Proullaud296

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

- Page 2

  • Rêves développements A

    51 01 28

    Jusque dans ma jeunesse, il était de tradition, au gré des proviseurs ou des instituteurs, d'organiser une manifestation, théâtrale ou autre, en l'honneur de la St-Charlemagne, patron des écoles. Le Vatican y mit bon ordre : le 28 juillet célèbre désormais saint Thomas d'Aquin (1224-1274 – comme des mouches, vous dis-je ; célèbre à l'âge où tout juste à présent commence pour de bon une carrière universitaire, semée d'embûches et de flatteries). Le 28 janvier, date du second mariage de Java, est devenu la date de conception de David en 89. L'enseignement, c'est toujours dans la foule. Je voyais descendre vers moi ces foules d'élèves, et je me suis presque trouvé en malaise.

    La grosse Jolida m'a laissé me reposer avec mépris pour la mauviette que j'étais. Elle se gouinait avec la Gaufubert. Pour ce genre de doigti-doigta entre ces deux barriques, il faut le bras longs. Paix à leurs âmes, tant de femmes n'ont que leurs propres muqueuses pour se satisfaire... C'est un rêve que nous faisons souvent, de ne savoir où faire cours, ou bien quand, deux horaires ou deux lieux se chevauchant. Nous errions dans les couloirs par classes entières, je giflais un passant, « Tu n'avais qu'à ne pas être là ! » L'école s'effondre et coule comme un Titanic. Plus personne ne veut de mixité sociale, qui est un leurre. Et plus seront fortes les protestations, plus les choses s'accentueront : personne ne peut rien contre les mouvements populaires spontanés.

    Descendre ainsi à son tour l'escalier qui ne manque jamais, apercevoir un arbre gisant là de tout son long, déraciné par la tempête à travers une baie, et s'exclamer, toujours prêt à faire un bon mot : « Tiens ! Lebranchu ! » (Marylise, née Perrault, ministre de je ne sais quel redressement, reconduite, ou non?) -mais les disciples que je traînais ne connaissaient peut-être pas cette obscure dame. En tous cas, ils riaient, en se forçant un peu. Comme chez Ruquier. Est-ce que mes cours ne ressemblaient pas très précisément aux émissions de Ruquier ? ...sors de ce corps...

    songes,absurde,voyage51 02 02

    Comble de l'agacement : avoir acheté, à prix d'or, une cuiller en argent ; s'apercevoir d'un grave défaut de fabrication, quoiqu'elle ait pénétré entre les lèvres de je ne sais quelle reine de Navarre (Marguerite ? la reine Margot?), et se voir refuser son remboursement, par Monseigneur l'Orfèvre lui-même, Maître Silberschmidt, d'un air et d'une lippe dédaigneuse ? Nous allons errer aux alentours de la Madeleine, sans nous résoudre à rentrer chez nous. « Tu ne seras jamais heureuse avec cet homme » (« tu ne jouiras point vaginalement »), « car il ne sait vraiment s'il est homosexuel ou non ». Exact. Pourquoi faut-il que ce soit si difficile de « faire HJOUIR une femme, alors qu'il faut alterner tendresse et passion, délicatesse et fermeté ?

    Cocktail intenable ! Elles non plus ne veulent pas rembourser ma cuillère. The spoon : position d'étudiantes lesbiennes en Californie, en Pennsylvanie – on se frotte le clito, lèvres bien écartées, sur les fesses de sa partenaire. Ensuite, elle en fait autant sur les vôtres. Ô bienheureux mugissements de plaisirs ! Ô ridicule de l'homme qui s'exprime ! ni sexe, ni prime... Ce soir, réception chez les parents : les Schmonim. Il va falloir bien se tenir. Un grand Alsacien blond avec une musaraigne arménienne, à long nez pointu très spirituel, qui darde ses petits yeux en boutons de bottine et rit si voluptueusement... L'enfant se fait chier pendant ces visites. Il faut toujours qu'il se tienne bien, tout au long de la soirée, après une longue, longue journée de classe.

    Mieux vaut feindre le caprice, et se tenir tout invisible derrière le gros fauteuil rembourré. Personne n'y est assis, les adultes occupent les autres sièges. Même si l'on vous a trois fois découvert, ça ne prend plus : ils savent où vous êtes, rangé là derrière le dossier, respirant les doux acariens ; ils ne prennent plus la peine de subvenir à ce qu'ils appellent vos « caprices ». Vous vous en foutez : ils vous laissent tranquilles, et vous pouvez rester là en toute quiétude, livrés à ces intarissables rêveries d'enfant : jamais elles ne leur font défaut. Le père et la mère sont très jeunes ; ils vous ont eu à la fleur de leur âge. Comme ils sont en forme, comme ils brillent ! Les Schmonim , férus d'opéras (ils possèdent des abonnements) comparent les mérites de Petitbon et de Nathalie Dessay, des ténors Villazón et Roberto Alagna : « Et comment les reconnaissez-vous ?

    - A la voix, à la voix ! » Les Schmonim sont ravis, ils étalent leur spécialisation, vos parents ne savent reconnaître que les artistes de variété. Offrir des coffrets d'opéras aux Schmonim ne servirait de rien, parce qu'ils les ont tous, du moins les meilleurs. Ils risqueraient de tomber sur la Joan Sutherland, qui dans ses derniers enregistrements « se battait » littéralement « avec sa voix » : comme un adolescent qui mue, c'en était presque douloureux, quand la Stupenda passait d'un registre à l'autre. Et vous, dans ce COLLIGNON « NOX PERPETUA - DEVELOPPEMENTS » 32

     

     

     

     

    dos de fauteuil, vous avancez dans votre bienfaisante somnolence. Combien de lundis soir avez-vous passés là ? Jusqu'au soir où le grand fauteuil sombra dans la boue. C'était d'abord imperceptible. Puis il fallait se rendre à l'évidence : la boue cernait ses pieds, atteignait vos genoux sur le sol, et vous absorbait vite en un gros maëlstrom où bientôt plus n'était question de fauteuil ou de Joël Malcom, juste un tourbillon d'évier. Or, chance incroyable, j'ai répéré dans cette espèce de siphon une faille de la largeur d'un homme, où j'eus l'immense chance de pénétrer au second tour de cylindre : et me voici dans un asile, où parvient à peine le bruit de l'eau boueuse. Il se trouve là des livres en quantité, dans une pièce également circulaire, mais immobile, cette fois ; alors, par une porte incurvée, s'introduit dans ce lieu un de ces petits vieillards à culottes nouées au jarret, puis une petite fille traditionnelle de mon âge, avec de larges enroulements de cheveux sur la tête.

    Nous nous mettons à lire, devisant à mesure des pages que nous avons sous les yeux, et l'on vient nous servir le thé, plus léger pour la demoiselle. Sentiment d'un bond en arrière de plus de deux cents ans...

     

    51 02 17

    En des temps fort lointains d'abondance, nous avions encore, Clotilde et moi, les moyens d'entretenir une voiture particulière, et même, de pousser jusqu'en Espagne pour nos promenades. Nous n'étions pas encore en retraite, mais jouissions de fortes vacances. Il existe donc en ce pays-là de petites routes isolées, non point tant sinueuses ni ombragées qu'en France, mais tout de même agréable : on se sent en Espagne, c'est là tout l'essentiel. Mais rien ne reste jamais pur : le rétroviseur montre une espèce de caisse nommée « 4 L », pataude et jaune vif comme celles de la poste française. Voici la caisse qui nous double, et nous bouche la vue ; en voici une autre, COLLIGNON « NOX PERPETUA - DEVELOPPEMENTS » 33

     

     

     

     

    qui nous bloque les arrières. Nous doublons la première, et le jeu se complique, en sauts de puces : tantôt nous voici encadrés, comme par de minables motards, tantôt les camionnettes nous précèdent, tantôt elles nous suivent, comme si nos trois véhicules obéissaient à quelque règle mystérieuse de petits chevaux (vapeur). Je repasse devant, mais sans pouvoir semer personne, tout excès de vitesse restant inenvisageable ; toujours oscille devant moi l'un ou l'autre de ces culs jaunes, ou les deux. Finissons-en : virons d'un coup sec sur le premier chemin de terre à gauche, à demi-couvert d'herbes.

    Aussitôt nos poursuivants nous suivent, et dans un triple freinage, tout le monde stoppe. Tout le monde descend. Ce sont des uniformes de postiers français, ou de gendarmes également français : que font-ils donc en terre espagnole ? Personne ne nous demande le moindre document. Nos poursuivants se montrent visiblement désappointés, en particulier une de ces femmes qui font professsion de police. Il se peut qu'on nous ait confondus avec de véritables malfaiteurs, peut-être des pilleurs de postes ? Pourquoi faut-il que nous soyons arrivés dans une vaste demeure, où nous fûmes très bourgeoisement reçus, avec force boissons rafraîchissantes ? Etions-nous attendus ? Les gros culs jaunes servaient-ils d'escorte, aussitôt évanouie ? Nous sortons verre en main de cette vérandah récemment construite, et le parc nous accueille. Je savais bien que ma psychiâtre avait les moyens. C'est elle la propriétaire. Elle nous suit avec une satisfaction non dissimulée. Répète un peu trop que je suis « guéri », terme ambigu qu'elle emploie non sans causticité.

    Mais tout a une fin, y compris ce parc : après une savante courbe encombrée de buissons, l'allée nous mène tous les trois vers le portail de sortie ; aussitôt, c'est la rue, fréquentée, pourvue de trottoirs et des automobiles qui les séparent. Nous posons sur une tablette creusée dans le mur nos trois verres à cocktails et poursuivons notre COLLIGNON « NOX PERPETUA - DEVELOPPEMENTS » 34

     

     

     

     

    marche ; mais le peuple nous entrave de partout, et nos propos se perdent dans ces va-et-vient. Clotilde, qui décidément ne sait pas, ne veut pas s'adapter, tire de sa poche ce que l'on appelait alors un game-boy, que tous les ignares affublaient invariablement du genre féminin : « une » game-boy, « console portable de jeux vidéo ». Ne voila-t-il pas que notre psychiatre, à qui nous confions tous deux, faisant fi de toute déontologie, nos destins mentaux, admoneste, gourmande, morigène en public mon épouse ?

    Ceux qui nous entourent et vont et viennent comprennent peu de français ; mais tout de même ! se voir ainsi rappeler devant tous qu'il lui faut, comme je l'ai fait, d'abondants exercices de jeux de mots et d'associations d'idées à la freudienne pour guérir à son tour, c'est plus qu'il n'en faut à ma tendre moitié, qui lui fout son Nintendo à la gueule et disparaît avec moi dans la foule : même en Espagne, la surveillance continue. Il nous faudra pousser jusqu'au Maroc, ou même, aux îles du Cap-Vert.

     

    51 02 22

    • Je commence à faire l'amour avec Elizabeth Taylor, très jeune, mince, souple et

    ferme. Faire l'amour avec Elizabeth Taylor, morte en 2011 d'une tumeut cérébrale. Son crâne était chauve et bosselé, elle avait revendu tous ses bijoux, distribuait fleurs et caresses aux enfants malades, car même les Etats-Unis ont des enfants malades. Et je l'avais là au-dessus de moi, faisant comme les femmes aiment faire, mais n'a-t-elle pas dit aussi que les plus beaux bijoux pour une femme était d'avoir les deux genoux derrière les oreilles ? Elle se tient au-dessus de moi et fait avec ses bras les mouvements serpentaires des danses égyptiennes. Je n'aurais rien à faire qu'à me laisser bouffer, aurais-je peur, est-ce que je pourrais tenir ? L'homme est inquiet quand il baise.

    COLLIGNON « NOX PERPETUA - DEVELOPPEMENTS » 35

     

     

     

     

    • Il est rare de baiser sans souci, dans la plus parfaite détente. Subsiste toujours l'inquiétude du désir : comment le maintenir ? que peut-on bien inventer pourqu'il susbsiste ? Certaines femmes sans doute aussi doivent éprouver cela. Ne serait-il pas mieux, plus expéditif pour l'homme, de se faire trouer en attendant que l'autre se soit assouvi ? Nul effort à faire alors, et le sentiment d'être utile, et la gratitude qu'on éprouve d'avoir donné au lieu de prendre, de ne rien devoir à personne. On n'a pas besoin de bander du trou du cul. Si tu cesses de bander, ou que tu envoies la sauce avant la fin de la femme, ce sont des désolations internes, sans fin. Rencontrer le Mormon dans la cage d'escalier, une de ces grandes envolées de marches terminées par un coude haut-perchée. Partout comme des acrobates inhabiles des lycéens des deux sexes parcourent de haut en bas cet accessoire de studio ; mais la rampe, et les marches, témoignent d'une grande saleté. Le Mormon manque de gaîté : « Comment ! murmure-t-il ; me faudra-t-il abandonner toute cette jeunesse qui court sur les marches ; à ceux-ci j'étais habitué. Je commençais à tisser des liens. Le nouveau poste où je suis appelé me réservera-t-il d'aussi puissantes et abstraites étreintes ? » Nous avons compati tous les deux en éphémère communion.

    X

     

    « Messieurs, Voyant le nombre assez considérable de sottises et d'insignifiances qui se publient, je ne me sens pas inférieurs à leurs minces mérites. C'est pourquoi j'aimerais que vous reconsidériez votre position. Je ne demande pas de jugement ni COLLIGNON « NOX PERPETUA - DEVELOPPEMENTS » 36

     

     

     

     

    • d'appréciations, conscient plus que quiconque de mes faibles mérites et de mes grandes faiblesses. Mais il me suffirait de prendre place à votre table, de participer si peu que ce fût à ce grand festin des vanités, même s'il ne restait pour moi qu'une écuelle en bout de table. Je vous en serais infiniment reconnaissant. »
    • Amen dit le Mormon. Nous rejoignîmes alors un chantier, à l'extérieur, où s'agitaient des êtres d'une tout autre espèce : des éboueurs, à en juger par leur tenue, et leur involontaire saleté (disons plus dégueulasses les uns que les autres) triaient artisanalement sur une longue table en plein air les chiffons et les morceaux de bois visiblement récupérés dans une décharge voisine. Nous nous sommes approchés avec curiosité. L'un d'eux alors manifesta le plus grand intérêt : il avait repéré ce que les autres cherchaient tous ; c'étaient des débris humains, qu'il examinait avec la curiosité la plus professionnelle : non pas des mains, ni même des yeux, mais des traces que ces gens-là, et eux seuls, pouvaient identifier, isoler : dépôts de sérums, traces de pus et de sanies.

    Cet homme entreposait les restes ainsi repérés dans une espèce de poche, de marsipos, ménagée dans le tissu d'une hanche à l'autre sur son giron. Mais indépendamment de ces petites trouvailles, toute l'équipe s'amusait en chœur d'une bourde : « La France a six millions d'habitants, l'Algérie trois » - qui pouvait bien avoir proféré une telle imbécilité ? ils s'en rejetaient tous la

    COLLIGNON « NOX PERPETUA - DEVELOPPEMENTS » 37

     

     

     

     

    • responsabilité – d'abord, c'était plutôt le contraire : trois pour la France - « mais non, c'est aussi con dans un sens que dans l'autre ! » Ils ne se cherchaient pas noise, c'était une équipe soudée, hilare et bon enfant. Le Mormon et moi, discrets, nous tenions un peu à l'écart, tâchant de ne pas faire voir nos vêtements ou nos physionomies d'intellectuels ; ainsi, nous étions donc enfin parvenus à ces fameux soixante ans, précédant de si peu les sécrétions de nos corps juste bonnes à jeter ?
    • Nous avons donc rejoint à pas lents le lycée où l'administration nous avait toléré un logement, aménagé dans une vaste salle de classe inutile, au sein des préfabriqués : il faut avoir connu ces bâtiments recouverts de pArielleaux sandwiches, branlant sous les galoches des gamins – notre fille nous attendait tous deux. Elle avait étalé sur le seuil, elle aussi, divers déchets animaux : l'idée venait de moi. « Pourquoi n'essaierais-tu pas de trier les diverses crottes de chat laissées par notre animal favori ? par formes, par couleurs, que sais-je ! » Elle avait pris cela au sérieux, avec la gravité qu'elle mettait toujours en toute chose. Alors je sentis dans ma paume que je laissais pendre la patte du chat, qui miaulait avec désolation : toutes ces merdes lui avaient été dérobées, au sortir même de son corps, avant qu'il ait pu même procéder à leur enfouissement rituel en litière, avec de grands ramassements circulaires, comme ils font tous, afin de dissimuler leurs traces, et de rester propres.

    COLLIGNON « NOX PERPETUA - DEVELOPPEMENTS » 38

     

     

     

     

    X

     

    C'était pour moi le temps de partir en voyage : une dent me tourmentait, et je ne connaissais qu'un seul homme capable de mettre fin à cette torture ; il habitait au cœur du Périgord, et me voilà parti. Ma fille et le Mormon me firent leurs adieux : nous nous reverrions peut-être, en ce monde ou dans l'autre. Le soir même j'arrivai dans ce petit village où m'accueillaient mes parents. A la poste (en ce temps-là, elle s'occupait aussi des téléphones), la queue est considérable. Puis je me suis avisé qu'il y avait des cabines en plein air. Toutes sont occupées. Juste à ce moment, venue d'un guichet, une grosse voix d'employé m'apostrophe : “Vire-moi la grosse là à gauche et prends le combiné”. La grosse en question est magnifique, grande, blonde, walkyrienne. Elle est en larmes : « Allô . Allô ? » On pouvait, on peut toujours se faire appeler dans une cabine. «Je peux rester avec vous , j'attends un appel. » Je téléphone devant elle au 8 503 : ce numéro correspond-il à quelque chose, aux Etats-Unis ?

    Ou bien, j'appuie sur le code « ECOUTEZ » ? L'équivalent de « décrochage » ? Le 8 503 me restitue une bande-son. Deux hommes discutent, là dans le tuyau, sur le statut du journalisme. Je ne vois pas en quoi cela peut me concerner, quoi que j'aie moi aussi, bien entendu, mon opinion sur la question. Qu'est-ce que cela signifie ? L'appareil m'envoie une bonne décharge d'au moins 140V dans les doigts, au moment où j'appuie sur la touche « ECOUTEZ » - « prenez la communication » ! J'abandonne. La mécanique de mon automobile, au moins, ne me trahira pas. Le soir tombe. La lumière du paysage devient magnifique, cela ressemble aux brillances des photos électroniques.

    Mes douleurs se sont apaisées, par l'effet du crépuscule. Donc, au lieu de consulter d'urgence (il faudrait faire un crochet jusqu'au Lot-et-Garonne), je poursuis mon voyage. Mes explorations restent micoscopiques. Mes dents attendront, jene serai pas esclave de mon

    COLLIGNON « NOX PERPETUA - DEVELOPPEMENTS » 39

     

     

     

     

    corps (pauvre bête, un jour tu n'auras plus que lui, dans ton lit, la mort au-dessus). Mon proviseur attendra lui aussi : je suis resté absent deux jours ! Disons : juste la dernière heure des deux jours précédent. Les enseignants sont fatigués en fin de journée. Tous les métiers sont fatigants. Les syndicats se sont tus sur le sujet . Au retour, je devrai me faire excuser par le proviseur. Est-ce bien nécessaire. Une autre fois je m'étais excusé, pour une journée entière : personne ne s'en était aperçu...

    Le lendemain, après une excellente nuit dans un de ces petits hôtels que j'affectionne, l'obsession du téléphone me poursuit. La disparition programmée des cabines publiques m'obsède : après tout, qui peut prouver que chacun désormais possède son téléphone cellulaire ? La cellule existe encore, concrètement, dans une cour d'école : l'école est mon métier. Cette cabine transparente fut installée là, mieux vaudrait dire bricolée, par de grands élèves particulièrement doués, ainsi que motivés. Sont-ils là, dissimulés dans la cour ou le paysage environnant, malgré les congés ? Veulent-ils vérifier si l'on utilise leur invention ? L'identité des utilisateurs ? La chose n'est pas impossible.

    Mais ils sont très doués, ces petits ingénieurs de dix-sept ans ! La partie supérieure du combiné présente un infernal écran électronique ! Un homme, avant moi, composa un texte indéchiffrable, grâce au « Traitement de textes » ! Cet homme, c'est moi. Je suis déjà venu ici, j'ai utilisé cet appareil, peut-être au hasard, sans doute même, et me révèle incapable d'en retrouver le fonctionnement. Et les élèves, les grands élèves sont là : ils me regardent avec bonhommie, un peu narquois, mais bienveillants. Pour le piano, c'est pareil : j'improvise, mais qu'on ne me demande pas de restituer ce que j'ai trouvé seul. A l'aide des touches latérales, présélectionner un COLLIGNON « NOX PERPETUA - DEVELOPPEMENTS » 40

     

     

     

     

    numéro : voilà qui est fait, mais comment l'activer ? Avec un sourire narquois et sympathique, un lycéen me tend un bon vieil appareil gris à cercle pivotant : le plus ancien modèle qu'ils aient pu trouver – comme il n'est pas branché, renoncer. Il faut renoncer à communiquer. La communication passera par ces toilettes que j'aperçois au fond de la cour.

    Après tout, elles sont constituées, elles aussi, de cabines : une seule, ouverte, déserte, pourvue d'un lavabo blanc. De derrière me répond la voix d'un employé municipal, sortant je suppose du combiné que je n'ai pas tout à fait raccroché : « Que voulez-vous ? » Et à ses vibrations, au velouté voilé de ses paroles, ce ne peut être qu'une voix de moustachu. Le lycéen me tend le combiné : « Estc-e que vous pensez que je dois... » - ma phrase s'arrête. Trop de témoins vraiment. « …et puis non, c'est trop personnel. » La question s'évanouit. Perd de sa pertinence. Peut-être voudrais-je entraîner un de ces jeunes gens là-bas, près des faïences immaculées – il m'a enculé ? Alors retentit, dans un fracas de Jugement dernier, l'éternuement gigantesque et salvateur d'une femme, la mienne : la seule avec laquelle, et par l'intermédiaire de laquelle, je me suis autorisé à communiquer.

    Avec ma fille, et son fils, nous dérivons sur une planche de surf. Le naufrage est grave : aucune mémoire de l'accident qui nous a menés là tous les trois. Certaisn débris flottent encore sur les vagues, une tempête s'est calmée, nous évitons ces planches plus étroites, incapables de soutenir nos poids, pas assez dangereuses cependant pour nous déstabilliser si par hasard nous les heurtons. D'après mon estimation, nous devrions nous rapprocher d'Alborán, l'île de Calypso. Si nous ne parvenons pas à l'apercevoir, nous sommes bons pour le détroit de Gibraltar – alors... Heureusement, nous abordons sur une plage de cette île. Des vacanciers, des résidents,

    COLLIGNON « NOX PERPETUA - DEVELOPPEMENTS » 41

     

     

     

     

    nous réservent le meilleur accueil, nous sèchent, nous réchauffent. Notre installation se confirme : Sonia pourrait se faire inscrire à une école très aérée, très propre. Pour ma part, avec une rapidité notariale étonnante, j'achète une résidence sur cette île, de 500m sur 200 : cet homme possède une bonne corpulence. Il me regarde avec une sévérité qui donne confiance. 292 900 francs, dans les 44 00 euros, ce n'est pas excessif. Mais les vacanciers repartis, ne resteront ici que 21 soldats. Pourtant cet homme inspire ma confiance. Et comme il arrive souvent, la surestimation de moi où m'entraînent les bons traitements m'amène à la plaisanterie : je parle de mon étourderie, ou du destin ; ce brave notaire ne m'apporte-t-il pas son aide à récupérer certains objets personnels, échoués sur l'île après moi ?

    Le naufrage en effet rejette des vieilleries, laides et encombrantes, comme une vieille paire de baskets détrempées. Il me trouve amusant sans doute, et c'est avec un bon sourire de condescendance qu'il m'amène au rez-de-chaussée, au salon de réception de l'hôtel. Ma fille et mon petit-fils demeurent dans la chambre à l'étage, se reposant de leurs émotions. Savent-ils nos dispositions mobilières, et scolaires ? S'agit-il vraiment d'Alboran ?

    De nuit je me suis éloigné sour les cyprès ; c'étaient des arbres impérieux, mais troués, comme celui du trop peu connu Moonlight d'Edvard Munch (1892). Et moi, je pisssais au pied de cet arbre. Il n'y a rien de plus voluptueux que de pisser, la nuit, au pied d'un grand arbre protecteur. Il y en avait d'autres, de la même espèce, formant une allée. Comme je ne pouvais pas me soulager au pied de chcaun d'eux, mes pas m'ont mené progressivement dans une espèce de parc naturel, occupant une terrasse au-dessus de la mer. Un mur de pierre la soutenait, au pied duquel, sur la plage nocturne, mon épouse m'attendait en compagnie de ses amies : notre naufrage, à présent lointain, et plus encore sans doute la propriété que nous avions acquise, nous avaient attiré des sympathies !

    COLLIGNON « NOX PERPETUA - DEVELOPPEMENTS » 42

     

     

     

     

    Je me suis mis à imiter les cris des nocturnes ; c'était très réussi, d'autres hiboux ou chouettes se sont mis à me répondre, de plus en plus rapprochés. D'autres vies animales rampaient et grattaient dans l'ombre. Et non pas menaçantes, mais participatives de mon propre destin. Je décidait d'invoques les morts, car il est invraisemblable, impensable, de la plus haute désobligeance, d'imaginer que nous devrions un jour les rejoindre, sans avoir accompli les rites d'approche et de simple politesse à leur égard. Car la matière et l'esprit se confondent, et d'interpénètrent selon des lois qu'il reste à découvrir. «L'occultisme est la science de l'avenir ». Sans que je leur aie donc offert le moindre argent, les morts et leurs esprits sont sortis en troupe compacte d'un cimetière, lointain et invisible, au bout de l'allée.

    La déformation de leurs traits, conforme en tous points aux films d'épouvante, ne m'épouvantaient pas, car une certaine beauté en émanait, et l'intention rituelle et parodique en était évidente. Il me sembla opportun et solennel de rassembler tout ce que je savais de langue latine pour m'adresser à eux dans la langue des dieux, langue de l'au-delà. Or, ils m'écoutaient attentivement, mais se rapprochaient, et malgré mon respect je n'en menais pas large, la frontière étant ténue entre les conjurer ou les amadouer. Ils se familiarisaient, et je dus m'efforcer des les congédier. Dieu merci les morts prirent conscience de mon impréparation. ETREIGNEZ-VOUS, LAISSEZ COULER DES LARMES DE DESIR. Ils s'éloignèrent, et de quelle terreur n'eussé-je pas été atteint, pour peu qu'ils se fussent à peine encore approchés ?? NOUS SOMMES DES MILLIONS DE FLAMMES.

    Nous étions alors, Arielle et moi (dont le nom est celui de l'esprit de l'air, souffle de la vie) dans une maison de location. Nous l'avions trouvée sur une île très plate, à peine séparée du continent par le Pertuis de Maumusson. Notre ami Claude nous l'avais cédée pour une bouchée de hareng, pourvu que nous l'acceptassions, lui et sa famille, COLLIGNON « NOX PERPETUA - DEVELOPPEMENTS » 43

     

     

     

     

    quelques jours dans le mois. La solitude était délicieuse, Arielle dormait sans cesse, et je n'ouvrais pas aux coups de sonnette. Alors, les représentants, nonchalamment, s'installaient au soleil à l'arrière, sur des chaises de jardin. Il suffisait de fermer les volets, de l'intérieur, en faisant le moins de bruit possible ; mais vous pensez bien que c'est impossible, au vu des ferrures bruyantes des gonds et des crémones. Ils faisaient semblant de ne pas nous entendre. Et nous les regardions par les ouvertures dites "en tuile", à travers les vitres ; ils choisissaient de ne pas nous deviner, de ne pas croiser nos regards.

    Nous avions aussi peur des vivants que des morts. Je préférais, pour mes commandes, suivre en voiture une petite femme à qui je les passais, d'un véhicule à l'autre, par portable ; elle s'arrêtait alors sur une contre-allée connue de nous seuls, dissimulée par une faible rangée d'arbres : "Venez me voir", disait-elle, "confirmez votre commande à l'intérieur, je ne peux me souvenir de tout, il m'est impossible de prendre note en conduisant !" Je fais semblant de mal comprendre, façon de marivaudage. Elle porte une visière McDonald's. Dans l'ombre au fond de l'estafette un personnage masculin lui souffle : C'est un enseignant. Gonfle les prix. Ces gens-là ont de quoi payer. Je n'achèterai rien d'aujourd'hui : "Attendez." Retournant à ma voiture, j'en rapporte une vieille imprimante que son mari (puisqu'il est question de mari) propose de réparer, mais les bourrages s'accumulent. "Je suis de Lège", me dit-elle, "près du Cap Ferret".

    Je lui réponds que j'aimerais avoir une maison sur le Bassin (pour la revoir, pour la toucher, tandis que son époux couvre d'insultes son tournevis), mais que "ma femme tient beaucoup à sa maison de Mérignac – c'est fou ce que vous ressemblez à telle collègue de bureau... - Tu me dragues devant mon mari, imbécile, murmura-t-elle, comment veux-tu obenir quoi que ce soit ?" Et comme j'insiste, elle baisse la voix jusqu'à la rendre imperceptible : "Tu auras ce que tu désires, mais tu seras trop vieux – juste après le seuil de l'impuissance." Et cela se vérifia. J'étais velléitaire, ce qu'elle avait sans COLLIGNON « NOX PERPETUA - DEVELOPPEMENTS » 44

     

     

     

     

    peine deviné. Je n'ai jamais su son nom, elle était bien plus jeune que moi, et se moquait tendrement de mes maladresses.

    En ce temps-là, je faisais de mes gaucheries un argument de séduction ; mais passé un certain âge, ces procédés se retournent contre le dragueur. Je cherche non pas à mourir mais à obtenir une supériorité de l'esprit qui me permette un jour ou l'autre, avant ou après ma mort, soit de dominer les circonstance matérielles afin de incorporer à quelque chose de plus grand, soit de les changer matériellement par ma volonté. Tous les efforts de ma vie peuvent se justifier par cela.

     

    Il existait en ce temps-là un aspirant dictateur, férocement caricaturé par ses adversaires, qui l'accusaient de toutes les turpitudes et tous les ridicules. Enfant je le connaissais bien, jouant même aux billes avec lui. La dernière fois que nous avons joué à la tic, il était gros et gras et rubicond comme à présent, très laid, bouffi de visage et la voix « pousse-pour-chier ». Mais je l'aimais bien. Passant alors dans des salons ouverts, sans s'être même ablutionné les mains, il m'invitait à le suivre : on y mangeait, on y buvait le thé debout à grand renfort de petits doigts en l'air et de smokings, les femmes à l 'avenant. Qui étais-je, moi, pour m'y introduire ? Pourquoi tant de belles manières, surjouées, contrefaites, pour quelles dignités devrais-je me présenter à tous ?

    Mais l'amour du jeu parvint à l'emporter : nous nous sommes assis à une table de tric-trac, mais le tablier représente une carte de France : l'un de nous la voit nécessairement à l'envers. Chacun occupe une ville de France, conçue comme une place-forte, par le symbole d'une petite bille, compacte, en acier. Le jeu consiste, à l'aide d'un bâtonnet également d'acier, à pousser ses propres sphères sur celles de son adversaire, afin de s'emparer de ses villes ou forteresses ; dans certains cas, il est même permis d'utiliser une sarbacane, où les petites billes peuvent se loger ; on souffle, et hop ! plus

    COLLIGNON « NOX PERPETUA - DEVELOPPEMENTS » 45

     

     

     

     

    d'armée ! Afin de renforcer les lignes de défense, un petit boudin de tissu court d'une bille à l'autre pour les protéger.

    Seulement, je manque de la plus élémentaire adresse, mes billes roulantes ou projetées atterrissent un peu partout, se dispersent : impossible d'atteindre l'objectif. Autour de notre table des spectateurs désœuvrés forment cercle. J'essuie quelques railleries, mais sans méchanceté ; après tout, les fameux sbires de Le Pen, puisqu'il faut l'appeler par son nom, ne montrent pas de méchanceté particulière. L'ennui, ce serait plutôt les tricheries du personnage : il tire d'un berceau de poupée bien opportunément placé à sa gauche deux billes supplémentaires dont je n'avais pas l'équivalent, il déplace le jeu lui-même pour lui fournir prétendûment une meilleure assise, modifie sans cesse la disposition de ses boudins de protection, tantôt devant telles billes, tantôt devant telles autres : impossible de me tenir à mes stratégies successives.

    Chacun de ses tirs, pour autant qu'il y en ait ! reste précédé d'une interminable réflexion pendant lequel son front se plisse atrocement. Cela manque de l'horloge des tournois d'échecs internationaux. Alors ma foi, plus question de barrette d'acier ni de sarbacane ; avec mes propres doigts, d'en haut, j'assaille vaillamment ses positions et les défais une à une ; rien ne me prouve que cette technique soit interdite. D'ailleurs il ne m'a pas renseigné sur les règles du jeu ; il me répète

    que je suis trop jeune, trop bête, mais élude mes demandes de précision, comme si c'était un grand mérite d'écraser un novice. Un valet substitue alors une carte d'Europe à celle de la France, et me remet mes clés d'appartement et de voiture, que j'avais égarées.

    Ma situation change alors du tout au tout : je défends toujours une région d'Espagne située juste au sud des Pyrénées, tandis que mon adversaire, bien lointain désormais, se trouve relégué dans la contrée d'Arkhangelsk, en Russie. Tout m'échappe, de la possession des clés à celle des territoires, pour ne pas dire les règles du jeu lui-même :

    COLLIGNON « NOX PERPETUA - DEVELOPPEMENTS » 46

     

     

     

     

    cette nouvelle carte d'Europe est en plastique transparent ; au travers, nous voyons très bien encore par transparence la carte précédente, celle de la France. Et c'est mon adversaire qui obtient qu'on enlève celle de l'Europe, qui embrouille tout, « par égard pour [sa] femme » - en quel honneur ? qu'est-ce que cela signifie ? je serais donc seulement le couillon à qui la valetaille rapporte ses clés, tandis que mon adversaire modifierait à son gré la règle et les accessoires du jeu ? Alors ont retenti les trompettes du Jugement dernier...

     

    X

     

    Mon père n'avait pas plus d'autorité. Il ne comprenait pas plus que les autres ce fait indubitable : un mariage n'est pas une conflit d'autorité, mais une collaboration dans un but commun. Peut-être ses interminables vaisselles à la main l'ont-elles amené à se considéré comme soumis. Il ceignait son tablier, comme Courcelles, professeur de faculté, tout en grommelant très fort contre moi, qui devais prendre sa suite plusieurs décennies durant. La vaisselle en effet, mes bien chers frères, avant l'invention du lave-vaisselle, tenait absolument de l'Hydre de Lerne, si même elle ne l'avait pas engendré : c'est un monstre aux cent têtes, dont l'une coupée fait renaître dix autres.

    Je ne fis donc ni une ni deux : avisant un bol sale et quelques couverts qui traînaient sur la table, je les ai insolemment jeté sur le sol en gueulant : « C'est toi qui est chiant ». L'audace était forte, jamais je n'avais parlé ainsi à mon père. Je rajoutai quelques grossièretés pour faire bonne mesure et suis ressorti dans la cour. Je découvre alors, à ma plus profonde stupéfaction, que m'attends là, au beau milieu, un autre père, un Noir ! Je regarde ma main, parfaitement blanche, mais cela ne prouve rien. Ma mère aurait-elle eu des velléités de coucheries exotiques ? ...Me veut-il aussi du mal, celui-là ? Sera-t-il

    COLLIGNON « NOX PERPETUA - DEVELOPPEMENTS » 47

     

     

     

     

    moins agressif ? Pour en avoir l e cœur net, je lui lance avec force un couteau venant de la cuisine.

    Le Noir l'évite d'un mouvement preste du cou ; imaginons que mon autre père, le Blanc, le vaisselier, sorte à ce moment dan la cour, et vienne en renfort contre moi ? je suis foutu ! Alors sans attendre, je déguerpis, monte à ma chambre de l'autre côté de la cour : elle est facile à reconnaître, sa fenêtre éclairée commence à se distinguer dans le jour tombant. Dès que j'y serai, mais ce sera long ! je me barricaderai – le Noir ? il est parti ! Monsieur a dédaigné mon attaque, Monsieur avait « d'autres choses à faire » ! il ne se soucie pas plus de moi que mon autre père, scotché à sa vaisselle ! Insultez-les, attaquez-les, ils ne réagiront pas ! de quoi retourner à l'évier pour de nouvelles bordées d'injures...

    Le Blanc, au moins, je ne le raterai pas : avec ses deux mains dans le savon et son tablier de bonne femme... C'est une bonne expérience, une belle démonstration, que j'ai eues là. Je voudrais que toujours les mots coulent en moi comme dans une fontaine, et qu'il me suffirait de puiser si je veux écrire.

  • Rêves bruts

    51 12 03

    Chez Muriel, et aussi un peu à Buzancy (Aisne). Devant moi un tapis de souris humide où figurent des curseurs de table de mixage. Je les déplace avec les doigts et cela donne une harmonie très prenante aux ondes Martenot, une mélopée répétitive, évoquant une grande villa très claire, sur les syllabes prolongées “AL-GE-RIE”. Tout le monde m'écoute avec respect, puis le tapis s'assèche, les représentations graphiques de curseurs ne peuvent plus s'animer, la symphonie s'éteint.

     

    51 12 06

    Après un cours donné à quatre ou cinq élèves assez insolents dont la fille B., mais à qui je manifestais une indulgence amusée, je suis jeté en costume du XVIe siècle dans les douves asséchées et boueuses d'un château d'où mes appels au secours ont une grande difficulté à me faire extraire par mes élèves eux-mêmes.

     

    51 12 07 

    cauchemar,nuit,absurde

     

    Je fais cours à une classe passablement agitée, cours réussi mais fatigant. Mon père est à côté de moi, jeune, dynamique, c'est lui l'inspecteur. Je lui dis dans le couloir que c'est bien ; pour une fois, cela suffit. Mais je serais épuisé de continuer : je suis en retraite, tout de même ! Au réfectoire, les serveuses sont peu aimables, je dois prendre des assiettes en plastique. Mauvaise cuisine. Chez moi, c'est haut de plafond, très clair, bruyant (sur la rue), pas encore de meubles, ville inconnue. Annie et Sonia sont en courses, je regarde des photos sur un appareil numérique, apparaît

    Flore, joyeuse et sympa, sur l'écran ; comment dissimuler cela si l'on revient ? Il faudrait jeter la cassette entière… UTILISE

     

    51 12 13

    Au sommet d'une pente rocheuse, une fenêtre incrustée dans une ruine est ouverte devant moi, elle donne sur une immense déclivité en forme de ravin, parsemée de rochers et de prairie, dans la brume. On essaye de me persuader que je pourrai planer sans danger au-dessus de ce paysage, en vertu de pouvoirs exceptionnels. La pente commence presque immédiament. Je me recule, je refuse. UTILISE

     

    51 12 18

    Avec Leonardo di Caprio, accroupis de nuit devant deux tuyaux sur le sol ; il faut toucher le COLLIGNON

    NOX PERPETUA TOME 1 30

     

     

     

    bon. Sinon c'est l'explosion. Il se décide enfin, rien ne se passe. Il se redresse en me disant d'un air suffisant qu'il faut savoir se montrer viril.

    51 12 20

    Dans une chambre située au rez-de-chaussée de l'internat du lycée de Sainte-Foy je reçois un petit garçon souffreteux pour une leçon de violon. Je suis allongé su run gros couvre-lit molletonné. Arrive sa tutrice, la cinquantaine, vieille fille pincée, avec des espèces de sachets de thé qui lui pendent sur les sinus. Je m'enquiers de sa santé, elle va mieux. Je lui dis “Je sui sun voluptueux” pour atténuer l'effet de ma tenue négligée (pyjama et robe de chambre). J'imagine qu'elle pourrait me recevoir dans sa chambre d'hôtel à elle, et qu'ensuite, peut-être... Et aussi qu'elle me réclame le reste du paiement d'un violon.

     

    51 12 23

    1)

    Je monte à pied une pente à la campagne. Parvenant dans un village où se déroule la fête patronale, je veux l'éviter, pour qu'on ne se moque pas de moi (on ne sait jamais). Les chemins d'évitement deviennent de plus en plus étroits et incertains. Sous un préau de lavoir un petit chien hargneux me mord à la main. C'est un tout petit briard vieux et sale. Plus je lui tape su rla tête, plsu il mord et bave. Je crains la rage, personne n'intervient, je me ferai vacciner. UTILISES

     

    2)

    Dans une auberge avec deux filles qui me regardent, je décide de repartir avec une œuvre sculpturale représentant deux allumetes plates, en bois, encore attachées à leur talon. Je me mets en route, mais ce sera trop long, tout risque de casser avant mon arrivée chez nous. Je reporte les allumettes pour au moins prévenir Annie qui se trouve à une réunion dans la Maison de la Culture de Meulan. JUSQU'ICI, TOUT REUTILISE

     

    51 12 25

    Au Supermarché avec Anne, tout dépenaillé, dépoitraillé, du papier cul sortant de ma culotte, je croise Terrasson bien sapée en robe bleue à ramages, et Robert. Elle s'écarte de moi et COLLIGNON

    NOX PERPETUA TOME 1 31

     

     

     

    nous faisons semblant de ne pas nous reconnaître. Plus tard, avec Anne, nous ressortons des emprises du Supermarché par le mauvais côté, la voiture est à l'opposé. Il y a un vaste parking, des jeux pour les enfants. J'ai dans ma poche des fragments d'anciennes lettres reçues ou adressées à Terrasson et cherche à m'en débarrasser en les tripotant. Anne devine à peu près, avec une intuition diabolique, ce qu'il en est.

    Je la perds dans un sanctuaire rond, clos, obscur, à haute voûte, dépouillé de l'intérieur, qui ressemble à une vaste vasque vide au ras du sol. La porte se referme, j'erre en tendant les bras dans l'obscurité la plus totale, il n'y a ni orgue ni statue ni le moindre point de repère. Je retrouve Anne à la sortie, dans le parc d'attractions. REUTILISE

     

     

    52 01 09

    Je suis avec Jacques dans une épaisse forêt de sapins, hostile. Dans une grande allée, il entasse du bois et veut allumer un feu. Il porte une cognée, marche vite, avec vigueur et décision. Mais une voiture de gardien se fait voir. Nous obliquons aussitôt. Il tire un coup de fusil. La forêt est pleine de bruits de mauvais augure, interminable, étouffante. REUTILISE

     

    52 01 12

    Annie et moi nous rendons à Paris à une gigantesque manifestation. Le nombre de flics est considérable, ils montrent une grande agressivité. Chaque groupe de manifestant se voit séparer du suivant par une barrière portative. Il y en a d'autres aussi sur le côté, l'une d'elle représente un portail, celui de l'Ecole Normale, avec son écusson. Je demande ce que c'est, on me répond que cela sert à séparer les manifestants des promeneurs. La mauvaise foi semble évidente, car la foule est aussi dense de chaque côté de cette grille. Nous marchons en tête. Un petit jeune homme compte ses pas bien alignés puis s'arrête : une sorte de rite.

    Nous devançons la manifestation ; le boulevard, jusqu'ici dominé par de hauts immeubles sombres et sinistres, s'élargit. Nous menons alors en laisse un gros tigre apprivoiés, uen femelle, qui tire un peu sur son collier mais se montre docile et sympathique. La foule a disparu derrière nous, en nous retournant nous constatons que le terre-plain central en herbe se dilue par-dessous, comme si la Seine remontait à la surface. Nous nous en tirons en remontant par les bas-côtés, mais perdons notre tigre. Nous pensons qu'il se retrouvera bien, mais nous restons seuls, voyant de loin la COLLIGNON

    NOX PERPETUA TOME 1 32

     

     

     

    manifestation se disperser sous la menace. Ensuite, à Bordeaux, Stéphane, un acolyte et moi tendons au travers des quais déserts un matin d'été une immense banderole coloriée, où rien n'indique le nom du Pont Tournant.

    La banderole s'effondre, je fais signe qu'on la retende sur des tréteaux qui se trouvent là ; ensuite je rejoins les autres, advienne que pourra. Un grand festin doit se dérouler, les chiottes sont prêtes, très propres, je m'y installe, pas de papier, les cabines voisines bruissent de présences, je me torche écœuré avec un simple morceau de papier soie retrouvé dans ma poche, le déchirant le plus possible pour bien m'essuyer. Il n'y a ni odeur ni traces de merde sur mes doigts, mais c'est humiliant tout de même. Personne ne s'en aperçoit.

     

    52 01 15

    Je dois rechercher une certaine Carla ou Charlène. Elle était vendeuse. Dans une bijouterie assez intimidante, on me dit ne pas la connaître, mais uen femme me montre une moitié de photo de groupe (l'autre est déchirée) où je reconnais trois autres vendeurs, que je lui désigne. Quentin, ancien élève rouquin, m'accompagne, il n'a que ça à foutre : une maison est à voir au sommet d'une forte pente en terrain vague, ce qu ne laisse pas de surprendre dans une ville comme Bordeaux. Une vaste demeure où nous parvenons, où nous accueille uen épouse de cinquante ans. L'homme, cette fois, de la photo, que nous recherchons, est complètement bourré de neuroleptiques et ne peut nous recevoir : il aurait la truculence de Leterme et du personnage à la Wilde vu dans Immaculata (Walken).

    Mon compagnon s'attarde alors que je voudrais partir par politesse. Je dis à l'épouse que j'étais déjà venu il y a de cela plus de vingt ans, et que la haute cheminée extérieure descendant jusqu'au sol présentait alors un état bien plus délabré. Mais nous ne perdons pas l'espoir de retrouver Carla (ou Charlène). UTILISÉ

     

    52 01 23

    Pendant une virée touristique, Annie et moi nous trouvons séparés pour la nuit dans une espèce d'auberge où les lits superposés à la façon de ceux d'Auschwsitz, mais très propres et de bois clair, contiennent trois ou quatre personnes par emplacement. Je suis en train de me réveiller, coincé entre une bonne femme revendicative sans doute de baise et Leonardo di Caprio, que je ne reconnais pas sur-le champ, gringalet, suppliant et autoritaire, qui me demande d'aller chercher pour lui quelque chose à boire ou à manger, pou rle lui rapporter puis sans doute passer à l'acte dans la foulée.

    La femme est écœurée, mais je refuse, Annie me rejoint depuis une

    autre série de châlits de l'autre côté d'une cloison de séparation en bois, et nous partons ensemble, laissant tout ce monde derrière nous. UTILISÉ

     

    52 02 13

    Je discute sur un quai avec un groupe d'hommes et de femmes de milieu universitaire, lorsque survient un train de forme ronde. Je demande ce que c'est, une femme qui entre dans cette cabine sphérique me dit : “Frontalier”. Or, je m'y trouve entraîné par ceux qui m'entourent, m'apercevant que j'ai oublié sur le quai ma vieille valise brune qui contient toutes sortes de bouquins. Nous suivons, à la descente, les rives boueuses voire submergées d'un lac : à cet emplacement se serait trouvé le site de la rencontre de Rousseau avec Mme de Warens. Joubert, prof d'allemand, mène le groupe et n'explique rien.

    Tout le monde patauge consciencieusement. Par concentration (car je sais que je rêve) je parviens à récupérer ma valise. Je me retrouve étroitement serré contre une jeune femme blonde, mince et distinguée qui souhaite mon contact, me sourit, se laisse embrasser sur la bouche avec reconnaissance, je lui dis en reprenant mon souffle et en la vouvoyant que j'imaginais d'abord avoir été vulgaire, mais elle continue à sourire, heureuse. UTILISES

     

    52 02 15

    Je chie. Le cabinet s'agrandit aux dimensions d'un grenier, style Villelongue-d'Aude. Un mec, sans gêne, est entré et me regarde me torcher par l'avant sans me lever de mon siège. Ma merde est jaune et je m'en tartine partout, y compris sur mes doigts. L'homme s'indigne de ce que je ne m'interrompe pas, alors que j'estime que ce serait plutôt à lui de se sentir gêné. J'ai entre les mains une bouteille en plastique avec un embout-pression. Dessus est écrite une phrase à propos d'un jeune garçon qui a tendance à jeter tout ce qui n'a pas d'intérêt artistique. Je me demande justement si je vais jeter ou non ce flacon. UTILISE

     

    COLLIGNON

    NOX PERPETUA TOME 1 34

     

     

     

    52 02 16

    Je rêve que je chie, seule cabine occupée sur une dizaine, et c'est justement à ma porte qu'on vient impatiemment heurter du pied, de façon très agressive. Je me réveille angoissé. UTILISE

     

    52 02 25

    1. Je suis prisonnier, on m'emmène dehors en promenade. Je m'enfuis vers l'intérieur, profitant d'un moment d'inattention de la bonne sœur petite et boulotte qui me sert de gardienne. Des doubles portes s'ouvrent, il s'agit d'un appartement bourgeois ordinaire à l'ancienne. Ma course est comme ralentie, mais je me dis que la bonne sœur sera également ralentie. A un moment donné, les doubles portes ne s'ouvrent plus. Forte angoisse.
    2. Chez nous, au sommet d'un bâtiment. Annie ramène une consœur spécialisée dans l'artisanat. Je suis tout fier qu'un Courrier des Lecteurs de Télérama mentionne et cite mon Singe Vert : une phrase emphatique sur ma lutte pour plus de justice. Le lecteur conclut : “On verra bien”. Un autre journal me mentionne également. Seulement les deux femmes sont plutôt pressées de faire le repas avec des provisions d'été qu'elles ont rapportées. L'autre dit son prénom, je me plonge dans une revue d'artisanat, sans aider. Les articles que je mentionne ensuite à table sont accueillis avec une indifférence polie. Là encore, angoisse. UTILISE

     

    52 03 03

    (...) grâce à la voiture de son frère (j'apprends ainsi son existence). Elle est un peu plus jeune (80 au lieu de 90) et les os de son visage se marquent plus (il s'agit de Mme Marqueton). Je répond que je préfère utilise rma voiture, pour être plus libre. Elle me l'a demandé deux fois – la deuxième fois, elle me dit que ma femme leur avait laissé une liste de courses à faire et me la rend par la fenêtre, or il s'agit plutôt d'une facture d'achats déjà effectués, au supermarché.

    Putain le rêve mystique... UTILISE

     

    52 03 05 Rêve se terminant par la vision d'un tennisman immobile, rattrapant et renvoyant infailliblement les balles, en faisant des mimiques supplémentaires, comme semblant de téléphoner, d'esquisser des gestes, avec l'aisance impassible et ironique d'un petit bonhomme brun de Gottlib aux bras multiples. UTILISE

    COLLIGNON

    NOX PERPETUA TOME 1 35

     

     

     

    52 03 10

    Touriste au Portugal, je suis logé dans ce qui s'appelle “chambre appartement” extrêmement fruste – avec un jeune Indien foncé souriant, qui fait une vague vaisselle sur une pierre à eau ou évier. Je découvre donc que le matin je devrai moi aussi me laver à l'eau froide, et me nettoie la figure avec un gant usé. Quant à lui, qui travaille et se lève tôt, il se propose de me faire chauffer une bouillotte. Arrive le propriétaire, grand rouquin, qui me reparle du prix et veut y ajouter 200 euros pour un professeur de médecine dans le besoin, épuisé par sa nombreuse clientèle. Je le laisse parler, feignant de ne pas comprendre, d'ailleurs son portugais est à peu près incompréhensible, le mien aussi, celui de l'Indien aussi. Je lui dis qu'il devrait l'écrire. Finalement nous réglons cette histoire de location à de grands guichets de marbre, sorte de banque ; il ne me reparle plus du professeur. Pour revenir, j'emprunte une plate-forme de train surchargée, de laquelle j'aperçois un avion flambant neuf et au design Twingo. Il hésite dans un ciel de banlieue, se disloque et ombe sous les commentaires apitoyés de tous. La plate-forme passe près des débris qui occupent un espace assez restreint, je vois des rangées de sièges inoccupés, de la partie arrière, espérant qu'il n'y a pas eu trop de victimes.

    C'était la ligne Dakar-Lisbonne. La plate-forme continue son chemin, je dois lever la jambe pour ne pas me la faire happer par les rails... UTILISE

     

    52 03 14

    1. Dans une ville d'Amérique du Sud où règne un vice-roi, tout le monde vit dans le luxe, avec des vêtements tout brodés d'or, dans un raffinement extrême. Chacun passe son temps à se parer, à se laver, en vue d'une magnifique représentation théâtrale. Je me nettoie successivement les deux bras avec solennité. Tout le monde se reçoit, parade dans les rues. Je rencontre un énorme gouverneur auprès de qui je dois m'excuser de mon attitude jadis avec Chimène. Donc, je suis le Cid. Le tout se passe dans la plus extrême dignité, au cours d'une réception.

     

    1. Annie part huit jours à Paris, sans regret. Je reste seul avec Blanchard, amant délaissé par Marie-Christine, et qui doit lui aussi partir bientôt. Sosu son nez je la pelote (sa tête est dissimulée sous un foulard) et elle va m'escalader en accélérant son rythme respiratoire. Il ne se rend compte de rien ou ne veut pas s'en rendre compte. Je reste avec elle contre une vitrine d'épicerie-librairie. Le COLLIGNON

    NOX PERPETUA TOME 1 36

     

     

     

    gérant sort pour nous dire de ne pas nous appuyer. Nous suivons des yeux une demi-dousaine d'hommes emportant une espèce de caisse ongue et lourde recouverte de tissu bleu pâle. Ces deux rêves se déroulent dans une atmosphère de richesse et de plénitude. UTILISE

     

    52 03 19

    Le roi mon père est désolé : quelqu'un a tailladé le flanc de ses chevaux, acte de cruauté. C'est moi qui l'ai fait. J'espère qu'il oubliera, je me cache dans le palais, mais il revient de ses occupations, me prend par les épaules et me fait part de sa colère et de son chagrin. La fin vient de m'échapper. Je me réveille dans une grande culpabilité : j'ai tué un cheval, les deux, car ils ont fini par mourir. Quel cheval ai-je tué, très jeune ? Le “Ça” ? ...Toutes les conversations ont eu lieu en russe, mon père étant “roi de Russie” - mais pas “le Tsar”. UTILISE

     

    52 03 25

    (...) l'imagination scripturaire. Je saute sur des icebergs d'île Flottante, à Khartoum, tandis qu'Annie téléphone 25 mn à Jean Tastet. Elle est très joyeuse, et moi je ne m'en tire pas trop mal, en dépit du caractère spongieux de ces grosses masses jaunâtres. Ce n'est que la fin d'un rêve. UTILISÉ

     

    52 03 28

    Fin du deuxième cauchemar de la nuit. Salle des profs d'Andernos. Corinne dit qu'elle m'a rendu une valise contenant je ne sais quoi. Je lui ai fourni des éléments pour éditer quelque chose sur l'ordinateur, mais il manque un élément. “Est-ce que c'est en D.L. ou pas ?” Je lui réponds que cela ne veut rien dire pour moi. Elle pleure en prenant les autres à témoins : je devrais savoir depuis le temps certains éléments évidents d'informatique. Elle est très fatiguée, une de ses collègues doit sans cesse monter et redescendre 8 chaises de sa salle de classe après chaque demi-journée de cours. UTILISÉ

     

    52 03 29

    1. - Vois Terrasson à l'hôtel avant d'aller à l'enterrement de son père. Elle est malgré tout joyeuse de mevoir. Elle m'accompagne à Bordeaux-Benauge, me place sur un socle de ciment et m'étreint en riant. Je ne peux finalement aller à l'enterrement car il est trop tard. Je reviens par le Pont de Pierre où se déroule une manifestation de femmes arabes voilées ou non prônant la fraternité. Je passe le pont suspendu en me retenant au-dessus de l'eau, tâtant les aspérités du parapet et disant des formules sans signification. Parvenu dans un bus avec d'autres dont une bonne sœur, je dis “Heureusement qu'ils ne se sont pas aperçus que c'était de l'hébreu, autrement je me faisais écharper. “Ma sœur, je m'accuse d'avoir menti.
    • Ça ne fait rien, me dit-elle en souriant.

     

    1. - Avec le juge Jean-Pierre à l'hôtel, je dispose ses bagages sur des sièges de hall, il va aux WC, arrivent des sportifs qui s'assoient parmi l'encombrement. Ils s'aperçoivent je ne sais comment que les toilettes sont occupées par Jean-Pierre et chantent une chanson anti-pédés contre les “divanisés”. Je cherche une cabine téléphonique pour avertir mes parents que je serai, et puis j'ai 45 ans tout de même. Je pars seul les rejoindre... UTILISE

     

    52 04 03

    Je suis arrivé à bicyclette dans un village, suivi par des observateurs, traînant un immense polochon blanc. Tournant à gauche, je monte vers une église que des touristes visitent. Mais il n'y a pas d'issue, je redescends. Le polochon s'est enroulé autour du monument aux morts de l'église sur sa butte, et d'une maison en construction dont les ouvriers se trouvent gênés. Enfin, d'une secousse, tout se dégage. Dans une rue étroite et peuplée d'élèves, le polochon se fait tirer, plier : j'explique qu'il faut le replier au lieu de jouer avec lui, une structure raide analogue à une longue table de ping-pong y aide, tous les adolescents rigolent.

    Je suis déçu que le polochon soit resté humide. Je reviens à pied sur les lieux, des visites se passent encore, un concierge dit que des gens sont en train de prendre leurs tickets (il va être 13 h, c'est la dernière visite). Annie et moi nous hâtons vers une représentation scolaire (les tréteaux étendus sur es tables et des chaises d'école) : deux professeurs jouent deux personnages tragiques habillés l'un de noir et blanc, l'autre de bleu et brun, patauds, burlesques, à rayures. Leur rôle consiste pour le premier à déplorer sa vie ratée, pour le second à déplorer que l'un d'eux ait empêché l'autre de se réaliser...

     

    52 04 19

    En voiture dans une impasse et cherchant la route de Mérignac, je demande mon chemin à une maison en bordure de chantier où me reçoit une femme d'une cinquantaine d'années aux épaules largement dégagées, un peu ronde. Son mari habite en face et n'est “pas très avenant”. Elle est rejointe par une autre femme, sa mère, qui lui ressemble beaucoup, et qu'elle embrasse sur les omoplates. J'ai bien envie de faire pareil avec la fille. Elles reçoivent des sacs en plastique transparents contenant les copies d'un petit garçon, avec des notes scolaires en rouge pas toujours très fameuses (2,5 en musique).

    Je dérange. Je repars sur un tronçon d'autoroute en chantier, me retrouve en plein dedans, à moitié embourbé dans le ciment. Je demande à un ouvrier en blanc la route de Mérignac en lui disant “Dites-moi, mon petit...”, puis j'avise réflexion faite un patron, couvert de plâtre et de peinture. Il se fout de moi en m'appelant également “mon petit”, puis en proposant de ne me répondre qu'après son boulot, car il “travaille”, lui ! “...de 7 h à 17 h.” Je réponds “Moi aussi”, ce qui est faux. Il me dit que la réponse dépend de tel garçon qu'il aime comme un fils. Survient un jeune homme de 17 ans aux jambes nues et propres, et qu'il prend par l'épaule.

    Pressentant un long baratin foutage de gueule, je me réveille. UTILISE

     

    52 04 21

    Je reçois un coup de téléphone qui me permet d'espérer une bonne fortune. A l'adresse indiquée, je trouve un bordel ormé de deux pièces, une salle d'attente où règne une Asiatique (je regarde un film porno sous-éclairé assez banal), et une pièce où se passent, sur des lits superposés, des unions assez confuses voire douloureuses. On me laisse regarder (un sexe de femme en gros plan avec du sperme autour), mais le prix est de 99 € : trop cher pour moi. “Je peux aussi bien le faire tout seul chez moi.” Je ressors, c'est à Vienne, il me reste une heure avant le train, je marche au milieu de la circulation, la pente descend très raide, je me souviens d'avoir foulé un sommet pourvu d'un peu de neige mais de ne pas avoir profité de la vue puisqu'elle était la même que durant l'ascension.

    A présent j'essaye de ne pas me faire renverser : la Westbahnhof est vers la gauche, mais ma gare est tout droit, en bas de la pente. Un léger malaise : un saint hindou, barbe et dhoti blanc, veut s'occuper de moi, il a l'air inquiet, mais en fait ce n'est rien. Je me réveille. UTILISE

     

    52 04 23

    Dans une petite préfecture du Massif Central où je me suis réfugié. Une énorme porte dans une ruine de donjon, où je voudrais pénétrer. Nul ne peut me dire comment m'y prendre, les habitants questionnés se dérobent et la nuit tombe. Pourtant ce portail figure à l'envi sur les cartes postales, c'est la plus belle chose de la ville. Comme j'erre au pied de ce donjon et que la porte s'est ouverte par inadvertance, j'espère entrer, quand un magnifique oficier de gendarmerie en bottes vient jeter un regard soupçonneux et la referme sur lui. C'est l'hôtel de police, j'entrevois les bureaux.

    Je me contente de l'hôtel à touristes, mes réserves d'argent diminuent, je cherche un appartement en ville, ma famille est là dans ma chambre, ma mère voudrait me voir bien installé, pas trop cher et confortablement. Elle est allongée sur un lit. Je lui dis que si je devais retrouver à Aurillac (mettons) le confort d'ailleurs, cela ne servirait à rien d'avoir voulu une rupture avec ma vie antérieure. Sonia et David, présents au moins en pensée, semblent m'approuver. Décidément, j'aurai trimballé un œdipe intact toute ma vie. Les camarades nouveaux que je rencontre au bar ne sont pas tellement sympas, d'ailleurs, et à peu près aussi fauchés que moi... UTILISE

     

    52 04 26

    Je cours en remontant une pente goudronnée dans les Pyrénées. Un petit homme bun court également, de l'autre côté d'un parapet, sur la même route. Je prends de la distance, mais je m'essouffle, et le petit homme (Dufourg), sans se vexer, me rattrape et me demande si je veux continuer. Cela, deux ou trois fois. Arrivent les touristes, de plus en plus nombreux, sans se presser. Je le rejoins alors sur sa section de route, déjà bien dégagée. Puis je veux rejoindre les touristes, faisant tomber les volets de bois, qui protégeaient la section du nain, sur les pieds de l'un d'eux qui proteste.

    Plus tard, relisant le récit de notre course-poursuite, je vois que l'auteur me traite comme un fils blond d'instituteur, qui ne serait finalement pas allé jusqu'aux Ecoles d'En-Haut, où m'attendait une petite fille d'instite, blonde et très sage. UTILISE

     

    52 04 30

    Avec Léon Bloy à travers les allées d'une exposition couverte d'artisanat pieux. Chacune porte un nom se rapportant à la dévotion. Nous pressentons qu'il y a du monde et de la bousculade mais nous ne la voyons pas. Nous pensons (je fais partie d'un groupe) que cela n'en inira pas : Léon COLLIGNON

    NOX PERPETUA TOME 1 40

     

     

     

    Bloy veut tout nous faire parcourir intégralement. Cela ressemble au réseau vasculaire du visage et du crâne, c'est infini, toutes les veines et artères sont grosses et vitales, nous avons la représentation de ce crâne dans la tête. Puis, un cimetière auvergnat, plat, en pleine campagne, dont le plan montre une quantité de tombes en rapport avec Léon Bloy. Des admiratrices recherchent tous les tombeaux, l'une d'elles apporte à une des personnes de mon groupe une plaque amovible rose de mauvais goût où figure tout un texte, d'abord en français puis en allemand (sous le portrait d'un jeune ecclésiastique). “Il est vrai” lui dit-elle “que vous avez déjà lu ce texte en français” (sur une autre plaque).

    L'autre acquiesce et fait replacer la plaque, mais il pourrait lire l'allemand. Nous sommes devant un vaste espace libre, de terre nue, contenant des corps sous sa surface. Il fait froid, nous avons gagné ce cimetière dans une joie cordiale, il reste encore un peu de neige. UTILISE

     

     

    52 05 01

    Voulant aller au cinéma à tarif réduit le samedi après-midi, je me retrouve aux Mureaux, dans une 2CV que rejoignent deux ou trois Arabes surpris que je m'y sois introduit mais qui finalement acceptent que nous y allions ensemble. Hélas une roue arrière se coince dans un gigantesque nid de poule. (Annie me souligne le nom d'une actrice du film). Aux Mureaux rencontre Bouroufala qui s'est résigné au bistrot à rater la séance. Il me dit que les autres n'ont pas arrêté de s'engueuler en se rejetant la faute de la panne (c'était la deuxième pour moi : ma voiture avait eu la même chose !) Nous nous donnons rendez-vous sur la grande avenue à deux pas, la salle est toute proche, les chiottes aussi.

    Il y a six ou sept vedettes que j'aurai beaucoup de plaisir à voir, leurs noms se soulignent sur une feuille de programme que j'ai. UTILISE.

     

    52 05 04

    A

    Mon père à poil en colllant de femme se chiant entre les jambes, c'est une énorme masse de parfum solidifié, pour aller à l'Opéra.

     

    B

    Annie dans un amphithéâtre tentant de lire de l'allemand au lieu de se borner au teste français, je n'ose prendre sa place pour ne pas la vexer, un prof barbu bilingue renonce à l'aider, lui fait prendre une travée plus éloignée, Annie minuscule, se croyant aimée, l'amphi bavarde doucement avec patience... utilisé

     

  • NOUBROZI

    n o u b r o z i

    Récit poignant – chef-d'œuvre à son pépère

    père,vie,plainteÉditions du Tiroir

    publié dans le numéro 1 du « Bord de l'Eau »

     

    Semper clausus

     

    Mesdames, Messieurs les Jurés, Noubrozi fut mon père et mon instituteur.

     

    Trop père en classe, trop instituteur à la maison, est-ce pour m'avoir dans sa « classe unique » qu'il refusa toujours d’habiter la ville ?

    - Ta mère n'avait que son Certificat d'Études mais c'était une bonne ménagère, me répétera Noubrozi.

     

    Pourtant j'imagine mon père en victime.

    Dès l’enfance, je dis : « Pauvre papa ! »

    Il joue bien son rôle. Ma mère le persécute. Nous formons un triangle où chacun se croit persécuté par les deux autres.

     

    Mon père s’agite au rez-de-chaussée. J’écris sur lui, sans documentation. Cette dernière est une entrave. Mais je ne veux ni mentir, ni inventer ; ni broder mes constipations sur l’œdipe du Père (prononcez Édipe, comme ma mère, bande d'ignares)… Depuis le temps, je n’ai que moi… Mon père, fruste, repousse l’analyse au cas où apparaîtraient des Sentiments.

     

    Tu vis seul à présent. Tu n'en sembles pas souffrir, à moins de dissimulation.

     

    Quatre frères et sœurs à chaque étage. De Maubeuge à Namur en passant par la Suisse.

    Le berceau s'appelle la Meuse (Clermont – Stenay – Verdun).

    Mon Père et moi n'avons pas besoin de langage.

     

    Mon père s'appelle Roland, mon grand-père Eugène, le père d'Eugène Louis, Louis fils de Nicolas…

    Or, la responsabilité se mue en hérédité, la scolastique freudienne se substitue à la Providence : j'ai repris à mon compte les névroses de mon père, pour les absoudre, les justifier, les vivre. J'endosse. Le fils garant du Père. Nous nous comprenons, nous nous emboîtons, enceints l'un de l'autre. Comme je n'ai pu être Moi, je serai Lui, mais pour le punir de m’avoir entravé, et Lui, comment pourrait-il en être autrement, sera Moi.

     

    J'évoquerai les deux enfances conjointes (tant de zigzags, tant de reprises en taches d'huile, de retouches, de ponçages et de repentirs, pour parler de soi).

    Mon père fut rejeté par sa famille. Sa mère prodiguait du martinet. Roland venait après une sœur morte et regrettée. Il y eut une autre sœur après lui, Raymonde II. Mon père eût dûn naître fille. Il fut un faux aîné, faux responsable, chargé de tout et accusé si les cadets tournaient mal. Au Cours Complémentaire de Vouziers il fut placé interne. Ses parents habitant la ville même, pendant la promenade des pensionnaires il tournait la tête vers la maison maternelle. Le surveillant le rappelait à l’ordre. Ses camarades s’étonnaient. Son frère Jean, externe, lui, venait porter le chocolat de quatre heures à l’enfermé. Il y eut des pleurs sur ce pain-là. Si j’étais biographe je pousserais plus loin la multiplication des faits.

     

    Mon père accumula les bourdes pour se faire aimer-punir, avec cependant une épreuve terrible : soixante-douze (72) jours sans boire ni manger : péritonite, inversion du transit intestinal, exemple : vomir sa merde. À treize ans. Plus de deux mois sous perfusion. Il but une nuit l’eau du radiateur. « Il s’en sortira » dit le médecin.

     

    Ne pas être en reste, moi. De ces parents me posant en victimes je fis mes bourreaux.

    Je n’aimerais pas noircir le tableau. Mon père s’est toujours plaint de son enfance : misère matérielle, à elle seule rien de grave, mais sans le vouloir il a reconstitué autour de moi l’atmosphère d’anxiété, de carences affectives qu’il a subies : chacune de ses tentatives vers le monde extérieur s’est soldé par une torgnole. Telle fut l’enfance que je dois racheter avec talent, mon talent.

    Quand je geignais (j’étais, je suis grand geignard) mon père m’assenait : « Tu n’as jamais manqué de rien. »

    Noubrozi si.

    En ce temps-là, Noubrozi menait paître la chèvre sur les remblais ; il usait en tiers les culottes de ses frères et les plats qu’il n’avait pas aimés lui étaient représentés tout pourris qu’ils fussent jusqu’à consommation complète.

    « J’ai assisté à des scènes dont tu n’as pas idée » me dit Noubrozi. Mon père se vantera de n’avoir jamais bu, ni supporté de boire, ni fumé. J’ai de la chance : à soixante-seize (76) ans mon père semble fait pour durer.

    J’ai de la chance : à soixante dix-neuf (79) il est mort. Bois. Bois donc. Et moi j’ai bu, je fume encore, le sang du grand-père, verrier à Buenos-Ayres en 1892 ; le sang du père, Grand Nerveux, se sont faisandés chez moi, en sang d’intello. Mon père a voulu m’épargner son enfance, coups et connerie, or, dès l’âge de six ans mes lunettes m’ont soustrait aux violences. Je n’ai vécu que de l’alcool des livres, et j’écris.

     

    Je n’ai pas été frappé. On ne peut pas tout avoir. Mon père a longtemps dévoré ses remords (de guerre) : moi je n’ai RIEN fait. « Il vaut mieux des remords que des regrets » (refrain connu). Mon père a bu de l’eau de lessive (de la vraie), mon père est tombé dans la manchette d’alimentation en eau de la loco ; mon père a fait sauter « les plombs » de la gare avec une épingle à cheveux ; mon père a arrêté le Calais-Bâle en se suspendant au contrepoids du signal ; mon père…

     

    Mes oncles, les frères de Noubrozi, ne se sont-ils donc jamais livrés à des sottises comparables ? Invariablement les récits de mon père s’achèvent par « J’ai reçu une bonne tournée ». Le martinet passé dans la ceinture de ma grand-mère Alphonsine n’a-t-il fonctionné que pour lui ?

    Freud prétend quant à lui qu’un évènement n’a pas besoin d’avoir eu lieu dans la réalité pour impressionner à vie un enfant… Mon père n’a pas connu d’excès de tendresse. Il n’a pas plus regretté sa mère que moi la mienne.

    Je n’ai pas regretté mon père non plus.

     

    « Vous me gâchez ma jeunesse ! » Voilà ce que je répétais à mes parents.

    Il y a comme ça des banalités transcendantes . Et j’ajoutais : « Je me vengerai. »

    De fait je les abandonnai dans leur vieillesse. « Tu étais dur tu sais ! » J’étais devenu dur.

     

    Pourquoi ma mère, gueularde éternelle, s’est-elle toujours traînée de maladie en maladie, dans un état de parfaite robustesse ? Non ; les malades ne sont pas coupables. Toute maladie procède de la névrose, et c’est aussi une punition. Toute mort n’est peut-être qu’un suicide.

     

    Mon père vomit ses excréments. Mon père fut hospitalisé. On le nourrit de perfusions et de clystères. On lui ouvrit, on lui rouvrit l’abdomen. J’ignore à quoi il a pensé. Il en mourut soixante ans plus tard. De quoi mourrai-je ?

    Les forces de résistance sont infinies. J’ai connu mon père desséché : « sombre et rêveur » (c’était son mot). Soudain il partait d’un rire puéril et vulgaire. Mon père criait beaucoup, par à-coups, sans raisons apparentes. La seule constante de ses gueulantes fut la haine des hiérarchies, de tout ce qui l’avait écrasé.

     

    Que dire d’une réflexion qui se dispenserait de la chronologie ?

    Les ouvrages d’Histoire Antique de Dauzat et de Piganiol ne font qu’allusion aux évènements. On les comprend mal. Tout mythe veut du mystère ; le père doit demeurer vénéré. Ce n’est pas qu’il faille jeter le manteau de Noé : nul ne serait plus ravi que moi d’apprendre des horreurs sur mon père. Non, c’est de moi que je crains de trop savoir.

     

    L’Internat est mon sujet à présent : mot proche de « l’internement », connu par mon père en citadelle de Laon. Avant cela, jeune homme, il connut l’E.P.S. de Mézières (École Première Supérieure) et, dans une moindre mesure, l’École Normale de Laon.

     

    « Quand j’étais à l’E.P.S. de Mézières » est devenu le sésame, la clé de la Saga du Père, bien avant la mort. Mon père hochait la tête : « Moquez-vous tant que vous voudrez, c’était quelque chose de terrible. »

    Noubrozi n’avait pas fait Verdun ; il avait fait Mézières.

    Ma mère le faisait taire, non tant par haine du radotage que par haine viscérale du passé. Elle en venait à détester tous les films « d’époque « .

    - Regarde-moi ça, disait-elle. Quelle misère ! Quelle misère !

    Il ne fallait pas lui parler du Passé. Uniquement de ses vertèbres (autre mythe) et de ses maux divers, d’un sphincter l ‘autre. On les rejetait, elle et mon père. Ils ont fini tout seuls par n’avoir d’autres sujets de conversation que Mézières et les vertèbres.

     

    Il est étrange de se souvenir de son bonheur. Stendhal place son apogée de ses dix-huit à vingt-quatre ans. Mon père, lui, a sommité entre quarante-huit et cinquante-deux ans, à Tanger. Il n’en parlait jamais, comme honteux d’avoir joui quelques fois de sa vie. Il revient sans cesse sur Mézières, où il expia la faute essentielle et commune d’être né : « Vois Dieu des laïcs, je me suis racheté. N’oublie pas cela au jour de ma mort. J’ai subi les épreuves, j’ai couronné ma malédiction d’enfance. Ce châtiment me justifie. »

    De tout cela naturellement mon père n’a pas conscience, mais l’auditeur, son fils, conserve consciemment un amalgame d’admiration et d’horreur : « Ce fut extraordinaire ; j’étais enfin tenu, puni, par tout un ensemble de professeurs, de Règlements ; ce fut atroce, j’ai beaucoup souffert. »

    Je le poussais dans ses retranchements : des mots d’internat ordinaire, le froid, la nourriture, la puanteur et la promiscuité. Je souffris moins que lui, je fus renvoyé dès le mois suivant. Père Puni obtint plus tard un poste de surveillant à l’École Normale de Laon, à charge pour lui de préparer le Brevet Supérieur (nourri, logé, enseigné).

    Cinquante ans plus tard mon père me présentait ses Maîtres comme autant de héros de l’Iliade. En ces casernes-forteresses, lui qui lisait peu, il s’imprégna avec avidité d’une petite manne de culture. Les Maîtres, Pères multipliés, savaient tout. Sévères et justes. JUSTES.

    Plus de femmes. L’Ordre était Respecté. Il ressassait, il ressassait ses anecdotes, mises en scène, emphatiques. J’aime pousser mon père au noir, ça lui fera les pieds.

    J’ai besoin d’un pèe malheureux, sinon, pour quoi l’aurai-je été ?

     

    Mais il eut plus d’amis que moi. Premier en allemand Noubrozi, il découvrit l‘amitié, que plus tard je ne connus pas. L’amitié ne m’inspire pas : je ne comprends pas en quoi elle consiste.

     

    Mon père et Doriot ne se quittaient pas.

    Ce fut un autre ami (Thomas) qui lui apprit à jouer aux échecs.

    Pendant les promenades d’internat Thomas et mon père, sur un petit échiquier tenu à deux mains, jouaient en marchant. Noubrozi m’apprit à jouer aux échecs. Jamais je n’ai battu mon père : je refusais tous les conseils, me vexant. Après qu’il eut soixante-dix ans ses facultés s’émoussèrent, je parvins à gagner quelques parties, mais ça ne « comptait » plus, il était trop vieux.

    Noubrozi remporta le tournoi du Journal de l’Union en 51. Il aurait pu participer au tournoi des Ardennes, il aurait pu affronter les champions nationaux.

    Moi j’évite l’amitié. D’un mâle, rien à tirer. Les amis me semblent des pédés, refoulés cela va de soi. Je hais tant les hommes que je crains de les désirer.

    Les femmes ne font pas tant de manières.

    Mes parents, surveillant étroitement mes fréquentations, me poussèrent tant qu’ils purent vers l’homosexualité.

    Frais émoulu de mes notions psychanalytiques, j’ai un temps placé les amitiés du père sous le signe de l’homosexualité refusée. Je n’étais pas sans avoir raison. Mon père se lamenta en levant les bras au ciel. Ma mère (de quelle complicité de faiblesse, de quel accord profond ne fus-je pas ce soir-là témoin et acteur ?) ma mère me pria de cesser.

    Mon père est vieux à présent. Ma mère, valétudinaire, est morte : je viens visiter Noubrozi dans sa maison de Bergerac. Ce sont les mêmes conversations qui reviennent puis qu’il oublie. Tous les ans ce sont les mêmes thèmes, que je reprends avec indulgence, avec délectation ; avec amour. L’un d’eux concerne cette vaste période : « Quand j’étais à l’É. P. S. de Mézières... » ou « À l’École Normal de Laon, après le régiment. »

    Il me reparle de ses camarades, de ses professeurs surtout. Les Ardennes continuent de l’attirer. Elles sont là, au bout de la route.

    À présent qu’il est veuf (ma mère n’ayant fait que du lit au tombeau) il pourrait piquer aux Ardennes. Puis il est mort. Il n’y va pas. Il n’y trouverait personne.

    Pourquoi, de toute sa vie, n’a-t-il pas eu l’idée de retourner là-bas ?

     

    «  C’était terrible ».

     

    Mon père est un velléitaire.

     

    Mon père a décidé de m’aguerrir : il m’envoie en colonie de vacances pour voir si je m’adapterai bien à un éventuel internat : connerie, grossièreté, obsession sexuelle ; manie que les autres ont toujours de me prendre pour un khon.

    Ma mère, dûment édifiée par les récits de son mari, s’était exclamée : « Je suis sûre qu’il sera malheureux ».

     

    Jamais lingère d’internat n’avait vu si volumineuse valise.

    « En colonie de vacances on vous tue de sports, on n’ouvre pas un livre. » Mal vu ! Je me suis enfui en pleine forêt, enfui pour lire, vite et n’importe quoi. La fille du directeur m’a prêté L’opale noire. J’ai lu. J’ai demandé ce que signifiait le mot « parcimonie ». Elle m’a renseigné en tordant les lèvres, comme si j’avais demandé la dernière des cochonneries :

    « Comment, à ton âge, tu ne sais pas ça ? »

     

    Toute la section m’a cherché dans le bois en braillant. Bien fait pour leurs gueules. J’en avais marre de construire des cabanes en bois pour jouer la Guerre des Boutons. Bande de connards.

    « Ton père, il fait la classe aux oies et aux lapins » dit un colon.

    Aussitôt je me suis forcé à pleurer, pour défendre papa. Désespéré bien sûr de ne rien éprouver.

    Heureusement que la monitrice des filles ne m’a pas montré son cul. Elle m’a fait venir dans sa chambre : « Pourquoi dis-tu toujours trou du cul de poule, trou du cul de poule ?

    Je ne connaissais que l’oiseau.

    Elle me garda longtemps dans sa chambre, se recoiffant, se remaquillant. Je me suis ennuyé. J’ai fini par lui demander la raison de ses questions. Elle parut se raviser, et me renvoya. Elle fit bien : je caftais tout à mes parents. Belle affaire de pédophilie en prespective, et pour UNE fois, impliquant une femme. Les commentaires et réactions de mes parents m’auraient profondément traumatisé. Il se peut que de nos jours même, les réactions de l’entourage provoquent au moins autant de dégâts que les attouchements d’une femme.

    Quand Noubrozi est venu, le 18 juillet 54, il ne m’a pas repris avec lui. Il est resté parfaitement indifférent à la défense héroïque de sa personne et de sa fonction. Il ne m’a pas repris avec lui.

    « C’est signé jusqu’au 30, tu reste jusqu’au 30 ».

     

    Ma mère est morte le 30 juillet. Le 30 juillet 1984.

    Je suis retourné en internat pour mes dix-huit ans. Mon père a pensé : « Il s’adaptera cette fois. » Mais non. Mêmes promiscuités, peur, crasse, ennui, rhume. J’ai laissé tomber les amitiés de ce temps-là. Cinq (5) de moyenne toutes les matières, à moi, le génie ! Viré pour indiscipline. Le chant du coq à cinq heures du matin, les hurlements devant la porte des appartements du directeur, les poteaux flagellés à coups de ceinture « Sale juif j’aurai ta peau », les autres taquinés, taraudés, laminés jusqu’à ce qu’ils explosent. Noubrozi renonça. Je ne pus ni poursuivre, ni expier ; je passai pour fou. Le proviseur le dit à ma mère. J’allais traîner dans le quartier aux Putes les jours de sortie. Des noms ? Le lycée Montaigne de Bordeaux.

    Quant au service militaire il  me fut épargné. C’est toujours ça de gagné.

     

    Ce que j’essaie de démontrer ? Que l’on est malheureux en internat ? Que mon père fut malheureux ? Qu’il m’a délégué une partie de sa vie ?

    Je proclame, expie et rachète les péchés du père.

    « A l’E.P.S. de Mézières » (en vérité je vous le dis) mon père obtint une compensation de taille : se hisser au premier rang de la langue allemande, et s’y maintenir.

    Aimer l’Allemagne et les Allemands lui valut à la fin de la deuxième guerre une condamnation à mort, l’amnistie, et une kyrielle de séquelles où je fus partie prenante…



    Dans l’Est, rien de plus ordinaire que d’apprendre l’allemand ; à Mézières donc, les garçons possédaient ou croyaient posséder un solide bagage de trois ans d’étude. Mon père, le nouveau, dut rattraper son retard. Ses parents payèrent des cours particuliers. Il suivit du fond de la classe, notant tout ce qu’il pouvait. On l’interrogea, et les autres : « Pas lui m’sieu, pas lui !… Il est nul ! » Le prof s’obstinaà interroger mon père. Il sut répondre parfaitement, passa en tête et s’y maintint. Ses condisciples lui passèrent la bite au cirage. Puis Noubrozi assura toute la correspondance allemande et féminine de ces messieurs.

     

    Les Allemands, les vais, sont venus plus tard. Mon père les a reçus : des gens comme les autres, qui voulaient assurer l’unité européenne, qu’il avait vu entrer à Bruxelles au pas de l’oie, la botte à hauteur d’omoplate - des gens disait-il plus francs, bien nets, avec lesquels on pouvait exercer cette belle langue à cravache : mon père hachait l’allemand. « Pourquoi la France et l’Allemagne se font-elles la guerre depuis des siècles ? Hitler est un fou, à moins qu’on puisse un jour s’entendre avec lui. La paix reviendra…

     

    « On n’était pas au courant de ces choses-là, tu sais…

    La délation, les déportations…

     

    « On mangeait des tomates du jardin ta mère et moi quand la radio a annoncé la déclaration de guerre… » Adieu ma mère la propreté des torchons.

    Moi j’aurais crevé de trouille. Je me serais fait passer pour dingue-dangereux.

     

    Mon père a menti.

    Il décida d’obéir. Il fut secrétaire de mairie à Essises. Il l’était quand les Allemands sont arrivés. Il le resta.

    « Monsieur C., vous établirez la liste des fermiers, de leurs biens et de tous ceux qui possèdent une chambre à réquisitionner.

    - Jawohl !

    Et Noubrozi de remplir les papiers : 3 vaches, 18 lapins ; trois chambes chez Pichelin (j’ai vu ce nom sur le Monument aux morts).

    - Pourquoi n’avez-vous pas démissionné ?

    - J’aurais dû.

     

    Mon père avait trente-trois ans, treize ans de moins que moi écrivant cela.

    Chez les couillus c’est l ‘âge adulte. Chez nous autres…

     

    Mon père me raconta quil avait mangé le lapin en compagnie de l’occupant ; qu’il allumait Radio-Londres. L’officier posa la main sur le poste, le trouva chaud, et, regardant l’aiguille : « Ach… London ! » Il aurait pu faire fusiller mon père, que les Allemands étaient gentils. Qu’il était brave mon papa de balayer les merdes fraîches des vaillants patriotes sur les tombes allemandes de 14 – 18 !

    «  Cest malin ce que vous faites! un jour à cause de vous on se fera tous fusiller ! »

    Auprès des… euh… « tribunaux » F.F.L. mon père plaida qu’il dérobait des vélos « pour pédaler dare-dare chez les fermiers : Cachez tout ; ils arrivent. »

    - Je faisais semblant de ne pas comprendre ce qu’ils disaient, et je fonçais sur mon vélo…

    ...Tu faisais semblant de ne pas comprendre l’allemand, Noubrozi ? Tu as fait croire cela aux tribunaux ; tu ne le feras pas croire à ton fils.

    PAGE 64 DE LA REVUE, 16 DU MANUSCRIT