi à se poursuivre, Nourlik propulsé comme un crapaud sur ses membres antérieurs arqués, le père boitillant en cercles autour de lui, l’agaçant de son pied crochu. Cruauté folâtre !

    Les bras du fils formaient avec le corps deux angles droits rigides comme les articulations d’un jouet à ressorts. Son rire grinçant nous parvenait à travers le vent. Nous ne pouvions détourner les yeux.

    Puis ils se sont promenés, reprenant haleine, en regardant la mer au bas de la falaise, Nourlik bondissait avec raideur, Glomod boitant à son côté.

    Avant de disparaître dans un creux de terrain, Glomod se retourna pour nous faire un signe du bas. Nourlik ne nous regarda pas.

     

    Nous les avons revus : près des gdours, sur les crêtes, au fond des prairies déprimées. Glomod nous saluait toujours avant de partir. Le moteur de la camionnette retentissait : Glomod reprenait sa tournée parmi les Bergers. Ils ne se comprenaient que par gestes : l’ommadhi passait mal entre leurs dents atteintes. Glomod leur portait des fruits et du grain.

     

    X

     

    Les Zones-Vertes occupent une inclination des prés, qui montent en ondulant vers le bord des falaises. Les enfants accourent vers moi, levant les bras, agitant sur leurs têtes une oriflamme. Leur troupe rabat ses ailes sur moi, s’abat devant mes pneus – je reçois près des yeux une touffe d’herbe humide.

    Ils me reconnaissent.

    Ils me font triomphe.

    L’ovation se prolonge : ils jouent.

    Le sentier s’achève, les ornières s’effacent, mes roues dérapent sur l’herbe, et je me sens poussé plus loin, je suis extrait, porté par tant de mains fragiles dont la multiplication me maintient par-dessus la prairie.

    On me relâche.

    On s’éloigne.

     

    Honteusement cachés dans les crèches et dans les écoles, ils circulent en autobus clos ou serpentent par deux au pied des gratte-ciel. À dix ans, ils sont expédiés aux Zones-Vertes, où leurs parents ne les visitent plus.

    « Djennaïm ! Djennaïm !

    Ceux-ci viennent pour moi ; ils glissent et dévalent sur les bosses d’herbe.

    Ils me tirent par la veste.Dans le coffre j’ai apporté une peau d’ours, un Zorro du Continent, trois masques de danseuses.

    - Attendez !

    Trop tard. Ils ont trouvé mon Grand Masque à deux jambes. Ils se poursuivent à demi-costumés sans m’attendre. L’herbe trempe leurs pieds. Le masque bipède chavire. J’installe mes tréteaux.

    J’improvise. Il y a des morts, parfois de l’amour.

    Quand ils sont fatigués, je leur montre les marionnettes – je déteste les marionnettes.

    Je chante. J’imite. Ils s’asseyent sur l’herbe qui fume au soleil, je leur parle du Roi Arthur et de son sanglier magique, je leur récite du Claudel, qui a toujours un grand succès comique.

    Je comparais devant leur tribunal. Ils comparaissent chaque jour devant moi. De la voix, du geste, je cherche à les capter – sources, gibier. Ils se livrent tous plus qu’ils ne pensent, moins à coup sûr que je m’imagine. Bien sûr, je suis le prisonnier. Leurs dents rient sous leurs lèvres rouges. Le vent frissonne sur les herbes. Les enfants n’ont pas froid.

    Je fais Tarzan. L’hippopotame. Le Roi Noir.

    Voici la contrebasse et la trompette.

    « Saute, Djennaïm, fais-nous Mozart, fais-nous Beethoven !

    Je plisse le front, gonfle un menton beethovénien. L’électrophone à piles tourne sur l’herbe, les pit-pit pépient sur la Petite Musique de Nuit, le vent traîne ses pieds au milieu du Credo. Ils applaudissent et se renversent, trempant leur torse de rosée. Ils rient, et c’est de moi. Je suis au comble de la joie.

    Mais j’aime aussi tous ceux qui rêvent. Ce sont les mêmes. Ils suffit qu’ils me voient remonter à longs pas le talus vers l’autel au bord de la mer. J’ai revêtu la cape noire désuette qui fait s’envoler les corneilles ; le vent rebrousse mes cheveux. Rien de plus respectable, de plus ridicule. Rien de plus véritable que la scène.

    « Djennaïm, l’ours, encore l’ours !

    Je danse devant eux. Ils éclatent de rire.

    J’écarte gauchement les bras, leur grogne en langue ourse mes grognements perplexes.

    « La tyrolienne, Djennaïm !

    Je lance éperdument mes coups de glotte, pousse un gros rot : ils rient. Le vent frémit sur l’herbe bleue. Les enfants n’ont jamais froid. Ils sont devant moi comme l’Amérique, en cette terre verte et lointaine où les enfants ne représentent plus, comme l’a dit Glomod, que dix pour cent de la population.

     

    Wreggen déporte ses enfants ; ses murs noirs et luisants plongent dans la fange des canaux.

    « L’air est malsain », disent les habitants.

     

    Le Continent nous a abandonnés, confirmant le phénomène de dérivation. Nous sommes devenus en fait indépendants, face à notre lente immersion ; les Continentaux ne nous en imposeront pas.

     

    Je n’ai pas brisé la ronde. J’ai pris avec moi cinq ou six spectateurs apitoyés. Nous avons tourné en rond de notre côté, les autres se sont progressivement arrêtés. Je crois bien que j’étais ivre ce matin-là, ayant pris l’habitude de ne pas conduire sans ma flasque d’abricot.

    Je dansais tête renversée, et tous m’imitaient. Tous riaient.

    - Qu’est-ce qui te fait le plus rire, Djennaïm ?

    Mon indignation eût été bien plus grande si les éducateurs avaient voulu eux-mêmes initier les enfants aux Danses de la Conquête.

    Il me semble les entendre d’ici, les éducateurs, avec leurs injonctions débiles :

    « Placez les bras… Allez les filles… on sourit les museaux ! » ...en langue prÿ-lê !

    Auraient-ils seulement pu s’imaginer, « Jérôme » et « Louise » - ! - que les prêtres de ce temps-là tenaient à honneur de ne point prononcer une syllabe durant les leçons d’attitude ? On rectifiait les pas sans mot dire, avec une baguette de gandhu.

    ...Quant à Nourlik, il ne s’est toujours pas présenté.

    J’espère qu’ils oublieront.

     

    Un coup de sonnette me jette à bas du lit. Je me précipite, j’ouvre, la rue est noire. Je manque buter sur une caisse : c’est lui.

    En jurant, je le tire au centre de la pièce.

    Nourlik fait lui-même coulisser le couvercle et se trouve debout devant moi, ballottant sur ses béquilles et parfaitement éveillé, béat. Je me gratte furieusement le cuir chevelu, je tourne les talons :

    « Attends-moi. »

    Effondré, je me lave, je m’habille, je mange. Il n’a pas bougé.

    Il se balance.

    Il me suit de lui-même, traînant sa boîte au bout d’une corde reliée à sa béquille, et s’accroupit près de moi sur le siège comme un chien, le nez haut, babines retroussées.

     

    L’assistance ce jour-là fut particulièrement fournie et hilare. Léÿnn se tenait à distance.

    - Je ne pensais pas qu’ils oseraient, me dit-il.

    En fin de journée, comme j’invitais Nourlik, en détournant les yeux, à reprendre sa place, il refusa obstinément. Je m’installai, embrayai – en vain. J’allais, surmontant ma répugnance, l’empoigner de force, me promettant de me doucher longuement à l’arrivée, lorsque Jrinka surgit au volant d’une quelconque voiture de sport. En un clin d’œil, Nourlik se laissa retomber tout replié dans sa caisse, dont il referma sur lui le couvercle. Elle l’eut rapidement soulevée sans effort apparent et replacée dans le coffre arrière. L’automobile s’éloigna en virant, creusant l’herbe boueuse.

     

    Le lendemain, je me lève dès six heures. Je me tiens près de la porte, un livre à la main. J’attends une heure, sans comprendre ce que je lis. Sept heures, rien. J’ouvre la porte, et manque recevoir dans l’œil le doigt de Jrinka pointé vers la sonnette. Je m’aperçois alors que j’ai négligé de me vêtir. Jrinka me jette un regard méprisant et me plante là :

    « Vous allez être en retard, M. Djennaïm.

    Je rentre la caisse. Il pleut à verse. Nourlik accepte un bol de chocolat, qu’il oublie plein au bord de la table.

    Aucune cuite n’avait jamais dépassé en intensité celle que je m’administrai ce dimanche-là dans les bars souterrains les plus mal famés de Wreggen.

     

    Le lundi matin, je suis prêt.

    Jrinka cette fois-ci m’attend, un large sourire aux lèvres.

    « Voulez-vous m’aider à transporter la caisse ?

    Je la lui avais vu soulever sans effort. Je m’exécutai posément.

    Quand Nourlik se fut dégagé avec son habileté coutumière, Jrinka s’assit dans un fauteuil et croisa les jambes fort haut avec décontraction :

    « Vous avez bien un quart d’heure ?

    - Je n’en peux plus.

    La phrase m’échappe.

    - Nous vous devons une explication.

    Nourlik acquiesce en accentuant, s’il est possible, son air béat.

    « Montre-lui, Nourlik.

    Il dégringola plutôt qu’il ne se laissa glisser de ses béquilles, et déjà s’affairait autour de sa caisse, sautant de tous côtés comme un crapaud, tirant et poussant des manettes. Au fur et à mesure, je voyais sortir de la boîte une quantité de compartiments fermés sur le dessus, prenant le jour par des carreaux de Plexiglas latéraux, émettant même une forte luminescence.

    Je reculai mes pieds sous mon siège.

    L’ensemble avait pris la forme d’une espèce d’araignée de plastique aux membres brisés, qui étirait ses pattes dans toutes les directions.

    « Il peut lui donner d’autres formes à volonté ».

    Nourlik s’exécute : c’est à présent une sphère translucide – un anneau horizontal. Nourlik se hisse prestement et disparaît.

    « Jetez un coup d’œil à l’intérieur.

    Je m’accroupis sur l’orifice du dédale, scrute les parois immaculées. Partout des miroirs, des cadrans de télévision. Des sièges à quarante centimètres du sol, des portes coulissantes, un appartement tout entier à sa taille.

    Un rire dans mon dos : Nourlik est ressorti par une porte dissimulée. Il se tient debout sur ses béquilles : un tentacule de la boîte magique est passé sous ma chaise. En guise d’allégresse, Nourlik pivote sur ses poignets, accomplissant une rotation parfaite.

    « Vous voyez ? me dit Jrinka en se levant, nous ne sommes pas des bourreaux.

    Elle nous laisse seuls.

    Le monstre, à présent en confiance, replie son habitacle et s’y glisse en me lâchant d’une voix de flûte fêlée :

    - Je ne suis pas non plus si bête que j’en ai l’air.

    « C’est papa Glomod qui a tout fabriqué, ajoute-t-il. Tu m’emmènes ?

    - Bien sûr.

    - Je ne mange pas.

    - Tu ne manges pas ? …

    - ...Aux Zones Vertes, dit-il en plissant les yeux.

    - Tu n’es pas mon fils.

    - Tu n’as jamais connu ma mère, dit-il.

    Nourlik referme le couvercle coulissant.

     

    Pendant le trajet, j’enclenche à toute force une radiocassette de musique de danse.

     

    Désormais, mes représentations se ressentaient de la présence de Nourlik. Je devais me surpasser. J’enchaînais les numéros avec un brio désespéré. L’auditoire frappait dans ses mains. Nourlik, à mes côtés, multipliait grimaces et tours d’adresse : sauts, équilibres, rotations – il atteignit les dix-sept tours sur lui-même, se rattrapant à ses poignées : les béquilles n’avaient pas bougé d’un millimètre.

    Léÿnn se tenait à l’écart, muet, laissant échapper aux meilleurs moments un rire mécanique.

    Ensuite, Nourlik n’avait plus d’yeux que pour moi. Mes moindres gestes et intonations, je les sentais épiés, couvés, accaparés par ces deux fentes bleues à demi-recouvertes de couenne. Il restait là à me toucher, je sentais son odeur grasse, la sueur de ses poings toujours crispés montait vers mes narines. Jrinka avait eu le tact de ne plus me le confier qu’à mi-chemin, dans un bistrot faiblement éclairé au néon, en plein brouillard ; c’était encore trop. Je devais obtenir peu après de le trouver seulement sur place, où on le déposait chaque matin.

     

    Bientôt Léÿinn n’assista plus à toutes les séances.

    Par crainte de désobliger l’infirme, je lui avais laissé prendre des libertés. Désormais il émettait ses jugements à haute voix, se mouchait d’une main, donnait le signal des applaudissements ou des sifflets.

    À une réflexion de ma part, cela devint bien pis : il se laissa glisser au sol, prenant à mes pieds l’aspect d’un crachat. Levant la main pour me prendre la cuisse, il resta sur mes talons avec des mines d’amant. Ses larges oreilles charnues et cartilagineuses de porc captaient les moindres soubresauts de ma voix – si bien qu’un jour, de l’espace occupé par Nourlik – les autres s’écartaient de lui d’un bon mètre – j’eus l’horrible surprise d’entendre un ricanement :

    « Change, Djennaïm, change !

    Il donne le signal du départ.

     

    Je me douche tous les jours. (Je vis désormais dans l’appréhension de ce verdict, qui devient de plus en plus fréquent). À quatorze heures du soleil, Léÿnn, courbé, plié, le maillet de métal en main, ausculte et casse le sol de son île ; je le suis ; il veut les pierres pour son clan, 10 000 förin par mois, plus la prime au caillou : prisme, pyramide, tronc de cône.

    Cependant ma haine s’accroît. Je m’en ouvre à Léÿnn, que j’aime. Il dit :

    « Je fournirai un aliment à ta haine. Écoute : tous les deux jours les chevaux d’Omma disputent les honneurs au Grand Hippodrome de Wreggen. Là tu rencontreras le prêtre et la victime. D’autres instructions te seront données.

    Je demande alors à Léÿnn ce qu’il faisait sur le Continent.

    - D’où venais-tu quand je t’ai rencontré ?

    Silence.

    Je lui demande avec insistance s’il est mon fils. VOLUME P. 34

     

     

     

     

     

     

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  • NOX PERPETUA Développements

     

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    Nous étions à Florence. Uffizi à part, fort mauvais souvenir ; une atroce vague de chaleur prime sur les chefs-d'œuvres. Avec femme, petit-fils et belle-mère pour compléter. Nous logions dans un meublé, aux tiroirs comblés de vieux cahiers d'écolier, les bahuts de vêtements d'enfants ayant appartenu à la maîtresse de maison. Nous sommes donc sortis dans la rue : c'étaient de vieilles maisons, hautes, étroites, comme à Die ; cela grouillait de petits commerces et de chalands. Une ville remontant au fond des siècles : 59 av. J.C. Nous sommes revenus de notre promenade plus nombreux que nous n'étions :

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    une autre famille, semblable à la nôtre, apparentée sans doute, aimable et parfaitement francophone, s'était jointe à la nôtre, et nous formions un groupe animé d'une douzaine de personnes, car ma femme était aussi avec nous : «Accompagnez-moi jusqu'en haut de cette côte », disait-elle, « vous écouterez une conférence que je dois y donner » - elle donna l'adresse d'un établissement scolaire (scuola primaria)- mais en vain.

    Avant de retrouver nos alliés de Florence, nous avions parcouru depuis Paris une distance considérable, et jeme souviens bien qu'au lieu de faire au plus simple, nous étions passés par Dieu sait quel toboggan routier de banlieue, au-dessous duquel vivaient entassés dans des geôles grillées une quantité de prisonniers : émigrés clandestins en instance d'expulsion ; cela ressemblait, y compris les grilles, à ces énormes bosses de montagnes russes, dans les foires ; après cela, retrouver notre chemin... ! pour le moment, tirant la langue, nous escaladions cette pénible pente, à pied, nous tordant les chevilles dans des bouches d'aération au ras du sol, rendues invisibles par des bouchons d'étoupe : franchement, à quoi pouvait donc bien penser la municipalité ? comment pouvait-on pousser plus loin l'absurdité administrative ?

    Nous sommes donc rentrés bredouilles, dans ce vaste logement de location ; les pièces en étaient innombrables : nous allions vivre dans un véritable palais, délabré comme il se doit. Ma mère n'avait pas bougé ; ma belle-mère se jeta sur un canapé ; pour la rafraîchir, je suis allé chercher dans une vieille salle de bain attenante, dont j'entendais fuir les robinets antiques, des animaux sculptés dans le bois : la salle d'eau en effet, outre sa baignoire sur pieds, comportait aussi des vasques à ras du sol, où flottaient divers jouets en forme de canards ou de pieuvres ; sans doute les enfants, aujourd'hui absents, les choisissaient-ils avec soin avant de les emporter dans leur bain. Les toilettes, heureusement, se trouvaient ailleurs, car il n'est rien de plus désagréable de sentir en se baignant sa propre merde mal déparfumée par un simple tirage de chasse : aucun désodorisant n'est suffisamment efficace pour dissiper ses propres odeurs.

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    Heureux celui qui ne respire pas, qui plus est, celles des autres ! bref, ma fille avait enfin trouvé chiottes à son pied ; les miennes étaient bouchées : c'était vraiment un vieux palais, très mal entretenu. Les gogues étaient vraiment le grand problème dans ce palais aristocratique. Sonia par miracle en trouva de propres.Les miennes étaient bouchées, obstruées, blindées. Les salles de bain présentaient toutes les étapes de la dégradation, depuis les plus convenables jusqu'aux défoncées envahies de cafards. Quand enfin nous eûmes satisfait aux besoins naturels et aux ablutions, nous arrivâmes bons derniers à la table familiale. Ce fut un grand et long repas. Il ne manquait ni un cousin ni un service. Ni même, divin jeu de mots, une grande partie de Sept Familles ; mais la pioche était dissimulée dans un tiroir entrouvert, et nous devions, l'un après l'autre, deviner au toucher de quel membre il s'agissait, père, fille ou grand-mère par exemple, d'après le découpage de leur figurine respective.

    Et même après ce jeu, où les préséances avaient marqué le pas, ce fut à qui aurait l'honneur de nous tenir à ses côtés. L'assemblée ne cessait de croître dans ces grands espaces, par l'adjonction de nouveaux venus, jeunes, dynamiques, parfaitement inconnus. Deux grands escogriffes trentenaires ainsi se présentèrent à nous, moustachus et joyeux. Très vite l'un d'eux s'est relevé, sans que l'on eût pu dire s'il était en grand déshabillé ou en guenilles de luxe, où il s'empêtrait dans un grand discours classique en excellent français ; pas une trace d'accent italien. Et pour ma part, j'étais assis juste en face d'une grande fille sportive et joviale, qui ne cessait de me faire du genou sous la table.

    Qu'aurais-je fait, grand Dieu, d'une jeune sportive ! ...il doit leur en falloir, de la course de fond ! et non pas de la frousse de con. Après de telles agapes mondaines et vulgaires, nous avons retrouvé notre couple légitime, gravissant une pente herbue vers une école en hauteur, enfin seuls : Arielle déplorait tendrement que depuis notre arrivée en Toscane, soit une bonne semaine, nous n'ayons pu trouver un seul instant d'intimité, COLLIGNON « NOX PERPETUA - DEVELOPPEMENTS » 50

     

     

     

     

    ne fût-ce que pour nous parler ; mais nous allions enfin y remédier. Quel étrange épisode en vérité de notre vie, plein de bruits et de couleurs, à Florence...

     

    Je cherche non pas la mort mais l'acquisition d'une supériorité dans le domaine des pouvoirs de l'esprit, qui me permette un jour ou l'autre, ante ou post mortem, soit de dominer les circonstances matérielles de façon à les incorporer à quelque chose de plus grand, soit d'acquérir la volonté de les changer matériellement. Tous les efforts de notre vie peuvent se ramener à cela, et se justifier à cela.

     

    « Eh bien, lui dis-je après qu'elle eut achevé sa conférence, revenons à Paris. » J'ignore par quelle aberration ou étourderie nous nous sommes retrouvés non pas sur l'autoroute de Pise, comme il eût été logique, mais sur une route à quatre voies au milieu d'un vaste embouteillage de type « accordéon » : trente mètres dégagés, long arrêt, trente mètres, nouvel arrêt, ainsi de suite jusqu'à plus soif. Notre envie de nous retrouver enfin dans notre vie précédente, avec les commodités d'une vie amoureuse et tranquille, ne devait pas être si intense, car elle m'a oublié, ou j'ai oublié de la rejoindre, après un arrêt hygiénique dans une quelconque station-service. Alors ma foi je la rejoins à pied, d'abord avec succès, sans la perdre de vue ; mais, vous pensez bien, sur autoroute... Peut-être un automobiliste m'a-t-il pris en pitié ? Qu'est-il arrivé ? Pourquoi suis-je en cette chambre, au chevet de mon amie, tandis qu'une infirmière lui passe un gant mouillé sur le front ? « Elle a fait un malaise » : au volant ? Elle aurait survécu ? J'assiste à ses soins ? Une aide la redresse, entreprend de la nettoyer.

    Dans ce mouvement, ses deux seins dépassent la mince barrière du corsage d'hôpital. Ce n'est ni déchéance ni laisser-aller ; je les trouve agréables à regarder, même partiellement, dans leur rondeur de gros yeux qui roulent. Mais si les seins s'exhibent,

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    minimum d'information de la part du personnel : origine du malaise, temps de récupération, motus. Qui sont ces gens qui viennent la visiter ? Une grosse s'agite, mère juive et chapeau à voilette. D'autres, hommes et femmes. Qui peut la connaître ? Je ne suis donc pas tout pour elle ? Un couple de sexagénaire, la femme en bleu ; ils n'ont pas un regard pour elle mais s'entretiennent du plus sérieusement avec l'infirmière. Ils obtiennent assurément plus de renseignements que moi : la patiente ne serait-elle pas mieux indiquée pour ce faire ?

    Il me faudra donc passer la nuit (combien de nuits?) dans cette ville inconnue. Aucun lit n'est prévu, je ne suis pas la mère d'un enfant malade. « Il ya des hôtels dans le quartier », merci infirmier, tous me considèrent comme un poids mort. Alors voilà, je sors à pied, à la recherche d'un hôtel. Dans ce quartier d'hôpitaux, il n'y que des rues droites, des murs et des résidences dépourvues de tout intérêt. Puis d'un seul coup, ça arrive dans les villes, surtout espagnoles, une rue semi-piétonne (les voitures sont au pas), qui s'arrête net : deux bornes, et le plateau plonge sous vos pieds ; en face, au même niveau, sur trois autres meseta symétrique, la fantaisie d'un urbaniste a dressé trois structures métalliques, dont l'usage reste problématique.

    De plus, un immense bâtiment pose un pied sur chacun de ces rochers : c'est une église tripode, magnifique, d'acier luisant. Cela ressemble, pour ceux qui s'y connaissent, au Patineur de César. Et comme je suis là, bouche bée, je m'aperçois que d'autres également admirent ce chef-d'œuvre, accoudés au même balcon : en banlieue, la créativité ontemporaine a plus de liberté tout de même. Je demande la ville où je suis : « Colleville ? » C'est tout récent, cela vient de sortir de terre ? Il existe bien, dans le Calvados, un petit village ainsi nommé. Personne ne répond. « Il y a trois autres Colleville, ou quelque chose d'approchant, dans le Calvados », me dit-on enfin. Et mon interlocuteur de se répandre en considérations étymologiques fastidieuses. COLLIGNON « NOX PERPETUA - DEVELOPPEMENTS » 52

     

     

     

     

    Poliment, je le remercie. Toujours pas d'hôtel. Ma foi, je me lance : il suffit de tirer de ma poche un long document de papier, où figure une non moins longue déclamation. Tantôt de la prose, tantôt des vers. Des badauds s'agglomèrent, portant ma foi plus attention à mes revendications (je me souviens seulement qu'elles étaient agressives) qu'aux sculptures dans mon dos. J'ai composé cela jadis, avant mon voyage, avant mon existence, et cela m'est venu assez vite, en plusieurs langues : une sorte d'Esprit Saint ; une seule langue me résiste encore : le portugais. J'ai reconnu dans l'assistance trois grands barbus lusitaniens, collègues de radio, bien plus capables en langue française que moi dans celle de Camõens. Et tous les jours, à la même heure, je ressors de ma chambre d'hôtel enfin découverte pour imprégner les touristes de passage de mes compositions...

    Alors, dans les rues, je déclame. Je déclame sur celle que j'ai perdue, qui n'a plus sa conscience, et je me rends compte que la vie est bien la vie, qu'il n'y a pas de rechange, même dans nos têtes. C'est une douleur jusqu'à l'étourdissement, les passants m'écoutent un instant, et ne voyant aucun chapeau d'aumônes au sol, voyant que je marche encore, repartent à leur vie ; c'est de la prose, ce sont des vers, c'est de moi ou d'un autre, c'est d'une langue ou d'une autre, français, polonais, tüütsch de Suisse... le tout très beau, très cadencé, abusrde ou merveilleux, ou les deux. Mais je proteste, contre la beauté de la vie, sa brièveté, son absurdité, en effet.

    Un homme sur le trottoir s'arrête devant moi ; il me demande avec accent de lui déclamer quelque chose, n'importe quoi, seja o que for, en portugais – honteux soudain, je m'arrête : je n'en sais pas un mot. Le portugais, je le lis, avec difficulté – sans pouvoir en articuler un mot. Il soulève sa casquette et s'en va, déçu. A peine a-t-il fait dix mètres qu'il se heurte, sur le trottoir, à un compatriote, qui le gratifie avec talent d'une grande tirade de Pessoa. Quelle joie illumine alors son visage ! J'accélère

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    vers lui, vers eux, qui se fondent dans la foule des passants, tandis que je me heurte à mon tour – c'est la journée des folies ! - à mon épouse, descendant précipitamment les marches de l'hôpital : ce n'était rien, le choc passager, l'émotion, la suspension des fonctions vitales, mais elle est là, retrouvée, intacte.

    Il ne me semble pas que l'émotion se lise sur mes traits avec autant de netteté que devant l'auditeur portugais de naguère. Suis-je à ce point dépourvu de sensibilité ? Mon Dieu que de sottise... « Oui », me dit-elle, « j'ai tout entendu ; cet ouvrier t'a mis en difficulté, Ghislain m'en est témoin. » Ghislain : ce petit caniche humain qu'elle avait apprivoisé, l'accompagnant jadis en tous lieux jusque dans son lit, frisé, pomponné, maniéré, qui revient dans nos vies, sans avoir crié gare... Que vient faire ici Fanuc, mon metteur en scène, qui m'inspecte en public et me rajuste mes effets, reboutonne mon col, pour une première... C'est une scène que ce trottoir, le projecteur n'est que le soleil, l'acteur ignore son texte, récite ou improvise en dépit du bon sens, pourtant, je me sentais si bien, au sein de la foule qui défilait, si indifférente, si protectrice, en accord total avec un ensemble qui nous englobait tous...

    Fanuc ne se lasse pas de me tapoter partout, des épaules aux genoux (il s'incline) : « Mon vieux, tu es plus soigné maintenant, plus moderne (il désigne la foule), plus en phase. » Qu'il cesse de m'effleurer. Arielle et Ghislain forment à côté de nous un petit couple ridicule qui discute avec animation sur un point de mise en scène, ils sont de petite taille, mon rival secoue ses bouclettes en élevant le ton, rien ne peut distraire le courant humain qui défile et s'enroule comme un tourbillon sur l'Amazone. Nous nous rabattons sur la terrasse d'un café : tel un banc de sable où s'échouent les débris fluviaux. « Je viens rarement », s'écrie Ghislain de sa voix de tapette, « vous savez que j'ai déménagé ? »

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    Certaines personnes parlent avec une telle intensité, leurs paroles percent à ce point le vacarme, que nul ne peut ignorer un détail de ce qu'elles émettent. Ghislain est de cette trempe. Il va s'en prendre une. Sur le guéridon de terrasse je tripote les cendriers avec une rage contenue ; Arielle me les ôte des mains sans cesser de prêter l'oreille à ce verbiage ghislainien. Je me lève. Au comptoir, je demande une chambre. « La 302 monsieur, voici la clé ». Ils viendront bien me retrouver : ils se demanderont où je suis passé, le personnel viendra les informer : « Chambre 302 ». Malgré notre retard, il faudra bien qu'Arielle, au moins, monte le retrouver. Nous serons en retard, mais de quoi ?

    Où allions-nous ? Que se passerait-il si nous n'arrivions pas ? Serions-nous si indispensables ? Combien je déteste mon temps, comme tousles autres temps, et de combien s'en faut-il que je sois le porte-parole de qui que ce soit ici, Vienne ou Lisbonne qu'importe... J'ai mal refermé derrière moi. Un chat se faufile, seul compagnon, qui me rejoint sous ma couette. Un courant d'air vient tout refermer. Le chat s'agite ; il s'est coincé. J'enfonce ma main et le prend par le cou, entre les épaules, pour me consoler de caresses – mais l'animal me griffe, c'est une femelle, opérée du dos, une vigoureuse femelle pure gouttière, et d'un geste du bras, je l'éjecte. Elle s'évade par la fenêtre et Dieu sait quels balcons ou corniches ; ce fut ma seule visite.

     

    Plus loin, c'étaient les nazis. Vous n'avez pas connu cela. Notre professeur de philo nous disait qu'il fallait toujours discuter. Une voix s'était levée : « Et quand on est coincé entre deux soldats allemands, on esaye aussi de discuter ? - Je n'ai pas dit non plus qu'il fallait être con. » Ma chère, votre généralisation tombe à l'eau. Il en est de même pour tout raisonnement. Nous n'avons qu'un outil imparfait : ne le jetons pas COLLIGNON  NOX PERPETUA

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    pour autant. Echappons-nous vers le haut, pendant que les nazis nous courent aux talons dans l'escalator : saurons-nous courir galvanisé sur les toits ? Et si un nazi, lourdement armé, se révèle capable d'engager la poursuite là-haut ? Saurons-nous le bousculer par-derrière sans perdre nous-mêmes l'équilibre ? Aurons-nous eu le temps de lui subtiliser une arme de poing, saurons-nous l'utiliser au lieu de ne pas même ôter le fameux « cran de sécurité » ? Le cliquetis, et le bon sens, ne mèneront-ils pas le regard vers le haut, d'où provient le bruit, d'où provenait la poussée ? Or la chance a voulu que parvenu sur le toit par une trappe qui toujours se trouve là dans les récits, débouchant à proximité d'une batterie de cheminées, nous nous soyons transformés en fumée : quel humour, cher Destin ! Et puis je suis redescendu. Les retrouvailles avec notre communauté furent fiévreuse. Un de mes coreligionnaires et comédien, Steinmetz (« le joaillier »!) se fit à demi-convaincre par mon récit, où je l'exhortais à recourir à ce moyen, moderne, magique, sophistiqué. Pourquoi donc étais-je revenu me faire piéger dans ce trou à rat où s'entassaient mes connaissances ? Parce que mon récit est faux. Parce que je me suis échappé par d'autres moyens, dont je ne me souviens pas.

    Des SS ne se laisseraient pas berner si facilement. Ils vérifiaient tout minutieusement. Peut-être même avaient-ils usé de clémence en me replongeant précisément dans mon ghetto. Ils m'avaient reconduit revolver dans les reins jusqu'au bas des escalators. Et là, sous le dernier d'entre eux, dans l'éclat des chromes, j'avais bien vu qu'on fusillait à plein bras sous les néons. Les clients du supermarché passaient en détournant leurs yeux gris. Les exécuteurs, très jeunes, prenaient bien soin de ne pas éclabousser leurs uniformes flambant neufs. Et j'allais toujours : Schnell ! Los ! combien d'autres avant moi s'étaient-ils rués vers les derniers étages, sans concevoir le piège tendu sur le dernier palier.

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    Plus bas notre magasin présentait des escaliers très ordinaires, donnant par le côté sur des couloirs blancs. Derrière une de ces portes, elles aussi blanches, j'attendrais ma sentence. Les portes s'enfilaient à l'infini, mal détachées rue le mur, semblant se gonfler et se mutiplier gar gonflements organiques, l'une après l'autre. Mes gardes, avec humanité ! m'ouvrent alors à ma demande une de ces portes donnant sur des toilettes, ou plutôt un réduit, triangulaire, très obscur dans tout ce blanc, sans la moindre issue ni fenêtre. Et moi, voyez jusqu'où descend l'esprit : j'imaginais (une fois de plus) qu'ils seraient imbéciles au point de m'oublier là, de ne plus savoir derrière quelle porte j'étais en train de pisser ; alors, profitant de ce qu'ils auraient le dos tourné, ou descendus sans y penser de quelques étages encore, je m'évaderais !

    Qui se représente exactement les ravages que peuvent exercer les bandes dessinées sur le cerveau d'un jeune juif imaginatif ? Mon appréhension n'y résiste pas : par terreur d'une telle angoisse, je me livre, ou je meurs. Certains peuvent penser qu'il suffisait de m'éveiller – c'est bien ce que je dis.

     

    Parfois, mes nuits sont plus calmes.

    Parfois, mes nuits sont plus calmes. Il m'arrive de séduire. Mettons que j'écrive à une femme. Pas n'importe laquelle : celle qui enseigne l'histoire à ma nièce. Une boulotte sympa, bouille ronde et cheveux frisés, comme Juliette ou Zouc. Elle a reçu ma lettre où je la supplie de m'aimer. C'était ma foi bien ridicule, et ma mère a intercepté cette lettre, dans la poche de mon pantalon avant que je le mette. Elle m'a engueulé, disant que je méritais mieux que ces filles de campagne, et que je rencontrerais des fiancées bien plus intéressantes, socialement, que ces futures secrétaires populaires. La boulotte frisée me considère avec une grande sympathie, prête à passer sur l'expression outrée de mes désespoirs emphatiques. Elle ou une

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    autre, je m'y dévouerais de toute mon âme, pourvu qu'enfin une femme daigne m'accepter. J'étais en effet comme cela. En toute vanité, j'espérais mieux, mais quelle fatuité ! quelle arrogance ! Combien la pleurnicherie va bien de pair avec la plus crétine vanité ! Pourtant je l'avais vue, cette petite grasse, peu favorisée par la nature mais si fraîche, si avenante !

    Et comme elle et moi allons vite en besogne, nous nous retrouvons rapidement tout nus, l'un à côté de l'autre, mais dans le hall du collège : quatorze heures, les collégiens ne vont pas tarder à récupérer leurs cartables qu'ils ont entreposés là, tout autour, sur cette sorte de plate-forme où l'on nous verra de partout. C'est alors que je ne trouve rien de mieux à faire que de lui montrer, tirée de mes habits, une photographie de ma femme, qui, elle, est admirable, n'est-ce pas. Ma boulotte actuelle ne peut s'empêcher de s'exclamer : « Belle architecture ! » La photo date cependant d'une bonne dizaine d'années. On aperçoit près de mon épouse une autre femme, au visage masqué par un défaut du cliché : tout est comme replié, à la façon des portraits de Bacon. « Pour le mec, je ne sais pas » ; mais elle regarde mieux : « C'est une femme ». J'aurais bien voulu faire croire que mon épouse désormais fréquentait un autre homme ; raté.

    Ou drague en lesbienne ? Je ne récolte qu'un sourire narquois. Il lui semble bien que j'ai seulement quitté le domicile conjugal pour quelques jours. Pourtant elle m'accepte, elle comprend tout. Même grosse, elle a déjà reçu des bites. Elle se tourne alors en levrette, à peine l'ai-je en partie pénétrée que j'éjacule comme un porc, un malappris. Tout est faux et niais dans mes réactions. C'est un résumé, un condensé, de tout ce qu'il ne faut pas faire dans un rapport affectif et amoureux. Alors survient le principal. Car nous étions à découvert, les culs nus, celui de la femme dépassant le mien. Il ne se fâche pas, le principal, il ne se met pas à brailler. Lui aussi manifeste COLLIGNON  NOX PERPETUA

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    une grande compréhension. Il se passe le doigt sur la moustache et murmure : « Vous éprouvez donc un sentiment pour madame... » - il cherche le nom. Comment pourrais-je nier ? voire, éviter les complications, les sanctions, qui ne manqueront pas de tomber ? Car asssurément ce dépositaire de l'autorité ne pourra que réagir, tôt ou tard, en fonction de sa fonction, justement. Je réponds donc « Oui ». Or, voici que mon supérieur administratif tire de sa poche un papier officiel, qui me monte en grade ! Pour avoir tronché en public, et en levrette, me voici promu ! Un collègue en costume vert descend l'escalier vers nous, et lui aussi arbore un sourire ! Mais tout l'établissement sera bientôt au courant ! C'est pourtant bien ce que nous voulions tous deux ? le fou et la grosse moche sont parvenus à se rencontrer, à baiser, mal mais publiquement ! se sont exhibés ! les autorités, l'opinion publique nous reconnaissent !

    Nous rassemblons alors nos vêtements, parmi lesquels des pyjamas (que faisaient là ces habits de nuit ? les portions-nous dans des valises avant d'en arriver là ? c'est en vêtements de nuit qu'on baise, voyons, puis on les ôte, puis on les remet ! D'autres personnes accourent à notre aide, ils s'affolent, agités de mouvements autonomes, venus de l'autre monde, celui des normes de la normalité, pour nous venir en aide! - mais trop tard : c'est l'heue, pour les élèves, de rechercher leurs cartables. Comment ces masturbé(e)s chroniques vont-ils réagir ? Présenteront-ils le même degré de tolérance, d'urbanisme, de simple politesse, face à nous deux qui nous en sommes si inconsciemment, si cruellement dispensés ?

    Nous nous rajustons, ma partenaire se reboutonne le corsage dans mon dos, lequel ne parviernt pas à la dérober aux regards. Je me retrouve seul, comme tout homme après le coït. Il faut bien que je traverse la cour, afin de rejoindre ma classe, qui doit m'attendre. C'est une petite cinquième qui déclenche tout : « V'là le fou ! » Le fou : toute mon enfance, toute mon adolescence, toute ma vie, j'ai entendu ce

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    qualificatif. Une horde d'élèves me suivent, sans grande conviction, parce qu'il faut bien de temps en temps mener un chahut. Mais avant de marcher, tout de même, je me suis tourné vers la petite conne pour lui rétorquer : « Fou, oui, comme dans la famille de ton père ! » Et sans intervention de la police, ni de la presse, mon cours s'est déroulé dans l'indifférence pédagogique la plus générale : tous m'attendaient sagement, tout mon savoir a été transmis.

    Un collègue ensuite, Rouchy, qui a « fait l'Algérie », m'aborde à la sortie de cours : « Tu sais, la petite de tout à l'heure : elle n'a rien compris à ta réplique ; d'ailleurs tu ne connais pas du tout la famille de son père. La petite élève n'a rien compris à ton allusion. Pas vexée du tout. Elle s'en vante au contraire. (Et vous savez ce qu'il m'a répondu ? etc.) Et c'est ainsi que j'ai baisé sur une grande plate-forme en bois, sous le regard des cartables tout autour, Madame T., professeur d'histoire de ma nièce.

     

    X

     

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    Il existait dans notre cour d'école, à Nouvion, une cabine téléphonique. C'était l'une des premières installées dans le département. Elle devait servir aux plus grands élèves à communiquer avec leurs parents, pour les rassurer : « Où es-tu ? Que fais-tu ? » Il n'existait pas de « portables » à cette époque. Et moi, qui n'étais pourtant plus d'âge, mais en qualité de fils de l'instituteur, j'avais utilisé ce téléphone. Dans sa partie supérieure, l'écouteur présentait, déjà, un écran, qu'il m'avait été donné d'utiliser comme « traitement de textes » : mais c'était bien par pur hasard de manipulation. Jamais je n'aurais pu reconstituer les manipulation qui m'avaient permis une telle

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    avancée technique ; de même, je n'avais pu refaire ma merveilleuse improvisation au piano, chez Véra. Les jeunes élèves, que je ne connais pas (mes années d'école primaire sont si lointaines!) se pressent autour de moi : vais-je y parvenir ? Je suis si âgé ! Mais leurs yeux restent sympathiques, une longue fréquentation des enfants m'a donné la faculté de distinguer ce qui est insolent de ce qui est plaisant ; ceux-ci ne me veulent aucun mal.

    Oui, j'ai sélectionné un numéro ; mais le combiné reste gris, quelconque : où est passé le tableau lumineux ? Tout m'échappe. Ils rient. Juste devant moi s'étendent des cabines de toilettes. Dépourvues de portes. Ce ne doit pas être commode pour eux. Mais il s'y trouve des lavabos : on peut toujours se rincer les mains... « Allô ? » C'est un employé de mairie voisine qui me répond ; à je ne sais quoi de voilé, de légèrement chuinté, il me semble reconnaître une voix de moustachu. « Que désirez-vous ? - J'aimerais... Pensez-vous que je doive... et puis non, l'affaire est trop personnelle ; veuillez m'excuser. » En raccrochant, je me trouve toujours incorrigible : m'imaginer que l'on puisse me conseiller sur une affaire aussi délicate... laquelle, d'ailleurs ?

    Au milieu des enfants, toutes oreilles tendues ? Cette question, que j'aurais posée, ne me semble plus si pertinente. Vraiment, je l'ai oubliée, sans exactement savoir ce qui me l'a fait oublier. Peu importe : un gigantesque éternuement me réveille ; il a bien eu lieu, ses gouttelettes me retombent en pluie fine sur le visage : Arielle est près de moi, dans mon lit. Nous sommes si proches, et depuis si longtemps, que même ses sécrétions naturelles ne pourraient d'aucune façon m'écœurer.

     

     

     

     

    Klopotzki dérive sur une planche de surf ; il s'est laissé piéger en Méditerranée, avec sa fille et son petit-fils : comment sont-ils monté à trois sur une simple planche ? Facile : une embarcation, assez

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    conséquente, a fait naufrage. Ils se sont partagé cette épave flottante, qui évite un certain nombre d'autres débris. Klopotzki ne saurait dire s'il se trouve des survivants, le voici tout abandonné, chargé d'une lourde responsabilité, bien qu'il ne soit pour rien dans le naufrage. Tout dérive, sa planche aussi ; les occupants gardent le calme. Le courant porte vers l'Atlantique : si ses connaissances géographiques sont exactes, il s'approchent d'Aldeborán, identifiée parfois avec l'île de Calypso.

    Mais il peuvent aussi bien se faire entraîner dans le détroit de Gibraltar, qui est d'une grandeur majestueuse, vu de la rive, mais terrible, au niveau de l'eau. Enfin, sous le soleil Dieu merci, la planche surchargée touche une plage, où se pressent touristes et résidents. Ils ont entendu parler du naufrage de cette nuit. Leurs sourires éclatants ménagent un accueil hors pair. Et comme cette île, Aldeborán ou une autre, se trouve éloignée de toute côte, elle possède une école spacieuse et blanche, où sa fille, très jeune maman, pourra se faire scolariser : il faut donc bien que Klopotzki se fixe sur place. Par téléphone, il joint son notaire : non, pour rien au monde il ne voudrait revenir sur le continent, Espagne, France ou Pologne. Il ne désire que débloquer des fonds afin de faire parvenir au notaire du lieu, un gros homme sévère, qui assurément ne fréquente pas les plages, la somme relativement modeste de 292 900 francs, moins de 44700 euros. Allons ! L'affaire est conclue : un bel appartement, dans une résidence, vue sur la mer.

    Objectivement, c'est donné. Avec le gros notaire, Klopotzki s'est hasardé à plaisanter sur son étourderie, sur la chance inouïe qu'il a eue de rencontrer cette fameuse planche de surf et d'y sauver ce qu'il a de plus cher : sa fille et son petit-enfant. Les deux hommes, le gros Espagnol et le Polonais maigre, se sont baissés conjointement sur la moquette pour y récupérer de vieilles choses sans valeur : l'émotion, n'est-ce pas, il semblait que ces débris (parmi lesquels une paire de baskets détrempée) devaient protéger les trois naufragés ; c'était tout ce qui leur restait. "Les baskets ? Elles ne sont pas de ma pointure. Elles se sont trouvées là dans l'eau, nous les avons récupérées à tout hasard. "Vous n'en aurez pas besoin, Pan Klopotski, nous n'avons sur cette île aucun club de ce

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    sport. Vous serez en présence continuelle de la mer, notre île atteignant à peine les 8km²." Nous descendons au bar de l'hôtel, au rez-de-chaussée.

    Nous commandons deux Picon-bières... d'importation, en échangeant des plaisanteries.

     

     

     

     

     

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    Nous faisons route vers la trop connue Otte-Savoie, massacrée par l'accent gascon. Qu'est-ce que ça roule : camions, cammions ! Le ferroutage a décidément de beaux jours devant lui. Enfin nous sortons de cette autoroute, encore ai-je failli manquer une bretelle. Nous arrivons, Arielle, Vincent et moi (mais qui est Vincent, et quelle fâcheuse idée de ménager ceux qui vous survivront) dans une chambre luxueuse qui doit bien nous reposer de nos pérégrinations routirère. La chambre voisine, également très chic, est occupée par une pétasse : non pas une prostituée débutante, mais une prétentieuse ouvrant sa porte sur le couloir, agitant sous nos yeux sa coiffure blondasse mode Marylin 1955, et se renfermant.

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    Vincent ne s'occupe pas des belles filles. En ce moment, il se plonge dans un grand numéro de Pilote, ce journal qui publiait les premières planches d'Astérix le Gaulois. C'est une pièce de collection : sur papier journal, très grand, dont toute une feuille est occupée par une vaste illustration de pirates : « Les Gau... Les Gaugau... ». Puis la porte du couloir s'ouvre sur d'autres clients de ce singulier hôtel : ils nous le confirment, nous sommes tous prisonniers de ce singulier établissement. Ils ne mentionnent pas « la fille d'à côté ». Ces deux hommes paraissent épuisés. La prison, en réalité, se trouve dans un autre bâtiment. On y torture, d'une façon qui nous laisse perplexes : les prisonniers sont placés dans des sortes de classes, où leur sont dictés des textes, à peu près semblables, mais toujours inachevés.

    Au beau milieu d'une phrase, l'exercice s'interrompt ; mais la dictée suivante est la suite du texte. Les élèves forcés reprennent espoir : hélas, à quelques variantes près, le nouveau texte est le même : torture mentale. L'un des prisonniers, dans ce bâtiment voisin, s'est pourtant aperçu qu'il manquait un épisode, car, lentement, comme un infernal motet, l'intrigue progresse. Et s'il manque un épisode, en dépit des répétitions, les plus sensibles à la chose littéraire s'en aperçoivent, estiment qu'on leur manque singulièrement de respect, et souffre d'une frustration bien légitime : à quoi bon s'efforcer de comprendre, si tout est fait pour désorienter ceux qui écrivent sous la dictée ? La situation, « là-bas », va devenir explosive. Restons dans notre belle chambre, ne cherchons pas à en savoir davantage.

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  • Rêves tels quels

    52 05 09

    À table avec une jeune femme que j'émeus en évoquant les rélexions destructurantes qu'elle a dû subir (“P'tite gouine”), assez fort pour que la table voisine l'entende. Elle a les larmes aux yeux et m'est reconnaisssante, ma langue d'autre part a fourché, laissant croire que je suis pédé. RNous sommes fraîchement nommés dans un poste. Les autres collègues lui ont dit de les rejoindre soit dans un supermarché plein de monde soit dans un autre à peu près vide. Je l'accompagne en poussant un caddie, mais nous sommes au supermarché bondé. Les paniers roulants s'accrochent, tout le monde le prend bien, mais lorsque nous avons fini nos courses et que la foule s'est un peu clairsemée, nous nous apercevons que nous avons décidément choisi le mauvais supermarché, et que les autres ne sont pas venus. UTILISE

     

    52 05 10

    Avec Sonia et Annie dans un hôtel, cette dernière dans une chambre à elle. Son eau pour la toilette est trop chaude, son transistor émet de la mauvaise musique, elle est très en retard, je vous le moment où je serai obligé de payer une nuit de plus (25 €) parce que nous aurons dépassé 11 h.

    Vieux robinets qui gouttent. UTILISE

     

    52 05 13

    Sonia et moi (ou Annie et moi ? la personne est la même) sommes bloqués à Munich, sans argent, dans une auberge où tout le monde parle français. Il se fait là une séance de cinéma, soit devant moi sur écran ordinaire, soit derrière moi sur écran vidéo. Devant chaque écran deux ou trois rangées de spectateurs, se tournant le dos. Je me rends aux toilettes, très frustes (à la turque) et ttrès étroites, mais remarquablement sèches et propres. Pendant le film, je tape à la machine, très doucement, pour le critiquer. Je m'aperçois que d'autres ont de même. Une grosse retardataire s'installe près de nous, compressant une jeune femme mince qui commence à protester.

    Dans le film, un personnage dit qu'il emmène son fils regarder des films pornos, puis qu'il repasse le prendre à la fin de la séance. Un spectateur ressemblant à Accornero le reprend : “Tu es sûr que tu ne le fais pas toi-même, le film, avec ton propre fils ?” Je le réprimande en plaisantant mais assez fermement. Finalement, nous aurons assez d'argent pour revenir de Munich, comme les Bloy sont revenus de Cologne.

     

    52 05 16

    Nous partons à trois voitures vers le Bassin, Java dans la première, moi dans la deuxième, Sylvie dans la troisième, qui sera vite distancée. Je suis tant bien que mal, pas très assuré

    assuré de ma direction (je zigzague un peu). J'encourage ma voiture. A une bifurcation, je me trompe et m'enfonce sous les pins. Une grande maison dans les fougères humides à deux pas de l'Océan : Josette habite là avec certains de ses descendants. Nous nous retrouvons avec effusion, l'ancienne maison de Meulan est occupée par ses enfants. Je suis en chemisette sans rien pour le bas, mais j'épargne notre pudeur. Nous nous serrons l'un contre l'autre, elle veut me préparer un repas mais il n'est que onze heures et demie. Un type lit à une table extérieure et ne dit rien. Je cherche sur uune carte et dans ma tête vers quel phare il aurait fallu que je me dirigeasse. Nous revenons en bus sur nos pas, je ne retrouve pas ma voiture sur les bas-côtés, ça va trop vite et il y en a trop. Josette se perd un peu dans les prénoms de ses petites-filles :Irina, Océane, Hermengarde... Je dis que la mode des prénoms se déchaîne, surtout pour les filles. Elle m'a offert un étui en plastique d'appareil photo. Je dois rejoindre les autres. UTILISÉ

     

    52 05 31

    J'interviewe une Dalida vieillie, encore très belle, mais de façon à lui montrer qu'elle est en fin de carrière. Elle s'insurge aimablement ; mes questions ne portent que sur ses rapports avec les plantes, les fleurs. Elle me parle de ses projets, de sa pleine forme, de son fils chez qui elle m'envoie. C'est Gaël Ferret. Chez ce dernier, il monte dans une ruine aménagée, essaye de m'atteindre avec des crachats pour rigoler, je lui dis qu'il n'arrive même pas à toucher deux énormes pigeons qui volent sous lui. Je monte chez lui, c'est étroit mais bien aménagé. Un couloir, en impasse, ne sert à rien.

    Nous nous frôlons à fond. Je repars en comptant lui écrire, mais il a l'air désabusé de celui qui n'y croit pas, nous nous voyons pour la dernière fois. Son adresse serait « sous le Château d'eau ». C'est seulement alors que j'ai pris le car, mais dans la direction contraire (Vaux-sur-Seine à Conflans). J'espère que le bus montera sur le coteau pour reprendre la bonne direction. IL y a là deux métis de Tahitiens qui parlent d'un match. Ils ont le physique très aigu (menton très pointu). Nous descendons, Ferret et moi, je me retrouve dans une tour naturelle du roc, sans issue. Du mal à

    m'en extirper. Et j'arrive ici en retard, après 20 heures, Annie m'attend, peut-être même devrai-je cacher à l'hôtel. UTILISÉ deux fois.

     

    52 06 03

    Je roule de nuit à vélo sur les quais, il pleut et je manque déraper sur un aiguillage de tram. Place de la Bourse je rencontre des jeunes filles dont l'une, blonde pulpeuse, se jette à mon cou en me disant « Enfin », car les autres peuvent avoir des garçons et non elles. Je rentre chez moi pour revenir débarrassé de mon vélo, elles sont à un bar, la blonde me fait tout un discours passionné où il est

    question de l'amour qui n'est pas moins fort quand il se passe de sexe. Ensuite, à l'arrière du bar, je visite sans doute un musée, j'y retourne, croyant y avoir oublié quelque chose, le patron bougonne.

    Les filles viendront reprendre un petit carnet où chacun a inscrit son numéro de téléphone, je n'arrive pas à bien écrire le mien, il n'y a pas de place, je rature, m'embrouille, damande au patron s'il peut me lire, mais il ne m'écoute pas. Impression d'ensemble sur le rêve pourtant très favorable. UTILISÉ

     

    52 06 16

    Le train me dépose dans un village du Massif Central, abandonné mais propre. Je déballe de quoi manger, écoute un transistor qui annonce à deux reprises « Destruction du Singe Vert ». Je me demande ce qui peut bien porter le même nom que ma revue, que je pensais pourtant inconnue. Prenant possession du village, je parviens en voiture (de location ?) à un vaste domaine, que je dois occuper le lendemain, grâce à des documents qui y sont enfermés. Une longue voiture américaine s'arrête alors à côté de moi, le conducteur porte un stetson et s'exprime avec unaccent d'Outre-Atlantique très fort.

    Il est accompagné d'un homme et d'une femme, tous trois d'environ 70 ans, et se disant (les deux derniers) mariés, ainsi que frère et sœur. Je ne pense pas qu'il s'agit d'inceste mais de liens de parenté compliqués. Le domaine leur appartient, ils auront les titres de propriété le lendemain. Les mots « Destruction du Singe Vert » ne cessent de résonner de plus en plus fort et menaçants, le rêve s'achève dans une ambiance d'explosion sans que j'aie pu savoir de quoi il retournait. Réveil brutal, je dois me lever aussitôt. UTILISÉ

     

    52 06 22

    Je suis couché avec Annie. Il est question d'articles contre Le Pen, qui devraient remonter le moral ; de pentes ascendantes ; de structures en bois jaune en plein air, comme des potences ; d'amélioration de l'érection et de la joie de vivre ; mais Annie ne suit pas le mouvement, ni moi. Elle me dit n'avoir aucune réaction parce que je n'éprouve aucune attirance envers elle. Je lui dis que forcément, elle m'a toujours, absolument toujours, contrarié systématiquement dans tous mes choix de vie. Elle acquiesce. Sentiments réciproques de profonde tristesse. Et pour moi, en me réveillant. UTILISÉ

     

    52 06 26

    Gigantesque manifestation d'étudiants grévistes sur les quais : merguez, chants et musique. Les voitures se sont garées sur une terrasse ; la mienne, par miracle, y est montée sans voie d'accès. A l'autre bout de cette terrasse se tiennent des épreuves écrites d'agrégation, organisées par le ministre Claude Allègre. Je rejoins ma voiture mais me retrouve presque au même endroit, coincé dans la foule en liesse. Je voulais seulement quitter la terrasse; et non passer l'agrégation, je me suis trompé d'itinéraire. Je précise que je me suis présenté dix fois à l'agrèg. Quadri-admissible. La foule est bon enfant. Je pense être parvenu à quitter la terrasse de ciment avec ma voiture. Ce n'est là qu'une petite partie du rêve. UTILISÉ

     

    52 06 30

    Dans une ville du sud de l'Italie avec Sonia, Annie, peut-être mes parents, tout le monde en courses dans un supermarché, j'attends à l'extérieur au soleil, si j'étais seul j'irais sur les routes de Calabre au lieu de me reposer sans cesse. Il y a une grande allée sous les arbres, avec de l'herbe, Annie et moi y zigzaguerions amoureusement de nuit sur des airs de Chopin. Découvrons deux saltimbanques richement bariolés ; un homme-orchestre avec une espèce d'accordéon dans le dos, quand il joue un immense parapluie se déploie sur son dos ; un autre homme avec une énorme mandoline rebondie ; une femme qui secoue avec résignation un gros collier de mule garni de grelots.

    Sketch : le gros mandolineux assomme l'autre homme qui plonge la tête dans ue mare bien sale en exhibant un cul et des cuisses très bouffis. Tout le monde est censé se marrer, le gros mandolineux en rajoute, c'est surjoué, la musique est forte. Il y avait tellement de choses dans ce rêve... UTILISÉ

     

    52 07 13

    Dans un grand appartement viennois dont certaines pièces forment grenier, un jeune lycéen révise son histoire. "Europe, un pays civilisé" : la page porte pour illustration une armée en manœuvres, comme si la civilisation, c'était la guerre ! Un chapitre a pour titre "Une nouvelle vision de l'homme". On parle de l'Allemagne de l'Est représentée sur d'anciennes cartes comme derrière des grilles de prison, ou appelée "Tiefes Deutschland". Des visiteurs d'un certain âge étaient capables, en pleine forme, de chanter des refrains pleins d'entrain, alors que les vieux ouvriers, épuisés, ne pouvaient plus que graillonner entre leurs chicots. Nous sommes allés avec Annie cueillir de longues tiges d'osier enfoncées dans la boue pour les rapporter à titre d'ornements. Ça recouvrait toute notre voiture, on ne pouvait plus conduire ! Je rencontre alors uen ancoienne élève de quatorze ans qui tombe au fond d'une dénivellation argileuse à parois abruptes. Bien qu'elle hurle au fond du trou en avertissant Annie de ne pas s'aventurer sur le rebord en souliers vernis, Annie le fait, glisse et tombe. Les deux sont pourtant saines et sauves. Nous revenons dans la pièce où l'étudiant révise son histoire. Je poursuis un chat qui me fuit en galopant de pièce en pièce, je le rejoins et l'étourdis de caresses, il finit par se laisser faire, son poil est plus doux que la première fois, car je l'avais déjà traité ainsi.

    Un chat peut se nettoyer, même de son vomi, se sécher donc, et redevenir propre. Rêve très agité, aux épisodes chronologiquement mêlés. UTILISÉ

     

    52 07 16

    Une communauté italophone vit dans un pays récemment indépendant, arabophone. Sans qu'elle y soit réellement obligée, se sentant mal à l'aise, elle va émigrer. Ses villages vont se vider. Une délégation française vient négocier ce départ. Une femme est l'objet de violentes poursuites dans la presse cairote pour tripatouillages dans les antiquités. Un Egyptien vient calmer le jeu auprès de la délégation française, disant que c'est toujours comme cela dans une dictature militaire : chacun essaie de se faire valoir, en utilisant un langage outrancier, mais il va arrondir les angles.

    Je fais partie avec Juppé de la délégation française. Elle n'est pas très vive. La plupart de ses membres prétextent d'obligations extérieures à la capitale pour ne pas se rencontrer, mais chacun a son pied-à-terre hôtelier permanent à tant par jour. La première fois, j'ai glissé dans un trou de soldat antichars et le pied pesant et botté de Juppé a failli m'écraser, il s'est retiré en riant. Un repas entre diplomates a eu lieu, je m'en suis absenté pour pisser dans une espèce de waters de chantier où me suivait obstinément Pépette, chienne de Blanchard, que j'ai un peu blessée en repoussant la porte sur sa patte, elle a gémi. Dans un coin de hall, Juppé minuscule sur une chaise de bébé a dit que nous étions destinés à nous rencontrer, décidément ! Je reviens à table. Je repars à pied à travers ces bouges italophones qui veulent se faire évacuer, ne se sentant plus en sécurité. La négociation a dû échouer, les Français sont repartis en emportant des tableaux qu'on a eu bien du mal à leur offrir.

    Je suis survolé par un immense Concorde noir où a pris place toute la délégation française. Il n'y a pas de moteur, l'immense avion sinistre plane de droite, de gauche, au-dessus d'un village, et soudain dégage une forte fumée. Une femme hurle à côté de moi, on entend des cris suraigus sortir de l'avion qui s'écrase en dégageant une énorme fumée. Les passagers cuisent lentement, je hurle "Je ne veux pas je ne veux pas je ne veux pas." UTILISÉ

     

     

     

    52 08 18

    Annie et moi devons partir avec un groupe nombreux de touristes à Saint-Pétersbourg. Nous sommes réunis dans un grand salon et des employés très styles nous donnent à tous des indications. Pendant cette conférence une grosse bouteille d'eau minérale en plastique roule vers le bureau, un employé la rattrape malgré mes refus et la replace debout par terre à côté de moi. Nous devons passer uen nuit à Paris VIIe avant l'embarquement. Annie tombe malade et se met ostensiblement au lit,par trouille de prendre l'avion (accident des Martiniquais). Je hurle, exaspéré : "Paris VIIe ! Paris VIIe !" comme pour dire qu'avec ma femme de toute façon il est impossible de s'imaginer dépasser Paris... UTILISÉ

    52 08 22

    1. A) Un plombier polonais recueilli chez moi bloque nos deux chiottes par des réparations, il ressemble à Boudy, il est installé sur la table du salon. Un copain à lui vient et réclame du "Varsovie" (sorte de vodka). Je crains de n'en plus avoir, soucieux de le recevoir avec hospitalité. Du côté de chez Lageyre, c'et de la terre labourée. Un triangle de gazon devant notre porte se trouve aussi entamé par des travaux. Invasion totale de notre espace.

     

    1. B) Chant L'Hymne à la Joie en allemand a capella par une femme qui me désigne ensuite pour prendre la relève, les paroles me semblent écrites en une langue n'ayant qu'un lointain rapport avec l'allemand, à base d'onomatopées lettonnes.

     

    1. C) Annie chante un cantique devant un curé en soutane, m'enfonçant ses ongles dans le dos, transformant les paroles en obscénités ou burlesqueries. Le curé s'efforce de ne pas se fâcher, elle me crie que c'est fou tout ce qu'elle retient comme sentiments agressifs. La scène se passe au pied d'un mur gris de caractère ecclésiastique.

    - Mon petit chat pisse mais j'ai oublié la litière. UTILISÉ

     

    52 08 23

    Faisons l'amour Françoise et moi en plein air et de nuit, la femme dessus, nous recommençons et nous apercevons que par-dessous gisait le cadavre desséché et rieur de Monsieur Terrasson, qui pousse ses vieux tibias pour nous faire de la place ; il vagit pour s'excuser. Il doit s'agir d'un cimetière et d'une tombe à plusieurs emplacements. Plus loin, sur une autre couche tombale, Marie-Andrée Balbastre, sous un drap noir soulevé, fait une pipe à un type qui n'es tpas son mari. Au fur et à mesure que Françoise et moi baisons, le cadavre vivant de M. Terrasson s'enfonce et se désagrège en partie, mais pas moyen de se débarrasser des jambes qui reviennent toujours s'emmêler à nous.

    C'est gênant, mais pas cauchemardesque. UTILISÉ

     

    52 09 01

    Dans une salle d'examen (concours ?) avec Annie, nous devons potasser sur le sujet d'un empereur quiu se défend contre son entourage (concitoyens et étrangers). J'ai trouvé un empereur, au règne court, où il ne s'est malheureusement pas passé grand-chose. A un moment donné, un appariteur convie tous les candidats à manger, il y a de la viande. Tous se lèvent sauf Annie et moi. Un voisin va chiper une petite part de viande rès rouge qui se trouvait déjà dans une assiette, à la place d'un candidat parti manger. Il est hilare et dit qu'il en profite (grand blond, front haut, bien découplé). UTILISÉ

     

    52 09 05

    Passant près d'un jardin en pleine ville, j'y vais pisser, piétinant les plates-bandes de mâche. Je me pisse sur les pieds, sur les doigts. Une jeune femme que je connais est entrée par le haut du jardin et remplis des vases d'arrosage à deux gros robinets de marbre. Elle me fait observer que les récipients sont laissés sales par les utilisateurs précédents. Je l'aide à les nettoyer mais elle me dit qu'elle n'a pas dit cela pour moi. Son portable sonne. Elle s'allonge sur l'herbe détrempée pour répondre, il s'agit de son service de pompière vacataire. Je profite de cela pour me défiler, car mon but était de couper court à travers la ville en longeant ce jardin par l'extérieur, afin de rencontrer le moins de monde possible.

    (sans rapport : j'aurai donc toujours vécu spectateur, trop assommé par les spectacles pour faire autre chose, de fatigue. Pourquoi cette voie ? Et quand j'avais fini de voir, je donnais à voir : c'étaient mes cours, et je me donnais le spectacle de ma vie, de mes scènes de ménage : pourquoi la scène, plutôt que l'action ?) UTILISÉ

     

    52 09 06

    En vacances dans une ville étrangère et partageant une chambre dans une sorte d'auberge de jeunesse. Au retour d'une visite une camarade allemande me dit avoir nettoyé mes vêtements pendant mon absence. Je découvre deux slips lavés non séchés près de mon lit, la fille montre son dos nu puis me fait une fellation en pleurant – elle a ôté ses lunettes. Une autre fille devra se passer de moi. Un garçon est mon ami, nous allons en ville avec un moniteur style Poelvoorde. A un arrêt du bus ce dernier fait une réflexion, le garçon lui flanque une grosse tranche de fromage sur la gueule et la lui enfonce profondément dans le gosier, sous le regard réprobateur d'un quinquagénaire à lunettes et chapeau.

    Le moniteur râle parce que le garçon est habillé de rouge et va attirer de nouveau l'attention des flics sur le trottoir – ils sont déjà venus emmerder le moniteur une fois. UTILISÉ

     

    52 09 10

    Avec Annie nous suivons en bagnole une foule qui se rend à un carnaval quelconque, sans être elle-même déguisée. Presque impossible de circuler. Heureusement je trouve une place de parking. Annie veut que nous retournions chercher sa voiture pour la mettre sur une autre place à

    côté de la mienne. UTILISÉ

     

    52 09 13 1)

    Je suis au lit avec Vanessa Pavan. Elle se gratte le cul avec frénésie pour empêcher que je la sodomise. UTILISÉ

    2)

    Je parviens au sommet d'une longue montée en plein Paris alors qu'il s'agit d'un château vinicole. Des touristes font de même (allemands, japonais). Pour redescendre del'autre côté (je suis déjà venu, mais dans l'autre sens), la route n'est plus qu'un tunnel sous plaques de ciment surbaissées, ili faut ramper dans la fiente d'oiseau ou de chauve-souris. Des femmes laissent leurs vélos VTT et s'engagent là-dedans. Je ne le fais pas.

    Assez maussade ce matin. Je repense à la Nouvelle-Orléans et aux prédictions sinistres de Nostradamus. UTILISÉ

     

    52 09 20

    J'entre dans un lycée, entouré de jeunes filles : "J'ai vécu entouré de jeunes filles, à quatre amoureuses par classe." On me revoit avec plaisir. Des escaliers descendent. Un élève se voit dire qu'il doit aller aux premières toilettes disponibles sans errer dans un bâtiment désert. Je rêve de couloirs combles. A l'aise partout. Un moniteur lance une plaisanterie de cul, je la reprends, une monitrice rit. UTILISÉ

     

    52 09 24

    Annie et moi faisons du camping en Turquie orientale. Nous apprenons par la télévision que les talibans bombardent une ville proche : les images montre que leur aviation s'acharne sur des ruines. Affolés, une partie des campeurs plie bagages ; nous sommes effrayés, mais décidons de poursuivre notre route vers l'est, vers l'Irak, en campant. UTILISÉ

     

    52 09 25

    Nous sommes deux à Mobylette sur la route, je viens d'apprendre la mort de mon père et j'en souffre plus en rêve que je n'en ai souffert en réalité. En pédalant nous nous prenons le pied dans la chaîne et les deux Mobylettes tombent, à proximité du cimetière. J'ai déjà rêvé de celui-là auparavant. De même, ce Meulan de rêve revient : plus escarpé, avec une île fluviale plus large. Je remonte une rue en suivant un jeune homme sympathique aux petites lunettes de soleil très noires. Il m'invite à voir des curiosités dans son château, et tandis qu'il farfouille, au sommet d'un escalier de métal, et déà engagé à l'intérieur, je ne sais quelle serrure, je me rends compte qu'il va me sadiser à

    l'intérieur, ou du moins me montrer quelque salle obscure et terrifiante, dans l'obscurité verte et bleue.

    Je redescends l'escalier alors qu'il se replie sur lui-même et saute dans les caillasses, mes gestes sont ralentis, il est derrière moi, encore aimable mais bientôt menaçant... UTILISÉ

     

    52 09 27

    Avec des soldats en Afrique, et Sonia. Il y a un combat à l'extrémité d'un long hangar. Les troupes reviennent, laissent passer les noirs, les attaquent par-derrière.

    Même scène entre des rangées bien alignées de grands arbres européens. UTILISÉ

     

    52 11 18

    Avec Annie en bas de la côte de Meulan dans une profonde obscurité. Retrouvons chez Truffaut (garagiste) les clés de chez nous et de la voiture sur une terrasse basse de transformateur. Un vélo me heurte alors par derrière sans que j'en soie effrayé. En réalité c'est Annie qui se retourne dans le lit en me flanquant son genou sur la cuisse.

     

    52 11 20

    Je rêve du Dr N., tendre et paternel. Il s'ennuie dans un logement parisien qu'il me prépare, c'est l'heure du repas de midi. Il m'appelle en se plaignant, il en pleurerait presque, d'être seul, sur mon portable. Je mangeais en plein air. Pour m'amuser, je jette en l'air un verre de café qui jaillit jusqu'au quatrième étage d'un immeuble, où cela souille trois vitres à rideaux blancs. Je le rejoins, il monte avec moi, il m'emmène en voiture dans des rues très en pente et jusque dans un

    escalier. Pendant le trajet je me demande ce que cela donnerait si les immeubles étaient reliés par des passerelles obliques et je conclus qu'il y aurait sans doute autant de piétons sur ces passerelles, que cela grouillerait de partout.

    Parvenus sur un palier (la voiture a disparu), il veut visiter une connaissance. Je partais sur le dos un harnachement destiné à soutenir un bébé. Quelqu'un monte, je range cet appareil pour qu'il ait la place. Il me remercie en souriant. Je lui demande s'il connaît les Untel, il me dit que c'est justement chez eux qu'il a trouvé une chambre pour moi, et, gêné, j'avoue avoir lancé ma tasse de café. Il me sermonne avec l'attitude grave d'un père affectueux, disant qu'il avait pensé que je m'étais calmé, qu'il revoyait ce jugement. Quand il a fini, je réponds que ce geste (...) (Il me fait) m'excuser auprès des habitants aux fenêtres souillées (...) et je ressens tandis qu'il me parle une volupté que j'analyse, qui est à demi-malsaine – celle de se faire pardonner. Et il dit : "Vive tes vers et ceux qui les liront." Il était habillé de brun, avec un ventre de père noble, un ton lent et mesuré, très bienveillant et protecteur. UTILISÉ

     

    52 12 03

    (...) une certaine ironie. Je m'étonne que garçons et filles soient mêlés, non sans flirts. Pas d'explication valable. Je parviens dans une vaste chapelle d'université (Cracovie ?) (avec de hauts vitraux) où sont exposées un grand nombre de toiles dans le style de celles d'Annie. Je le fais observer, mon accompagnateur se récrie, ces toiles sont là depuis des siècles, alors je me contente de parler de parenté d'inspiration. Le lieu est plein de gens en prière ou en conversation (...) Je dois sortir des rangs en passant devant els auditeurs d'une conférence. Les conversations et les chants sont en polonais ou en latin. J'aimerais qu'Annie vienne voir cet endroit, mais nous devons reprendre un camion pour rejoindre un aéroport.

    Impression de vie spirituelle et intellectuelle intenses. UTILISÉ

     

    52 12 05

     

    Annie et moi sommes accueillis dans un grand établissement de vacances laïques en Pologne .Bois et paysages magnifiques. De retour d'un bon repas en compagnie de personnes raffinées et cultivées, je prends les devants en sautant parmi les flaques et l'herbe d'une avenue. Je parviens ainsi à un autre établissement, en hauteur, où logent des lycéens des deux sexes? Beaucoup d'amabilité, de culture et de piété cette fois, nous fait-on observer. Chapelle à vitraux modernes splendides, chœurs religieux magnifiquement intenses (dernière phrase rajoutée le 11 05 06). utilisé

     

    53 01 02

    Pendant un trajet sur autoroute, Annie et moi nous arrêtons à une fête écologiste : les paysages, verdoyants, devenaient disais-je de plus en plus conformes à mes rêves (sous-bois, pentes habitées, etc.). Une boutique se garnissait de nombreux clients. Dissimulé derrière un serveur de poissons (une raie), j'ai chipé et mangé un fromage blanc épais. Annie m'a fait remarquer une troupe de tout petits enfants (trois ans). J'ai dit que ceux dont je m'occupais étaient bien plus âgés, des ados. J'ai imaginé l'entretien que j'aurais pu avoir avec l'un d'eux, qui aurait ressemblé au second fils de Chemineau, j'aurais dévié sur une question concernant son poids, pour le déstabiliser de façon marrante.

    Puis tout le monde se disperse, personne ne s'est aperçu de mon larcin de fromage, la fête sur la pelouse est terminée, Annie et moi nous apercevons de loin et décidons de repartir, mais il est déjà 18 h 30. Je lance une feuille de plastique verte, un organisateur éméché engueule à la cantonade, "...et à quelle heure repars-tu en général ?" J'ai pollué. J'ai dit aussi à ma femme que c'était la seule fois et la dernière que j'organisais une fête ainsi (j'oubliais mon théâtre d'Andernos ! ) Pour repartir, deux énormes voitures de collection se ruent vers le dehors en écornant la largeur d'une porte étroite, en prenant appui sur le mur avec leurs pare-chocs arrière qui lancent des étincelles et démolissent tout sans égard pour les construction.

    L'une d'elle est maquillée en fauve dévorateur d'essence avec des griffes sur le côté, elle s'appelle "Pégase". Des bruits courent sur une forte diminution de crédits pour le Festival d'Avignon. UTILISÉ

     

    53 02 06

     

    Avec mes parents dans un restaurant des Mureaux. Un Arabe vient s'y mettre à table. Il y a deux sujets à préparer : 1) « Quels hommes voient la lumière ? » (avec une fausse citation de Nietzsche). « Zaghreb » = « le silence ». Je suis félicité pour la bonne prononciation du « gh ». 2) « Comment se classer parmi les premiers du concours sur Nostradamus ? » - Ça tombe bien, dis-je, j'ai traduit les prédictions pour l'année 2006. » « Il » (?) choisira le sujet n° 9. Il n'est pas d'origine allemande. Pendant ce temps mon père va aux WC. Puis moi. Lumière électrique éblouissante et radio. Utilisé

     

    53 02 11

    Je me promène avec mon père, très vieux, dans la région de Semur-en-Auxois, que l'on prononce «Ausse », comme me le confirme une bonne femme de la région. Il tient avec lui une lettre de la grand-mère Fernande, dont je reconnais l'écriture, un peu relâchée toutefois par l'extrême vieillesse. Je dis que jamais je n'enverrais un vieux en maison de retraite, mon père m'approuve, mais si je veux le faire avec lui, il est d'accord. Nous arrivons en train à une bourgade dominée par une colline escarpée et verdoyante. Un cheval monté y grimpe, non cependant jusqu'au sommet. D'autres gens s'y promènent joyeusement. Je me balance dans ce paysage vallonné, sur une immense balançoire, tel Gargantua, en chantant. Puis je me réfugie sous la voûte d'un pont routier ,devant y supporter des gagges, commentés ironiquement par une voix féminine qui me plaint faussement d'avoir dû subir par exemple des chauves-souris, mais je n'en vois point. Il y a à peine de place, je redescends au niveau de la chaussée mais les risques sont grands, un camion me frôle le côté du pied, alors je remonte sous la voûte. Retrouvant mon père au café, je vois aussi mon grand-père, qui ne ressemble pas du tout au vrai.

    Les habitués du café sont très sales. Ils ne nous demandent pas qui nous sommes, alors que je voudrais bien faire souligner que nous sommes là trois générations, et vraiment très vieilles. Les habitants nous mettent en garde de façon allusive contre des projections de merde. Moi, je suis écrivain, et je fais partie de l'œuvre d'un autre qui a le tic de décrire les parties génitales des femmes qu'il rencontre avec une précision gynécologique. Mon père et mon grand-père me quittent pour pénétrer dans l'enceinte de la vieille ville. Je dois pour les rejoindre ainsi que les autres ancêtres et collatéraux passer sous des greniers qui bombardent de merde tous ceux qui passent. Le combat est acharné, les étrons volent, les jets de purin aussi, un éléphant charge parmi les merdes et les exclamations : un anticarnaval de Venise ! Sous un plafond de bois j'aperçois « Chiottes hommes » : c'est une profonde étable déserte où les excréments surabondent dans la paille, il y a de véritables mares de pisse, je me promets de bien me rouler dans l'assaut merdeux médiéval en costumes qui se déroule au dehors : on va bien s'amuser !

    Curieux qu'ils laissent cet endroit sans le bombarder par des fentes au plafond. Je commence à me soulager, je n'avais pas si envie que cela,le rêve s'arrête. C'est la première fosi que je rêve d'une telle tempête de merde. UTILISÉ

     

    53 02 21

    A

    Je sors sur le rebord en ciment noir d'un vaste blockhaus aménagé en bureaux dominant la mer. Il est interdit de se promener là. Un officier en civil vient m'arrêter. Des filets descendent du ciel pour m'enserrer, je devrai être balancé par hélicoptère au-dessus de la mer, j'ai très peur mais sans émotion. Des hommes me disent qu' « on s'en fout ». J'arriverai au sein d'une foule de punis sur le gazon, mais rien ne sera fait.

    B

    Sonia passe un entretien d'orientation dans une classe vide, l'orientatrice est sympa et pose des questions : « Et quel effet ça vous a fait... » - je n'entends pas la suite. Sonia semble réciter, d'une petite voix nasillarde. Je sors sur une plage bondée et misérable, des minarets appellent à la prière, trois ou quatre personnes ont un tapis, j'arrête de mâcher la bouche pleine, ému aux larmes par l'appel du muezzin. Je lis ou me rappelle un prospectus disant qu'au moment de la prière du coucher du soleil, la température baisse de plusieurs degrés, les dents du fidèle tombent et sa tête éclate, ce qui est « du plus parfait racisme ».

    Je retourne sur la plage où j'achète du Coca et le Canard, je me retrouve dans une pièce bondée par les étudiants, je montre à Yves Chemineau une carte routière tirée d'une bande dessinée, en commentant une « route de Fouësnant » en bord de mer, qui est signalée très pittoresque, ainsi qu'une autre vers Nogent-le-Rotrou, et où figurent pour s'exercer des indications sur le nombre de montées, de débrayages, de braquages, etc. Je demande au fils Chemineau à combien il achète ses voitures : comme moi, à 20 000 F. environ. Toujours pas bu mon Coca. UTILISÉ

    53 02 23

    Avec Annie dans une arrière-salle de l'ancien Alhambra, elle part avec d'autres et me laisse en compagnie de Gainsbourg. J'ai été encouragé à coucher avec lui, pour l'expérience. Nous sommes à poil dans une baignoire à l'ancienne, nous nous caressons de notre mieux mais ce n'est pas terrible. Je me force à effleurer sa queue, sympathique et bandant mou, mais je ressens un frisson de vive répugnance. Ni l'un ni l'autre ne parvenons à nous exciter, le rêve s'arrête là. UTILISÉ

     

    53 03 05

    Annie et moi en panne, devons ramener deux voitures qui remarchent, mais sommes autorisés par ordonnance que nous montre une infirmière aimable à coucher dans une chambre d'hôpital. Le lendemain il faudra que je fasse sans arrêt des aller-retours en changeant de voiture pour les ramener de Roanne à Vichy, à Montluçon, etc... jusqu'à Bordeaux alors qu'il suffirait qu'Annie et moi prenions chacun la nôtre. En effet c'est absurde, je ferais des va-et-vient sans avancer... UTILISÉ

     

    53 03 10

    Classe de sixième très nombreuse qui chahute, grand nombre de filles. J'écris au tableau quelque chose qui ressemble à un emploi du temps. Je veux faire répéter la dernière indication à Mlle Nasdorek, nouvelle, Polonaise, qui répond en anglais. J'en ai marre, je suis debout au fond de la classe, je hurle, à demi dans le couloir, que j'en ai assez de me crever pour les enfants des autres alors que des miens je ne m'occupe presque pas. Une fille me répond qu'il faudrait pour cela que je sois d'abord aimable avec les enfants des autres. Réveil un peu maussade. UTILISÉ

     

    53 03 18

    A

    Sonia est appuyée sur un gros mur de séparation, où elle lit ou bien prend des notes. Jel ui fait remarquer que notre chat passe la tête, très haut, par l'ouverture située au sommet d'un tronc d'arbre incliné. Cet arbre a été coupé. Il serait possible d'atteindre le tronc, et, en prenant des risques, de s'élever en oblique jusqu'au chat. David est présent à la scène. Je ne puis grimper, étant en pantoufles.

    UTILISÉ

     

     

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  • Lisboètes

    CHAPITRE UNIQUE



    COLLIGNON ITINERRANCES LISBOÈTES

     

     

    Je n’écrirai jamais Lisboètes. Pure lusophobie. Et puis j’aurais la rage de ne jamais plus pouvoir y retourner. C’est contradictoire. C’est unbehagen. Malaise profond indéfinissable. Comme la répugnance à revenir sur la tombe d’un membre, jambe ou bras. Que l’on m’aurait coupé. J’ai fait un plan, par flashes, illogique, sans chronologie. Voici une suite d’éclairs :

    - la Juive de Calcutta, rencontrée dans un train frontalier, et répétant toute les sept phrases: « I’m Jew… I’m Jew... » justification, compassion, meurtre.

    - la Cap-Verdienne du Zürich-Genève, avec laquelle j’ai parlé de clitoridectomie pour toutes les oreilles du compartiment, et l’autre Blanche, qui se lavait sans cesse.

    - le Coca et les pêches, les glaces, de Lisbonne ou de Carthagène (mais à présent tout le monde a voyagé, ou croit l’avoir fait) (le faire, devoir le faire)

    - Cimetières de Lisbonne, les Plaisirs, la tombe horizontale d’Amalia Rodrigues, amatrice de paix sociale et de Salazar, à quels bordels n’a-t-il pas succédé ?

    J’ai des vagues de sang dans la tête, un ressac obstiné qui annonce ma mort ; poursuivons :

    - L’Assommoir de Zola, pluie et bruine dans les vapeurs d’alcool, alors qu’au dehors, à Lisbonne, il fait 36°.

    - Le plaisir des langues, entendues ici dans les rues, le flûtisme tendre de mon français, les clairons espagnols et pas d’anglais Dieu merci pas d’anglais

    - Drague à la FNAC : il y a donc la FNAC à Lisbonne ? Qui a dragué qui ? a dragué quoi ? ne rien perdre surtout ne rien perdre.

    - Le métro : de Lisbonne, aux deux lignes si mal foutues, de Paris si complet, si merveilleux, de Prague engloutissant Alphaville !

    - Les églises de Lisbonne, vernissées comme des momies

    - Gulbenkian, seul endroit frais, qui fait aimer l’art contemporain juste pour la clim

    - Fr. que j’ai failli voir et consommer sur place, et qui m’a aimé, que j’ai rejetée comme un mufle fasciste disait-elle, raciste, xénophobe.

    Cela tient une colonne. Mais en face, une classification ébauchée, avec des chiffres, c’est trop avan dans ma vie, 2000, plus que 2008, je cherche, je cherche des griefs et n’en trouve pas, voici,

    1. Filles dans le train, que je draguais toutes à la fois, par mon silence, la fixité de mes regards, gisant à mes pieds sur le tapis de train. Développer.

     

    2. Petits pavés noirs et têtus de Lisbonne, tranches coupantes.

     

    3. Croisière du bateau fluvial, et ces immigrés incultes qui s’étonnent de l’aspect du Tejo, parfaitement, du Tejo,

    4. Le Monument des Conquistadores, avec juste une femme, la Reine Isabelle, au pied de la bite – Erotisme plus fort des blottissements que toute sorte de pénétration.

     

    5. La Tour de l’Estoril, toute petite et qu’on ne visite pas, et non loin le banc où je me suis assis, photographié comme point le plus à l’ouest de ma vie.

     

    6. Les Jéronymes (ou Jéromines?) (Vasco, Camoès dont j’ai caressé le front en priant, et Pessoa inaccessible (travaux).

     

    7. Pourquoi les magasins sont-ils toujours fermés à Lisbonne ? Dents et langue en avant.

     

    8. Je devrais voir le quartier Moniz – Importunité du Mâle

     

    9. Les montées, les descente – Livraison des visages dans l’innocence

     

    10. L’Ombre et le Cagnard – Qu’est-ce que la beauté ?

     

    11. Délices de la pensião – Imaginations de gouineries entre compagnes de voyage

     

    12. De petites gens, de petites portes, de petites maisons, de petites rues. Imaginer les sexes se chargeant de sueur et de crasse pendant la nuit.

     

    13. Château St-Jorge - « Ils dort tous[sic] – y a que le vieux qui dort pas.

     

    14. - Vieira da Silva- Finir par « Vous n’avez pas fermé l’oeil. Je sentais votre œil sur nous ».

    l’oeil sur

     

    15. Wagon-restaurant

    …ce ne sera pas long… vous verrez… Conclusion : elles savent que je mate

    Parler de Cortàzar à la fin, sur ses parkings d’autoro

     

    Je suis allé à Lisbonne. Tout le monde va à Lisbonne.

    « Voici la relation de mes cheminements »

    Si j’étais… (Cortàzar, Vargas Llosa) (Paul Morand), ce serait passionnant.

     

     

    DANS LE COMPARTIMENT

    C’est si vieux. Ça ne veut pas venir. Un interminable enfermement, deux heures silencieuses en rase campagne, Huit places en face à face. Le seul homme. Des jeunes femmes. Bien trop jeunes et frappées d’une extrême fatigue. Seul mâle de cinquante-huit ans. Monde envahi de jeunesse. Des jambes blanches des deux sexes sous les sacs ado.

     

    Trop vieux pour moi les sacs à dos. Bien fait de ne pas en prendre - trop vieux pour y prétendre.

     

    Mes seules valises,.

     

    Colonie de vacances pour filles de vingt ans. Fauchées n’ayant ni avion ni billet couchette. Moi non plus. Avec qui voulez-vous coucher ? personne. Toutes ensemble et moi. Bavardent non de cul jusqu’à1h 18. Je ne suis pas ta mère, je lui dis. - J’en ai tant pris avec les hommes que je préfère la solitude pour l’instant – dormiront enfin, raffalées, repliées.

     

    Harem de sept, Sept d’un coup. Épuisées… éreintées… Pauses de pantins sans une once de lascivité. Elles ballottent, leurs poitrines retombent, tressautent, sans harmonie ni suite. La fesse sous le vêtement plus suggestive et ronde, régulière et statuaire, attirant la courbe accompagnatrice – esquissée dans l’œil et du fond de la tête à l’extrémité du nerf.

    Insomnie féroce. Que le vie devienne vision. Que le mot justifie ce qui vit. Cause entendue.

     

    Sur l’une d’elles la pureté du sommeil, sur l’autre un profil pur sous sa main repliée,comme parant un coup, plus tard d’autres et d’autres encore dans l’avancée de la nuit, à Santander, a Venta de Banhos, 5 femmes et 3 hommes font 8, parler aussi des mecs. Une jeune mariée avec un Asiatique – piercings à l’oreille, confiscateur, poseur de danses simiesques. Déjetés les deux. Colliers. Blousons. Contrefaçons tous deux trop mâles ou trop femelles. Inapte à capter mon quelconque intérêt mais bientôt le harem assoupi (j’écarte les façons des hommes) (la rhétorique d’un désir) (encore invisible)

    ...Moins que mise à nu mais livrée dans ces enveloppes vestimentaires dévolues aux femmes – la mariée sur le côté me tend sa fesse qu’elle appuie à ma chair, compromis entre l’inconscience et la concession (elle ignore,elle sait, elle tolère) – ou bien : le blotissement est plus érotique, plus pénétrant que la simple érection – bientôt le harem ballotté (…) - déjà usité -

     

    RUES

     

    Pierres noires. Lisbonne ville noire. Rues ombragées et sombres. Perpétuel bossellement de la plante des pieds. Les sandales n’ont pas lâché. Aires très restreintes. Saleté des restaurants.

    Baudelaire notait dans Pauvre Belgique : les rues de Bruxelles, disait-il, toujours en pente, sont peu propices à la flânerie – qu’eût-il dit de celles de Lisbonne !

    On marche 20mn, on s’arrête : comme à Prague (Praha-Brüssels-Lisboa – triangle d’Europe) rien pour s’assoir, et comme le notait Baudelaire encore, impossible de se soulager dans la rue. Rien d’autre à voir, que l’ambiance. Les numéros d’immeubles se succèdent rapidement. Ce sont des petites gens qui quittent leurs petites maisons par de petites portes d’appartement donnant sur de petites rues.

    Impression d’une capitale arrêtée en 56 (de mille neuf cent), avant le Grand essor économique, une ville corsetée dans un réseau archaïque, anarchique. Surtout ne rien changer. La capitale s’étend vers le nord-ouest, où s’entr’aperçoivent des barres de HLM : qu’elle s’étende ! Surtout ne rien détruire. Epargner à Lisbonne le sort de Pékin.

    Pékin manquait.

    Une petite vieille, rogomme, acide, revêche. Jamais elles ne se consolent. Avoir été la cible des regards et des flèches dressées, puis passé cinquante ans à se retrouver comme un homme, qu’on ne regarde jamais… Bien fait pour leur gueule dans un premier temps, mais compréhension aussi des hommes. Eux aussi ne sont plus que des Vieux Messieurs asexués, dont les femmes ne comprennent plus pourquoi ils se permettent encore de les regarder. Degré de plus dans le déclin, dans la déchéance. Et le visage de la vieille s’attendrit, les rides se repassent, s’aplatissent, les méplats élargis de sa face recaptent la lumière, autant que les rides l’avaient absorbée. C’est un petit chien qui pataude et clabaude au-delà des arceaux sur l’herbe.

    Elle redevient pré-ménopausée, on l’entrevoit toute jeune, avec, simplement, quelques ombres. Elle ne tient plus à la vie que par un chien. Phénomène accentué chez cette autre, sur ce fauteuil.

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  • BHL Le diable en tête

    HARDT VANDEKEEN « LUMIERES, LUMIERES »

    BERNARD-HENRI LEVY « LE DIABLE EN TETE » 42 01 25 3

    On va dire « encore lui », encore BHL, on va dire « il fait sa pub », « il a ses séides» eh bien non, pas du tout, pas du tout, je n'ai nous n'avons pas touché un radis pas un shékel, et de plus, l'ouvrage dont nous parlons a paru en 1984, ce n'est pas uen nouveauté tant s'en faut, en ce temps-là il n'y avait pas la Bosnie, il n'y avait que l'Ethiopie, vous avez la mémoire courte bande de gangréneux, et le mur de Berlin semblait éternel. Ici pas de ce petit jeu littéraro-commercial « tu me vantes je te vends ». Si je vous parle d'un livre c'est parce qu'il m'a plu, ou débecqueté, ou indifféré, parce que je l'ai lu, simplement.

    Et celui-là, Le Diable en tête, fini à Sore le 9 janvier 1995 à onze heures trente (j'ai le tic de noter tout cela en fin de chaque volume à moi qui me passe dans les pattes) – celui-là continue à me hanter. C'est l'histoire d'un mec. C'est la mienne à quelques détails près. D'abord, mon père n'a pas été un collabo bon teint comme celui du héros. Mais fouillez bien dans vos mémoires, frères quinquagénaires. Ensuite, il n'a pas été fusillé, mais seulement condamné à mort et gracié. Puis, je n'ai pas vécu dans le luxe avec ma maman, qui ne s'est pas remariée avec un Rrrésistant. Le luxe, je l'ai eu dans l'imagination.

    Et puis encore, il lui arrive toutes sortes de choses, à ce garçon gâté, adulé par sa maman, exécré par son beau-père qui le traite de fils de Collabo – la gaffe – trop tard. Je sais qu'il est facile de fabriquer un personnage, dont j'ai oublié le nom, de lui faire endosser tout un poids de passé bien choisi mais pas si rare j'insiste, de lui donner du fric dans le roman et de lui faire faire toutes les conneries possibles et imaginables. C'est l'histoire d'un mec, d'un fils de facho qui devient gaucho, qui finit propalestinien, qui se mêle de terrorisme en Italie -mémoire courte, vous dis-je, mémoire courte ! - qui s'engage comme ouvrier chez Renault – ça, c'était peut-être avant, mais je ne suis pas chargé de vous raconter le livre dans l'ordre chronologique, et qui découvre, le pauvre, que le prolétariat n'est pas formé de saints austères attendant la Révolution en se prenant pour Robespierre mais se souciant fort de toucher sa paye et de regarder la télé.

    BHL fait le portrait de tous les cocus de la politique de gauche, d'extrême gauche, de Mao à Staline à Trotsky à Che Guevara tout y passe et trépasse, et tout est traîné dans la boue par l'auteur, tout est échec. Si l'on prend un déchet de la bourgeoisie rupine et qu'on le trimballe dans toutes les situations oùles circonstances et les faiblesses humaines, que dis-je les névroses et le cabotinage le plus odieux, permettent de détruire tous les idéaux, c'est trop facile, et ce n'est pas une preuve. Un tel héros que ce X., éternellement jeune, éternellement dupe de toutes les théories

     

     

     

     

     

     

     

    et idéologies visant à régénérer enfin l'humain et à lepurifier de sa pourriture originelle, ne peut être utilisé comme démonstration. Cependant, tout invraisemblable et récapitulatif, exhaustif même, que soit cet itinéraire, il n'en révèle pas moins en un résumé- un peu long, toutefois, un peu long : trop souvent un paragraphe eût suffi où BHL nous assène deux pages – mais en un résumé dis-je très caractéristique la théorie de son auteur, ailleurs illustrée dans un film : Les Aventures de la liberté. C'est fou ce que l'on a voulu libérer l'homme depuis la Révolution Française, dont Dieu ou Y. me garde de vouloir remettre en cause etc. etc. Mais du fouriérisme au socialisme au communisme au maoïsme à la fraction Armée Rouge à l'Intifadda et j'en passe (oui, je sais, je me livre à des amalgames à la noix, mais le dénominateur commun profond de tout cela est tout de même bien si je ne me trompe la justice universelle et la salvation de l'humanité où nous serons tous frères sauf les morts) - nous avons tous cru, jeunes et vieux, à l'un ou l'autre de ces mouvements, àl'une ou l'autre de ces mouvances pour être moins précis, quand on n'y ajoutait pas en plus une bonne louchée de chistianisme ou de freudisme. Or, l'humanité ne peut être sauvée. BHL, qu'on accuse sans cesse d'aveuglement et de girouettisme dès 1984, date de parution du Diable en tête, notait déjà cette faillite de l'homme devant ce qu'on pourrait appeler son péché originel qui est la dose indispensable de connerie avec laquelle nous avons été créés, dose irréductible et que j'illustre en ce moment même avec mes propos de vieux croûton soit. Et rien ne m'a fait plus de plaisir jubilatoire que ce jeu de massacre de toutes les idéologies quand elles débouchent, et j'insiste bien là-dessus, sur la violence, car il est bon d'avoir la foi, mais il est mieux d'avoir les foies quand les -ismes se transforment en manuels de poseurs de bombes ou de trafic de drogues. Les idéalismes sont pourris, ont été pourris de tout temps par les petits malins qui ne songent qu'au pouvoir, et la lutte pour les libertés n'est en haut lieu qu'une lutte de paravents – à grands coups de paravents sur la gueule, bing, bang – pour plus d'argent et plus d'esclavage. Alors que faire, docteur Lévy ? "Il ne nous reste plus que le courage d'être lâche", disait Philippe Noiret, perspective peu exaltante certes, mais pas plus que celle qui consiste à fomenter des attentats. Et puis si, perspective exaltante quand même, puisqu'elle nous laisse le vaste champ à des actions ponctuelles de grande envergure qui permet de se dévouer à toutes les causes nobles et ponctuelles qu'on voudra pour restaurer la dignité humaine, à condition de ne jamais généraliser. Apporter la télé dans les foyers de vieux, mais pas en Amazonie, par exemple, et l'exemple se discute ô combien ! Mais ces leçons de morale nous font chier, ô commentateur

     

    usurpateur. Si tu nous faisais lire le texte ? En voici en voilà, pour que tu juges, indocile auditeur, de la valeur d'un style, car tout ceci est aussi de la littérature. Nous commençons par la page 47 de chez Grasset, puis nous poursuivrons par les multiples de 47, car toutes les méthodes se valent. P. 47 :

    "Impossible, bien entendu, d'avoir un mot d'explication."

    Court extrait d'un "Journal de Mathilde", mère du héros. Le livre nabigue ainsi d'un point de vue à l'autre de la mère au fils au beau-père au manipulateur. C'est du grand art. Mathilde est une petite cruche mariée à un collabo. Ça fait mal de le découvrir. P. 94 :

    "On devine l'effet sur la salle... La température qui remonte d'un seul coup. Les jurés qui "sortent de leur torpeur. "

    Eh oui ! Le collabo se fait juger, un témoin juif rescapé vient dire que c'est lui, là, dans le box, qui l'a fait déporter ! P. 141 :

    "Ça peut vous paraître bizarre et c'est peut-être bien, après tout, une autre de nos erreurs. "Mais le fait est, c'est vrai, qu'on n'y est plus du tout revenu et que s'est noué entre lui et nous une "sorte de contrat tacite aux termes duquel le sujet était comme forclos. Pourquoi ?"

    Chez moi non plus, braves gens, je ne savais jamais pourquoi mes parents se disputaient. Ma mère parlait de "tes conneries pendant la guerre", mais lesquelles ? P. 188 :

    "Yvonne enfin, une très vieille amie de Mathilde, celle-là, qu'il était allé chercher, "traquer, circonvenir comme un furieux et dont il n'a réussi qu'à briser le cœur et le ménage."

    Car il faut que vous sachiez, Mesdames, que tout héros de roman se doit de tomber les femmes, surtout ici les vieilles rombières, complexe d'Œdipe oblige. Y aurait-il imitation de Sollers? Perfidie... P. 235 :

    "Que te disais-je, ma chère Constance ? Je n'ai emménagé que depuis trois jours – et tu ne peux pas savoir combien je me sens bien déjà, à mon aise, à ma place. Pense donc !"

    Il s'agit ici du journal – encore un – de la petite Alsacienne provinciale donc sur laquelle notre héros va se jeter dans sa soif de pureté... meurtrière. Elle parle comme une lectrice de Bonnes Soirées. C'est exprès, rassurez-vous bonnes gens. "Le 14 mars" dit-elle p. 282. On ne sait de quelle année. Les roaring sixties, wahrscheinlich. "Le 27 juin", p. 329. P. 376 :

    "Autant les deux premières étaient stylées, cossues, presque bourgeoises, et tout àç ait "inattendues en tout cas, dans un camp de réfugiés, autant celle-ci est vieille et lépreuse à souhait. Elle a quatre étages, en principe. Mais l'un a été pulvérisé par les bombes."

     

     

    Car notre héros se retrouve chef de faction à Beyrouth. Il faut qu'il passe partout, partout où se joue le sort de la liberté, pour être véritablement exemplaire. C'est un peu long. Mais ce siècle a trouvé long aussi, et continue de trouver long, ces actualités sanglantes qui ne changent pas de puis des décennies. Cette Liberté pour tous qui n'en finit pas d'accoucher, et d'accoucher des monstres. "Est-ce que ça va durer longtemps comme ça, me dis-je ?" - ainsi s'exprime celui qui veille sur notre héros, et qui peut-être le manipule au nom d'intérêts supérieurs et obscurs. Alors l'auteur termine par un grand dégoût de soi-même, un beau mouvement de résipiscence, de retour à soi-même dans le repentir, juste avant suicide, suicide d'un temps tout entier.

    Le héros n'a plus pour se raccrocher que des pans d'enfance et d'adolescence. C'est du Camus, moins Camus. C'est vache ce que je dis là. Mais lisez quand même Le Diable en tête, de Bernard-Henri Lévy. P. 473:

    "C'était le temps où les mannequins s'appelaient toutes Bettina, cherchaient des maris "américains, avaient le même indéfinissable accent aux sonorités vaguement anglo-saxonnes et "commençaient d'inventer cette singulière démarche, mi-vive mi-paresseuse, pleine de morgue en "même temps que de sensualité, dont elles ne se sont, depuis, plus départies."

    Quelque part entre Cartano et Aragon. Vache...

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  • KHYRRS ET TZAGHÎRS

    COLLIGNON KHYRRS ET TZAGHÎRS 2

     

    1. La stèle

     

    Ici le fleuve entaille la falaise. Six cents doghs de dénivelé. Au sommet, la ligne des arbres – en bas, la trouée du rapide et son ravage de troncs. L’eau fume jusqu’aux premières savanes sous la pente : c’est là, au bout de la dernière piste, que se devine sous les herbes la stèle d’Alloum-Khéfi.

    « Lis ce qui est écrit !

    - Comment serait-ce possible, ô Badjar, à celui que tu as privé de la vue ?

    - C’est juste.Qu’on l’achève.

    Un esclave pousse le Blanc, qui tombe à quatre pattes et reçoit sur la nuque le froid tranchant du ssûtak ; un autre entraîne le corps et la tête hors de la piste, à portée de hyènes.

    « Blanc, lis-nous le texte de la stèle.

    - De la dixième année de mon très glorieux Règne

    « Quiconque, homme ou femme, de peau noire, ayant franchi la borne du Royaume

    «  Sera sur-le-champ exécuté ».

    Un vaste éclat de rire secoue les Suivants sur leurs méharis, et gagne la colonne des guerriers sur toute sa longueur. Le prisonnier halète. Le ssûtak recourbé s’élève sur sa tête, mais le Badjar fait un geste condescendant : « Laissez-lui la vie ». L’homme est tiré en arrière par la corde qui lie ses poignets. Le Badjar tend le bras vers la stèle. Aussitôt dix guerriers s’arc-boutent à sa base et s’écartent d’un bond quand la pierre s’abat dans un creux d’eau sous les herbes, avec le bruit lourd d’un hippopotame touché à mort.

    Alors une clameur remonte la colonne jusqu’aux lisières de forêts, et plus loin, où l’on n’a rien vu. Le Badjar a levé trois fois le ludabeth, sa lance-d’appui, qui descend jusqu’au sol le long de sa monture, et rythme la marche vers le nord : Hy-bâ !

    Hy-bâ ! crient les flancs-gardes.

    Le Badjar marche en tête sur son méhari. Ses lèvres sont bleues. Son crâne aux tempes poncées porte une crête rousse de la nuque au front. De sa ceinture partent huit longues étoles rouges, tendus en étoiles par huit esclaves à pied, aux lèvres bleues, le torse nu. Ainsi maintenu à mi-corps, il avance avec majesté, comme une rutilante mygale.

    Les tendeurs d’étoles trébuchent sur les longues-herbes, prenant soin de toujours garder le tissu soigneusement tiré. Leurs traits et leurs muscles luisent. Sous la taille écartelée par les écharpes tendues à se rompre, un pantalon bouffant d’étoffe blanche à crevés rouges. Les pieds sont nus. Derrière l’imposante pyramide formée par le Badjar et ses étoliers, les treize fouroukh montent des chevaux noirs à crinière courte. Les fouroukhs ou maréchaux ont la tête rousse et la bouche bleu saphir ; mais leurs cheveux sont plus ras, et leurs prérogatives ne vont pas jusqu’à s’autoriser la garance pour se peindre, ou la poudre d’indigo.

    Ainsi se règle la tenue des officiers, reconnaissables au nombre de leurs bagues.Les serre-files agitent leurs baguettes de cuivre. Le peuple tzaghîr est en marche : hommes et femmes en état de porter les armes. Ils ont tous les cheveux roux, les lèvres bleues et vernies, et lorsque le Badjar tourne la tête, il aperçoit, en file interminable jusqu’aux Gorges de Lazb, un immense dégorgement humain de braises rouges et de peaux noires.

     

    X

    X X

     

    TZAGHÎR FRANÇA1S

     

    « Mior utimer wendrè halemu «  Nous avons ainsi cheminé

    « horpowo biongak cho rikao, «  jusqu’au coucher du soleil,

    «  pö ruzuerru rok mispa fwonga. «  qui s’abaissa sur notre gauche.

    «  Ja bunsuéla u jumbu ku nkéakè, «  Le bounsouéla a lancé la prière,

    «  nör mior utimer diklu «  puis nous avons formé

    « diklu kar bakbar chuzuma. «  les cercles d’ébène.

    « Ha nikhuè jami  «  Je portais le numéro 743

    «  rior kaq ipshkar Schebbi «  sous les ordres d’Ebbi

    «  as ha gor runuzu «  et je fus séparé

    «  sha Hamaoua. « de Hamaoua.

    «  Ba riok-jou, ha bilnwè «  Ce soir-là, je comptai

    «  tchoumer ju turmankwèma «  dans la vaste plaine

    « …. «  plus de 50 cercles,

    « …e aucun Blanc n’apparaissait encore. Mon tour de garde n’intervenait qu’aux quatrièmes «  veilles. Je dégainai mes deux épées-de-main, l’une plus courte pour la gauche, et l’autre «  pour la droite, et les plantai dans le sol comme il m’avait été enseigné. Puis je déroulai le « çèmo qui ceignait mes reins pendant la marche, et m’y enveloppai. Je ne pouvais dormir, «  enfin parvenu au Pays Blanc... »

     

    X

    X X

     

    « Maîtresse !

    - Que me veux-tu, à cette heure de la nuit ?

    - Pose ton Rouleau-des-Lois, viens à la fenêtre !

    - Je suis trop âgée pour pouvoir m’étonner.

    - Tu n’entendais pas ce bruit par la ville ?

    - Me voici près de toi. La nuit est restée chaude.

    - Les guerriers se sont rassemblés sur la place et les rues voisines remplies.

    - Les flambeaux luisent sur les murs de sable.

    «  Au-dessus des ruelles invisibles je vois le tunnel pourpre des torches.

    - Ils partent cette nuit pour le pays des Khyrs ! »

    Djezirah et sa servante demeurent accoudées sur le balcon. Tous les contingents mobilisables d’Aïn-Artoum se sont agglutinés, bloquant la place au coude à coude. Les lances tendues à l’alignement jettent des éclairs roux. Devant le premier rang est ménagé un espace libre. Une vaste gifle de métal:lesl ances se sont redressées. Le Dovi paraît, escorté de deux colosses aux lèvres violacées. Ils élèvent sans effort le Chef sur le pavois.

    « Troupes aimées, guerriers !

    « Il est venu, le temps des prophéties.

    «  Plusieurs fois nos marchands sont allés au gras pays des Blancs

    « Les Khyrs, les Gorgés.

    « Plusieurs fois leurs curieux ont grimpé sur nos plateaux Tzaghîrrs.

    « Nous sommes curieux, nous aussi.

    «  À présent nos marchands sont armés

    « notre noir empire est plus ancien qu’eux :

    «  nous sommes les fils de la Lune et du Vent, Enfants de Toutes-Aures.

    «  Que le Premier Croissant nous éperonne.

    «  Lune a promis la Terre à nos conquêtes

    «  Depuis .540. années pour .540. autres années

    «  - Peuple Têtes-Rousses !

    2. La bataille de Drinop

     

     

    a)

    ! k

    ! k Les Khyrs

    !k !k tentent

    !k de déborder les Tzaghîrrs

    >>>>>>>>

    TZA !k Ceux-ci percent

    >>>>>>>> leur centre

    !k !k et se rabattent

    sur ceux qui

    !k voulaient les déborder.

    Le centre Khyr est en fuite.

    ‘’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’’

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    Récit d’un jeune Tzaghîr, Héri

    (dans le style de sa nation)

     

    « Ma taille n’excédant pas le rayon du soleil (1), je fus introduit au corps agile des

    «  Archers. Ce sont les plus parfumées de nos guerrières. Choyé d’une majorité de

    « femmes, mon tempérament s’épanouit. Nos exercices alliaient la grâce à la prompti-

    «  tude. Comme prescrit par la pratique et les incantations, nous prouvons sur le terrain

    «  nos qualités d’infiltration et de repli, et la plus grande souplesse du poignet. Gliss é s

    «  parmi le trot des chameaux, nous décochons de bas en haut nos traits courts et mor -

    «  tels ; de nos couteaux nous achevons qui choient sur le sol.

    «  Nous avons adopté la position du Croissant. Notre aile tenait le nord.

    «  À peine avait paru sur le tranchant de l‘horizon la muraille des Blancs.

    «  À peine les chefs de pointe avaient-ils levé leur lance de signal que nous fûmes enve -

    «  loppés sur notre gauche. Les sauvages escadrons lourds des Khyrs, si véloces sur leurs

    «  bêtes, frappaient lourdement comme une mâchoire de pince. Les guerrières f roissées

    «  s’abattaient sur leurs arcs flexibles. Les clameurs mêlaient leurs panaches. Pressés

    «  comme nous étions, dans une extrême excitation, le mouvement tournant sur la gauche

    «  nous fut freiné, mais ceux qui périrent sont tombés sur place. Chameaux et ar c h è r e s

    «  mêlées, nous autres quelques hommes, parvinrent à faire front : cohue, retrait du bras,

    «  corde bandée, flèches tirées d’en bas.

    «  Que notre combat semblait solitaire !

    «  Nous avons tenu, enveloppant les chevaux des Blancs sous nos nuées de pennes. Et les

    «  Blancs à leur tour chantèrent l’atroce mélodie de la souffrance : jarrets tranchés des bê-

    «  tes, cous harassés qu’on égorge, dards fichés au creux des tripes. Nos parfums tournè -

    «  rent sous la fadeur, alors les Blancs pleurèrent. Leurs arrières sentirent le poids des lan -

    «  ces d’avant-garde, qui s’étaient refermées sur eux comme une coque. Nous en a v o n s

    «  consommé un grand massacre, fabuleusement regorgeant d’hymnes d’amour, et les « archères mourantes jetaient leur dernière œillade. Nous avons appris qu’un autre fruit de « guerre s’était refermé côté sud, autour du second bataillon des Blancs : deux lunes « digérantes avaient donc tournoyé, côte à côte et s’ignorant.

    Prévenus par leurs éclaireurs, les Khyrrs ont mis leur point d’honneur à progresser sans se dissimuler, avec tout l’apparat possible ; les Tzaghîrs ont adopté, pour se déployer, la formation du Divin Croissant (Tchétem), particulièrement adaptée en terrain plat. Au centre, les Chameaux Lourds (Djoulavor), peu rapides mais pourvus de longues piques de 15 pieds. Aux ailes les chameaux de charge, les archers, et les « Petites Tailles » ou fantassins (Nassar). Les Khyrs, eux, de peau blanche, se sont tenus aux normes classiques, en quinconces. Les cavaliers portent sur leurs épaules un voile flottant de couleur claire, attaché au cou par un système d’agrafes d’or. La disposition en croissants des Tzaghîrs offrant à leur course un large espace, ils l’attribuent à la lâcheté de leurs adversaires. Atsahî, sous ses pans de toile blanche, caracole sur le front des troupes : lançant sa monture, il la bride d’un coup tous les cent pas, afn de haranguer les guerriers : la bête se cabre et bat des sabots à hauteur des têtes. N’avancez pas ! crie le hobozem aux troupes d’infanterie. « Vous devez tenir sur place, tant que nos cavaliers n’auront pas tourné les forces des Lèvres-Bleues ! » Les recrues, au comble de l’exaltation, saluent de leurs épées levées.

    À cent pas, Atzahî réitère son appel, la même scène se répète, hallucinante. Les Khyrrs des ailes nord et sud ont engagé la charge. Leur confiance est forte. Très vite les chevaux lourds se truvent aux prises avec les petits chameaux ; lesTzaghîrs ont à peine eu le temps de se rabattre de côté. Mais les pertes sont lourdes à cause des archères.

    C’est alors que les jeunes Khyrrs, demeurés calmes en dépit du désir, virent fondre sur eux la lourde masse des piquiers montés, visages durs, lourdes lances noires abaissées à quatre pieds du sol au niveau des poitrines, quinze rangs de chameaux géants trottant l’amble ; chaque pique est forgée de façon différente, multiples clés d’une serrure unique : la mort. Les jeunes Dix-Huitenaires ne tentent pas de résister. Ils se laissent glisser sur les ailes ; quand les lourds chevaux khyrrs, sentiront sur leurs flancs prêts à les seconder les vaillants fantassins bouillonnants de jeunesse, quelle ardeur ne les poussera point, cœurs d’homme à poitrail de bête !

    ...Car ces Tzaghîrs ne savent combattre que de loin, pique ou arc ; qu’on presse leurs thorax, bien peu résisteront- mais voici des cris qui s’élèvent au dernier rang des fuyards, stratèges malhabiles : les Chameaux-Lourds et les piques entrent en danse, côté dos. Et il faut bien se retourner, faire face trop tard aux longues barres, découpant les poitrines en dentelles variées. . De part et d’autre de la percée, les Chameliers se sont rabattus : chaque parti de Khyrs se trouve encerclé. Chaque boule d’épines, furieuses, pressent et perçoit les appels de l’autre part, également bloquée. La pression s’accentue, jusqu’à la curée. Très peu auront survécu à ce casse-noix.

    Les rescapés, jeunes conscrit, se sont bel :et bien enfuis vers Pikâr, la ville la plus proche, y semant la confusion. Les fuyards furent poursuivis et troués dans le dos sur plusieurs lieues de course. Cependant les Grands Chameliers ne les exterminèrent pas, comptant sur la terreur des survivants pour désorganiser l’arrière., mais obéissant avant tout

    à une coutume ancestrale et absurde : chaque engagement d’importance, victorieux en particulier, nécessitait le tirage des sorts, afin de décider de la marche en avant ou de l’immobilisation du front. Dans le passé, une telle superstition avait souvent causé la défaite.

    Les soldats tzaghîrs ont vu les Grands Chameliers revenir sur leurs pas, avec des huées de désappointement.

    Ebbi fit rassembler ses neuf meilleurs guerriers, couverts du sang ennemi. Puis neuf hommes blancs, les plus robustes, mais qui s’étaient laissé capturer. On les réunit sous une tente circulaire, la Tente d’Amitié. Tous s’y mirent nus, ce qui n’alla pas sans difficulté pour les Blancs, accoutumés à la pudibonderie. On se moqua d’eux pour commencer, à cause de leurs sexes scarifiés dans le sens de la longueur. Ensuite, le plus grand des neuf Noirs déclara : « Nous, qui vous avons défaits, nous vous servirons toute cette nuit. Nous nous témoignerons toutes les marques de la plus vive amitié ».

    Tous étaient nus et graves. La coupe de sang de bœuf circula lentement. Les pans lourds de la tente s’agitaient au vent réfléchi de la nuit. Chaque couple, se tenant par l’épaule, buvait joue contre joue l’âcre breuvage rituel. On se parlait à voix basse et assurée. L’interprète, au centre, faisait son office. On échangeait des poésies, des chansons fredonnées, et ces hommes devenaient proches. Un Tzaghîr expliqua, au milieu de la nuit, qu’il fallait échanger de son sang. Il montra l’exemple avec un jeune homme à peau rose qui se tenait accroupi à son côté ; l’incision à l’épaule fut brève, il s’accolèrent pour une mutuelle succion. Les sautres agirent de même. Puis Blancs et Noirs s’assirent en silence contres les parois, en alternance de couleurs. Posée sur le sol devant chacun d’eux, les lampes à huile projetaient sous leurs mentons des lueurs déjà cadavériques, creusant les joues et les mâchoires.

    La plupart s’hypnotisaient sur les flammèches. Si l’un d’eux venait à surprendre les traits de son compagnon, il baissait les yeux. L’un des Tzaghîrs, pour éviter que la nuit ne fût souillée par le sommeil, murmura le premier couplet d’une chanson d’amour. À ce moment tous entendirent, précis dans la nuit, les premiers coups des charpentiers.

    « C’est l’uñuosh qu’on assemble devant la tente ». L’interprète traduisit. Les Blancs écoutèrent. Les Noirs se résignèrent : l’ uñuosh, c’était l’échafaud, vaste ring surélevé, rond et ceint de cordes, où le combat terminal se tiendrait. Les hommes s’apprirent leurs chants, chacun dans leur langue.

    Au petit matin, quatre courtes cornes de brume s’étranglèrent aux quatre points cardinaux. Les hommes-sous-la-tente urinèrent, puis ceignirent un pagne, de couleur opposée à la sienne. Très vite les quatre cornes résonnèrent une seconde fois. Les hommes accoururent deux par deux. Ils s’étreignirent avec émotion, tout en courant, car l’un ou l’autre devait mourir. Les Blancs portaient un gorgerin de fer, les Noirs un casque – rapidement noués par un diacre-bourreau. Les affrontements furent brefs, étant donné la frayeur de chacun. Les diacres avaient recouvert le plancher d’une épaisse couche de sable. Après chaque duel, ils la creusaient et la déblayaient, aussi loin que le sable avait bu.

    La matière ainsi recueillie trouvait place dans des seaux de métal hermétiquement clos, qu’on enfouirait dans un lieu tenu secret. En une heure de soleil, les combats furent achevés. Les corps brûlés avec le bois de l’ uñuosh, l’armée observa le repos rituel d’un jour.

     

    * * * * * * * * * * * * * *

     

    «  Le couple de chameaux, fines jambes rapides,

    «  Bat l’amble dans les hautes herbes

    «  Kassim et Oultaïla

    «  L’ellipse orange peinte sur leur crâne d’or

    «  Court annoncer la victoire…

    (poème d’Agattîr)

     

    «  Un témoin raconta qu’il les avait vus, criant et riant, se lancer le message de l’une «  à l’autre monture : la boîte de bois verni tournoyait comme une hache, touchant la

    «  main droite ou la gauche, le coude ou la coquille du poignard. Leurs lèvres étirées

    «  - comme des saphirs fendus vola sur la crête des herbes.

    (Houbizé, XI, 11)

     

    «  Portés par l’élan, ils eurent franchi le défilé d’un seul bond, traversèrent la Terre

    «  du Cacao, la Terre Rouge, et proclamèrent à grande allure la victoire à travers les

    «  places d’Ikattan. Or on était en cinquième heure, en pleine agitation du Grand

    «  Commerce. Par l’enthousiasme qu’ils éprouvèrent, les marchands renversèrent « leurs étals, invitant la population à se servir, afin qu’elle festoyât. De toute part

    «  s’élevèrent les clameurs, toute la nuit le Peuple aux Crêtes Rouges célébra le

    «  combat de Gozar Gatzar. »

     

    3. L’arrivée des fuyards

     

     

    Bravant les dieux 300 hommes montés suivaient la retraite des Blancs. Ceux-ci, passéela débandade, s’étaient recomposés, sans courir. La nuit les trouva au lieu-dit Armalak. Les survivants des chefs firent panser les blessés : seuls les chirurgiens, regroupés dans un pli du terrain, purent allumer des feux de braise. La garde fut montée, les rondes assurées.

    Au matin, les soldats en retraite aperçurent, dans trois directions, les chameaux tzaghîrs à l’arrêt, à un quart de lieue, épiant.

    Des mouvements d’âme agitèrent les guerriers. Les uns voulurent achever les blessés, fuir vers le nord, et la ville. Les autres, plus nombreux, parlèrent de charger les Noirs insolents. Thérif, simple moyaf (1) promu chef, opta pour un moyen terme : on s’avancerait à leur rencontre, mais sans rechercher le contact. « Le Tzaghîr apprendrait à respecter le lion, même à reculons ». On fit ainsi qu’il avait dit. Chacun pouvait dénombrer, dans les rangs adverses, les silhouettes. Mais on ne distingua pas les visages. Aucun acte d’indiscipline ne fut tenté : pas un cri.

    Les Noirs n’étaient que trois cents, dépourvus de l’accord rituel des dieux. Le terrain les favorisait, car le sol ne cessait de descendre, si bien que les Blancs pensaient avoir dans leur dos l’avant-garde d’une puissante formation. Le jour suivant, les Noirs étaient plus proches. Cette fois-ci, l’armée entière suivait à courte distance. Les Khyrrhs devinrent nerveux. Peu après le milieu de la journée, Thérif aperçut d’autres troupes de son pays, qui s’étaient enfuies par des chemins différents. « Que font les Noirs ? » leur demanda-t-il. « Les Tzaghîrs nous suivent de près » lui fut-il répondu.

    La réunion des deux bribes d’armée, au lieu de restaurer la confiance, accentua la crainte. Le camp fut levé plus tôt. Les Tzaghîrs suivaient à présent, bien visibles, narquois. L’allure s’accélérait insensiblement, les alignements se défaisaient malgré les cris des serre-files. À présent les Noirs lançaient des quolibets. Les Blancs forçant l’allure, les Crêtes Rousses allongèrent le pas, et des guerriers, par jeu, lançaient le cri de guerre. Les chameaux, reconnaissant l’injonction, mais comprenant peu la plaisanterie, accélérèrent. Certains les freinèrent, d’autres non. Le reste de l’armée noire ayant rejoint ses éclaireurs se montrait à présent compacte.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    (1) 1,65m