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ITINERRANCES 01

COLLIGNON ITINERRANCES LISBOÈTES 1

Je n’écrirai jamais Lisboètes. Pure lusophobie. Et puis j’aurais la rage de ne jamais plus pouvoir y retourner. C’est contradictoire. C’est unbehagen. Malaise profond indéfinissable. Comme la répugnance à revenir sur la tombe d’un membre, jambe ou bras. Que l’on m’aurait coupé. J’ai fait un plan, par flashes, illogique, sans chronologie. Voici une suite d’éclairs :

- la Juive de Calcutta, rencontrée dans un train frontalier, et répétant toute les sept phrases: « I’m Jew… I’m Jew... » justification, compassion, meurtre. MOUVANCE,gorge, furibond

- la Cap-Verdienne du Zürich-Genève, avec laquelle j’ai parlé de clitoridectomie pour toutes les oreilles du compartiment, et l’autre Blanche, qui se lavait sans cesse.

- le Coca et les pêches, les glaces, de Lisbonne ou de Carthagène (mais à présent tout le monde a voyagé, ou croit l’avoir fait) (le faire, devoir le faire)

- Cimetières de Lisbonne, les Plaisirs, la tombe horizontale d’Amalia Rodrigues, amatrice de paix sociale et de Salazar, à quels bordels n’a-t-il pas succédé ?

J’ai des vagues de sang dans la tête, un ressac obstiné qui annonce ma mort ; poursuivons :

- L’Assommoir de Zola, pluie et bruine dans les vapeurs d’alcool, alors qu’au dehors, à Lisbonne, il fait 36°.

- Le plaisir des langues, entendues ici dans les rues, le flûtisme tendre de mon français, les clairons espagnols et pas d’anglais Dieu merci pas d’anglais

- Drague à la FNAC : il y a donc la FNAC à Lisbonne ? Qui a dragué qui ? a dragué quoi ? ne rien perdre surtout ne rien perdre.

- Le métro : de Lisbonne, aux deux lignes si mal foutues, de Paris si complet, si merveilleux, de Prague engloutissant Alphaville !

- Les églises de Lisbonne, vernissées comme des momies

- Gulbenkian, seul endroit frais, qui fait aimer l’art contemporain juste pour la clim

- Fr. que j’ai failli voir et consommer sur place, et qui m’a aimé, que j’ai rejetée comme un mufle fasciste disait-elle, raciste, xénophobe.

Cela tient une colonne. Mais en face, une classification ébauchée, avec des chiffres, c’est trop avancé dans ma vie, 2000, plus que 2008, je cherche, je cherche des griefs et n’en trouve pas, voici,

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  1. Filles dans le train, que je draguais toutes à la fois, par mon silence, la fixité de mes regards

gisant à mes pieds sur le tapis de train. Développer.

  1. Petits pavés noirs et têtus de Lisbonne, tranches coupantes.

 

  1. Croisière du bateau fluvial, et ces immigrés incultes qui s’étonnent de l’aspect du Tejo, parfaitement, du Tejo,
  2. Le Monument des Conquistadores, avec juste une femme, la Reine Isabelle, au pied de la bite – Erotisme plus fort des blottissements que toute sorte de pénétration.

 

  1. La Tour de l’Estoril, toute petite et qu’on ne visite pas, et non loin le banc où je me suis assis, photographié comme point le plus à l’ouest de ma vie.

 

  1. Les Jéronymes (ou Jéromines?) (Vasco, Camoès dont j’ai caressé le front en priant, et Pessoa inaccessible (travaux).

 

  1. Pourquoi les magasins sont-ils toujours fermés à Lisbonne ? Dents et langue en avant.

 

  1. Je devrais voir le quartier Moniz – Importunité du Mâle

 

  1. Les montées, les descente – Livraison des visages dans l’innocence

 

  1. L’Ombre et le Cagnard – Qu’est-ce que la beauté ?

 

  1. Délices de la pensião – Imaginations de gouineries entre compagnes de voyage

 

  1. De petites gens, de petites portes, de petites maisons, de petites rues. Imaginer les sexes se chargeant de sueur et de crasse pendant la nuit.

 

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  1. Château St-Jorge - « Ils dort tous[sic] – y a que le vieux qui dort pas.

 

  1. - Vieira da Silva- Finir par « Vous n’avez pas fermé l’oeil. Je sentais votre œil sur nous ».

 

 

  1. Wagon-restaurant

ce ne sera pas long… vous verrez… Conclusion : elles savent que je mate

Parler de Cortàzar à la fin, sur ses parkings d’autoro

 

Je suis allé à Lisbonne. Tout le monde va à Lisbonne.

« Voici la relation de mes cheminements »

Si j’étais… (Cortàzar, Vargas Llosa) (Paul Morand), ce serait passionnant.

 

 

DANS LE COMPARTIMENT

C’est si vieux. Ça ne veut pas venir. Un interminable enfermement, deux heures silencieuses en rase campagne, Huit places en face à face. Le seul homme. Des jeunes femmes. Bien trop jeunes et frappées d’une extrême fatigue. Seul mâle de cinquante-huit ans. Monde envahi de jeunesse. Des jambes blanches des deux sexes sous les sacs ado.

 

Trop vieux pour moi les sacs à dos. Bien fait de ne pas en prendre - trop vieux pour y prétendre.

 

Mes seules valises,.

 

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Colonie de vacances pour filles de vingt ans. Fauchées n’ayant ni avion ni billet couchette. Moi non plus. Avec qui voulez-vous coucher ? personne. Toutes ensemble et moi. Bavardent non de cul jusqu’à1h 18. Je ne suis pas ta mère, je lui dis. - J’en ai tant pris avec les hommes que je préfère la solitude pour l’instant – dormiront enfin, raffalées, repliées.

Harem de sept, Sept d’un coup. Épuisées… éreintées… Pauses de pantins sans une once de lascivité. Elles ballottent, leurs poitrines retombent, tressautent, sans harmonie ni suite. La fesse sous le vêtement plus suggestive et ronde, régulière et statuaire, attirant la courbe accompagnatrice – esquissée dans l’œil et du fond de la tête à l’extrémité du nerf.

Insomnie féroce. Que le vie devienne vision. Que le mot justifie ce qui vit. Cause entendue.

Sur l’une d’elles la pureté du sommeil, sur l’autre un profil pur sous sa main repliée,comme parant un coup, plus tard d’autres et d’autres encore dans l’avancée de la nuit, à Santander, a Venta de Banhos, 5 femmes et 3 hommes font 8, parler aussi des mecs. Une jeune mariée avec un Asiatique – piercings à l’oreille, confiscateur, poseur de danses simiesques. Déjetés les deux. Colliers. Blousons. Contrefaçons tous deux trop mâles ou trop femelles. Inapte à capter mon quelconque intérêt mais bientôt le harem assoupi (j’écarte les façons des hommes) (la rhétorique d’un désir) (encore invisible)

...Moins que mise à nu mais livrée dans ces enveloppes vestimentaires dévolues aux femmes – la mariée sur le côté me tend sa fesse qu’elle appuie à ma chair, compromis entre l’inconscience et la concession (elle ignore,elle sait, elle tolère) – ou bien : le blotissement est plus érotique, plus pénétrant que la simple érection – bientôt le harem ballotté (…) - déjà usité -

 

 

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RUES

 

Pierres noires. Lisbonne ville noire. Rues ombragées et sombres. Perpétuel bossellement de la plante des pieds. Les sandales n’ont pas lâché. Aires très restreintes. Saleté des restaurants.

Baudelaire notait dans Pauvre Belgique : les rues de Bruxelles, disait-il, toujours en pente, sont peu propices à la flânerie – qu’eût-il dit de celles de Lisbonne !

On marche 20mn, on s’arrête : comme à Prague (Praha-Brüssels-Lisboa – triangle d’Europe) rien pour s’assoir, et comme le notait Baudelaire encore, impossible de se soulager dans la rue. Rien d’autre à voir, que l’ambiance. Les numéros d’immeubles se succèdent rapidement. Ce sont des petites gens qui quittent leurs petites maisons par de petites portes d’appartement donnant sur de petites rues.

Impression d’une capitale arrêtée en 56 (de mille neuf cent), avant le Grand essor économique, une ville corsetée dans un réseau archaïque, anarchique. Surtout ne rien changer. La capitale s’étend vers le nord-ouest, où s’entr’aperçoivent des barres de HLM : qu’elle s’étende ! Surtout ne rien détruire. Epargner à Lisbonne le sort de Pékin.

Pékin manquait.

Une petite vieille, rogomme, acide, revêche. Jamais elles ne se consolent. Avoir été la cible des regards et des flèches dressées, puis passé cinquante ans à se retrouver comme un homme, qu’on ne regarde jamais… Bien fait pour leur gueule dans un premier temps, mais compréhension aussi des hommes. Eux aussi ne sont plus que des Vieux Messieurs asexués, dont les femmes ne comprennent plus pourquoi ils se permettent encore de les regarder. Degré de plus dans le déclin, dans la déchéance. Et le visage de la vieille s’attendrit, les rides se repassent, s’aplatissent, les méplats élargis de sa face recaptent la lumière, autant que les rides l’avaient absorbée. C’est un petit chien qui pataude et clabaude au-delà des arceaux sur l’herbe.

Elle redevient pré-ménopausée, on l’entrevoit toute jeune, avec, simplement, quelques ombres. Elle ne tient plus à la vie que par un chien. Phénomène accentué chez cette autre, sur ce fauteuil.

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2016, 2040 : DRAGUIGNAN, FOUGÈRES ET TRAIN DE BANLIEUE

 

J'ai fait du stop dans ces coins-là, une camionnette m'avait pris à bord, le type était beau, j'ai dragué (plutôt vers Digne) : « Et quelle est votre profession ? - « T'trichian ». - Comment ? - « T'trichian. » - Hein ? - « T'trichian ». Et il se foutait de ma gueule parce que j'étais sourd. Lorsque je suis redescendu, j'ai pu lire sur la portière, bien visible, « électricien ». Jamais je n'aurais pu supporter l'accent. Le Var n'est pas la France. « La France est déshonorée par son midi », dixit Huysmans, Flamand bilieux, raciste comme-tout-le monde. Il ne faudrait pas grand-chose pour que ça revienne, les provinces, la xénophobie, les luttes armées d'un bourg à l'autre, Nouvion contre Laval, Meulan contre Mantes - RACAILLE DE CITÉ pouilleuse impersonnelle.

En 93 (19.., nous ne sommes plus dans Victor Hugo), avec Maître Balzach et avec Maître Dom, son beau-frère, nous visitâmes ces splendides fortifications ; bretonnes de chez Breton. Puis nous nous sommes assis sur un banc. Juste en face, sur l'autre banc, siégeaient à dix mètres, à des années-lumière, trois jeunes gens de vingt ans, fringués en « zoulous ». Ils nous semblèrent infiniment exotiques, et nous nous échangeâmes entre anciens des grognements ironiques ; mais nous ne leur paraissions pas moins inimaginables. Et j'ai bel et bien perçu, proféré à mi-voix mais bien audible, cet authentique commentaire : “Regarde les trois vieux en face... enfin, vieux...”. Deux espèces se dévisageant l'une l'autre, voilà ce que nous étions, chacune avec son attitude, ses vêtements, et ses occupations supposées par ceux d'en face. Je me suis trouvé vers la même époque dans un train de banlieue, tout seul, en veston de minet décati – un Noir, « zoulou » dernier cri et falzar « baggy », se foutait bruyamment de ma gueule aux longs tifs ; je me suis penché vers lui à travers l'allée, affable, cherchant la conversation, quelque ancien élève peut-être avec qui échanger mes souvenirs ; mais au lieu de cela, jetant les yeux autour de lui et se découvrant seul, sans personne de sa tribu pour faire chorus, mon zoulou cessa de s'esclaffer.

Il se détourna, au comble de la gêne, et baissa les yeux, prenant mon sourire pour du mépris.

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BURGOS, ETC.

07 50

Confusion des temps et des villes ; mais c'est bien ici, à Burgos, que j'ai préféré siroter du vin vieux avec des vieux, debout contre un tonneau, que d'aller m'en jeter un dans le troquet d'à ccôté avec des mickeys de vingt ans. Même chose à Sagonte (« Sagunt » : ces langues prétenduments régionales m'ont toujours profondément agacé ; à Bilbao, je n'ai pas entendu un seul mot de basque, bien que tous les panneaux fussent pourvus d'inscriptions scrupuleusement bilingues) ; même Bergerac, en pays occitan, s'est crue obligée de doubler son panneau d'agglomération : « Brageira », alors que le dernier petit vieux susceptible de jargonner le patois s'est éteint depuis plusieurs dizaines d'an-nées, comme ils prononcent...).

A Sagunt donc, je vis ce soir-là une immense place carrée envahie par toute une tribu , mille cinq cents personnes assurément, sortie d'on ne sait où, plus de mille jeunes campés sur leurs deux pieds les mains dans les poches de leurs vestons trop clairs et cacardant en espagnol à qui ieux mieux (le castillan, si noble, si courtois, si empesé, devient, manié en foule, un véritable bruissement de basse-cour, famille des anatidés : autant de nasillards canards). Je l'avais déjà constaté, au grand détriment de mes tympans, au pied de ces affreux immeubles directement empilés sur le sable de plage, d'où s'échappaient parmi les relents de fritures et de chorizo de véritables bourrasques d'oies en partance ou reprenant des forces sur quelque banc de marée basse ; les immeubles assurément s'apprêtaient à battre des ailes avant de s'enfoncer à-haut dans le ciel bleu.

L'industrie du bâtiment espagnole ne semble pas encore s'être départie du fameux essor des années 60 : lourds balcons sur les quatre côtés, empilements de dix à quinze étages. Mais ce jour, à Sagonte, j'ai le cheveu trop long, la démarche trop souple. J'ai fui cet infini quadrilatère où caquetaient les insolents de tous sexes. Et à COLLIGNON ITINERRANCES 9

 

 

 

 

Burgos, ils étaient deux à s'être simplement poussés du coude, puisque je ressemblais exactement à ces mannequins mâles des Soixante-Dix, avec pat' d'eph et crinière dégoulinante. Ailleurs encore, je me suis croisé certain jour avec mon double. Il fait toujours très chaud quand je voyage, c'est le lot commun. Venait à ma rencontre un revenant vêtu d'un jean, mains dans les poches, l'air piteux et le bassin balancé.

Erreur d'époque. La ressemblance était si forte que j'eus envie de l'inviter mais la chose était si attendue que nous avons baissé ou détourné les yeux en même temps, pour ne pas parler de nous, pour ne pas finir ensemble dans un lit. Voilà ce que m'inspire, de proche en proche, ce séjour à Burgos en 2050, où je viens de me prendre un P-V de 60 € pour stationnement interdit…

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LA ROQUE-GAGEAC 25 10 2050

 

 

 

 

Etranges circonstances, d'un hôtel frisquet à venir et d'un carnet à spirales “J'écris pour la gloire” offert par Muriel. Dans deux mois c'est Noël. Je dois écrire 25 mn. Journal du voyage. Nous avons déposé Sonia en gare pour 13 h 11. Elle a peur d'être abandonnée. Attention, ceci est une recomposition, un travail de littérature. Si je dis du mal de toi, ce ne sera plus toi. David était avec nous, il avait emporté un livre avec lui. Anne et moi surgîmes du petit tunnel, puis gagnâmes le pont de Bergerac. Nous roulâmes à travers nos souvenirs. La route de Branne est connue par cœur, j'en ai fait un roman.

Les romans que je fais sont toujours trop courts. Des digressions me viennent, que j'abandonne (Sonia n'est pas une digression). Anne dormait sur le siège. Son buste retombait, se redressait, ligoté. Nous avons passé Ste-Foy sans qu'elle reprît véritablement conscience. Le lycée de cette ville est désormais défiguré par son avant-corps, qui se veut moderne. Est-il banal ? Ne dois-je pas accepter les évolutions de l'architecture ? Puis nous sommes parvenus à l'entrée de Bergerac, défigurée cette fois, et depuis longtemps, par des panneaux publicitaires et des bâtiments sans âme : “Zone industrielle”, ou “commerciale”.

Je n'ai pas reconnu l'embranchement qui menait chez mes parents. Les feux rouges, les haricots directionnels : trop modernes ! La Rue Neuve en sens unique : tant mieux ! Les signes du temps sont le vieillissement de mon visage et l'inexorable rajeunissement des équipements urbains. Nosu avons voulu consommer au Tortoni, établissement bergeracois. Deux hommes en bleu de travail accoudés au bar des filles, et des femmes partout, en couples ou en trios. Mes conclusions sont vite faites ; elles sont stupides. Difficile de se faire servir un chocolat. Enfin je poursuis une fille de 17 ans qui vient de se rasseoir et lui commande pour ma table “deux petits chocolats”.

Elle est épuisée, une autre plus âgée prend le relais et nous sert immédiatement avec un grand sourire. Parenthèse : ce sont pourtant de tels incidents qui furent édités COLLIGNON ITINERRANCES 11

 

 

 

 

sur la Toile pour “Le Phare de Frazé”. Ainsi, du courage. Moi je m'imaginais que ma tête stupide – du moins, étrange - était cause de quelque refus de servir. Je ne dois pas sombrer dans la paranoïa. Puis nous sommes allés nous promener, passant devant le cinéma où se joue le film de Marie Trintignant sur Joplin ; devant le tribunal en réfection où mon père m'a fait propriétaire de ses biens : la donation entre vifs. Nous nous entendions, lui et moi, très bien. Et nous avons tourné, Anne et moi, rue de la résistance, que j'appelle rue des Tondeurs, car il n'y a pas eu la moindre Résistance à Bergerac, juste des bandes rivales qui attendait que l'autre attaque. “Nous n'avons pas reçu d'ordres”, disaient les Résistants. La Maison de la Presse fait librairie. C'est toujours l'occasion pour nous d'une grande exploration. L'accès à l'étage supérieur est privé. Il y a moins de choix qu'auparavant. Les rayons sont tout embrouillés, resserrés. Le présentoir des “Librio” ne présente ni “Pompée” de Corneille ni “paroles d'étoiles”, ouvrage collectif. Le gros livre sur Cocteau ne se trouve pas non plus dans cette librairie. Nous aurions bien acheté le Petit Larousse 2051 à Victoret, mais à quoi bon charrier ça dans notre coffre alors que nous l'aurions aussi bien au bout de notre rue, à Mérignac ? Il est aussi beaucoup question d'avarice stupide : autant retarder, dit l'avare, l'instant de l'achat. Puis nous avons retrouvé notre voiture sur le parking, où un flic bleu ciel scrutait le tableau de bord pour sévir contre les stationneurs abusifs...

Nous l'avions échappé belle ! Avant de prendre place sur nos sièges, nous avons constaté que nous faisions connaissance, voici 40 ans, à trois jours près, le 28 octobre 1963. De quoi prendre un frisson de vieux, de quoi aussi se serrer les doigts tendrement, en se promettant de tenir les 40 ans à venir (nonante-huit et nonante-neuf ans). Je me retiens d'écrire depuis quelques lignes que ma femme attire les regards par son visage douloureusement bouffi, d'une pâleur maladive, et sa démarche titubante. J'espère encore la conserver longtemps, car elle est seule à me faire parvenir sur le COLLIGNON ITINERRANCES 13

 

 

 

 

plan métaphysique. Puis nous sommes parvenus, par le pont d'amont, au cimetière de mes parents. Sur ce pont cheminant un jour avec mon père, vêtus tous deux de vêtements trop amples... je m'interromps pour faire ma toilette au lavabo ; ces ponts, ces répères, sont l'occasion d'une multitude de souvenirs : en 1989, lorsque mon père avait moins d'une année à vivre, nous cheminions donc sur ce pont, voûtés, traînant des pieds, car je réglais “mon pas sur l pas de mon père”. Alors un parigot motorisé s'arrêta lentement près de nous, et décocha en rigolant “Acré vain guiou d'bon sang d'bon souaire !” Je me suis vexé, surtout pour mon père, et puis, je ne pensais pas l'imiter à ce point-là.

J'ai vociféré en montrant le poing à l'automobiliste, qui devait bien se marrer en compagnie dans sa bagnole. Mais aujourd'hui au cimetière, mon père était déjà mort, et ma mère, en quatre-vingt quatre pour elle, en nonante pour lui. Et je pensais qu'il me disait : “J'en veux pour 90, moi !”

Le sort l'a exaucé, non pour l'âge, mais pour le millésime : il est mort en août 1990. Et si je calcule encore, ma mère étant partie en 84, nosu sommes bientôt en 2004, j'ai soixante ans l'année prochaine ; d'ici 20 autres années, j'en atteindrai 80, et je rejoindrai mes parents. Non dans cette tombe toutefois, car j'ai réservé mes quartiers à Bordeaux.

Je suis resté peu de temps devant la tombe, car cela ne sert à rien, il faisait froid, la dalle était nue, la plus nue de toute l'allée. J'ai gravé du bout de ma clé la lettre “B”, mon initiale, suivie de la date. Il n'y a que moi pour avoir de semblables idées. Ma femme n'avait pas voulu m'accompagner, car elle ne les aimait pas beaucoup. Les deux conversations tenues par ma mère étaient de me reprocher de ne pas venir plus souvent, et de s'interroger sur la légitimité de ma fille. Mon père, en face de son épouse, n'avait plus de conversation depuis longtemps. Je lui resservais de mes cours, qu'il admirait, et il se demandait ce que je ferais après ma mort, tout surpris sans COLLIGNON ITINERRANCES 14

 

 

 

 

doute et inconsciemment scandalisé que je dusse un jour lui survivre. Le séjour devant la tombe fut de dix minutes, suivies du traditionnel pipi de cimetière, devant cette autre dalle, verticale et sans séparation ; la pisse disparaît ensuite dans un enduit plâtreux. Et la voiture s'ébranle vers Lalinde, via Mouleydiers où nous évoquerons le vieux Maître Faget, passe le pont sur la Dordogne et cherche le Buisson de Cadouin. Notre prochaine halte doit être le cimetière de Coux-et-Bigaroque, où repose (c'est le terme consacré) Pascale de Boysson, compagne douloureuse (et jadis douloureuse) de Laurent Terzieff. Au lieu de rencontrer ce dernier perdu en méditation devant la tombe bien-aimée, nous avons remonté dans une forte odeur de vache des allées soigneusement râtissées où nos pieds s'embourbaient.

Nous avions repéré les habitants des tombes sur un plan placardé sous grillag e: “de Boysson”, au fond à gauche. Parfois l'employé municipal ignorait le nom du défunt. Il écrivait simplement “OCCUPE” dans le rectangle : c'est à la fois respectueux des corps et extrêmement désinvolte. Je crois, surtout respectueux. Mais la tombe elle-même, aux inscriptions à-demi effacées (un de Boysson né en 1881, mort en 1971, peut-être son père, quelque vieux colonel) ne présentait qu'un long rectangle de terre encadré d'un muret, sur lequel reposait à main droite un toit funéraire à deux pans, gris et muet.

Sans doute le début d'une installation monumentale. Terzieff attend d'avoir assez d'argent pour compléter cela. Il pense aussi que le défunt n'est pas tant honoré par les dépenses somptuaires que par le souvenir amoureux qu'on a de lui. Nous avons piqué un gros bouquet de fleurs roses artificielles tombées par coup de vent d'une tombe voisine, puisque je n'ai pas osé le faire à Bergerac, pour mon père ; Anne m'a dit que j'aurais pu, la tombe d'en face étant réputée abandonnée, regorgeant pourtant de gadgets : “Regrets”, et autres. Mais je ne regrette pas mes parents.

Et je suis superstitieux. Après cela, il ne nous restait plus qu'à retrouver la route COLLIGNON ITINERRANCES 15

 

 

de Beynac (hôtel à 50 euros, trop cher) : “Vous ne trouverez pas moins cher dans le coin !” Évidemment, dans ta catégorie, connard. A 38 euros à la Roque-Gageac. C'est moi qui ai monté les marches de la réception. Il y avait une jeune femme tête à claques, pour me dire d'un ton rigolard qu'on ne “faisait pas de chambres” ici. “Et ça ?” Je désignais tout un panneau dans son dos, indiquant les prix. Anne a débouché à son tour des escaliers. “Mais si, on fait des chambres.” Elle nous a menés aux numéros 9 et 10, en demandant si nous restions sur le même lit, si nous n'étions pas fâchés.

Ma femme a répondu qu'on ne voyageait pas pour se disputer. Je grommelais en allemand dès les premiers instants, j'ai été présenté comme Lorrain, originaire de Verdun. Cet accueil m'a vexé. La tenancière n'aura de moi que les mots indispensables. Et puis le radiateur est froid, et le restera toute la nuit. Nous sommes allés nous goinfrer de lasagnes tout près d'ici. C'est la débauche, le bide augmenté garanti. Les couteaux étaient flexibles, j'ai fait semblant de les lancer sur ma femme en les tenant par la pointe. Nous avons été vite bloqués par une tablée de 3 english women, bien grasses et bien épanouies, qui savaient le français, mais pas assez pour suivre notre conversation.

J'ai été éblouissant, boulant les mots, dévidant le jars, mêlant boche, espagnol, italien, arabe et turc de pacotille. Les voisines lançaient des clins d'œil perplexes, en poursuivant de leur côté une conversation anglaise aussi animée. Nous sommes ressortis de là les jambes écartées de bouffe. De fortes brumes flottaient sur la Dordogne, prévues par la vieille mère Marqueton avant notre départ. Et, miracle, quatre gabarres, avec un ou deux r, amarrées pour des promenades : “en octobre, seulement l'après-midi”. Nous y serions bien montés, mais quid du musée de Figeac ? ...et s'il était fermé le dimanche ? “Close on Sundays” ?

Alors nous avons admiré, lu les prospectus (je lis couramment l'occitan : ce n'est pas difficile), et nous sommes remontés nous réchauffer ici. Nosu avons joué à la belote en étendant sur la table une serviette nid d'abeilles, et Annie a gagné. Nous avons gagné le lit à 11 heures, claqués

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mais sans plus. Il se trouve que nous nous entendons très bien. Nous avions consulté des cartes. Nous ne savons pas où nous irons après Figeac. Ce matin je me suis réveillé à 7 h après un rêve de plus à tendance homosexuelle, sans que je me rappelle autre chose qu'un contact très doux de joue d'homme.

J'ai écrit le début de ceci sur la cuvette des chiottes fermées, la boucle est bouclée. Annie s'est douchée, moi non, parce qu'elle a trouvé le système de fonctionnement de la douche par poignée latérale sur le pommean, et moi non. (...) Nous sommes descendus à l'instant prendre le petit-déjeuner. La serveuse est la même personne qui nous a reçus la veille au soir, elle nous a proposé des jus de fruits dans un festival de plaisanteries. En bas hurlait littéralement un chorus de comédie musicale, où les humains manifestaient leur enthousiasme d'être “Tous ensemble – tous ensemble – gnouf – gnouf” - “Nous les hommes, tous les hommes, rien que des hommes”.

Heureusement nous étions à l'étage au-dessus, nous avons tout englouti, nous avons payé, la servante ou tenancière nous a affirmé son peu de prédilection pour les musées et autres momies égyptiennes. Nous avons payé près de 54 euros, nous sommes remontés. Anne s'est lavé les dents, j'ai oublié ma brosse et mâche du chewing-gum, il ne reste plus qu'à remballer nos affaires. Impossible de chier ici, ça dauberait un max, mais j'aérerai. Anne essuie ses lunettes, je mâche assidûment, il ne reste plus, cette fois, qu'à redescendre nos quatre bagages. C'est beaucoup. C'est de notre âge.

Adieu la Roque-Gageac. FIN..

Suite. Nous nous levons, rassemblons nos affaires, multiplions les va-et-vient de notre chambre à notre voiture. Le petit-déjeuner se déroule sous les auspices de la serveuse piquante. Elle nous demande si nous voulons du jus de tomate, du jus de carotte. Elle précise que c'est bon, “tellement bon qu'on ne sent pas le goût”. Supposition : c'est de l'humour. Elle tend vers nosu son petit pubis hérissé. Quand nous la quittons, elle est incapable de nous fournir les heures d'ouverture du Musée Champollion de Figeac. Elle nous dit : “Moi, les musées...” Pour la pousser, je rajoute qu'il s'y trouve une momie.

Elle se rengorge dégoûtée. Pendant le petit-déjeuner, trois fois de suite, un horrible chœur de comédie musicale style soviétique avant l'assaut tchétchène, chantant “les hommes, tous les hommes, rien que les hommes”.

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CHATEAUNEUF SUR CHARENTE 51 02 19

 

 

 

 

Les premiers mots qui me viennent ne sont pas français mais des syllabes sans suite (Aubeterre), dont je goûte l'exotisme : Teşekkür ederim", c'est "merci" en turc. Voyone les événements du jour, 19 février, à Châteauneuf-sur-Charente, car c'est la seule chose à raconter. Commençons par une grande naïveté, ce contentement que j'ai eu d'apprendre que Ma femme et moi-même étions toujours amoureux, d'après de nombreuses et longues observations de Notre Meilleure Amie. Je suis très heureux de faire plaisir à Ma Femme. A propos de ces majuscules : il faut se marier, voyez-vous, officiellement, pour dresser contre tous ceux qui souhaitent nous marginaliser un barrage, et quelle marginalisation plus efficace que celle de l'homosexualité. Tu dois être pédé, toi, on ne te voit jamais avec une fille !

J'ai pris des airs à la fois mystérieux et inexpressifs, ce qui est une gageure (prononcer "gajure"... eh oui ! avec un "h", le "eh"...). Mais je tiens à faire savoir que je suis bel et bien Marié, devant curé, maire et notaire. Je n'ai pas toujours protégé ma femme, des souvenirs cuisants me remontent à l'esprit. Ce matin, nous partions sous la pluie et le froid vers le nord, nous moquant de nous-mêmes : "Papounet et Papounette partent en expédition." Nous savons à quel point nous sommes timides – veules – pusillanimes. Naïfs, désargentés. Nous surveillions la route, nous nous sommes arrêtés à la Roche-Chalais, à l'extrémité Ouest de la Dordogne.

Au Maine-Giraud, Nous avions elle et moi, ma femme véritable, passé plus de temps à écouter le cours du vigneron sur son cognac et son alambic de cuivre qu'à ressasser nos émotions littéraires. d'en haut je vis le chai contemporain où se distille encore la fine qu'il vendait. Pas de guide. On laisse le visiteur impunément errer, songer sur manuscrits et parchemins portraiturés d'époque. Mais la distillerie, à bien des exemplaires ici, nous fut doctement commentée, car la grande affaire du Maine-Giraud, c'est le cognac. Vigny veillait sur son cognac. Fort mal disent certains. Rude gnôle. Rude poète, estimé par ses pairs de Paris, mais piètre gestionnaire.

Dénonciateur, Vigny, d'un prêtre réfractaire afin d'avoir ses bénéfices, tandis que ce dernier crevait en déportation ; tout poète cache son salaud. N'est-ce pas...

Certes pour ce cognaquier le précieux liquide équivalait aux productions de Vigny, dont il ne se souciait guère et qu'il eût été incapable de nous réciter d'un ton pénétré, tandis que nous nous serions signés sur nos prie-Dieu. De quoi comprendre a contrario la possibilité des plus sublimes inspirations dans ce méchant réduit ; de cette ouverture monacale Vigny voyait son chai à vin, si négligé : il gérait mal ses vignes. Cette maison de hobereau n'a pas varié depuis sa naissance, tracteur et courant exceptés. Face au plus beau paysage du Vivarais m'étaient jadis revenus à l'esprit, en régurgitation acide, les pires méditations misogynes...

Tandis que d'autres vont au Sénégal, notre exotisme financier nous limite à la Charente. Nous avons commandé deux grands crèmes, pas trop chers. Nous avons erré sur l'esplanade de la mairie, dominant la Dronne qui serpente. Nous avons admiré une maison bourgeoise aux vitres cassées juste sous le pignon : abandonnée. S'il nous échéait une telle maison, nous ne quitterions plus le village. Il faudrait transporter avec nous nos amis, notre petite famille : ma Phame ne peut vivre, coupée de son environnement humain. Il me suffirait à moi de quelques gros rayons de bibliothèque et d'une tripotée de disques... mais je me vante, sans doute.EDITE SUR MON BLOG 58 08 11

MAUSSAC 15/16 04 2051

 

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Toujours m'imaginer ce que je ferais si je devenais libre, non par décès mais par recasage. Aucun style. Cacophonie absolue. Le type même de l'acrobatie aragonaise. Je suis parti. Je suis revenu chercher mon pyjama, puis mon peigne. « C'est un gag. » Oui. Sitôt que je renie ma faiblesse, elle me rattrape. Le saut à l'élastique : pareil. Plusieurs rebonds, plusieurs rechutes. D'abord tracer. Une borne "super" en dérangement. Une autre en fonctionnement, à Lormont. Un gros Noir mal rasé à double menton. Désirable, comme tous les Noirs. Tout de même il y a une limite.

Et de rouler, rouler vers le N.E., avec des rafales de bavardage. Bavard, moi ? Annie l'affirme. Pires que moi : Lauronse, Véra. Je ne pensais pas que ce pût être perçu comme inconvénient. Als Nachtrag. Un petit chemin, qui monte et qui descend, entre les arbres qui n'ont pas encor retrouvé leurs feuilles, nous sommes à la mi-avril. La seule différence entre Favretto et moi, c'est qu'elle se prend pour quelqu'un de modeste, alors que mon génie est une forme de véritable modestie : je souhaite à chacun d'être génial. Et quand je suis revenu à ma voiture, en plein soleil, sur un parking de chasse, j'ai appris un rôle de juif, celui peut-être de Primo Levi, ça y ressemblait, puisqu'on parlait de l'I.G. Farben à la Buma.

Ce sera très chouette, surtout si je joue

"Les femmes gueulaient dans les camions

" J'veux pas y aller j'veux pas y aller

" Mais quand on y est arrivées

" Ça sentait le poulet grillé !

" Le SS s'est mis à gueuler

" Arrêtez de brailler comme ça

" Du gaz pour tout le monde y en aura"

" Les flammes montaient jusqu'au ciel

" Tant pis pour nous tant pis pour elles."

Le soir tombe. Je n'ai pas rédigé ma journée. Ça divague terrible. Je me suis retrouvé sur la bretelle d'évitement au sud de Périgueux, vaste balafre sans possibilité d'évasion ("carrefour bloqué" – "carrefour bloqué") Ste-Marie-de-Chignac St-Pierrre-de-Chignac, la grande surface dans les gravats, portant le nom d'un ruisseau de là-bas, pris un petit bonbon Total, un sourire du serveur. J'intimide désormais (mon âge). Tant mieux. Jadis je prenais des mines. I was self-conscious. L'air de dire : "Je suis bon, là ?" Ridiculous.

 

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Crépuscule extraordinaire sur les pins, avec une toute petite bagnole grise toute penaude d'être abandonnée, en contradiction avec le paysage, ma démarche de génie mes pensées parasites, plus qu'assez des "profils bas". Toujours modeste toujours modeste – merde ! Puis, recherche d'u cybercafé pour Pascal Tarche. A Thenon, il n'y en a pas un. L'agglomération forme goute suspendue à la N 89 : tel est Thenon, je vois le panneau "Gabillou 9 km". Cette fois-ci je n'y vais pas. Des ploucs ont revendu la propriété de Thérèse Plantier, éparpillé tous ses papiers. Robin Morlot s'est suicidé après la mort de son amante, de trente ans plus âgé que lui.

Je revois la mine gourmande de Robin Morlot, me faisant goûter du fenouil. Pierre-André le nommait "Larbin Roblot". J'étais fou. Tout ce que j'écris est grand. Is great. M'en souvenir. Le matin, je suis allé à Ussel. J'ai demandé un photographe. Un brave homme ne peut me renseigner. Je trouve par moi-même. Je bavarde sur mon incapacité à placer la pellicule. Jusqu'à La Courtine, je cherche les hypothétiques baraquements servant de bordels à soldats, et qu'on m'avait décrits ; rien, que du paysage. Des routes en impasse : ce camp est une verrue.

Halte à Poussanges. Une montée, une descente : d'abord dans une prairie, où le sentier se fond. Remontée vers la bifurcation. Redescente dégringolante cette fois parmi les arbres morts et blancs, les souches, des bidons, et une balle d'enfant, sur le côté. Ma règle de vie est de marcher 20 mn dans un sens, 20 autres dans l'autre. La pente de retour est forte, je souffle, et transpire au point qu'arrivé à ma voiture, il me faut d'urgence changer de chemise, elle empeste. Je me demande ce que deviennent tant de textes entassés de génération en génération dans les familles.

Ayant lu les premières manifestations d'insolence littéraire de Voltaire, cherchant en vain des traits de ressemblance entre lui et moi, j'ai tourné pour finir la clef de contact et suis parvenu à St Georges de Nigremont (j'appris plus tard que deux frères mérovingiens avaient ici même failli en découdre), cornet de glace inversé. Les maisons de pierre du Massif Central toujours majestueuses, définitives : des caveaux habités. Et sortant d'une fenêtre, un mauvais rock et d'exaspérantes voix de djeunzz inconscients de l'endroit où ils vivent.

Je descends au cimetière, extrêmement déclive, surprenant au dos des tombes alignées, dans ce couloir, de vieux pots que je photographie. Je parle aux morts, caressant leurs photos, dont l'une ne souriait pas, car on mourait encore dans ses soixante ans, dans les années 65. .. La préhistoire en somme... Jeune homme mort le 28 août 78 à 16 ans, cheveux longs, regard creux, pomme d'Adam saillante, le tout déjà d'un vieux, "depuis que tu es parti mes larmes n'ont jamais MAUSSAC 15/16 04 2051 3

 

 

 

 

cessé de couler" dit la mère, "Pourquoi à vingt ans" avais-je lu sur la tombe ignoble d'une jeune fille de Chantonnay (Vendée) (indépendamment de la catastrophe ferroviaire de 1958). D'autres catastrophes me reviennent en esprit. Que deviennent tant de souffrances humaines, ont-elles une âme animales et flottent-elles parmi nous et quelle est leur fonction car il faut nécessairement qu'elles en aient. Puis je suis reparti vers Giat. C'est lors que s'est produite cette extraordinaire crise de Fernoël, où j'ai gueulé par la fenêtre ouverte je suis libre ! Libre et j'emmerde la terre entière ! Plus de femme d'enfant ni de métier ! Je vous emmerde et ne reviendrai plus ! Libre ! Libre !" Mon Dieu faut-il que ce soit vrai pour que j'aie gueulé ainsi.

A Herment je dédaigne la petite épicerie style "et comment ça va-t-y la p'tite dame", je fais halte face au Puy de Sancy enniegé, halte à La Bourboule. Je n'achète là que de mauvaises choses, personne ne me connaît, virginité absolue, ma vie recommence avec la caissière...

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Le tracteur passe, le nuage fraîchit. (...) ...crois pas. Comment peut-on s'isoler lorsqu'on est in estren [sic] évêque. A moins qu'il ne s'agisse d'un isolement à la Marquise de Sévigné, 6 servantes par-devant, 6 louvetiers par-derrière : "Quel bonheur ma fille que cette solitude !" La solitude ne me vaut rien. Lâché en 2012 en plein Paris sans possibilité de contact (vivant dans un appartement prêté), j'avais vite perdu pied, apostrophant les passants dans ma langue, sans qu'ils y prêtassent (pour l'instant) attention, téléphonant même à G. sans savoir que lui dire, m'abstenant de visiter tel ami dont il m'avait donné l'adresse, crainte de devoir parler.

Ou de passer pour un con. Ou pis encore de l'ennuyer. Je voudrais vivre à la campagne "dans ma villa d'été". Mais jamais je n'aurai de villa de campagne, il n'y a plus que vingt étés. Trente si Dieu veut. Attachement de soi à soi. Désolé. (...)

Il n'y aurait pas de fin à mon errance. J'aurais avec moi mon ordinateur portable. Je parcourrais la France, l'Espagne et l'Allemagne. Le Portugal et la Suisse, assurément. Je téléphonerais aux êtres cher. Puis plus rarement. Nous nous estomperions tous. On se passerait bien de moi. Je me demande sans cesse ce qu' « on » me trouve. Jamais je n'ai pu éprouver l'efficacité de telles errances, n'ayant jamais dépassé la semaine. Qui de mes ancêtres a été colporteur ? Ou roulier ? Un de mes grands-oncles fut facteur. Chercher vers Lahaimeix (55). D'autres ancêtres paternels transportaient de grosses meules de comté, ou d'énormes grumes sur des lits de chaînes.

Mais je ne veux ni clients, ni autres contacts humains. Je ne tolère que les fournisseurs : pompistes, hôteliers, restaurateurs. Assurément les gens sont très aimables. Pourvu seulement qu'ils soient payés.

 

HOTEL DE TIQUETONNE 52 03 31 / 01/4

 

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Silence d'hôtel. Perdre pied d'avec le monde. Echappé à tous. Ce que j'aurais pu devenir. Mort-né ? J'ai préféré la vie à la schizophrénie. Gagner ma vie. D'autres inventent des langues, des mondes - "Avez-vous acheté le dernier Atlas ?" - Blétébéléland. Je m'engourdis. Je dors (il faudrait desphotos de cela).

 

 

01 04 2052

Déstructurer le langage, parler par langues, dessiner des cartes : perte ou menace, de l'espace, de la pensée ? A 14 ans j'eus le réflexe salutaire d'aligner le temps de ma planète sur celui de la terre elle-même et ne puis donc présumer de ce qui se fût passé par la suite. Asile ? Douloureux épisodes de confision mentale ? Au lieu de me documenter (...)

 

CHAPITRE DEUX LA CHAISE DIEU 13 06 52 1

 

 

 

 

Ma vie ne sera plus qu'une errance, que je voyage ou non. C'est ainsi qu'il convient de la concevoir. Le six juin deux mille cinq, je suis parti le matin. Une ligne de bus conduit directement de chez moi à la gare. Je ne me souviens plus de cetrajet. Il n'y avait en moi aucune exaltation. Avant de prendre le train, j'ai acheté « Marianne », qui portait en titre « Rébellion », en grosses lettres rouges. C'est la triomphe des adversaires à la constitution européenne. J'ai voté oui, mais je ne sombre pas dans le défaitisme. Dans mon wagon, une jeune fille à petite poitrine occupe le siège à côté du mien, contre la vitre.

Le nombre de jeunes filles que je rencontre dans mes déplacements tient du prodige. Celle-ci s'est enfoncé un écouteur dans l'oreille et ne me prête nulle attention. Vers Périgueux, arrivée d'une jeune femme, ving-cinq ans à peu près, dépucelée celle-là. Elle semble tout à fait décidée à s'asseoir à la place de ma voisine, qui occupe le numéro 13 au lieu du 23. Cette dernière émigre juste en face, et je lui succède, sur l'empreinte de son cul. La vieille jeune déclare en effet : « Je vais encore être désagréable, mais le côté fenêtre, je ne peux pas. » Qu'à cela ne tienne, je me colle à la fenêtre.

Ma nouvelle voisine se plonge dans des articles de revue, sur le chômage peut-être, ou une frivolité de ce genre. Les deux antagonistes descendront à Limoges. Toutes deux feront l'obket de mes interrogations sans relâche : à quoi elles pensent ; de quoi ont l'air leurs corps respectifs, que j'aperçois par les échancrures des manches, à la taille lorsqu'elles se penchent, révélant l'élastique du slip. Je m'imagine découvrant progressivement dans le déroulement des blanches étendues de chair la survenue du cratère aplati qui leur tient lieu de sexe. Savent-elles à quoi je pense ? Je ne suis plus qu'un vieux, j'apprends à ne plus regarder personne dans les yeux. Ou plutôt je poursuis cette excellente habitude.

Plus tard, sur le long trajet ponctué d'arrêts qui me mène à Clermont, je m'occuperai. Je n'aurai nullement détrompé ceux qui pensent que tout est réservé. Restons seul. Sortons de nos bagages ce petit jeu d'échecs à pièces magnétiques, qui intrigue une autre jeune fille. Elle racontera cela le soir en arrivant ; et comme j'attire son attention, la voilà qui se pose du vernis à ongle, une âcre odeur se répand. Elle n'a pas été en reste. Il paraît que tout le monde veut faire l'intéressant en train. Je l'aurais bien fait en 1958, lorsque nous partions tous pour Tanger. Hélas, une bande d'excités se répandait en propos bruyants :ils s'installaient encore plus loin, à Fez ; je n'avais plus qu'à fermer ma gueule, et à la faire. Ils s'en sont aperçus. Que je la faisais.

A présent je monte dans la navette St-Germain-Clermont. Il y a encore une femme, de cinquante ans, portant à la fois sur son visage l'angulosité des cinquante ans et la sportivité des

quarante engloutis. Je crois que je sais m'y prendre avec les femmes : il suffit, après leur en avoir demandé la permission, de les prendre par les épaules et de les serrer très fort. Ensuite, elles vous emmènent chez elles et leurs étreintes sont torrides. Même à Clermont-Ferrand. Mais que diable, mon billet porte "Brioude". Il serait hors de question que je remisse en cause mon évasion pour un risque. Et me voici à Clermont. La petite ligne de Brioude est super-équipée, un véritale petit bijou de navette.

Le contrôleur me dit quelque chose que je ne comprends pas. Je fais un signe circulaire autour de mon oreille. Il a dû me dire : "Vous occupez deux places et pourtant nous ne vous en faisons payer qu'une". Exact. Je me suis un peu étalé. Deux très jeunes filles devant moi. La ligne de leur nuque, cet espace infiniment doux sous l'angle de la mâchoire, où l'on voudrait déposer des baisers sans fin. Une autre, en face. Les deux qui sont devant moi se parlent en écoutant un portable où s'est enregistrée une de ces petites ritournelles en vogue. La plus jeune a douze ans. Elle montre à sa copine, à sa sœur ? Une carte d'anniversaire avec des dessins d'enfants, des petits cœurs. Elle croit encore que tout le monde est gentil, surtout ses parents.

Elles descendent en cours de route, s'assoient sur un rebord de ciment au pied d'un transformateur. D'heureuses personnes viendront les chercher, pour les renfermer dans leurs jalouses familles. Je crois que je voyage pour admirer une immense quantité de jeunes filles avec lesquelles je m'invente une infinité d'histoires à la Nabokov. Pourtant je déteste Nabokov. Je le trouve surfait, niaisement diabolique, parfaitement plat. Bon... Tous papiers signés, je me suis dirigé vers un parking centre ville (après une erreur dans une cour gravilllonnée), hoquetant de mon ignorance des passages de vitesses. Passée une zone de travaux bien bruyante, et parqué enfin, je suis monté vers la cathédrale. C'est juste en face du Grand Séminaire.

Figurez-vous que l'on célèbre, de temps en temps, au Puy, un jubilé, chaque fois que le jeudi de l'Annonciation coïncide avec la veille du Vendredi Saint : du début à la fin, saisissant raccourci de la mission du Christ... Une vraie démarche à la Léon Bloy. J'ai vu trois prêtres se suivant en grand apparat d'aubes et d'étoles. Je ne me souviens plus de cette visite. Il y avait des rues qui descendaient, c'était du pittoresque, assez convenu sans doute. Je m'attarderai davantage sur un incident prouvant ma stupidité, car j'en raffole. Sur la place du Puy face à l'Hôtel de Ville, après avoir évité un gitan roumain qui en voulait évidemment à mon pognon avec un journal à la main, je fais connaissance avec ma voiture de location.

C'est la première fois que je possède des vitres à ouverture automatique. Mais je ne sais pas les refermer. Il faut éviter le gitan, qui ne manquera pas de me reharceler. J'avise un quinquagénaire avantageux, avec moustache blanche, très séducteur, homme à femmes. Et que j'ai déjà vu à la télévision, j'en jurerais. Il me montre le mécanisme avec étonnement. J'appuyais au mauvais endroit. Il croyait peut-être en une drague homosexuelle. Je m'imagine toujours environné d'homosexuels. Croire que ça me rassure. Et me voilà parti vers La Chaise Dieu, ça monte, les forêts de sapins se succèdent. Ma seule émotion est de me figurer, au sommet d'un pli de terrain, que j'aperçois le petit bourg.

Il n'y a pas d'émotion en moi. L'hôtel ridiculement intitulé "du Monasmus et Termitère" se présente à moi dès le pemier virage. Toute sa devanture, à l'extérieur, est occupée par des sculptures de champignons en bois d'environ soixante cm de hauteur. Manque de goût puéril. Je me dirige à la réception, où une femme interrompt une conversation pour me recevoir. Je dis avoir réservé quatre chambres - je rectifie aussitôt : une chambre pour quatre jours. Sansle j, ça fait "ours". Je suis le seul ours. C'est alors que je m'aperçois que la chambre en question, comme une série d'entre elles, ne correspond pas au label deux étoiles : pas de fenêtre, une simple tabatière avec vue sur le ciel, une dimension riquiqui (mais je m'y attendais).

On s'était bien gardé de me préciser cette absence de confort sur le site internet. Mais je suis si content malgré tout d'atterrir dans une petite boîte blanche très lumineuse, rien qu'à moi, qie j'acquiesce. Les prix sont d'ailleurs triplés pour la durée du festival, fin août. Des musiciens ont dû se branler là, le lit est à deux places. J'ai dû m'étendre d'abord, puis aller me promener vers l'abbatiale, en prenant par le haut, par la nationale. Nous étions le 7 juin, il faut que je consulte le carnet. Voici ce que j'y ai noté : le hall de l'hôtel et du restaurant est couvert d'inscriptions comminatoires et discriminatoires.

Les chambres sont à prix réduit pour ceux qui passent ici au moins trois jours et qui acceptent de dîner au restaurant. On est prié de ne pas faire trop de bruit après 22 h. Et ceci, et cela.

Surtout, deux articles affichés là sont lus par moi in extenso. Il s'agit de la carafe ou du verre d'eau fournis à la demande par le restaurateur en sus du café ou du repas. Ce verre d'eau n'est pas obligatoire, nous prévient-on. Il s'agit là d'une coutume italienne, qui n'a pas lieu d'être ici. Certains ont même facturé la carafe 5 francs ! Le tout accompagné de rappels de jurisprudences à propos de procès engagés à ce sujet. Eh ben ça ne donne pas envie de manger ici, bien qu'il soit précisé que l'eau est fournie gratuitement.

On rappelle simplement que ce n'est pas obligatoire. Et qu'il ne faut pas prendre les hôteliers pour des esclaves. Et que dans un restaurant gastronomique, le service ne peut pas être aussi rapide qu'ailleurs, qu'on y est débordé, qu'on doit fermer tôt parce qu'on ne peut pas ranimer le feu de toute une cuisine juste pour une table de bouffe-tard, etc. Je ne sais pas les ennuis qu'ils ont dû avoir avec les clients ici, mais ça devait être pittoresque. Ici, il faut saper pour assister au festiva - disons qu'une tenue de ville plus que correcte est vivement recommandée, voire des tenues de soirée.

Alors quelques snobs de Paris ou de Londres ont dû se prendre pour des importants méritant des larbins à leur suite... Je me suis donc rendu à l'abbaye, visite payante, examen minutieux de toutes les tapisseries, forme d'art que je n'apprécie pas particulièrement, mais je suis scrupuleusement la description du prospectus. Bon, une église, c'est une église. Toujours aucune émotion. L'âge. La Danse Macabre est dans un état de délavement inquiétant, il n'y a aucun éclairage, cela semble au-dessous du médiocre et du convenu. Enfin j'aurai fait mon boulot.

Au retour, passant devant la caserne des pompiers, je monte en marmonnant (je parle seul) la pente vers le Signal Saint-Claude, sous le soleil. Je me sens âgé, fatigué. Le sommet n'existe pas, c'est un sous-bois clairsemé de fougères détrempées, je m'assois sur un banc. Je m'étends sans doute, comme je fais souvent en voyage, comme ma femme le fait en temps ordinaire chez elle. Je lui envie de pouvoir s'étendre ainsi à tout bout de champ pour "faire le point". Et je veux faire quelques provisions au super-marché d'Arlanc, Puy-de-Dôme, en bas de la pente, comme m'y a invité un panneau publicitaire.

Arlanc est un bled quelconque, fourmillant de panneaux annonciateurs de ce fameux supermarché, mais tellement mal conçus que l'on rate sans cesse la bonne rue. Je tourne dans le village.

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Ici à Saint-Bertrand au sein d'un autre moi sans télévision j'ai visité la cathédrale Communion des Saints c'est cela, écrire est entrer dans la Communion des Saints... Je me suis assis côté nord et cloître au pied d'un portillon revêche et rouge affligé d'un digicode. Sont venus deux hommes devant qui je me suis levé, j'entendais très bien l'orgue à travers le bois, « C'est une répétition » leur dis-je, ignorant si l'on nous laisserait entrer. Sont venues des femmes qui sont entrées là sans difficultés j'ai pensé : Ce sont des choristes. Elles ont cinquante ans apassés, tant il est vrai que la voix mette des années à se trouver, à s'approfondir.

Puis elle se fêle. Et contournant l'édifice vers l'avant, je vis que le porche lui-même en vérité s'était ouvert et je rejoignis le groupe. Nous étions onze comme les apôtres après la défection de Judas et je tenais un paquet de courses en plastique. Un vieil homme chauve et tremlant mais résolu apporta dans le chœur, le seul but de l'écriture étant de vous mettre en prière, dans le sein de Dieu perpétuellement, et entre les stalles de bois vernies, un pupitre tenu à bout de bras à petits pas. Il nous adressa la parole, un état de conscience supérieure le plus permanent possible, à tous, tandis que nous siégions dans les stalles des moines (une aide les avait abaissées ; chacun sait à présent, que la petite pyramide inversée au revers du rabattant s'appelle une "miséricorde").

Le prêtre parla de la prière. Tantôt il s'exprimait, tantôt l'orgue. Il nous a dit que Saint-Bertrand de Comminges prédispose à la prière. Mais tout suscite la prière. La Grâce vient où Dieu veut. Vézelay, tout pur qu'il soit, m'a laissé froid comme une verrière de hall de gare. Le prêtre nous présente le bas-relief d'Abraham, et fait lire à son assistante, respirant la bonté, la Genèse au moment du sacifice d'Isaac. Il se demanda pourquoi le Père, le pied sur un crâne, tenait les jambes croisées ; je répondis sans y être convié qu'apparemment c'était la croisée des chemins. Il en fut satisfait.

Le crâne anticipait sur Golgotha, "la colline du crâne". Abraham sacrifie son fils unique, Dieu le fera du sien. Triomphe sur la mort. Il y avait dans l'assistance de ces demi-vieilles, de mon âge, émouvantes par leurs beautés éteintes si pathétiques, en couchers de soleil. Je les aurais prises par les épaules. Convaincues de se laisser aimer, vides écorces de bigotes où palpitent de flatulentes extinctions d'orgasmes (mettons "papillons frémissants sur leurs épingles"). Notre guide nous mena ensuite devant un Saint Jean-Baptiste de marqueterie, jouxtant un Saint-Bertrand. Il nous cita les Evangiles.

Et je vis à la dérobée une vieille fillette priant à genoux sur un siège trop haut, de ses deux petites guibolles trop blanches et jointes, la Sainte Vierge Mère. Puis écoutant de nouveau l'orgue à travers la porte latérale refermée, entendant que le prêtre se dirigeait vers moi, je me repliai HARDT VANDEKEEN ST BERTRAND DE COMMINGES 52 07 22

 

 

 

au pied des murs en direction du porche, où je pris l'atitude angélique de Vinci, montrant de mon index le ciel même. Le vieux curé se retourna, trébucha dans l'inquiétude : tant d'amour de l'orgue et de la pause ! Quand il eut disparu chez lui, je demeurai jusqu'à onze heures, pour que des voix de chanteuses de jazz ne m'atteignissent pas, qui sortaient à présent d'un café ouvert par les haut-parleurs d'une enceinte. Elles aussi cherchaient et louaient Dieu, par des routes si différentes. Il y a tant d'autres choses à dire, que je remets à plus tard, à jamais peut-être.

Me voici à trois heures vingt. Pas un instant de sommeil. Ce que je dis maintenant précède ce que j'e viens de raconter. J'avais hésité entre deux restaurants, le premier, de garçons, très préoccupés de parler à leurs connaissances, donnat l'impression que le client n'était pas indispensable ; le second, d'une seule fille, plus attirant malgré la laideur de son nom ("Chez Marinette"). Je me suis décidé pour la fille, prenant à moi seul une table de quatre. "La belle vue, c'est de l'autre côté, mais c'est comme vous voulez." Très juste ; le petit jardin donnait sur une vaste vallée, sur tout une perspective de crêtes, hélas gâchée par une grappe de tablées plus quelconques ou laides l'une que l'autre.

Franchement. Dîner avec, entre moi et le vaste monde, ces grosses gueules gélatineuses en train d'introduire dans leurs ignobles bouilles de gros morceaux de bosutifaille, non. Si ma serveuse eut insisté, j'aurais dit quelque chose comme "je n'aime pas être vu", elle m'aurait demandé – fantasmons – qui j'étais... Derrière moi une famille mélangeant le français, l'anglais et une troisième langue qui à mon grand désappointement me fut impossible à identifier, quelque chose de rude et de doux ensemble. Un petit garçon à longs cheveux bouclés et gros godillots jouait à manger.

Je me figure qu'on lui apprenait pour son malheur à devenir plus tard un de ces hommes-poupées que les femmes affectionnaient milieu seventies, de ces semi-impuissants qui se demandent en plein amour s'ils font du mal au corps de l'autre, comme on me l'a rapporté – pour cet instant l'enfant trottine, chipe une serviette et fait sonner bien haut sa langue, sans en omettre une merveilleuse syllabe, comme on le fait si l'on est sûr de ne pas être compris. Sa mère lui répondait plus doucement, en femme d'expérience qui parle sa propre langue sans avoir le besoin de l'exhiber, et rectifiait son fils.

J'ai bien pensé que c'était de l'hébreu, au mot "cacherout" que j'ai fini par distinguer. Je n'ai pas osé demandé ce que c'était. Ou je n'en ai pas eu envie. Lorsque j'eus achevé mon plat, et le HARDT VANDEKEEN ST BERTRAND DE COMMINGES 22 07 05 3

 

 

 

 

café, liégeois, énorme, dont ma soif ne fit que cinq bouchées et six aspirations de paille, je dis, jsute en me levant, comme un exercice en effet préparé de sang-froid, ce que je pensais exactement, car malgré mon dos tourné au panorama j'avais bénéficié d'un petit enclos fleuri entre deux haies : "Mademoiselle, votre sourire vaut tous les paysages", en bafouillant un peu entre les dents comme un qui n'a pas coutume de balancer de telles énormités. Elle s'est étranglée de rire et d'étrangeté, trois-quarts de seconde, puis s'est ressaisie et rendue sensible à mon compliment de vieux fou. J'aurais pu le glisser sous la soucoupe à chèque, mais je tournais ma phrase dans ma bouche, plus assuré désormais de ce qu'il faut avoir comme visage pour complaire aux femmes : un aspect de vieux beau indifférent, qui songerait voyons à cela aux heures du tocsin de l'homme, qui n'atteindra plus jamais le foyer de sa lance... Permanent spectacle que je m'offre à moi-même...

 

BERNARD COLLIGNON PETITE ERRANCE

MAULEON 55 03 23

 

 

 

Συκονομαι, πλυνομαι, ντυνομαι – je m'éveille, je me lave, je m'habille. C'est le “rite à soi-même”, avec force regards à la glace, en pied. Je veux me contempler sans rien risquer. Il y a quelque chose d'obscène à ainsi revendiquer pour soi l'existence, l'obligation d'un risque ; de le définir, d'en faire la condition essentielle de l'écriture, le sine qua non, (“sans risque, pas d'écriture”), de le constituer en règle déontologique, d'en faire glisser la qualité en quiddité, d'en effacer l'accident au point de le confondre avec l'en-soi. C'est ainsi qu'on en vient, comme Leiris, à se demander à quoi “sert” d'écrire – toujours cette obsession de l'utilité”, de la servitude – et à préférer toutes les formes d'action à l'écriture, même la tauromachie ou l'engagement humanitaire.

Foutaises. Quand j'écris, j'écris. Je ne sais pas ce que je risque. Je risque probablement quelque chose. Mais il ne m'appartient pas de deviner, encore moins de définir ou de revendiquer ce que je risque. La mort, probablement, le temps, comme vous tous, qui “main crispée sur le stylo, marchez les yeux grands ouverts sur le chemin descendant au tombeau”. Je suis arirvé à Mauléon-Licharre comme un de ces voyageurs à faible rayon d'action du XIXe s. A chacun son budget ; le mien ne me permet pas de courir le monde ; ainsi ma découverte de Mauléon s'apparente-t-elle aux abordages d'îles lointaines pour d'autres plus fortunés ou plus audacieux.

Je voyage pour me voir aux glaces de tous les hôtels : M. Perrichon devant le Mont Blanc. Je prends le risque du ridicule. Découvrant ma chambre, élégamment meublée, j'ai éprouvé cette exaltation devenue modérée : l'âge ne me permet plus que la modération. Mais je continue d'affirmer, à l'instar de ce journaliste juif (Bernard-Lazare) : “Je ne me sens vraiment che zmoi que lorsque j'arrive enfin dans une chambre d'hôtel”. Nulle trace d'autrui. J'éparpille sans le vouloir, au gré de mes besoins soudains , toutes mes affaires au sol et sur le lit, où je m'étends bras et jambes écartés : tel est mon espace, je suis chez moi.

Sans souvenirs, sans bibelots, sans présence de l'autre, sans souci de l'autre.

 

Jour du départ, 10 octobre cinquante-six, à regrets, après shampoing, après ce bien moyen Jules Romains sous- Martin du Gard – Allory se souciant de son accession aux Quarante alors que Quatorze menace, un auteur graveleux présentant son manuscrit obscène et chatoyant, se fait payer, pas cher, puis prêter pour jouer au Cercle. Tout est besogneux chez Romains, superécrit, minutieux, fastidieux, jusqu'aux camaïeux gris de la peinture, lointain écho fané de la maison Vauquer, jusqu'au niveau où descendent les doigts le long d'une cuisse, et se demandant sans cesse pourquoi il n'accède à rien.

Je vois plus clair à présent, ma vie s'étant passée à bouffonner sur les papattes arrière, j'aspire les parfums d'automne à la fenêtre, entends le couloir à roues de la vallée d'Ubaye, et déjà devant revenir.

COLLIGNON ITINERRANCES

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Montpellier-Valence avec Ludivine, pro-israélienne convaincue, longue montée vers l'Hôtel des Châtaigniers, puis la redescente vers la nourriture, la boulangère aimable qui m'offre deux pâtisseries à jeter, la télévision tronquée d'Arte. Les manigances du pouvoir jetant du lest sur le "'bouclier fiscal" et l'ISF ? La branlette essoufflée sur trois lesbiennes soft – lesbiennes d'occasion ? Je suis assis sur un banc ergonomique, au ras du nez les innombrables moteurs à nu qui ahanent dans la pente, sous mes mains la sacoche allégée de ses livres et de son transistor crachouillant obligé ? Me voici, je remonte vers la ville lointaine, attrait des clochards et autres écolos, le ventre vide car le petit-déj' à 8 € ils peuvent se la brosser.

Hier déjà je rôdais aux alentours du Grill O'Machin, dégoûté par les prix de voleurs, suivi de l'intérieur par des regards avides, mais je me casse assez la tirelire avec un hôtel à 46€, plus 0,50 pour la taxe – ce qui est bien de la mesquinerie ; à Sarlat, j'avais même susurré "Nous avons usé beaucoup d'électricité hier soir", et l'hôtelier, bonhomme et con, m'avait répondu : "C'est compris,, Monsieur." Je devrai aussi faire imprimer ou photocopier, à Privas, ne serait-ce que dix recto-verso de mon bouffe-argent "Singe Vert", puisqu'il me faut poursuivre mon "grand-œuvre" (me poursuivent aussi mes trois femmes, la a première sans sexe, la seconde avec trop, la troisième occasionnelle mais sans enthousiasme ; je me méfie ; se souvenir de cette fillette de 12 ans, qui court se noyer, parce que sa meilleure amie, largement son aînée, avait confié à son carnet intime ses fantasmes et son amour lesbiens : soit une morte, plus une noyée.

Je poursuis ma montée vers Privas, que j'ai bien entendu appeler "St-Privas" par deux chauffeurs de bus, qui se sont relayés à Coux. Une défaite française je crois. La montée bruyante est semée de mémés précautionneuses à cannes (c'est un festival !) et rapportant chez elles têtes baissées leur cabas pauvrement plein d'une baguette et des repas du jour. Je passe ainsi par tant d'émotions faciles. Assis sur un autre banc, comme un vieux, parc des Récollets, en pleine atmosphère de plein ciel. Soleil dans le dos. Bouche pleine de fougasse aux olives. L'impression d'être salué dans cette ville où tant de hippies, d'intellos, sont venus se ressourcer. A la médiathèque, une si vieille dame affalée près de son mari dans le journal.

Ils se relèvent essoufflés, béats, octogénaires, lui sur sa béquille, elle à sa main, dans une immense tendresse d'amants moribonds. Par eux le monde est sauvé. Je lis "Le Point" et ses fausses révélations : qui détient la vérité ? les vieux amants. Je marche lentement, trimballant mon théâtre interne. Vent léger, pépiements, moteurs vagues. Dans l'église, un curé faisant faire le tour du COLLIGNON ITINERRANCES

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bâtiment aux jeunes catéchumènes, deux femmes en flanc-garde ; il explique les stations du chemin de croix, les bénitiers asséchés où l'on trempe le doigt comme on se lave les mains avant une réception. Il se dégage une grande simplicité. Tant de douceur peut-elle endoctriner ? "Si tu as entre 7 ans et plus, demande à servir le Seigneur à la messe" – pas de limite d'âge. Bernard Debuire faisait l'enfant de chœur à 14 ans. Je ne l'ai remplacé qu'une fois – Passe derrière moi – génuflexion – burettes – pauvre et admirable abbé Brûlé ! Aujourd'hui j'escalade la pente des trois croix ; le Saint-Esprit est le seul Dieu : "Esprit Saint, je te dédie ma journée".

Ma comédie d'alors devenue vraie. Tout Privas m'aura vu écrire sur des bancs. Un jeune homme à minuscule couette occipitale. Un monument. Trois messages à mon oreille. Muni d'un plan, je ne me perdrai plus. Adorable petite vieille à voix pointue, élégante, malicieuse : "Viens ma Mimine on ne va pas te faire de misères. - Je vous l'envoie, elle est sous la voiture !" Les vieilles, les chats, Baudelaire, une Turque ou Gitane tapotant la tablette d'un téléphone public, l'enfant s'ennuie en attendant, que peuvent-ils bien avoir à se dire de si loin, j'ai vu passer bon nombre de jeunes femmes décidées, souriant au nouveau vieux que je suis devenu. Comment ai-je pu vivre en les détestant toutes.

Vaste coup de sirène, il est midi, les échos sonnent de toutes parts, une femme de 0,70m trottine dans la descente. Quatre coups de sirène, cinq. Le son s'aggrave à mort, s'éteint en grondements de bombardiers. Le gosse imite les tirs de kalach. Femmes, courses, odeurs de poireaux. Angélus : Ave Maria, gratia plena, Dominus tecum – je l'avais aussi noté en grec dans une

chapelle d'Entre-Deux-Mers. Depuis Louis XI résonne en l'air cet appel au divin, Louis XI à Belloc parmi les SS PP de l'Eglise. Femmes épanouies, infantilisées, sacralisées. L'Angélus meurt doucement, tiré à la main comme une branlette d'enfant de chœur. Le parc est un lieu solitaire où mangent sur les bancs les femmes solitaires ou en trios, brave France profonde entourée de buis ou de cupressus, rires charmants, attendrissement sénile.

Face à moi, un vieux dévore à la cuiller un pot de miel. Sur le chemin je poussais mon cri de Tarzan, la quatrième vieille se marrait, n'ayez pas peur, ça défoule ! Parler, se découvrir. Ce que je dois faire pour attirer les bonnes grâces. J'entends parler allemand puis français, les mêmes femmes, richtig disaient-elles, amour éternel soudain tout rongé comme un arbre à l'écorce vide, aurais dû, aurais pu, nouvel amour où je me suis rué vent debout, je parviens à ma chambre par le raccourci du plan, la fille la plus grosse en rouge rit le plus fort tirant le chien en laisse, viens c'est l'heure.

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Si Dieu un jour veut que je grandisse, le monde des Fous tremblera. C'est le sort qui me parachute près de la Maison d'Arrêt que j'ai longée, s'imaginer que la Berbère ou Turque s'entretenait avec son prisonnier, son enfant s'ennuyait à longueur de quarts d'heure et crachant d'abondance, jeté sur ses pieds par la sirène, conserve bien ce carnet, Brocanteur. Je suis monté au grandes croix de Montholon, la carte et le journal en main, d'un pas lent. Le long d'un portail paissaient quelques vieux, avec un long boa fourré, briard et saint-bernard, qui aboya à mon approche. Montée, descente.

Ce matin rue de l'Ouvèze j'avise un chauffeur tout jeune et tout désemparé : "Le ¨Pôle Emploi ? - Prenez-moi, vous me raccourcirez la route. " Et je suis du doigt sur mon plan : "Tournez là. Puis là." Il avise des passages de profil par une trouée : Prenez Route de Chomérac il le fait puis s'arrête sur le bas-côté Je l'ai dépassé, je l'ai dépassé ! Le candidat pue sous les bras, très fort. Je le persuade d'au moins gravir toute la pente, il a repéré le rond-point, se confond en remerciements J'ai rendez-vous à 13h 30 il en est treize, Je vois le panneau ! - Déposez-moi ici tout de suite et Bon entretien d'embauche ! Chambre 423 jusqu'à samedi. Repos, repas, sieste, redémarrage, dur métier, redescendre et gravir, contourner cet immeuble qui surgit là, l'herbe est épaisse, les buis pour finir me barrent le chemin.

Compter ses pas dans la pente. 120, 130, s'arrêter, inspirer bien à fond, douze ou quinze fois, tout marche par nombres, 66 ans dans la semaine. Un vieux matou gris qui s'esquive, je grimpe, contourne un sanctuaire vide. Un jeune homme me précède lestement, sa tête émerge entre les pieds de croix, Esdras, Jésus, Gestas. "Tu seras avec moi ce soir au paradis". Bien cadrer mes prises de vues. Pas d'émotions. Paysages comme j'attendais. Glissade sur herbe et cailloux, le corps n'en fait qu'à sa guise, je m'appuie sur la main, me laisse aller dans la descente, place aux Bœufs, vers l'imprimeur bœuf utile du moins. Nous disons donc 10 recto-verso, cela fait 4 €. Bâtard. Le nombre d'heures où je dors me tue.

Ne renonce à rien, pleure, profite, nul ne t'attend tu ne dois rien à personne. J'ai montré ma sacoche à poignée menacée, non, ils ne font pas cela – fausse question qui se voulait spirituelle. "Chacun son métier. - Mais il faut être polyvalent ! - Bien sûr. - Ma fille dit que les petites annonces exigent ces polyvalences. - Mieux vaut cela que d'être à la chaîne en usine" – polyvalence oui, mais dans le même métier, madame ; seulement, 4€ pour 10 r°/v°, c'est de l'arnaque. Redescendre vers l'Ouvèze, se tordre les pieds sandalés sur des cailloux trop ronds alors qu'il suffirait de passer par en COLLIGNON ITINERRANCES

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haut. Décrire mes courses ? Décrire mes courses à Monoprix ça t'intéresse vaiment, mon Brocanteur ? Que je tire un chariot à ras du sol, que j'entends une mère et sa fille corpulente qui s'engueulent au-dessus des fruits, que je demande en contournant la grasse caissière "Comment faisons-nous pour comprendre les numéros de la balance ? - C'est nous qui les pezonzencaisse", elle a le bac, tartecrémeuse, une sexa fait claquer son Kaugummi, je la vois tête à claques à 13 ans bonne branleuse de chez branlomane (splendeur à couper le souffle des phalanges aux ongles sales triturant le clite hélas sans l'odeur), et voici que le lecteur de carte s'emballe, on relance le tout, la petite boulotte achetait poour son chien des boîtes de viande du pays, elle paye en liquide.

Laissant tomber quelque chose qui roule vers elle, je dis "Excusez-moi", elle : "Ce n'est pas grave", comme elle l'a entendu dire, jouant l'adulte, responsable de son chien. ("Nous voulons bien que tu aies un chien, mais tu t'en occupes, frais de bouffe, etc.") - et de payer ses boîtes en liquide, mais voici que la mère n'a plus de provision, veut payer en deux fois, "Adressez-vous à la direction" – c'est trop long, elle payera demain caisse 3, et comme on n'est pas des brutes entre femmes à Privas, elle repart avec le contenu de son Caddy. Je remonte à l'hôtel avec mon sac d'où passe une baguette.

Dans ma chambre j'étale tout, me mets en pyjama (d'abord torse nu, admiré plaisamment du balcon par des Boches, puis totalement déshabillé), lis mon Canard en riant, reçois un SMS de Sonia qui me demande de ne pas trop acheter de chips ou de fromage, mais des fruits, (quatre clafoutis "La Laitière" engloutis d'un coup à la grosse cuillère), j'efface Renaud Camus pour ne pas me faire enculer, remplace par Gourribon, l'ami absent, son fils fou, sa femme folle – que se passe-t-il ? désamour ? catastrophe ? Tu es débordé ? - puis à 19h 20 j'appelle ma femme. Fournis mon numéro puis raccroche. Ellle me rappelle à mon hôtel.

 

 

BERNARD COLLIGNON PETITES ERRANCES 53 12 08

LAON 1

Ce que ça fait du bien... C'est fou... Seul très loin dans une chambre d'hôtel... Je me retrouve dans cette ville d'enfance que je n'ai jamais vraiment connue, hors deux ou trois itinéraires... Les remparts, le vent, le ciel chargé... Le Lycée de Garçons, massif et rouge... Reprenons... Nuit agitée, prise de bus à Bordeaux-la-Glu, 7 h 25... Je n'en pouvais plus. D'être enfermé à vie sans issue, sans perspective – je me fous de ma perspective. Dans le bus, je m'inquiète. Dévorant des yeux à la dérobée tout ce qui est femme, sans être l'objet du sondage (« Prenez-vous souvent cette ligne ? » ) - la sondeuse m'évite ?

Arrivée dix minutes avant le départ, et couru pour la voiture seize, au-delà des deux motrices centrales. Et là, horreur : une fois de plus places de salle, entendez quatre mecs face à face, dans moins de 2m², à touche-coudes, à touche-genoux, à touche-gueule. Chacun des quatre gentil, indifférent, mais l'un dans l'autre, à ne pouvoir mouvoir un pied. Alternativement, je lis Valerius Flaccus, regarde le paysage, puis feins de somnoler. Impossible d'échapper au sandwich de l'Agenais d'en face, tout comme j'espère bien que le jeune 15-25 ans de biais aura pu voir ma carte de visite de Chevènement qui me sert de remarque... le maire de Belfort m'a-t-il lu ? juste une partie (astuce connue), pour me répondre sur un point précis ?

Valerius Flaccus toujours en proie à Liberman, commentateur, cuistre de renom dans son cercle de cuistres... Enfin Paris, le métro, les innombrables femmes croisées... J'oubliais qu'en train, n'ayant que cela à faire, je découvris seul comment éliminer des photos sur mon portable, et suis tombé sur deux gros plans de Terzieff, pris par Anne elle-même en direct. Gare du Nord je m'embarquais pour un peu vers Londres, j'attends une demi-heure la rame de Laon – je repousse deux mendigotes organisées, ne sachant plus du coup moi-même ni français ni anglais – voulez-vous bien me laisser mes Twixies ? merde alors... Départ quai 20. Une vieille machine déglinguée, un contrôleur polonais titubant dans la ferraille et, à l'entrée du tunnel de Verzy, une inscription en lettres dorées, tombales, pour bien rappeler la mémoire des dizaines de morts sous son effondrement (juillet 77).

Jean-Pierre L. y périt, sa sœur Annick en demeura paralysée. Une autre femme expira au petit matin, plongeant les pompiers qui découpaient autour d'elle depuis des heures dans les larmes. Personne ne peut déchiffrer l'inscription : le train va déjà trop vite. Et le tunnel n'a pas été détruit comme on l'a dit. Les villages se succèdent, Margival, Anizy-Pinon. Enfant, je les entendais prononcer, terres lointaines en ces temps-là où la circulation n'existait pas, confiné que l'on était à ses pieds ou à sa paire de pédales ; seuls Monsieur le Maire et les riches possédaient une automobile. Je vois enfin la cathédrale de Laon, qui se détachait jadis sur l'aube depuis le tan-sad du scooter paternel. Une fois le ciel était vert. Quand un prof m'avait collé, mon père devait se farcir un aller-retour supplémentaire : puni comme moi. En sortant du train, je ne me souviens plus si la gare se trouve au nord ou au sud de la ville... « Sortie ». « Avenue Carnot ». A l'hôtel Welcome, un gros ivrogne me reçoit, me loge au n° 3 (tout est en réfection), puis, se ravisant : “Prenez la douze !” Sa femme est slave, il l'appelle « la Russe » ou « Magdalena », elle gazouille avec un accent merveilleux qui donne une irrésistible envie de vieille galanterie. Elle avale ses mots, chante, roucoule, je lui parle en russe, elle s'évente de la main : « Je ne peux vous rrrrépondrrre... Je suis choquée » - (« émue » ?) Je ne recommencerai plus. Le mari se met à me tutoyer. Certains hommes choisissent leur partenaire sur catalogue de femmes de l'Est, ensuite, peut-être, corvéées à merci - prêtes à tout pour fuir la misère ?

Est-elle battue ? je ne suis pas à l'intérieur de ces femmes-là. Je m'installe, télé, frigo, 30 euros par jour et repos. La première chose à faire est de repérer un cybercafé. « Au centre, sur le plateau », me dit un passant – c'est vrai, je m'en souviens, on dit « le Plateau » de Laon. Montée coupe-souffle de l'escalier municipal, station à chaque volée de 20 marches, de plus en plus longue, atteinte enfin de la vieille ville – vagues réminiscences d'il y a 50 ans – ou 30, mais 76 a sombré dans l'oubli. Je trouve ce cybercafé. Un jeune homme charmant, j'entends qui me charme, au point de me faire minauder (je me retiens de justesse, craignant de passer pour une vieille tante) m'ouvre une boîte de dialogue, et dès 18 h je peux envoyer Marine Le Pen à l'éditeur.

Je ne suis pas venu ici me délecter comme à l'accoutumée : je dois travailler deux heures par jour à ce fameux répertoriage des femmes politiques. Je me souviens à présent des circonstances où j'entendis un accent si chantant : c'était celui de la Koleva ; ma Russe est une Bulgare. Les Bulgares comprennent le russe, mais utilisent une langue à eux. Après le téléphonage d'Annie, après les informations, après Trois mariages et un enterrement, je suis allé me promener de nuit, sous la bruine, et suis redescendu par l'escalier : dans les 300 marches. Puis j'ai allumé la télé, pour voir la fin de Thelma et Louise... FIN DU NUMERO SINGE VERT 85

 

BERNARD COLLIGNON PETITES ERRANCES

MOULINS (54 07 05) 54 07 10 1

 

 

 

Envie de changer d'air tout de même. Pourquoi diable avoir voulu que les prolos lisent ? S'instruisent ? Qu'est-ce que vous voulez que j'en aie à foutre de votre passé simple ? Moi plus tard j'veux conduire des camions ! Signé Sattanino, classe de 5e . Eh bien conduis des camions, connard ! Bon. Je pars à 9h 1/2. Je m'escrime jusqu'au bus. Avant il a fallu que je me farcisse un baiser sur la bouche. Je n'aime pas les baisers sur la bouche. Disons sur bouche mince. Il faudra bien tout de même que je trouve quelque chose pour me pimenter le corps. Moi ce que je veux c'est pouvoir être lu après ma mort sans rougir ni sangloter. Dans le bus j'apprends qu'il n'y a pas moyen de dépasser la Victoire.

A pied, allez, en tirant ma tirette. Dernier arrêt en bus tout de même, sans payer. Un train. Mon voisin est un cheminot de ch'Nord qui aimait parler. Il m'a dit « Ça s'remplit ». J'ai pensé que lui avoir fait la gueule jusqu'à Angoulême ça suffisait. Des banalités mais tant pis. Il venait de Marle. Marle-Marly-Gomont ça ne fait tout de même pas 50 km. Il avait bien des traces d'accent. Il fut étonné que j'eusse passé mon enfance entre Laon et Soissons. Mais je ne remonte plus jamais vers là-haut, ni dans la Meuse. Trop de misère par-là, surtout intellectuelle. Il a un peu tâté le terrain question Gitans. C'était moi qui avais commencé : un campement d'iceux avait endommagé la voie ferrée sur la ligne nord du RER – on parlait de la colère des passagers, mais rien sur celle des nomades qui brûlent.

J'ai fait croire que ma femme était de sang tzigane. Ça ne mange pas de pain. Mais j'ai serré la main de mon interlocuteur tout de même avant de partir, une bonne poignée de mains de gars du Nord bien franc. Il était aiguilleur, à l'ancienne, avec leviers, barres d'aiguillage et tout le tremblement. A S-Pierre-des-Corps, je veux me servir en madeleines : vide. Faux, c'est plein. En Bounty, c'est bloqué. Un légionnaire puant le tabac et l'alcool m'aide à secouer gentiment la machine. Ma pièce retombe, il me la fait remiser pour que deux barres se mettent à tomber : calcul juste. Il a refusé une barre, en disant : “Ouah l'autre, avec sa gueule d'abruti.” C'est vrai que j'ai une gueule d'abruti.

Avec mes cheveux longs et ma tête de naïf ; la veille une vendeuse m'avait accueilli tout esbaudie tant j'avais l'air de chercher quelque chose. J'ai marmonné, l'ayant dépassée : “J'ai l'air d'un con à ce point-là ? Connasse...” Connais-toi toi-même... Et cette fois-ci, les gens m'intéressaient. De St-Pierre-des-Corps à Nevers, que des jeunes filles, une pour chaque double place. Là où je me mets, ni vue, ni paysage. Plongé dans Strendhal, disons dans sa biographie. A Bourges pas mal de gens descendent. Je me mets à la place d'une garce, cette fois dans le sens de la marche, et m'aperçois que la gonzesse en biais de l'allée se trimballe un vélo monoroue – chouette, une enfant de la balle ! Donc pas une conne, malgré ses sourcils clairs et sa tête de vieill

e fanée. Lorsque nous arrivons à Nevers, la correspondance est ratée. Il faut attendre près d'une heure et demie. Réserver une place dans le Paris-Clermont de 18h 4. Une charmante employée nous distribue tout ça individuellement dans le hall de gare. Moi j'écoute mon transistor tout près de l'oreille. Pour avoir de la grande musique c'est duraille. Je vois le titre “La solitude de Ségolène Royal”. Szarkozy fait imploser le PS, le rendant complice de ses mauvais coups sociaux, mais prouvant du même coup l'inanité du discours socialiste, ou de ce qu'il en reste.

Les gens n'ont plus envie du discours socialo. Ils veulent tâter du Napoléon III, voire d'un peu de gloriole. Je vais me dégager de mon envie de parti politique. Bah, laissons faire. Un mendiant vu dans le train est venu me taper d'1 €. C'était demandé sur un ton si habilement humble que je lui ai répondu Wenn Du magst, auf deutsch. Et il a aussi récolté d'autres pièces dans la salle d'attente derrière moi. Bref, sur le quai, évitant un ravagé sur fauteuil roulant, j'ai rejoint ma place voiture 17 siège 44, faisant évacuer le jeune cadre qui s'étalait sur trois sièges. Un autre en face, plus vieux, puait la saucisse en dormant. Je n'ai pas dit de la saucisse. En face de moi, une femme, intelligente aux genoux serrés sous la jupe m'étalait au verso les titres du Monde, sur l'assouplissement des relations avec la Corée du Nord, et les menaces de Poutine qui voudrait installer des fusées à Kaliningrad, désormais enclavé.

Vive la Lituanie, à bas Cantat, merde. Dans le train vers Moulins, une mignonne femelle en bermuda supercollant s'escrimait sur de l'anglais. Visiblement ça la tracassait que je la lorgnasse, poil à la chougnasse. Je me marre à l'idée que des croquants liront cela dans 50 ans, d'il en reste. Des clampins qui lisent. Salut les survivants. Hey, survivors. Je lis bien du Valerius Flaccus, moi. Bref, elle s'est levée en recevant un appel téléphonique. Elle tutoyait son mec. Evidemment ça ne doit pas souvent rester inoccupé, un petit cul comme ça. Et mettant le pied sur le quai de Moulins, je ne m'attendais pas au calvaire. D'abord, au Donnowhat Pub, pas de place. Deux copains bien imbibés de Picon-bière qui me dirigent sur le Kyriad et le Normandie – je m'égare vers le Dauphin, je traîne toujours ma tirette boudroun boudroun sur les trottoirs.

Au Kyriad premier prix 61€, ça va pas ? Au Normandie 37€, mais complet comme un veston. Je dis qu'il ne me reste plus qu'à trouver un banc public. Eux, ils s'en foutent, ils ont été aimables, fait leur boulot, dégage. Recherche du Dauphin : “Mais Monsieur ça fait longtemps qu'il a été transformé en immeuble privé !” me dit une charmante septuagénaire distinguée. Elle me renvoie vers la gare, la conversation ayant assez duré. A la gare, complet, renvoi au Kyriad. La tirette se casse la gueule devant deux consommateurs de tes races, un kebap. “Rien de cassé !” Non mon vieux, sauf mes couilles par ta réflexion. J'oubliais un coup de téléphone en pleine rue par Annie qui s'inquiète. Alors voilà, j'y suis, à présent, au Kyriad, pour 61€ + le petit dèj à 7€, consistant en un buffet consistant.

Je ne vais pas me gêner demain matin. Putain ce qu'il était puceau le réceptionniste ! Cheveux plaqués, grosses lunettes, adorable, moi tout sourire, lui tout fondant à la moindre trace d'amabilité de la clientèle, ayant remis l'ordi en marche rien que pour moi et s'exprimant au téléphone avec d'autres clients, mais qu'est-ce qui se passe donc par ici pour qu'ils aient fermé les hôtels comme ça, déjà le Terminus face à la gare, le “de France” place Jean Moulin (à Moulins), et je me suis tapé l'éternel Pujadas là-haut suspendu près du plafond. Les lois des peines planchers me semblent justes et j'en ai marre des arguments de juristes, comme de l'humour Charlie-Hebdo d'ailleurs, c'est ça le virage à droite.

Il y a toute une série de dominos idéologiques qui basculent, le Moyen Age est à nos portes et ce n'était peut-être pas si mal, sauf les délits de blasphème. Voilà, je suis parvenu à la fin de ma journée, demain tôt je retourne au Normandie pour voir s'il n'y a pas une chambre à 37 qui s'est libérée. D'autres étaient venus après moi, Anglais ou Hollandais, ils sont ressortis bredouilles et heureusement, sinon je serais revenu tenter ma chance. Le prochain Singe Vert sera insultant envers Pujadas-Ringelsdorf, envers une connasse de la télévision qui parlait de la température à Quimm-per, envers les connauds qui n'ont pas besoin de tant d'instruction que ça, c'est vrai, pourquoi se trimballer tous ces pauvres cons qui ne veulent rien foutre et ça ne serait encore rien mais surtout rien apprendre. Regarde David : va-t-il vraiment falloir que je parle avec lui de tout ce qu'il va falloir reprendre dans leur appartement, alors que je ne trouve personne pour me parler de littérature et de grande musique ? Il faudrait pour cela que j'allasse me rencanailler du côté des soirées de chez Mollat, mais il y a tant de conneries qu'on édite... Moi par exemple. Livré à moi-même je ne vaux plus grand chose. Ne pas oublier non plus “A quoi ça te sert d'avoir lu un livre” rapporté par Jazdzewski. Ah putains de socialistes. Je ne veux plus avoir affaire aux prolos de la télé. Ôtez-moi tout ce peuple qui pue. Ôtez-moi toutes ces repentances.

Je ne peux pas finir la joournée comme ça, mal vautré sur le lit à m'escarrer le cul devant Le chanteur de Mexico. Mes promenades peuvent valoir les errances de Stevenson et de Modestine. Procédons par ordre. Le matin tout s'est bien passé : plantureux petit déjeuner à la salade de fruits, tandis que des Belges tonitruant dans mon dos me couvraient les infos. Si les hôteliers distribuent ainsi leurs ingrédients de petit déjeuner, ils ne vont pas tarder à faire faillite. Quant à moi, sournois, ayant gagné par étapettes l'Hôtel du Parc, je me suis trouvé dès 8 h ½ une piaule à 40 au lieu de 61. Merde alors. Je libère M. Roy. - Cela ne veut pas dire qu'il était en prison. Je suis le vrai fossoyeur, toujours le mot pour-rir.

Au “Normandie”, ratage, petite révérence sèche de la tenancière quand je lui fait part de mon intention de revenir jusqu'à ce qu'il y ait une chambre libre : il n'y en aurait jamais eu... Exit “Normandie”, bonjour “Hôtel du Parc”. Ça gueule fort en soûlardise pour l'intant ; je reprends ma tirette et mon cartable à serrure borgne, poste mes “Singes Verts” dont un à Bellenaves (Alliers), et me voici déposant mes bagages en consigne derrière le comptoir, donc, de l'Hôtel du Parc. Promenade. Passage de l'Allier, barrage immergé sur la crête duquel je me vois marcher. Découverte d'un vaste bâtiment blanc dont j'apprendrai qu'il abrita de la cavalerie. En avant pour le CNC, Centre National du Costume.

Pour 5 €, j'ai droit à toute la gamme. Seul défaut : les commentaitres écrits de Christian Lacroix sont haut perchés pour les Français, qui doivent se casser le cou (premier dans l'ordre, ça se paie), tandis que les dieux, les anglophones, ont droit à la hauteur exacte de l'homme. Très vite j'abandonne cette lecture, trop technique, trop imbue de son auteur. Je m'extasie sur les vitrines, bien sûr, de Carmen et de Phèdre. Cependant la décapitation des mannequins m'évoque la décollation de saint Jean Baptiste – et, non, mille fois non, Carmen n'est pas, ne saurait être '”la première femme dont on tombe amoureux”. Dontonton. A fuir. Phèdre aussi, toute “frémissante” qu'elle soit, toute “juvénile” que les metteurs en scènes s'acharnent à la représenter.

Pour moi, Phèdre est une furie, une mémère. Très peu pour moi. Grand saisissement par contre à découvrir les costumes d' Elgabal, parce qu'il y a des têtes, que je ne sais pas encore encagoulée, mais que je pense faites exprès comme cela ; comme ces prodigieux mannequins japonais mus par des acteurs en domino gris (le bunraku) (inoubliable représentation – une fois de plus - à Tanger). Le commentaire de Lacroix parle de combinaisons de motards, retrafiquées. De plus en plus je regrette ma frigidité pédalière. La lourdeur de mes jambes me fait assoir. Je ne sais quelle scène exotique en vitrine fait à présent du voile une figure vulvaire : juste l'ovale sexuel où reluisent les yeux. Peut-être Othello. Ce sont à présent des accents mélodieux qui m'attirent : j'entre et m'assois dans une salle obscure. C'est effectivement, sur un jeu de drapés, la projection cinématographique d'une séance de jazz mou, puis une succession de séquences vivement montées où j'aperçois la véritable et provocante Joséphine Baker, quoique sans bananes, et bien d'autres scènes chorégraphiques magiquement déformées par les savantes et larges plissures des draps. Je vois une scène dansée d' Othello, sur une musique découpée au couteau.

Je vois un grand manège de Nijinski (d'un sosie) ; une scène du Jeune Homme et la Mort par Babilée. Aussi du jazz. De la rumba. Et des trompettes colombiennes qui me jettent dans un état présanglotaire, à ne pas révéler au voisin dans l'ombre – pourquoi maintenant ? trompettes de mort ? chant du sang dans les carotides du pendu ? les décalages rythmiques, l'exubérance de la salsa, d'une telle accumulation de brisures ? J'attends que la boucle filmique s'achève, même jeu mais affadi dans une autre salle où les costumes de Lacroix (ballet Rubis) se prostituent cette fois dans une chorégraphie indigente à la Roland Petit (d'incessants retirés sur la musique de commande à deux balles hélas de Stravinsky).

Lorsqu'on revient aux élucubrations of course in english, without subtitles, de Lacroix et Barichnikov en 87, je repars. Boutique. 35 € le catalogue, je ne le feuillette pas juste sous le nez de la caissière, mais un peu plus loin sur le comptoir. Ce ne sont que croquis bâclés aux silhouettes caricaturales donnant l'impression que le costume vaut mieux que l'humain. Avec commentaires techniques et chichiteux. Et puis 35 €, merde... Je mentionne cette restriction économique sur le questionnaire (j'adore être sondé) que je signe Collignon de Nogaret, livrant aussi mon indicatif de courriel. Après une dernière station devant un pilier vidéaste (on nous apprend comment s'est constitué le Centre), je ressors ébloui, comblé : de 10h 15 à 12h 15, pas une minute d'ennui, juste cette satanée fatigue des mollets.

Ensuite, ici, à l'hôtel, chambre 26 (la clef sur la porte, que je m'obstine à tirer lorsqu'il faut pousser) ; après la sieste de 20 mn, je crois bien avoir rédigé ma critique de La Billebaude, en lourdes phrases bien cadencées. Je ne récris pas ici mes balancements “pour” ou “contre” la chasse, et la célébration du terroir burgonde. Seulement rappeler que le ménage de mes sanitaires fut efectué par une belle quadra-quinqua ; je l'aurais bien prise en photo, mais j'ai préféré jouer l'absorbé dans un gros volume, broché, sur Stendhal. Peu triomphal auprès des femmes. Si elles m'ont affolé, c'est sans doute que je me sentais obligé d'être ému par elles ; j'ai l'impression que je dois jouer au singe devant elles - est-ce que je sais comment ça se drague, ces machins-là ? En revanche rien ne m'échappe des coquetteries des femmes, affèteries, roucoulements, tortillements, minauderies, qui seraient chez moi n'est-ce pas ridicules. Rien de plus facile que d'imiter une dragueuse – plus exactement une allumeuse, car une femme ne se soucie nullement d'un quelconque résultat tangible. Mais un homme cherchant à séduire une femme, à “introduire son petit machin” comme disait Marlène Dietrich, en aucun cas ; je ne saurais être cela, me rabaisser à “cela”.

Courtiser une femme ? Cela me semble si incongru, si inconsistant, si insaisissable ! Je crois que le mieux est encore de ne rien faire, de laisser son prétendu “charme” agir ; fatalement, comme la femme de son côté n'agit pas non plus à proprement parler, c'est à chacun de repartir se branler de son côté. Mais puisque c'est là ce qu'on nous présente comme la “libération de la femme”, son vœu le plus cher, n'est-ce pas, n'en parlons plus. Ici, contre ma paroi, vient de rentrer chez elle, chambre 24, une femme. Je la sens frôler la cloison. Mon rêve serait de la surprendre dans ses halètements rythmiques et solitaires. Je vais d'abord guetter, puis je sortirai, je rentrerai.

Visite de Moulins l'après-midiau Triptyqque du Maître : deux euros en ferraille, et en sortie, zéro pour le guide ! Il a déclenché un disque, ouvert la prédelle, que de conneries dans l'enregistrement ! Comment face à ces trois masses rouges, à des admirables architectures, à ces dispositions de formes et de couleurs, peut-on se borner à louer la “finesse des mains”, le “relief des bijoux”, la “ressemblance des modèles” (surtout de la fillette) et surtout, surtout ! “l'abondance des détails”! Je demande au gardien, qui pour répondre ânonne (le pauvre) à la Paul Prébois, si Anne de Beaujeu s'apparentait à son homonyme de Bretagne : eh bien oui, elles furent cousines, et c'est la première qui enseigna à la seconde à se comporter en reine...

Le garde me conseille un ouvrage sur les généalogies des Bourbons, mais une monographie sur Louis XII, le Père du Peuple, me suffirait amplement. Ressortant près de la Tour Mal Coiffée, je m'avise qu'il ne me resterait plus que ¾ d'heure si je voulais visiter le musée Anne de Beaujeu. Donc au hasard, la librairie. Mon “Stendhal” boursouflé ne m'offre plus que d'indigestes biographies. J'avais vu un Pamuk, Mon nom est Rouge, dont l'incipit m'a fasciné hier encore : quelque chose comme “Je suis un cadavre au fond d'un puits”. Dans un état de grande fatigue molletière, j'en lis les trois premiers chapitres, mieux foutus, mais mystérieux, mais virtuoses – ah ! Faulkner ! De même les confusions pronominales de La maison du silence rendait bien difficile de savoir qui était en train de s'exprimer. Le chapitre 3 de Mon nom est Rouge fait parler un chien, à la troisième personne. J'espère ne pas oublier au fur et à mesure, ce qui me contraint parfois à lire vite, comme on consomme. Sur les bancs publics Place de l'Allier s'alignent trois hommes en chemises vertes dont la mienne. La chemise d'en haut ne m'aborde pas. Un jeune homme un peu allumé, si : “Où se trouve le Café de Paris ? - Aucune idée.” Je me suis rapproché d'un manège qui pulsait un air électro-acoustique bien trop sophistiqué pour des enfants.

J'adore cette musique. Autre séquence musicale cette fois en enfilant le Passage de l'Allier ; une petite fille y joue. Au Casino, j'achète un fromage de style ricotta, une orange, un paquet de biscuits bretons, et deux fois deux ampoules. En verve d'explications (je deviens causeur !) j'explique à la patronne que ces radins d'hôteliers m'infligent des lampes de chevet pour dormeurs, sans s'imaginer un instant qu'on puisse aussi vouloir lire et écrire dans leurs cagibis. Déjà pour mon “Stendhal” j'ai dû ouvrir la porte sur la galerie pour avoir de la lumière. Deux ampoules à vis, deux à broches : “Ça peut toujours servir.” Et comme il fait grand jour, je m'installe sur un banc du parc, jouxtant la statue en socle de Théodore de Banville, “Prince des lettres” selon Baudelaire.

Alors mon téléphone vibre contre ma cuisse. C'est Annie, que j'avais prévu pour ma part d'appeler à 7h 1/.2. Mon ton est enthousiaste. Je lui détaille la visite de ce matin. Elle s'exclame. Elle renoncerait au tabouret pour le catalogue à 35 €. Elle m'annonce que Kraków a pissé sur mon canapé : encore un qui n'aime pas Wagner (extraordinaires expressions de jouissances cruelles chez ces Walkyries joufflues têtes à claques). Et que les réparations garagières sont faites, payables en deux fois. Comme dirait Hugo, Quand mangeront-ils ? Ensuite j'embraye sur Sonia. Nos voix sont chaleureuses. Sur Christophe. Sur David. Pleine forme. Allez, en promenade.

 

07 07 2054

Et on remet ça. Moi j'ai du style et les autres n'en ont pas. ...Alors, ce 7-7-7 ? Un petit lever pénard, un touche bite molle sans résultat, un petit déj tout ce qu'il y a de plus succinct, du coup je leur ai liquidé leur confiture. Il y avait en face de moi une blonde qui gloussait façon Dombasle, cou ravagé, mais émouvante, émouvante ! Je “les” ai resalués plus tard, Avenue Banville. Et en avant, piano pianola, vers le musée Anne de Beaujeu, ouverture à 10h. D'emblée on

cherche à me ferche aimablement pour 8 € statt fünf avec droit à l'expo “illustration”. Ben non. Une seconde pour ne pas me laisser faire, et : “Ça ne m'intéresse pas.” C'est vrai, quoi. Je suis venu ici m'enivrer de croûtes, pas pour me brancher sur des affiches criardes, façon Toulouse-Lautrec, Dufy ou Y'a bon Bwanania. J'entends derrière moi “Fait chier”. C'est le petit musée bric-à-brac comme d'hab de province (le pire, c'est Pau) : d'abord donc du merdiéval, des fragments de statues (on reconnaît Catherine d'Alexandrie à la roue cloutée où l'on tenta de la faire mourir ; puis elle fut décapitée) ; sainte Anne, à quoi la reconnaît-on ?

Alors très vite je me ressouviens de mon petit truc infaillible : premier objet de la première pièce ou de la première vitrine, deuxième de la deuxième, und so Walter (c'est exprès). Sinon ça soûle. J'ai fait tous les Offices de Florence de cette façon. Tu ressors du musée autrement la tête en boudin d'ours. Et ce qui rase, très vite, dans toutes ces imageries médiévo-renaisso-classiques, c'est l'incroyable tombereau, l'inépuisable, l'intarissable benne de bondieuseries de sous-sacristie de St-Frusquin-de-mes-Couilles, des christs comme s'il en pleuvait, des madones comme s'il en grêlait, des saints comme s'il en chiait. Tu as beau te battre les flancs pour susciter des sursauts de fraternité humaine, tu en as marre de tous ces ressassements, de toute cette épuisante pauvreté rabâchative, mon Dieu délivrez-nous des Christs en croix et des Madeleines éplorées.

Signataires : Laurent et Rochegrosse. Vous le saviez, vous, que Rochegrosse était le gendre de Théodore de Banville ? Ce pompier te peint des Vérités sortant du puits, avec fémur en biais sur le con pour qu'on le voie pas, des reines désolées. Une bataille de Marengo, une défaite de Quiberon (due à Hoche qui bombarda les royalistes ; aussi, débarquer sur une presqu'île, fumeuse idée...) Au sous-sol, des objets funéraires, 4 grattoirs, 6 haches de La Tène, un trésor du règne de Gallien – dont le rival fut Postumus, avec bien d'autres, et ce fut Claude II qui lui succéda ; c'est ce que l'on appelle “Cinquante ans d'anarchie militaire”. Et au sommet des Rochegrosse, donc, une armure japonaise, des panneaux de portes tartinés par le Gendre (une décapitation pieds relevés par la cangue, le condamné hurle, comment peut-on exécuter un type qui hurle ?) - au sortir, je me suis fait rappeler, ils voulaient savoir, les maladroits, d'où j'étais venu. “De Bordeaux.” Ça ne fait pas très glorieux.

Ce serait São Paulo, encore ; ou Czestochowa... Donc, à petits pas, à jambes lourdes, retraversée du pont, de la cour, accès sans difficulté aux collections pour planches de Christian Lacroix. Et là, déception confirmée : ce ne sont que des croquis de professionnels, à gros traits de gouache, rebarbouillés à l'aquarelle, tête au 1/12, muscles excessifs en fuseaux, démantibulement de la personne humaine, grosses indications au feutre gras, avec une écriture ultrarapide envahissante, extravertie, goulue, exaspérante, du genre de mec qui jette vite vite sur le papier, qui croit au spontané, à la liberté, à l'irruption, à la fusion, et tout ce genre de conneries qui t'emporte, n'est-ce pas, si loin au-dessus du commun, et qui te ferme à tous ceux qui ne sont pas de ton monde. Tu es lent, stratificateur ? tu n'es pas spontané va chier. Et tu doutes, en plus... Bref, j'envoie un message sur la messagerie d'Annie qui doit être à se trimballer ses cocos dans la petite guinde noire étouffante à Mickey, mais 35 € pour ce truc torchonné, encore une fois non vraiment.

Et comme la cour est une fournaise chauffée à blanc, j'avise devant le restau un bac à gelati pour me farcir 2 boules. Enfin, après avoir traîné à l'intérieur entre les tables, j'attire l'attention d'une grosse qui va me chercher son moule-boules pour m'en extraire deux. D'abord chocolat blanc, puis pistache ; l'aide d'un garçon de 23 ans, les boules qui manquent tomber, la fille qui demande “Est-ce que je peux vous la tenir ? - Ecarte les cuisses elle tiendra toute seule bref je me la bouffe en partie, le garçon me rapporte la monnaie sur 4 € et je repars en disant que ce sera fondu avant que j'aie traversé la cour. Dégueulasses vos boules, plus de crème, c'est là depuis avril, tu suces de la ferraille carrément.

Et bien lent le retour. Un chapitre de Pamuk sur un banc. Le franchissement de la ligne de démarcation (petite stèle commémoratrice examinée la veille ; les vaillants résistants l'ont abolie en la franchissant courant 44, cherchez l'erreur.) Oui c'est beau Moulins, oui c'est beau, un cycliste à contresens sur le trottoir, un trognon filandreux atteint du bout du pied, un obliquage vers le sud. Longeage du collège, exploration de St-Pierre près de l'asile de vieux. Je suppose une plus grande fréquentation en raison de l'abondance de macchabées. Je le sens bien, là, Dieu, l'odeur des corps, des cierges, et je photographie les fonts baptismaux.Après cela, il faut dormir. Ma chambre d'hôtel. Ce bienfaisant engourdissement, j'aspire à déboucher sur le sommeil, mais voici 14h, j'ai prévu d'aller voir Persépolis. Je fonce, mon cœur palpite. Et je demande : “Une place Papy pour Satrapi”. Drôle non ? 6 € au lieu de 7 ! Plus une glace à 1€ 50 à la suite d'un gosse, le larbin doit y retourner pour exactement la même chose. Avant le film, j'essaie de lire Pamuk : tout se brouille. J'incrimine la lumière tamisée, une taie que j'aurais sur l'œil, je me vois déjà hémiplégique oculaire, incapable de lire, dictant à un tenancier de clavier... Le film lui-même est excellent, le graphisme nul, mais à partir du moment où on le sait... Je ne suis pas ému, mais je suis le destin chaotique de cette sympathique Marjane. On devrait mener les écoles à ce film. Et quand l'histoire, après bien des vicissitudes – quoi ! tu as couché avec plusieurs mecs ! - débarque en France, dans le taxi, le spectateur pressent que par-dessus le marché on va lui dire qu'elle n'est pas intégrée. Ce que je retiens pour moi, c'est de ne pas me laisser bouffer la moëlle par des cons, parce que vivre dans le ressentiment et la vengeance n'est que le moyen de se perdre. L'héroïne n'aura jamais pu revoir sa grand-mère. Et lorsque la lumière revient, et que je n'arrive toujours pas à lire, je m'aperçois dans la rue que je peux me toucher la paupière avec le doigt sans rencontrer le verre : horreur, j'ai perdu mon verre droit.

Avec le caissier nous fouillons entre les sièges, rien, je repars en lui disant que si j'ai retrouve ce qui me manque à mon hôtel, il ne me reverra pas, du moins pour cela. Je balaye le trottoir du regard, l'air aussi con que trarié, des gosses me trouvent l'air gaga et me font “agaga”. Ici, chambre 27, après une longue recherche, je retrouve enfin cette mince pellicule lenticulaire dans un repli du couvre-pied. Et voilà comment on repart à la gare, comment on gravit la côte d'Yzeure, le billet de retour en poche : il eût fallu changer à Bourges, à Vierzon, Trifouilly-les-Bananes, et j'ai pris un “senior” à 25% de remise, direct Moulins-St-Pierre-des-Corps puis Bordeaux. C'est long, la côte, par l'avenue Bellecroix et son hideux château d'eau.

Yzeure, son clocher carré. A l'intérieur, frais. Et c'est reparti pour les sujets de sacristie. Bordel que le ciel était bas à l'époque. Pas étonnant qu'on restait con toute sa vie, sa pauvre petite vie si courte. Une crypte du IXe quand même, s ans électricité (entré par le mauvais côté). ...Si une main d'assassin saisissait la mienne ? Tapi là dans l'ombre pour une poignée fraternelle... Le tour de l'église accompli, à l'envers par rapport au plan de visite (le voici), j'ai tout raté, admiré un saint Pierre restauré en 22, manqué des authenticités sur consolettes perchées, je m'en fous. Le dernier curé s'appelle Cabaud, j'ai dû le croiser en col prêtre au volant de sa petite auto. Là, c'est monotone toute cette réalité.

Achat d'un flan à 1 € 65, compté 1,89, je paye la pauvre qui balayait en se faisant chier dans ce bled paumé de chez paumé. Halte au Belvédère, Pamuk. Fraîcheur, retour, courses alimentaires, abrégeons, banc public parc du Monument aux Morts. Encore un coup de téléphone dans le vide. Et je dois revenir in extremis, ayant laissé sur mon siège mes lunettes de vieux “premier prix”, juste avant qu'un gamin ne s'en empare, à cinq secondes près. Ensuite son aîné me rappelle, et fesses en blanc de regarder ailleurs lorsque je me retourne. Voilà. Je me suis empiffré de

mandarines et de biscuits diététiques, et je suis rentré. La nuit tombe. Les martinets réintroduits ont cessé de se pourchasser par longs bancs sibilants, et j'écris. Je ne sais quelle chaufferie fait son bruit. J'ai lu heute Défense de la langue française, “mots en désuétude” : “faillance” qui “mérite d'être repris à l'exemple de Chateaubriand” et l'homonymie “faïence” tête de nœud, t'as compris pourquoi on l'abandonnait ton mot par hasard ? J'aurais pu revenir à Bordeaux lundi. J'ai repayé 74€ à la réception, rien ne m'aurait contrarié comme de devoir virer de chambre pour l'ultime nuit. “Fallace, n.f. Action de tromper en quelque mauvaise intention.” J'adore la redondance niaiso-archaïque de la formilation.

Ça ne vaut pas la “perturbation petite en terme d'occupation de l'espace. Je me fous de tout. Peut-être pas dû rester un jour de plus. Mais j'éprouve ces sentiments de lassitude et d'inutilité à tous mes voyages. C'est la règle du jeu. C'est constitutif. Comme j'ai dit à ma femme qui m'a enfin téléphoné vers 20h 45 “J'en ai besoin vu le tunnel d'emmerdements qui nous attend.” Elle veut se faire charcuter. C'est bien une idée de fille de médecin. Plusieurs semaines d'extrême fatigue (qu'est-ce que ça va être), puis plus de bouffe de chez plus de bouffe, perte de convivialité, soucis financiers superénormes. La sonnerie de nuit n'arrête pas, j'espère qu'à chaque fois le maussade veilleur se bouge le cul, il va falloir que j'aère le mien.

J'espère qu'il y aura du porno à Canal +.

 

[Pour le 9 juillet, “voir le carnet orange” ; perdu corps et biens, pourtant je me suis bien pris une saucée magistrale sur la gueule, faisant du stop dans les virages et revenu à pied trempé comme une soupe ; nous voici déjà le jour du départ.]

10 07 2054

Aujourd'hui naquit Proust. Qui le lit encore ? Des mémères ? Des chauffeurs de taxi ? Il m'a fallu à moi vingt années pour une relecture : vingt-deux précisément, de 2027 à 2049. Ce matin, σηκόνομαι πλήνομαι ντύνομαι : “je me lève, je me lave, je m'habille.” Le train est à 15h 20. Que faire ? flâner. Je commence par m'allonger à 10h, pour 30 mn. A 10h 45, je m'éveille enfin. Unn peu effrayé tout de même. Tant d'heures de sommeil à rattraper, tant de vie à perdre. Les programmes de télé... “Ili faut te reprendre en main !” disait un dialogue. Rassemblement des affaires : pyjama, pantalon mal sec, nécessaire à raser... Passage en passerelle ; de ce bureau vitré d'en face rien n'échappe aux gérants – vue sur l'annexe et sa galerie verte, d'où je suis descendu bagages en mains. La téléphoniste est en plein télédrame avec une de ses amies, à propos de “la belle-sœur” - embarrassant, n'est-il pas ? Juste le loisir d'obtenir la garde bagagière, le train ne s'ébranlant qu'à 15h 20. La gare est en face, à 50m. S'il n'y avait pas eu la belle-sœur et ses vicissitudes, j'aurais aussi bien fait de rester là, dans le hall, sur les vastes sofas. La gare donc. Une salle d'attente où je trouve une place, aussitôt cédée, pour permettre à un couple de se rapprocher. Et je me plonge dans le grec, prenant bien soin d'imiter mes voisins, qui ne regardent ni à droite ni à gauche, pour dégoter (je parle pour moi) quelque regard d'admiration.

Je repars donc dans mes massacres, dont j'avais dit pas plus tard qu'hier qu'ils exaltaient la vie. Les mots grecs défilent sans que je les comprenne, du moins puis-je saisir, grâce à la traduction sur la page gauche, de quoi il s'agit. Jamais je n'ai su quelque langue que ce soit, ni lâcher la main de mon guide, ou nager où je n'avais pas pied : une Allemande gourmande ses trois enfants bien blonds, pour qu'ils rédigent apparemment les ultimes cartes postales. Konzentriere Dich ! - Das mach' ich doch ! antwortet der Knabe. “Et c'est à-peu près tout / ce que je peux saisir”. Alors j'achète un bloc-notes, et je marche entre les gouttes moulinoises, cherchant mollement quelque cybercafé, poussant la porte d'un opticien qui ferme à midi, me cassant le nez sur la cathédrale qui ferme à midi, passant d'un renfoncement de vitrine à l'autre.

J'écris sur un banc bizarre, en carrelage, sous toute une batterie de sonnettes électriques. Un jeune homme m'a dit bonjour. Et c'est à peu près tout. Jamais je n'aurais pensé, en juillet, avoir autant besoin d'un blouson. Il va me falloir me rabattre sur la gare, et me nourrir de Bounties, et autres saloperies. Plus L'Iliade. Plus Pamuk. Voir ici “Homère – Iliade” dans mes “lectures commentées”. ...Suis allé rechercher mes bagages, de l'autre côté de la place. A l'hôtel on me dit que j'ai oublié un livre dans ma chambre (mon inévitable Omma). Je réponds que je l'ai fait exprès. “C'est pour nous? - Si vous voulez. - Je vois que vous êtes écrivain.” Je marmonne, ratiboisé jusqu'à la modestie.

Impossible cependant de me dénigrer comme font les autres “au bureau” ; je vais retrouver leurs atroces aplatissements. Les journaux à leur stand : l'appâtage au dollar marche encore très bien du côté du Mexique, ce n'est pas la gaule qui importe, mais le mouvement – je m'en doutais... Me revoici sur le quai. Train annoncé avec un retard de 15mn environ. Pourvu que je ne rate pas la correspondance à St-Pierre-des-Corps. Les pissotières sont à 20cm – centimes, pas centimètres... Qu'est-ce que je pourrai sécrire d'intelligent ? Repartez vers “Homère – Iliade”...

HARDT VANDEKEEN PETITES ERRANCES

VERS GAVARNIE 54 08 09

 

 

 

Ces dates sonnent faux. Depuis l'an 2000 en effet, leur énoncé ne m'évoquent plus qu'un jeu stérile de nature mathématique. Une espèce de répertoire téléphonique. Plus rien d'une substance temporelle vitale, d'une épaisseur qu'on ne palpera plus : 09 08 06, 05 02 05, c'est sans remède.En 99, c'était encore l'ancienne succession des mois et des années, avec un avant, un après, un plus tard – désormais, le temps est arbitraire. Ce sens pourrait aussi bien être l'autre, cette succession n'est pas plus nécessaire que cet ordre-ci. "Zéro cinq", aussi bien le mois que l'année, cela ne veut plus rien dire. Au lieu que "98" était bien net, ne pouvant jamais désigner un mois.

D'abord une longue traversée des Landes, sur la route à quatre voies, sans rien qui puisse agrémenter la monotonie, malgré le plaisir de ceux que j'accompagne, puis que j'ai déposés à destination : politesses, conventions - nous n'avons jamais voulu lui et moi véritablement discuter, cela nous mènerait trop loin, sur des terrains bien plus conflictuels et douloureux que nous n'imaginions peut-être, il ne nous reste plus qu'une vingtaine d'années à louvoyer. Le plus dur est fait. Nous resterons sans doute indifférents jusqu'à la mort. J'ai vu du coin de l'œil la table mise mais je n'étais pas invité. Puis j'atteins enfin seul ce col d'Osquich, puis Musculdy, Mauléon. Chaleur et fatigue. Je lis à l'ombre sur un banc de pierre au grain raide, puis m'allonge à la clocharde, un bras par-dessus la tête ; moins à l'ombre que sur les autres, occupés par des scootéristes.

Mes cheveux longs me font éviter les gens. Il n'y a plus personne ou presque à en porter aujourd'hui, les mecs arborant d'affligeantes tenues de facho à hurler de laideur. Je ne veux passer ni pour homo non plus, ni pour pédophile, ce qui est difficile, car face à moi se trouve un jardin d'enfants, avec tout ce qu'un enfant normalement constitué peut souhaiter : petits sièges en canards à ressorts, toboggan, filet à grimper... Il y a là un petit garçon à voix stridente, comme tous les petits garçons (écris, conjure, le petit chat est mort, tendre bouffon aux muscles si tendus, il a sauté de nuit dans le jardin, flèche d'or, il a sauté pour ne plus jamais retomber, je ne l'ai plus revu, le voici désormais suspendu dans le ciel où il règne parmi tous les chats perdus) - le petit garçon progressait, chronométré, gourmandé par le grand-père tu peux mieux faire", un garçon, c'est compétitif, et les cris transperçaient mon repos - j'ai rejoint mon véhicule ayant constaté non loin de mon banc trois Policiers Municipaux - je suis reparti (...certain d'avoir perdu mon chat la veille du départ, si bondissant, si souple (retrouvé depuis) – à quoi servent tant de vies prodiguées, accumulées, où sont les piles rechargeant incessamment les sources de vie ? Arrivée à Tardets-Sorholus, maisons jetées au hasard, village vagabond sans plan d'urbanisation.

HARDT VANDEKEEN PETITES ERRANCES

VERS GAVARNIE 09 08 06 2

 

 

 

J'escalade le calvaire, pente raide, à claquer le cœur. Puis Ste Engrâce, à claquer le moteur, que mes petits budgets ne permettent point de bichonner. Demi-tour à demi-pente, après ces bouchons de Tartarins à crampons autour d'une église exagérément signalée. Redescente vers Montory, Lannes-en-Barétous, chambre cubique et bleue passé pleine de mouches et d'odeurs de bouse. La patronne tout exophtalmée, alcool plus obsession sexuelle, la totale. Je me trouve beau et je le montre, elle me guide vers ma chambre en ôtant son tablier, « Il faut bien tout faire n'est-ce pas Monsieur ? » - qu'est-ce que je peux répondre à ça. Au repas garbure et abondance. Une autre femme sévère et pathétique celle-là me sert sur fond d'exaspérante boucle musicale à six ou sept morceaux, de braves gars qui chantent en basque, en espagnol et en français, puis en basque, en espagnol et en français.

Vu ce que je comprends en espagnol et en français, je n'ai pas à regretter de ne pas comprendre le basque. Et je lis du Frédéric Vitoux, entre les plats, prenant soin de bien m'interrompre au moment de goûter, pour démontrer à quel point j'apprécie le plat, quand il arrive. Mes convives sont des Flamands, il y a de tout par ici, les Espagnols ont un peu massacré en Flandres, ici deux enfants très blonds très bruyants. C'est du flamand de Belgique, tout édulcoré tout mou. Et quand ils sont partis, un jeune marié, tout brun table trois, boucles brunes, qui tourne son index en l'air en imitant le bruit de la mouche. Il est beau et il le sait, ça fera deux, même flanqué d'une épouse, d'un bébé silencieux enfoui sous les linges dans le cercueil technique de ces poussettes d'internautes qu'on vend maintenant.

Il y a aussi trois vieux, le père Samuel à un bout de table, et Myriam la mère. Le papa brun, Jeannot, m'a souhaité dehors une bonne fin de soirée. Je vous dis les noms parce qu'ils n'ont pas arrêté de s'interpeller. Je suis allé me promener de nuit dans le bled, m'efforçant de ne pas me parler tout seul à haute voix comme je fais toujours, me faisant pourtant surprendre à commenter le nombre des morts sur le monument du même nom (hauts trapèzes de marbre) : deux ombres assises dans l'ombre, comme d'hab, bien cachées, qui vous prennent pour un con. Or ce qui est important, ce soir, c'est que ma femme me rappelle sur portable, où je lui apprends que le 27-7 son tonton Jeannot (lui aussi) est mort, et qu'on l'a incinéré le 31, alors que nous n'avons été prévenus (enfin, moi) que le 7-8.

Cela s'est passé dans la plus stricte intimité, l'incinération, c'est comme la chasse d'eau, mais avec du feu. La mort n'existe plus, certains se font même disperser en mer. Les cendres de l'oncle sont conservées par sa femme, Simone, attendant leur transfert au Bouscat dans le caveau de HARDT VANDEKEEN PETITES ERRANCES

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famille. Ma femme à l'autre bout du non-fil s'exclame « oh non... oh non... », quoiqu'elle ait dût s'y attendre, le cœur de l'oncle battant depuis longtemps la chamade ; il avait les mains déformées, ne pouvait plus ni peindre ni jouer du saxo. Mais la Simone depuis bien avant l'avait contraint de ne plus peindre, parce que ça foutait de la saleté partout. Et je me suis renfermé dans ma chambre d'hôtel.

Mon Iris ! Mon Iris ! Je ne dois pas pleurer pour un chat.

Je voudrais lire le journal de Léautaud, mais n'en aurai plus le temps.

J'avais averti Annie comme il fallalit, lui laissant le temps de revenir de Sore où elle séjournait avec son amie. Elle n'eût pas apprécié, me dit-elle au téléphone, que je diffère davantage la nouvelle de la mort de son oncle et parrain, qui favorisa l'éclosion de sa vocation picturale : elle proposait ses dessins, il l'épinglait sur ses défauts techniques, ce qui est, n'en déplaise à certains, parfaitement légitime.

Le lendemain matin, après le petit-déjeuner de l'hôtel, j'ai annoncé que je laissais « un de mes livres » sur la table de nuit. L'hôtelière aux yeux rougis d'alcool m'a remercié d'une esquisse de révérence, ayant bien compris que j'en étais l'auteur.

Arette. Achat de dentifrice - « qui est-ce qui va vouloir acheter ça ? » - n'achetez rien, volez, lisez. Lourdios-Ichère col d'Ichère, promenade en descente et remontée, quelques nuages atténuant le soleil, quantité de petits incidents sans relief, quelques photos, pointe jusqu'à Accous. Je m'arrête devant l'église, que je pollue de ma silhouette automobile garée tout du long. Les employés de mairie viennent reprendre leurs véhicules, je traduis, de l'allemand, un texte à moi confié par Anne P. Puis je cherche un certain obélisque de Despourins. La carte, pourtant précise, ne saurait me tenir lieu de plan. Je demande mon chemin à une jeune fille toute fraîche, portant une gamine de deux ans sur le cou.

Elle me prie de la suivre, ce qui m'embarrasse. Je l'entretiens donc, chemin faisant, de toutes sortes de choses, prenant garde que son fardeau humain, déjà, lui coupe le souffle. Une de mes questions l'interloque : « Vous êtes d'ici ? » Elle répond : « J'habite ici à l'année ». Je me suis rendu compte ensuite que ma demande correspondait exactement à la première phrase d'un dragueur de bal de campagne. Nous nous sommes trouvés très agréables. Elle m'a indiqué un chemin montant, « une grimpette », pour laquelle elle n'était pas équipée. Et de fait, le long du sentier encore horizontal, des torsades de papier métal figuraient sur le sol une silhouette déjetée ; plus loin HARDT VANDEKEEN PETITES ERRANCES

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c'étaient des bouts de verre fumés, évoquant des sortes de daguerréotypes. Puis le chemin butait sur l'entrée bien barbelé d'une prairie : « Défense d'entrer », avec panneau de sens interdit, e tutti quanti.

...Comme le sentier se poursuivait sur la main gauche, à peine perceptible mais bien grimpant, je me suis hissé là-dedans, lentement, par chance à couvert du soleil. Parfois le terrain s'effondrait sur ma droite, vers la prairie que masquaient les broussailles, parfois je pataugeais dans un écoulement. Longtemps après, le sentier s'acheva d'un coup contre un tronc d'arbre, comme un frayement d'ours perclus de démangeaisons. Du coup je craignis d'en rencontrer un. Je fis pour le retour un long détour, postai deux cartes, et redémarrai au sein d'un gros dégagement de vapeurs bleues puantes. Sarrance. Excellente église. Annonces de spectacles inégaux, tantôt de grands solistes dignes de St-Bertrand-de-Comminges, tantôt de chorales patoisantes.

J'entre. Pénombre bienfaitrice, propice à la méditation molle. Pour éclairer et sonoriser les fresques, introduire 1 € dans la fente. Dans ton cul, curé. Les gens de l'époque n'avaient pas besoin de projos. Les ombres célestes et dorées veillaient sur eux du fond de leur cul-de-four comme des silhouettes de bovins réchauffeurs. Je prends en photo un naïf berger en jaquette XVIIIe , car ce siècle présenté comme libertin fut très croyant, dans les campagnes où la foi résistait, jusque dans les années 1950. A partir de cette date, et plus encore après 68, la croyance fut assimilée au fascisme, et nul n'osa plus. Quand je sors, trois touristes, ignares en famille, se fendent d'un euro dans la fente.

Horreur ! Trois fois ! La fresque est éclairée, mais se déverse dans les oreilles une chorale béarnaise à mélodie médiocre, aux voix appliquées, à la niaiserie démagogique. C'est ainsi que tout vaut tout, alors qu'il eût été si congruent de miser sur le traditionnel, quelque bon Bach ou Haendel, ponctuant quelques commentaires gavement émis. Je ressors en pestant à part moi, ayant appris pour me consoler que Ma Grosse Bite de Navarre avait ici séjourné, rédigeant des plans et brouillons pour son Heptaméron (12/20 en licence, Annie étant sortie avant la fin). Avant cette visite, j'écoutais Goering dans le texte ; il exposait sur France Culture les projets du parti nazi, tandis que je mâchais des buscuits secs.

« Mon père », dit Vitoux, « rédigea des milliers de pages de journal ». Quelle infime partie de ceci franchira l'avenir ? J'arrive à Escot, déterminé à franchir, faute de mieux, le col de la Marie-Blanque. J'y avais renoncé l'an dernier pour automobile toussoteuse, en Est-Ouest. Aujourd'hui, en Ouest-Est ! Que c'est passionnant ! Au sommet, véritable tapis de touristes, ça HARDT VANDEKEEN PETITES ERRANCES

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saucissonne dans tous les coins : le col forme clairière, des petits malins s'engagent dans un sentier montant, car ce n'est rien d'avoir franchi un col, si l'on n'a pas tant soit peu piqué sa canne sur les pentes avoisinantes. Il y a là une stèle, vague et grandiloquente, inaugurée en juin dernier, sur l'aide apportéeà la Rrrrrésistance par « les glorieux débris de l'armée espagnole » (Bossuet), des vaincus cette fois. Y eut-il donc à la Marie-Blanque de glorieux combats, à tout le moins des parachutages ?

Que nenni. L'on a dû ériger cette stèle en cet endroit parce que ça culmine, et pour complaire à toute une brochette d'élus ci-gravés, qui ont bien dû se faire chier à grimper là-haut dans leur costume-cravate pendant que le vent leur soulevait les basques. Et comme je suis encore le moins con, je me retape assis sur un talus un bon exercice d'échecs. En revenant, je détourne les yeux sur la gauche, pour ne pas voir juste au-dessus de moi un gosse de dix ans qui me pisserait bientôt dessus à travers fougères et rameaux, en faisant bien briller la pisse dans le soleil. Autres touristes à Notre-Dame de Houndaas, arrêt à Bielle.

A Bielle, un monument aux morts qui serait poignant si le sculpteur eût possédé le quart d'une idée subversive : c'est la mère Patrie, endeuillée, qui tend au-dessus du casque une couronne de laurier. Je prends des photos, un peu déçu tout de même : c'eût été tellement plus cinglant si ç'avait été une mère qui rajustait un cache-nez à son fils : « Et ne prends pas froid dans les tranchées! » Ne t'en fais pas la vieille, ça chauffe là-haut. Peu d'humour en ce temps-là. Je me paye un cours d'hébreu en plein air, sans parler trop fort, pendant qu'un blaireau s'aére l'habite -acle toutes

portes ouvertes sans descendre de son coussin de cul. Puis Louvie-Juzon, Mifaget, Asson et Nay. Me voici dans une chambre d'hôtel à Nay (prononcer "Naÿ"), face à la glace de l'armoire. Je me trouve beau, plein, noble, intéressant, et j'aimerais me prendre en photo, mais si je vise à bout de bras, au hasard, je risque de m'estropier, ou pis, de me décapiter (ce qui s'est produit en effet). Je vis encore sous la sentence extraordinaire de Max, un ami, qui n'a point fait d'études et me juge souvent insupportablement pédant. "Tu vis", m'a-t-il dit, "dans l'atmosphère, le projet, la permanence justification d'un regard sur toi. Il faut que tu sois regardé, non pas " - il se reprenait – "à la façon d'un cabotin, ou d'un bouffon, mais en ce sens que tu ne peux te retrouver, te trouver, que dans le regard d'autrui." Il ajoutait que c'était là bien moins du narcissieme qu'une constante marque de manque de sûreté de soi.

Depuis que Max m'a dit cela, je me sens justifié, car la question pour moi ne se pose HARDT VANDEKEEN PETITES ERRANCES

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plus de savoir (à l'instant je me photographie, de biais) s'il est bien ou mal de me soucier ainsi de moi et de mon image, mais de la façon dont je puis mettre le mieux en pratique cette perspective constituante ; imagine-t-on un Rembrandt s'interrogeant sur sa vanité, au moment de tracer l'un de ses étonnants 63 ou 64 autoportraits ? et y renonçant, crainte de ridicule ? Me voici donc libre de me trouver suprêmement intéressant, et d'y fouiller à fond. Je suis déjà venu à Nay. Mon compagnon d'internat Esquerré venait de là, "ce doit être à présent un pépé comme moi".

Je suis arrivé ici, Hôtel du Béarn, suite aux indications hautaines ("Ce n'est pas un hôtel, plutôt une" (un temps) "une pension") d'une bistrotière dont l'établissement, sur le foirail,portait encore l'inscription défraîchie "HÔTEL". Visiblement, elle ne me recommande pas trop cet "Hôtel du Béarn", "ici à Naÿ" (on prononce donc "Naÿ") ; "mais autrement", s'empresse-t-elle d'ajouter, "il vous faudra descendre sur Bétharram et Lourdes" – plût au ciel ! se faire écorcher dans les cités de la Vierge ! Dieu merci, après le pont, dans un tournant, j'avise l' "Hôtel du Béarn", qui en effet ne paye pas de mine. Une charmante vieille dame sèche, ce qui signifie d'à peine plus de quinze ans que moi, m'accueille et m'informe que oui, je peux profiter d'une chambre ce soir.

La bistrotière quadra snob ne m'avait pas menti : c'est en effet une pension, nombre de vieux y séjournent à l'année dans un confort ancien. C'est vaste, antique, haut de plafond, j'affecte la rondeur pour annoncer l'arrivée de mes valises portées par moi-même depuis le parking de l'hôtel, de l'autre côté d'une rue bien passante. Heureusement, ma chambre donne sur les arrières, sur une cour à galerie interne, dans une petite chambre sans télé - malgré tout, hélas – d'où me parviennent du rez-de-chaussée des voix séniles et appliquées, parlant des inconvénients du déambulateur. Sans oublier ceux des neuroleptiques... J'espère simplemennt que les parois de ma chambre sont assez épaisses pour absorber ces répugnants ronflements d'inconnus. De vieux. Ils vont bien devoir me devenir familiers, d'ici très peu, car j'espère bien devenir l'un d'eux, ete que l'émoussement des agressivités pourra me faciliter, enfin, in extremis, quelque insertion sociale -ne rêvons pas. Et tous ces préambules formulés, venons-en aux commencements : au commencement était la jeunesse, ma fille de 33 ans, et son grand fils de 16.

L'angoisse de la mort. Plus tard, pas si tard que cela, j'aurai une surabondante compagnie féminine, qui ne pourra plus rien faire, à qui je ne pourrai plus rien faire, mais pleine d'attentions et de tendresses. Ce sera chouette, ce sera dérisoire, ce sera trop tard. Allant pour passer la porte (j'adore les déambulations crépusculaires dans ces trous provinciaux, je me ravise : je HARDT VANDEKEEN PETITES ERRANCES

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préfère le menu de l'hôtel. Dans la salle à manger, telle quelle depuis 1960, je vois arriver la femme à la diction ralentie, et son vieux que je ne verrai que de dos. Ce repas sera silencieux, non pas sépulcral mais recueilli, très propre, sans bruits de bouches. On entend absolument tout. Le couple ancien sait que tous les mots qu'il pourra prononcer seront entendus par moi, qui suis à l'affût le nez dans ma soupe (j'en reprends).

Je les dérange. Mais peut-être n'ont ils aussi plus grand-chose à se dire. Qu'est-ce que j'en sais ? La patronne, plus jeune qu'eux, les appelle devant moi "mes petits pensionnaires". On est toujours les petits vieux de quelqu'un. Et même s'il n'y a que du croque-monsieur réchauffé au micro-onde et une glace en cornet de plastique visiblement rescapée du congélateur (le menu ne me sera facture que 10 €), je me régale dans une ambiance absolument surréelle, car silencieuse, et respectueuse. Ce n'est qu'ensuite que je passe le pont à pied, mes clefs en poche, et que j'erre lentement dans les rues de Nay, Béarn. Cette fois-ci je ne descends pas au bord du gave, où je lisais l'an dernier je crois bien l'histoire compliquée de Clotaire II, roi de France.

Je m'assieds seulement sous un projecteur, au pied du clocher de Saint-Vincent. Il s'agit d'un ouvrage en gros caractères, pour vieux, emprunté à la bibliothèque municipale de Mérignac. Mon Dieu, qui est-ce qui va bien vouloir acheter ça ? L'histoire me passionne, car elle parle d'un père plus ou moins collaborateur, et de son fils, qiu a mon âge. Ce fils, en 1961, âgé de 16 ans, fait connaissance d'une petite salope d'allumeuse américaine du même âge. Ce jeune homme, plus tard ce sexagénaire qui recontemple son passé, c'est moi. Puis je me promène, sans conviction, très lentement. Ce n'est que depuis peu que je me promène lentement. Je rumine sans trop savoir quoi. Je jouis de chaque pas. Et en rentrant, coincé entre le transistor et "L'Ami de mon père" de Frédéric Vitoux, je m'achemine vers le sommeil. Auparavant, j'aurai eu le plaisir d'entendre, au rez-de-chaussée, une Italienne demander une chambre, se la faire montrer (elle donne sur le balcon de la cour intérieure), et se faire rejoindre par son motard de mec ; dommage. Et la nuit, ils n'ont pas baisé : trop épuisé par un voyage à moto. Ça ne tient pas sa langue, un vieux. Ça commente tout, et la cour raisonne. Le matin, j'ai laissé mon roman "Omma" sur la table de nuit, au cas où des petites vieilles y jetteraient un œil.

Extraordinaire étape, où je me familiarise avec ma vieillesse à venir, où je m'apprivoise à une proximité de la mort qui ne semble pas affecter outre mesure (que sais-je après tout de la vieille à diction ralentie) les personnages qui déambulent et vivent là. J'en trouverai de HARDT VANDEKEEN PETITES ERRANCES

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sympathiques, et nous nous parleront à peu près spontanément, de même que des enfants s'abordent volontiers autour des bacs à sable et que se nouent de puériles idylles... Et j em'en vais, pas très loin, le matin, à Coarraze, épaté comme tous les touristes de surprendre ainsi le quotidien d'animaux si exotiques, les habitants de Coarraze, dont le château (berceau d'Henri IV) n'ouvre que l'après-midi (je m'en aperçois en cheminant aller-retour par la grand-rue fâcheusement dépourvue de trottoir, mais l'espace manque ; il faudrait tout démolir ; mais alors, pourquoi marcherait-on ?).

(ARUDY, autre date)

Et comme je suis un peu blaireau moi aussi, j'obéis à l'injonction d'un panneau de pub : tel grand magasin, Arudy.

C'est là finalement que je la fais, ma leçon d'hébreu, à l'ombre d'une de ces poubelles à tri de bouteilles ; et je pouvais articuler bien à l'aise. A Bielle, je ne sais plus ce que j'avais fait. Avant de trouver ce refuge à l'ombre, j'avais abondamment compissé un montant de tôle à l'arrière du supermarché, tandis que dans mon dos, sans oser intervenir contre le pisseur, une gardienne à chien-loup passait bien raide en vitesse. Honte. Et bouffe bien lourde, comme j'aime : bananes, Yoplait, Buzy (rate le dolmen), Buziet, Ogeu dont j'ignore s'il se prononce Ogeux ou bien Oju. Et comme il fait bien chaud, et que l'heure avoisine les 15, je me fixe d'office la première église venue, à condition de la chercher.

Il n'y a rien de plus beau que de bouffer comme un malade, le coude gauche dans une jardinière de géraniums, les yeux fixés à travers le pare-brise sur un portail typique Napoléon III soit

parfaitement atypique, et d'écouter Dieu sait quelle musique classique de remplissage pour la bonne conscience. Demi-tour devant la colonne « Marquisa ».

 

COLLIGNON HARDT VANDEKEEN « PETITES ERRANCES »

LA CIOTAT - « LE MANIERISME » 56 03 10

 

 

 

Cette fois-ci Choske a fait mon tour. Il ignore s'il pourra me voir « l'année prochaine » (exit la revoyure de septembre) et pourra donc, en mars 2057, prétexter sa santé (sciatique ? surdité ? cécité ?) pour ne pas me recevoir. Maudit maniérisme ! Car ayant peur de montrer mon indifférence totale à tous ceux qui ne sont pas moi – mon égotisme, ma ronchonnerie, la paranoïa, la tête à suggérer toujours un petit pois qui n'a pas voulu cuire , et cette impression que je donne toujours d'être profondément offensé que l'on ne reconnaisse pas Ma Supériorité – j'en rajoute, dans l'intérêt affiché, dans le sourire, l'intonation forcée (avec un sourd, n'est-ce pas...).

Donc, je passe pour insincère dans la mesure exacte où je vais outrant mimiques et pantomime, afin de bien démontrer que j'aime à fond. De même Parrical, nous étreignant sans cesse avec chaleur et s'exclamant, se récriant aux moindres choses dès qu'elle nous voit ; c'est exaspérant, mais il a bien fallu que nous nous y fissions. Et Coste me juge faux. Galopin, aussi : tel Alain qui, au milieu du récit de la mort d'un fils, interrompt la mère pour lui demander où elle s'est procuré son bracelet... Quelle muflerie... Quelle grossièreté... Goujaterie pure.

Mais je change aussi de sujet, ce qui peut être perçu comme une grossière indifférence, alors que c'est un souci de diversification : je feins ainsi plusieurs intérêts successifs (et superficiels) par peur d'approfondir l'un d'eux ; cela mène invariablement, sinon, à des banalités, à la révélation de mon ignorance du sujet, ou à des conclusions désobligeantes, à moins qu'elles ne soient franchement plates. Je le lui dirai peut-être, à Choske, bien qu'il ne faille

pas tendre le bâton pour se faire battre : je me souviens toujours de cette jeune germanophone toulousaine, qui, s'excusant de son accent, s'attira les mines rogues de son auditoire, inaccessible à tout autre humour que germain. Il est bien plus probable que Marcel Coste fut fatigué par mes nombreuses interventions (ne m'a-t-il pas invité pour me voir et me parler ?) Je ne sais jamais s'il me faut paraître ou disparaître (pour le reposer). J'ai à présent une clef à moi.

Les chose avaient failli bien tourner. Je ne veux pas mettre les choses au pire, mais c'est la surdité, plus accentuée en 2056, qui me renforça cette artificialité du ton. Pourtant je m'étais bien confié le lundi soir (je crois) sur els femmes. Je devais primitivement raconter cette deuxième « prestation » du groupe musical, passé de quatuor à quintette. Et là, son violon a joué bien faux dans les aigus. Les tutti ont vigoureusement cafouillé dans Schubert, plus proche d'un Messiaen atteint de grippe aviaire. Seules les parties lentes (et un « lento » de Boccherini) bénéficièrent d'une interprétation tant soit peu musicale.

Le reste cacophonia d'importance. Pouvais-je dire cela ? René m'a fait la gueule (« on se connaît déjà ») (oui mais, blaireau, tu pourrais être aimable, faire semblant) ce qui fait que je m'interroge : m'a-t-on fait si bonne presse devant lui ? Une nouvelle, au cul très beau, très ample, est venue au violoncelle : Nicole...  Me revoici donc au bord de quitter cette étape, ayant été ici 24h de plus que l'an dernier. J'en retiens une impression mi-figue mi-raisin : toujours aussi bien reçu, alimentairement parlant, mais sous le signe de l'enterrement – Coste est sur le point de perdre un ami juif athée, connu depuis le collège. Et c'est de cela qu'il est préoccupé, assombri. Une sciatique

lui tire la patte, il se porte la main au front gratté de psoriasis. De plus, il ne manque jamais d'exprimer de petites râleries ou grosses bougonneries sur mes étourderies et inconséquences, qui ne sont pas petites il est vrai. D'un autre côté, il me confie ses méditations écrites les plus intimes. Il dit : « Tu manques de jugement », « Tu es chiant », mais il m'a fait lire toute l'histoire d'un amour datant de l'avant-dernière année, où il tira vraisemblablement son dernier coup, et la mélancolie agonisante qui s'ensuivit, car il fallait bien renfiler le carcan constitutif de sa vie. Dans un film de Bertolucci, deux vieux, ainsi, couchent ensemble au cours d'un confus exode, puis se reséparent le lendemain matin, chacun sur son chariot tribal et dans sa propre direction.

Une des plus pures scènes d'amour que je connaisse. (la suite in « Lectures », « Gaxotte », « Histoire des Français »).

COLLIGNON HARDT VANDEKEEN «ITINERRANCES »

TRAIN MONTPELLIER-NARBONNE 15 03 2056 1

 

 

 

Bonjour tout le monde. Me voici dans le train Montpellier-Narbonne. 48 heures passées chez V. auront suffi à me transformer en paquet de nerfs. J'ai fini par hurler au cours du repas, en frappant sur la table. Une avalanche de reproches, d'aigreurs, d'humiliations, déversée sur la tête de Lucie, qui eut le tort de naître du mauvais ventre. Dès que cette fille ouvre la bouche, ce n'est pour elle que vinaigre et remontrances. J'en reparlerai ici, mais par intermittences, car il serait douloureux de rappeler sans cesse de tels tunnels de tension. Et Bashung est mort. Que j'aimais pas, mais que je me promettais de découvrir, « un jour », sentant bien que je « passais » à côté de quelque chose.

Devenu bien plus dense depuis qu'il s'était enfin décidé à bien articuler. Réflexion de Vanessa : « J'en ai vu des millions mourir » - au moins ! - « à l'hôpital et on ne parlait pas d'eux. » Vanessa, moins con, je te prie, j'ai passé la main dans le dos de V. ta mère au piano, puis elle s'est raidie sitôt que relevée je la prenais par les épaules, quelle pitié. Pauvre gosse abreuvée d'injures et de rebuffades... Je vagabonde entre mes lignes, imagine situations et conversations, quand seuls des kilomètres accumulés dans mon dos seraient capables de régulariser mon souffle. Le soleil éclaircirait le paysage s'il n'y avait cette épaisse crasse de vitre : un brouillard. Près de moi un collégien biterrois, culottes courtes, entame La peste de Camus, le pauvre.

Il est enrhumé, éternue, dit « putain » ; volume contagieux ? Les gars ne lisent plus. Les hommes à venir ne liront pas. Et ce seront les femmes (enfin : des femmes) qui cette fois de plus nous sauveront l'esprit. Je photographie le couloir, tube digestif géant. Tortillard : Lunel, Frontignan... J'écris très exactement du Nisard. C'est lui qui fut élu à L 'Académie en 1850, contre Musset. C'est une personne que l'on admet : même s'il faut avoir du moins travaillé, quelque peu produit. Ce livre-là fut repéré par moi sur le marché d'Apt, et je n'ai plus que Voltaire à lire. J'aurais volontiers lu cet éreintement, par un obscur, d'un autre obscur. Un moustique a gâché la nuit de Nisard ; une arête a failli étouffer Nisard » et ainsi de suite.

Or il s'agit bien exactement de ce que je note en mes voyages : mes états d'âme, ainsi que, tout de même, des autres que je croise ; les faits et les paysages dont je suis témoin. Il me faut donc en revenir à ce que mon père appelait des « observations personnelles ». Son grand tort fut de les annoter, les ayant lues, et de les noter. Au premier « douze », j'abandonnai illico. Saine réaction. Nous arrivons en gare de Sète. Les Sétois sont des cons. Les Montpelliérains sont des cons, descendus de Lozère et d'Aveyron pour faire les fiers et les radins au chef-lieu. Ben merde. A-COLLIGNON HARDT VANDEKEEN « PETITES ERRANCES »

TRAIN MONTPELLIER-NARBONNE 15 03 2056 2

 

 

 

St-Bauzille (de Putois), tous des cons. Bref, il n'y a que des cons autour de Véra. Lucinda est systématiquement démolie, brisée. Parfois, heureusement, Vanina la défend. Heureusement, Lucinda se défend. Mais moi aussi je fus systématiquement harcelé. J'aurai mis ma vie à me reconstruire. Et l'interne à côté de moi finit par préférer la contemplation du paysage à sa lecture. Je vais l'imiter. Gare de Narbonne. Courant d'air glacial. Ouvre la valise pour en tirer chandail, blouson. Une femme en rouge, aimable et causante, avec tout le monde ; et que j'avais repérée, de biais, dans le couloir central, de mon siège au sien ; est allée aux toilettes avec sa valise roulante, et m'a rejoint sur le quai : « Ne croyez pas que je vous suis. Je crois que nous allons dans la la même direction. » J'ai dit « Non... » (première phrase). « Oui » ( deuxième).

Qu'est-ce que je peux y faire ? « L'étiquetage est obligatoire » : elles sont tombées, les étiquettes. « Et surtout », chantait Alévêque, « n'oubliez pas d'AVOIR PEUR ! » Eh bien moi, j'ai peur des femmes. Savez-vous pourquoi ? A supposer qu'un homme m'aborde : il s'agirait d'un abord neutre. Peut-être homo, mais je ne serais pas censé le savoir. Tandis qu'une femme, habillée de rouge, rappelant vaguement Emmanuelle Béart, me fait irrésistiblement penser au reste. Elle a disparu dans un autre wagon. Et «le reste », il aurait fallu y penser. L'esquiver. Le conforter. J'ai bien vu que Véra eût aimé, au début, se laissant prendre aux épaules.

Puis elle s'est raidie. Surtout après l'engueulade. Mais avec cette « charmante inconnue » (d'ailleurs, je hais la Béart), il eût fallu se livrer au jeu mutuel de la séduction-répulsion (elles n'ont donc que ça à foutre ?), entrer, comme dit Montherlant, dans « leurs » jeux vulgaires de ce qu'elles appellent « la psychologie » ; passer par leurs « je veux-je veux pas »... Pffff...! J'ai déjà ça « à la maison », ma femme qui voudrait bien et moi qui ne peux plus, Katy qui ne veut plus et moi qui voudrais bien, Françoise qui voudrait bien après vingt ans d'interruption et 5 ou 6 de persuasion – elle a eu du mal à se dérouiller, la vieille ! - et pour tout ça, pas le temps, pas le temps, pas le temps, à la sauvette, avec prétextes et faux-semblants, « je te croyais là tu étais ailleurs », quelle fatigue... quelle fatigue...

Avant c'était la haute mer, les rochers, mes horribles misogynies de Singe Vert ; à présent je débouche dans les « fertiles plaines » marécageuses(fertiles, mais paludiques pour leurs obligatoires enlisements) où je voulais tant pénétrer, tel un Steppenwolf devant le parquet encaustiqué de la vieille. Il ne s'agit que d'une œuvre littéraire, Véra, mais voici tout de même son plan : tu crois bien faire, et je te couvrirais de compliments, pour tes dévouements sacrificiels, COLLIGNON HARDT VANDEKEEN « PETITES ERRANCES »

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assoiffée de reconnaissance ; moi, voici ce que j'ai vu, constaté, cru voir ; et pour moi encore, me voici tout couvert d'une feinte et arrogante humilité. Tout serait traité par intrication, le tout assaisonné de considérations oppositives vive voix, courriel et téléphone... Ce serait sous couleur de fiction qui ne te tromperait pas, Véra. Et ce que je voudrais éviter, c'est ce mal-être que tu éprouverais à recevoir ma missive, mon paquet ficelé. Je voudrais t'épargner ce cœur battant d' appréhension, ces torrents de remise en cause et de rage, cette dépression autodénigratrice, où tu sombrerai, où tu as déjà sombré la seule fois où nous critiquâmes, même faiblement, tes prétendues méthodes d'éducation.

...Et tu évoques Françoise Dolto ! Tu es si profondément convaincue d'agir pour le bien de tous que, te démontrerait-on par a + b les méfaits de ton pilonnage, tu tortillerais ton raisonnement dans tous les sens pour te renfoncer dans tes convictions. De même, pour M. Minc, Israël doit absolument être coupable, au point que son éventuelle attaque préventive contre l'Iran constituerait le danger – non pas celle de l'Iran contre Israël. Sous ton nez, tu ne voix pas la chose. Le seul espoir sera le départ brusque de Lucinda, à 15 ans 3 mois, à 18 ans – mais dans quel état d'esquintement... Je ne peux m'endormir dans ce train. Me faisant face en biais, une quinqua usée sympa se repose la tête sur une semi-minerve adaptée à l'épaule. Derrière moi, de l'autre côté de l'allée aussi, une « jeune femme décidée » me regardait avec sympathie.

Elles seraient toutes disposées, sinon à m'accepter, du moins à « en parler » avec le sourire. Et puis merde. J'ai bien dormi. Des bribes de texte me remontent au crâne, arguments bien sentis, mieux sentis, plus de sang-froid, d'efficacité, d'agressivité. J'ai hâte de revenir. Je vais peut-être détester les voyages. Tandis que le dur roule vers Toulouse, je lis : il fut l'objet d'une « inscription » à fin de confiscation, comme détenteur de biens d'Etat. C'est du Lysias. Ce que je déteste chez les Grecs, c'est l'esprit grec : tel a raison, tel a tort ; il faut chercher « la vérité » (?) ; l'esprit rationnel, didactique et mathématique – fin de l'hystérie, début de l'observation objective. Leur lumière crue et méditerranéenne, et bon nombre de semblables fariboles. TOULOUSE – hurla-ce dans le haut-parleur. Terminus, ploucs. Ça descend, ça remonte. Pourvu que ma place latérale reste vide. Hélas les quais supportent des tas de femmes : la queue dans le ventre, le cerveau dans le cerveau – elles ne jouissent que comme ça – double branchement sinon rien – Nisard vous dis-je, Nisard : non pas la description de ce qui se passe, mais la description des incidents qui me frappent, moi, Nisard. Ma voisine explorant son sac me jette un œil d'animal COLLIGNON HARDT VANDEKEEN « ITINERRANCES »

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protégeant son territoire. Deux hommes dans mon dos se font des politesses : à celui des deux qui m'enculent – Je vous en prie - J e n'en ferai rien – Il y a plein de places – les autres! les autres ! - il mourut pendant l'interdiction – riche idée. Je ne sais plus quel cimetière j'ai visité. Juste Ste-Anne d'Apt et ses deux cryptes superposées. Très froides. Et le petit marché, bien apprécié. Mes yeux se ferment davantage – Nisard ! Nisard ! et si je démolissais Sidoine ? Mais ce dernier tient à moi, par toutes les vitres de ma tête, je m'endors. L'inculpation retombait alors sur son fils, beau-frère d'Aristophane. Dormir, dormir. A 38. Pas avant. Poursuive la lecture. Forger sa statue. Les Athéniens : procéduriers, méthodiques, logiques – mais dans la vie, chiotticisme. Le présent discours fut composé pour lui. Rien à foutre.

VARETZ 05 06 2056 1

 

 

 

Curieuse exhumation en ce bled pourri de Varetz (corrézien mais d'aspect ligérien) : Le Jeu de la feuillée en dialecte picard. Nous partîmes vaillants. Mais telles conditions y furent que je suis vaincu. De loin je contemple la ruine de mon cas particulier, l'abandon bienheureux de mes aspérités : plus rien ne me vient. Nous nous sommes arrêtés sur l'autoroute, et je sentais en moi s'épanouir un sexe féminin, sécurité. Il faisait frais dans la boutique, puis nous avons roulé jusque après Périgueux. Lorsque la fatigue se fit sentir, chercher nous fallut un hôtel, dès Hautefort. Nous essuyâmes maints refus, maints établissements fermés. Dont une Anglaise à St-Aignan, broyant le français à coups de grosses dents et de fortes mâchoires anglaises, puis Hôtel du Périgord Noir, excellent gîte adultérin – mais, personne...

Vue sur le château de Hautefort dans le lointain. Troisièmement : des ivrognes, face à la brocante, et une femme aux cheveux noirs, semblable à Mayröcker. (C'est ici que mon style se ferme ou se brise.) La résurrection de ce coin d'Arras, la satire des femmes grosses, les exhibitions d'urine, le fils qui saute sur son père pour le féconder : je comprends tout du premier coup ! Il m'aura fallu la soixante-cinquaine ! Combien peu sommes-nous à présent à lorgner par le trou de culture, sur tant d'années à jamais enfouies ? Le Devés : c'est autant dire le fou. Il a cassé les pots de son père. La course à l'escarbot ? c'est celle à l'échalote ! Hesselin est chanteur de gestes. Derrière le château, une petite avait vendu des glaces.

Je pense avoir dit « ma petite » ! moi ! « Mes chattes » disais-je aux stagiaires ! ...ce qui m'échappe ! Je me vois dans la peau distendue de T., bonhomme, mais plus séduisant, juste rond de manières et affable. Je ne sais plus ce qu'il en est. A Badefols, une table extérieur au travers de l'entrée nous montre un établissement fermé, n° 5. Coubjours : magnifiques paysages gâchés par l'obsession du gîte. 6e à St-Robert,en plein virage, n'ouvre qu'à 16 heures : pourquoi ce négligences ? 7e à Ayen, dans une belle résidence à peintres, plus question d'Objat : Varetz. Circulation là-bas infernale. 18 mn faites. Le soir : coincés derrière un muret, des bacs à fleurs ornés de grappes, nous écoutons des crétins rugbyvores, qui parlent par onomatopées. « Ils étaient tout en bleu, disaient des conneries », et ça discutait, et ça discutait, et ça circulait, à vous rendre abrutis.

Et ça tournait vers la route secondaire, et ça débouchait de la route secondaire, coupant deux files sous le nez des surgissants, et le soir, infos, émission sur la bisexualité. C'est bien, entre femmes. C'est nul, entre hommes. Je n'aime pas sucer. Juste me faire enquiller. Nuit pesante après baise sportive, ce qui nous arrive, tout de même... L'impression de me construire en me dispersant.

En m'éparpillant. Le lendemain, lecture sur la cuvette refermée des toilettes. Petit séjour à La Calèche, comme hier soir. Pénombre et aquarium. Trois secondes de mémoire pour un poisson rouge. Alzheimer permanent. La vieille dame, 70 ans, balaye les mégots, ils ont ouvert tard le soir, elle nous montre son établissement, des instruments de musique magnifiques suce-pendus aux murs, nous confie que son mari est mort en deux minutes, du cœur, se sentant partir, ce qui vaut mieux que de crever d'un cancer. J'ai toujours su parler de la mort avec les gens. Pour que cette patronne ait voulu se confier, il a bien fallu que nous ne fussions pas si ratés que cela.

Nous jouions aux maudits incompris, et Coste me disait : « Tu as beaucoup de vie sociale ! Tu me déçois ! » Nous partons pour Collonges-la-Rouge après téléphone à Sonia, dont la voix est forcée, métallique, dans l'appareil, en pleines emplettes... Et Adam ? Je sens revivre tout ce Moyen Age... Trois fois que je lis ce Jeu de la Feuillée, au hasard cahotant des programmes...

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« SAINT-CERE » 56 09 05

 

 

 

St-Céré. Je marche dans les rues « crinière au vent », passé de « jeune écervelé soucieux de son effet » à « vieux peintre pathétique ». Nous partons dans le frais, vers Collonges-la-Rouge (« plus rien ne bouge ») - deux heures de bonheur, à se demander si l'on est heureux, à conclure que « oui », photos numériques à la pelle à la pluie. Ce que l'on serait si l'on était un autre, « Mystère du monde, accorde l'Harmonie ». Brugnon articulait « Villa Harmonie » comme on déguste un fruit, baissant la voix, il l'aurait dit de façon enfantine. Aucune réponse de ses veuves. Derrière moi ça dort. Après Coullonges (acquisition d'un lézard rembourré), nous gagnons Cameyrac, où Fénelon (de Ste-Mondane) posséda aussi un bâtiment-presbytère.

Crêperie, des Espagnols non castillans malaisés à comprendre, avec deux petites sœurs à se damner déjà, l'une belle comme une femme elles se rendent pas compte car il ne s'agit pas de possession sexuelle mais d'envoûtement – le corps n'est plus ce que l'on prétend, présomptueux, posséder ; c'est une atroce impuissance imposibilité d'un autre règne, d'un autre ordre au point de vouloir frapper transpercer transgresser la Frontière Señor tién piedad de nosotros et le sous-chef crépier de ronchonner Des Espagnols on en a eu toute l'année y en a jusque là ta gueule charron ouvre un steak-frites.

Juste à côté « Menu Espagnol » boutique vide, sans Espagnols ni pitié saloperie de commerce - nous rejoignons la bagnole à l'ombre. A St-Céré donc le troisième hôtel est le bon, car devant le second, fermé , démarrait une noce à char-à-bancs 1880, coiffes et hauts-de-forme. Dames blanc crème. Je monte à l'hôtel Touring. Charmant réceptionniste, pédé si j'avais le temps, et que les odeurs de glandes à cul n'écœurent pas. Mon patronyme lui évoque celui de son maire près Limoges. Des bras je lui prends les oreillers que ma femme réclame, je peux les insaller mieux qu'un larbin. Et puis je suis revenu ici, dans ma chambre, après avoir dégoté un cybercafé juste à côté d'un cybermagasin qui n'envoyait vers d'autres, « au-dessus de l'office de tourisme » -  « mais je ne sais pas si c'est ouvert le samedi. - Ben j'm'en fous tant pis. » Et je suis revenu.

Je me sens tellement plus chez moi à l'hôtel. Anne dort. Sans elle pourtant je sais quelle pente j'aurais dévalée. Quant à l'endormissement, j'en eus l'explication de la bouche d'un éphémère collègue : c'est que je ne provoque ni tension ni attention, sans peur, et que la sensation s'invite et ne lâche plus, vous menant inexorablement vers « la vie ressentie, à la source même de l'être », Bergson dixerat. Situation, le lendemain, très particulière : dans un fauteuil de hall médiocrement éclairé, attendant le lever d'une encore ensuquée dans le sommeil. Nous avons présumé de ses COLLIGNON HARDT VANDEKEEN « PETITES ERRANCES »

« SAINT-CERE » 05 09 2056 2

 

 

 

forces. Elle se trouve plus affaiblie que je n'aurai cru, devant éprouver de grandes difficultés à dépasser désormais les frontières de l'Aquitaine. De plus, mes lectures de cuvette à chiottes m'ont semé one more time le doute quant au bien-fondé de ma conduite de vie : l'étude du Talmud en effet se fonde sur l'effort, l'engagement affectif. Or je n'étudie, quoi que ce soit, que pour avoir empilé, entassé, derrière moi, tels ou tels livres, en les oubliant. Comme on accumule des nombres en comptant. J'ai sursauté en lisant le passage où l'on reprochait à certains sages de ne pas mettre en pratique, matérielle, leurs connaissances : c'est tout à fait moi.

C'est très simple, je refuse. J'ai peur. Incroyable le nombre de ceux qui veulent absolument que l'on s'engage, du Talmud à Sartre.

 

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GAPENÇAISES 56 10 07

 

 

 

Après tant d'évènements, je peux en revenir à mes talentueux chapitres... Il y a cette montée en car, derrière ces volubiles Allemandes, à qui j'ai bien montré par les oreilles que je parlais, moi aussi, l'allemand – sans les comprendre toutefois : au téléphone, mêlé d'hébreu de pacotille. Cette lente tombée du soir, avec mugissement des montagnes plus hautes après petit pissat dans un buisson de Manosque : "Vous m'attendez au moins ? - N'ayez pas peur, il y a du monde." Ce jeune rouquin de l'université d'Aix: "Cela ne vous dérangera pas, si je... - Non non !" - et de tirer de sa poche un Spinoza, veinard ! Moi qui n'ai jamais pu franchir la première assertion : Si la pierre qui tombe avait une conscience, elle se croirait libre ! - et je le lorgne en biais, lisant aaussi Freud, en anglais, par-dessus deux langues : The man's soul, et je me rappelle que l'université d'Aix, avec Strasbourg et Paris, forment la plupart des agrégés de France, que l'on supprimera un jour.

Il décroche un portable et s'exclame : "Ça alors ! Toi qui d'habitude me téléphone toutes les morts d'évêques ou chaque fois qu'il se vend un cercueil à six place !" - je pouffe, il m'et reconnaissant. "Moi, ça va ! Parle-moi plutôt de toi. Téléphone-moi pour me parler de toi." L'interlocuteur est un Suisse qui fait le va-et-vient du Vaucluse au Valais? Et je ne saurai rien du petit rouquin mince aux timidités de potache, tandis que je lisais à son côté Nocturnes d'Ed McBain, sombre histoire new-yorkaise (ville d' "Isola")où s'assasinent les vieilles pianistes arthritiques des doigts. Je l'ai fini, les méchants sont punis, la justice régnante et les procédés bien rodés – surtout ne pas feindre en autocar, en train, comme j'ai fait avec l'hébreu : c'est Daninos qui me l'a dit ; "Tu te souviens des plants de tabac à Madagascar ?" - ou mieux encore, entendu au portable : "Alors, à demain à Oran !" - mais oui ma bonne dame, rien de plus commun que de prendre le vol Marseille-Oran – il existe donc encore des Français d'Algérie, des Oranais même : de ces petits gâteaux garnis d'abricots dans le jus.

De Manosque à Sisteron glapirent près de moi deux écolières brunes, mâtinées d'Orient, bredouillant et mâchant chaque syllabe, surexcitées voulues comiques dans le gazouillis de treize ans trois quarts : des histoires de chien à caresser, "hideux le chien, hideux, tondu", chargées de sexe implicite à se tordre, mais d'une telle innocence d'enfance, début de sève où tout fait sens, où chaque mot donc se charge en 5e vitesse de plus de volupté qu'il n'en contractera de toute une vie. Puis deux sexagénaires si vieux amis, l'un Richard Pierre ou Fabre ou tout autre entomologiste me régalant d'explications confuses sur la route à prendre de "Formule Un", chaîne de mon hôtel pas cher. Cependant l'autocar virait, sans trêve, et je dus descendu quémander mon chemin tirant ma tirette, les anses de mon sac d'occase ayant rompu. Enfin j'y parvins, signai mes 3 chèques touchables en trois mois ("Le patron sera là mais ne voudra pas"). Puis téléphones, puis téléphones, puis télé, puis bouffe frite et chocolat, puis promenade entre les magasins qui vidèrent la ville, McDo, Lidl et Carrefour. Et j'ai monté puis descendu l'avenue, j'ai pris l'appel de ma femme qui ne m'aime plus et couche avec une autre, puis il y eut un nuit, et il y eut un matin... Petit-déjeuner dans la salle aux sièges de bar, pas de dossier dès le dessus des lombes, un jus d'orange. Une longue descente vers le centre ville, un Parc des Pépinières, un musée "Fermé en octobre" agrémenté de phrases sur ses frises, comme à Paris le palais de Chaillot.

J'ai fait le tour de ville avec le plan de Gap ("Six euros cinquante ! - Pardon, quatre euros cinquante, c'est marqué là") intensément prié à la cathédrale pur Napoléon III (fleurissaient des affiches sur le diaconat, remis à l'honneur par Vatican II (Mgr di Falco cherchant un diacre à vie comme Alcuin à lire un beau jour avant de crever) – payer la voyante Tara, qui prédit bien. Remboursable. Sinon tant pis. Retouor à la chambre. Soigneux message à Domi par SMS interrompu d'une fâcheuse communication de Katy (en scène atroce avec son mec) : "Ce pied Domi, ce pied", même chose qu'à son ex, mais pour lui, j'ai développé : "Ds une chambre 1personnelle à souhaits, à moi tout entière, sans autre contact humain que strictement commercial." Katy : "Ne téléphone plus c'est horrible, il a pété le portable contre le mur"- c'est faux, Katy, cela s'entendrait.

Au bout du fil un silence absolu. J'aurais dû ouïr de longs hurlements. Tu affabules. Tes scènes ne se peuvent pas. Tu te réserves de me recontacter – fais donc à ta guise, je l'aurai eu, mon amour standard, c'était donc ça, comme un roman, que tout aille comme il veut, tu viens chez moi dès que tu veux, ou bien je t'emmène, tu sauras bien quej 'étais dans le vrai : le romanesque seul est véritable. Savoir si Cervantès est de la même trempe qu'Alcofribas Nasier – non...

 

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LA CIOTAT : LA CROISIERE 1

 

 

 

A présent, "Promenade en mer". Je hécris pour la postérité. Je partis seul, nous revînmes quarante. The captain was dubitative : the sea was rough, we would'nt start. Eh bien si. Le groupe de septante papies-mamies se réduisit comme beurre en broche, et je gagnai le pont d'en haut, sûr d'y être moins nauséeux. Certes ! mais de bons paquets de mer en quittant le port. T puis, devant vous de face, ou derrière, des hommes et des femmes tous joyeux, dont un Jean-Marc fleurant bon la vinasse et qui mimait sans cesse de la main le retournement imminent du bateau ; un rigolo, à casquette SNCF, qui avait déjà "fait la croisière". Commentaires futés de fuser tout au long, si bien que je ne pus me dispenser dans émettre d'autres – assez peu, mais assez bons.

Il régnait une "franche camaraderie", les vagues courtes tapaient les culs. Et défilaient à droite, à tribord, falaises et calanques, avec le commentaire du fils du patron, mêlant son discours de guide d'une multitude d' "y" superflus : c'étaient ma foi des rochers qui tombaient tout droits ans la mer, bien pittoresques et tout, dûment bouclés dans ma boîte à photos. "Le Trou du... le Trou du... Diable !" dit le guide, juste sous le Doigt de Dieu, lui aussi en photo, plus le cabanon où fut filmé Alain Delon". Au retour, vent de face ("vent debout"), remontée du col sur les oreilles, buée sur les lunettes – ouf, accostage. Et fin de rédaction. Toute la pente à poster des SMS, à Sonia qui me conseille de pisser contre une cabine transparente – "idée de Maman ! - Je l'emmerde, à pied, à cheval et en voiture !" - Homme libre, toujours tu chériras la mer. Et je n'ai pu trouver A l'est d'Eden, mais une libraire au crâne ras pourtant magnifique, me passe un prospectus des éditions Milan qui porte le slogan Lire nuit gravemen aux idées reçues. De retour chez Coste en haut de la pente, affalé devant un match télévisé.

Celan ? Il est dans le buisson en train d'chier. Double enseignement : 1°, j'ai vécu en me marrant, pas toujours si malheureux que ça. 2, je dois jouer, bouffonner, scapiner : tout le monde s'en aperçoit, mais je ne sais communiquer que de cette façon – sinon gaffe sur gaffe, mise au jour d'un fascisme latent, de mon mépris total pour tous ceux qui ne sont pas mon public. J'en prends acte et mon parti. Quant au (trois) peuple, j'en suis issu, j'y ai vécu, grand-père ouvrier devenu chef de gare, maman fille d'agriculteur devenu contremaître, qui lui, au moins, a fermé sa gueule pendant l'Occupation. Si j'avais toujours vécu dans le peuple et sa fraternité, au lieu de me croire supérieur pour avoir fait des études de même, je n'aurais pas voulu me faire connaître des élites autoproclamées autant que cooptées, mais rien ne dit que j'eusse obtenu l'amour et l'intégration – problème : peut-on rester du peuple après avoir perdu les préjugés du peuple ?

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LA CIOTAT : LA CROISIERE 2

 

 

 

Les mots, cher Celan, sont donc "rassemblés" (zusammengetretene [...]) quand je les avais crus "foulés aux pieds" de treten. Le prof d'allemand m'avait bien dit que le plus difficile, en matière de vocabulaire, c'était l'arbitraire de la spécification : Durchbruch, étymologiquement, signifie bien "irruption", mais dans le sens courant, c'est la diarrhée... Voir aussi comment on dit "la lèpre" ! (der Aussatz). En ce moment j'ai hâte de m'interrompre pour me foot ; simplement, resté peuple, il eût fallu savoir ne pas s'y borner, se lasser d'entendre à toutes les fins de phrases "putain d'enculé de la mort" – mais à 40 ans, mon amie, il est trop tard : il te reste une faiblesse d'esprit qui te fait prendre les élucubrations d'un autodidacte, à mon sujet, pour parole d'Evangile...

Je te reproche d'avoir à mon compte repris les propos de ce traître : "Tu passes partout pour un con" – non, mes amis : chez les "pousse-toi de là que je m'y mette", assurément. Mais ailleurs, non.

 

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"ENTRE NARBONNE ET MONTPELLIER" 57 03 22

 

 

 

 

Jamais je ne révélerai ce qui s'est passé. Je suis, me crois ou me veux amoureux de Liétouva. Je ne saurais plus faire l'acte qu'avec elle. Tout autre comportement serait trahison. Que faire. Ennui considérable dans ce train. Débris de ma vie. Salut David, Brocanteur ; je savais bien que tu viendrais fourrer ton nez ici. Par moi-même il m'est impossible d'écrire. Mes raisonnements se brouillent car je l'ai voulu. Je parviens à manipuler le monde (en ce sens seul je suis un "manipulateur") – tant est grande la puissance de l'esprit - mais qu'est-ce qu'un Romain qui pense ? Existe-t-il un monde extérieur ? A côté de moi deux femmes en lunettes noires, devenues amies en 100 km, et juste sur mon siège à mon flanc personne, d'où Dieu merci mon voisin avait émigré : nous ne pouvions bouger que nous ne nous touchassions.

Pour faire bonne mesure j'avais aligné quelques lettres hébraïques, graphisme de CP. Mes doigts sentent les chips "façon barbecue". De ces hommes et de ces femmes du wagon je ne connais rien, démarches sentimentales, déceptions ou plaisirs. Quand je suis pris ainsi de grands apitoiements, l'éphémère compassion pour le genre humain, rien ne me vient, ni ligne écrite ni désir de se distinguer. J'ai vécu sur scène : mais le plateau s'effondre de toute part. J'essayais de ne plus penser, du tout. Soulagé. En toute logique je voulais l'obscurité : je lançais les papiers dans le caniveau. Mon nom est Maudit Anneau. Comme Salinger : pas une photo pendant trente ans. Liétouva me téléphone : "Joker ! Joker !" en plein train. Je suis si merveilleux si coupable, lièvre non de Partagonie mais de Suomi, extraordinaire surprise – tout se brouille je n'ai plus d'ami, j'enverrai tous azimuts avant le sabbat final. Terzieff hochait la tête, sans plus saluer le public, tout septuagénaire il irradiait, pourquoi tant de haine afflue-t-il à ma conscience, le sexe dérobé l'amour offert, wo pou dong "je ne comprends pas"... Puis, à Espinasses, de renseignement en renseignement – Belges à la bouche pleine – découvrir la petite maison jaune de Dorimon, portant sur la boîte aux lettres les initiales de ses deux filles, Dominique et Euphrasie. Monter doucement jusqu'en haut du remblai de St-Pons au-dessus du lac de retenue, redescendre en multilpliant les photos numériques. Fatigue immense. Indigence de Putzulu dans Boubouroche, après que j'ai vu en personne Michel Simon à Tanger. Ma petite table d'angle mal éclairée, sous la télévision.

COLLIGNON HARDT VANDEKEEN « PETITES ERRANCES »

« ETONNANTS MUSICIENS » (La Ciotat) 57 03 24

Etonnants musiciens que les compagnons de Marcello, dit Coste, ouvrageant le Quintette de Schubert D 956. Réminiscences de la Trinité deux ans plus tôt composée. Deux femmes violoncellistes marquant leurs sourires, je ne les connais pas : Elisabeth, sèche, Nicole pulpeuse. Plus le premier violon dit « Michel », et René compositeur de Perpignan. Des dissonances. De très beaux passages, musclés et fins. Des empressements. Des amitiés non de sac mais de cordes. Je reste en retrait, maniant l'éblouissant Fotogerät, après nos inévitables captationes benevolentiae. Dieu merci sans applaudissements.

Des hachages en effet, des bizarreries – cours perpétuels, comédies perpétuelles : agir dans les contacts sociaux de la même manière qu'à son bureau, le regard luisant mais pas trop, sourires, plaisanteries modérées, silences disposés pour laisser place à la respiration, cela marche ; mais toujours sur l'hâbrech, épuisant, toujours mieux cependant que cette indifférence de fatigue : je vois que tu te fous complètement de mes discours – et si je voulais être seul ? Faire la gueule ? Anne elle-seule pourrait comprendre. Je lis pour le moment Celan, coup de foudre non de cœur mais d'esprit. L'ouvrage de Nouss m'initie, j'apprends à lire le noyé de 70. N'ai toujours pas compris Novalis, donné à Ch. M.

Pour Celan, c'est d'abord l'allemand, puis le français page de droite, puis retour au germain. Pour finir « une strophe par cœur aussitôt oubliée ». Je me dis « Mon Dieu que je m'élève » ( « au-dessus des autres, minable critère : toutefois lire et réciter de toute ma conviction ; j'apprends Atemwende). « Bei den zusammengetretenen Zeichen », « près des signes rassemblés » : sont-ils hébraïques ? Mon attirance est ambiguë, tient du charme et de l'agacement : faire l'enfant, la femme, le vieux, le sage et le fou. J'embobine mais point ne manipule. Sans mener quiconque au rebours de sa volonté, je le croyais. Celan ne m'attire pas outre mesure. Trop abstrus. J'ai voulu simplement explorer ce territoire. Voir si je peux l'annexer à mon puzzle. Afin de faire effet dans les conversations, les contacts. « Mais tu sais tout ! » (« les habitants de Buenos-Ayres s'appellent porteños »)- grand-père explora les Pampas dans les 92/93 du XIXe ; il poussait des wagonnets chargés de bouteilles à peine soufflées.

Il n'a pas tenu longtemps ; mais j'ai peut-être un oncle en Amérique. Le reste de sa vie le père de mon père a fait des enfants au « Colonel », sa femme, qui « n'[a] jamais éprouvé le moindre plaisir avec [s]on mari », Alphonsine née Crut. « Pour suivre ta conversation, disait Marcel le musicien, il me faut un esprit vraiment habile » - pour moi la culture serait donc de placer un mot qui relance le discours, permettant de briller à faible coût ? La culture serait posture, amour cabotin des planches ? ou bien je vais plus loin et tombe en mystique : « entre les mains (« aux mains ») de Dieu, rien ne servirait de connaître Celan, ni Shakespeare ? Est-ce si banal ? Double façon (les planches, l'autel) de jeter le leurre ?

D'évacuer le moi ? Ne resterait que la franchise, l'aveu de sa sottise, des surfaces ? J'ai comme repoussoir les outrances de ceux qui prétendent « avoir foré plus loin » : je m'essouffle à débusquer chez eux le moindre signe d'orgueil. Béjart croyait en ce qu'il faisait. Celan : persuadé d'agir au mieux. Et, chez tous, cette conviction que le moi n'était rien, quitte à le renforcer par son oubli – chassez le moi, il revient au galop.

COLLIGNON ITINERANCES 27

LA VIREE DU BARON

 

 

 

Ecris, Moïse, tes mémoires.

Je suis parti vaillant, après lecture sur Napoléon, pour l'Auberge de la Bergerie, 5 km : affiche plaisante, un mouton aux dents qui dépassent, et broutent – pourrait être méchant, plutôt mordant, sarcastique. Au début, c'est très dur : de hautes montées goudronnées, sous le soleil déjà chaud de 10h. Suis obligé de, m'oblige à compter mes pas, surveillant le cœur, prenant dix aspirations immobile tous les 120 pas soit 100 mètres. La route se replie sur elle-même, les voitures descendent vers Privas. Tout ce trajet, sur la corde interne des virages, il faudra demeurer immobile et plaqué, pour ne pas se faire écharper par les véhicules. Des profondeurs de la vallée d'Ouvèze monte la rumeur de cette grappe dispersée d'œufs de fourmis de Privas, dont la zone industrielle, hideuse comme toutes, couvre une surface supérieure à celle de la vieille ville, elle-même corsetée de brillants HLM des sixties. Plus loin, le Mont Tholon, dont j'atteindrai, puis dépasserai la hauteur.

Je retrouverai ce soir ces trois hideux chancres parallépipédiques tenant lieu d'obligatoire Cité pour toute Ville Moderne qui se respecte. Je monte et monte, de volée en volée, jamais plus à la fois que 100 ou 200 mètres, sans que la rumeur industrielle et motorisée s'atténue. Marche lente, à la montagnarde, à la Giono, à la Frison-Roche. La première halte sera d'un site de deltaplane. Il y a là une table à deux bancs d'aire autoroutière, le tout faisant corps. Je m'assieds, envoie un message à Domi qui reste mon ami quelque part dans un petit coin. J'apprends que mon fournisseur me coupe la communication partante pour impayé. "Former le 700", quod facio, mais tombe sur des répondeurs en gigogne : taper 1, taper 2, taper dièze – je ne vais pas m'emmerder avec ça quand je domine tout, y compris, vers l'est, des nappes de brouillard au creux des pentes (photos).

Mais risquer sa vie (je maintiens que le parapente, au même titre que le saut à l'élastique, est une activité masochiste, voire autosadique, et que j'interdirais sitôt que je serais dictateur ; c'est une honte, un manque de dignité pour la propre dignité de son corps immortel, que de lancer ainsi dans le vide de la mort sa personne même, éternelle et friable) – risquer sa vie pour voir au-dessous de soi cette infecte vallée privassienne semée de villas blanches comme autant de parasites en larves. À coup sûr il existe de plus beaux sites. Un chien maigre et noir, un maître maigre et noir de cheveux et de vêtements, passent dans mon dos, le chien me flaire (pas l'homme). Les deux humains se saluent de la voix.

J'espère qu'il ne se promène pas à pied, pour ne pas le recroiser, comme je le fus par une mère et sa fille en Aveyron jadis, qui se dirent "merde" en revenant vers moi sur un sentier, chacun de nous ayant fait demi-tour. Dieu merci, la petite voiture proprette de la Drôme prouve sa non-pédestrisation. Comme elle est propre et lissée, la petite banquette arrière à chabraque fauve ou faux cuir pour le chienchien bien-aimé ! Or la montée se poursuit, halte, repos, trajet pesant, 15% de dénivellation, pointant du doigt tous les 120m les débris de l'été, bouteilles de plastique et autres canettes, que les estivants se croient tenus de jeter par les portières. Je te renverrais tout ça aux fabricants avec une amende de 100 euros, à répercuter sur les prix de vente... Et je parviens enfin, après plus de deux heures très lentes, à l'embranchement de l'auberge : même mouton sur le panneau – "Attention, enfants (centre aéré)" – peut-être plus en octobre, halte assise sur un petit tronc de rameau. "Suivre Fromage de chèvre" (panneau resté invisible), vente (décidément) à la ferme" : il faut bien que les pecquenods vivent !

Bien d'ailleurs, à en juger par la guinde à 20 000 euros qui se fait ouvrir par télécommande les vantaux forgés de la vaste propriété patronale. Je monte. Et je vois au loin, pour longtemps, se rapprochant si lentement au pas de l'homme, 3, 5, 6 éoliennes. J'approche du sommet de la Côte du Baron, au nom si plaisamment et doublement boucher. Certes, les éoliennes me semblent une escroquerie écologique : des tonnes de ciment dans le sol pour les fixer, l'entretien plus coûteux que les économies faites ; mais j'aime ces tournoiements, qui introduisent dans le paysage un peu conventionnel des hauts plateaux pâturés la fulgurance d'une modernité, de la même façon (référencer rassure) que les moulins à vent du XIe siècle se sont mis ) ponctuer les campagnes.

Pourquoi trouver beaux les moulinzavents, et dénigrer les éoliennes ? Peur du gigantisme ? Posant le cul sur une pierre, je manque écraser une femme, pardon une mante religieuse. Puis je m'approche de ce monstre brassant, les autres plus loin tournant en même temps, les 6 trios de palmes en synchronique, dans un houlement de tempête. Le rythme du marcheur permet de voir le profilage admirable des pales conçues pour engranger le plus de vent possible. Et sur la gauche, obstinée, que je prenais pour le grincement des rouages géants là-haut, le tintement tout bête des clarines à moutons, qui paissent là sous le vent – mais ils ne se laissent paqs photographier. Petit couplet sur le moderne et l'ancestral ? c'est fait.

Le blaireau mort, en revanche, vu de cul sur le bas-côté, s'est laissé prendre le portrait, avant que trop de mouches s'y mettent. Ses yeux sont ouverts et ternes, car nul ne ferme les yeux des bêtes – pour mon chat je n'ai pas osé, crainte de sentir les globes oculaires céder sous mes doigts comme une dégueulasse purée de myrtilles. Je crois que j'ai longé des éoliennes 3 bons quarts d'heure avant de voir la fin de ma route, embranchée vers Blêmas à gauche, col du Pontet à droite : la mémoire des noms m'échappe. La carte consultée m'a tiré d'erreur, et longeant une ferme (photo du toit retenu par les pierres), j'amorce une immense descente, à deux versants cette fois, sans forêt pour l'enclore à droite ni à gauche selon les méandres, un paysage ouvert et verdoyant. Un couple mixte de cyclistes croise ma route et saluent, chose inattendue pour l'Ardèche, où l'on est ma foi bien plus aimable qu'au Périgord. A gauche, village de Freyssenet, "un bijou !" - m'exclamai-je avec la discrétion d'une Castafiore.

Église, vite. Suivi du regard par une quadragénaire peu amène et vachement desséchée sous son chignon. Je vois sur une porte une clé à breloque de plastique bleue, qu'il suffit de tourner (l'étourderie du gardien !) - photographie de l'autel d'une seule pièce, laissant la porte ouverte dans mon dos pour éviter toute interprétation de larcin. Pas d'orgue, nudité. Les deux fils Faure, les deux fils Ville, sont tombés au champ d'honneur, 8 morts pour ce petit village. Je ressors m'assoir sur un banc, refermant la clé oubliée par la dame au chignon. Son mari passe en contrebas d'un pas traînant pour héler un tracteur. Photographie de la mairie, avec son petit drapeau. Pendant ce temps l'épouse va et vient de chez elle au hangar à bois, pour bien me montrer à qui appartient tout ce coin de hameau.

Je la salue poliment, l'obligeant à répondre, sévère, en pantalons, mais jadis, elle aurait porté un sarrau. Une porte en bois, plus loin, m'indique "Monmé, tabac, épicerie". Je n'ai toujours pas mangé. Je ne rentrerai chez moi qu'à 19h30, épuisé, raidi, disloqué. En traîne-savates, genoux bloqués, mollets en poteaux, et toujours à jeun, juste des mûres, dont j'ai souillé ma devanture. Achat d'un flan, enfin du frais, cherché l'Intermarché, revenu sur mes pas, tenté du stop, remonté fourbu, 1l 1/2 de Coca plus 4 produits laitiers à la vanille. Le front dans la main à mon balcon, la zone qui gronde en contrebas. La caissière asiatique à face plate, fascinante, m'a snobé. Le petit Zinedine est allé rapporter sa "surprise" bleue pour garçon ("Veux-tu me ramener ça où tu l'as pris ! Allez hop !") La plupart des gens sont bien disposés, pacifiques.

Ce matin, monte en ville me vautrer sur deux bancs de métal vert face à face, écoutant Jérôme Savary. Privas ressemble à Gap par les reliefs qui l'entourent. Et la circulation intense a répondu à la désertification de l'arrière-pays. Je me souviens d'une mémère bien solide qui braillait à son interlocutrice en frisous, courbée sur son Caddie : "Pour payer les impôts, nous sommes là ! Mais pour ce qui est des services, on ne nous connaît pas ! - C'est vrai, madame l'ex-syndicaliste, c'est vrai, on se fait piétiner" – tandis que Jérôme à l'antenne trouve Sarko sympa comme individu, sa politique étant détestable. Je me demande quelle cible nos braves opposants vont bien pouvoir se dégoter une fois que Nicolas S. aura quitté le pouvoir – ah les niais ! Phares précoces dans le brouillard, hier je suis monté là-haut, sur ce coude de goudron alors surchauffé, nostalgie à 47€ la nuit. Profiter du dernier crépuscule à Privas. La piscine est fermée. Un chien aboie d'un ton grave à son propre écho. Que se disent-ils ? J'ai besoin de bien soigner et consoler ma femme. C'était bien, Privas, vous savez.

J'étais déjà venu deux fois. Il y avait un auvent, une place déserte, un orage et la nuit tombante. Ou bien ailleurs. Plus loin, près de l'autre hôtel. A Millau non plus, à Rodez, Saint-Flour, vus en 76, avant l'informatique, avant. Frisquet sur le balcon, table en plastique, foules absentes, veilleuses qui s'allument, au revoir, prochain objectif Charleville, adieu Brocanteur.

 

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Tout a commencé fort banalement, par un long trajet en bus, ma ville entière traversée en 35mn, sans émotion particulière, sans le moindre incident. Pas de Noir qui vous prenne à partie ni par les parties. Un train vers Paris sans histoire, la queue à Montparnasse pour un tiquet de métro : une fille très pâle et son mec à piercing, très pâle, dans une langue incompréhensible – esthonien ? islandais ? Puis la queue s'interrompt, l'employée tendant son ruban : "Désormais c'est fermé, voyez l'autre file." Que faire ? Couper "l'autre file" par le travers ? À quel endroit ? Nous nous résolvons à nous répartir près des points de vente automatique : "facile", disent-ils... pour ceux qui comprennent! "Nous ne rendons plus la monnaie", l'arnaque !

Le temps perdu m'enlise la pensée, je compte les stations jusqu'à Gare de l'Est, sans même pouvoir profiter d'une excitation parisienne, m'inquiétant de mon retard. Voie 27, le Paris-Mézières, une fille qui dort avec une tronche grognonne de musaraigne aplatie, malgré son exaspération de me voir tournoyer puis m'abattre auprès d'elle (le temps de trier ce dont j'ai besoin). A mon arrivée, voyant la rareté en ce lundi de Pâques des bus "3" municipaux, je tente l'heure de traversée pedibus. Une mémé me baragouine Dieu sait quelle langue, iranien, portugais ? Je pars au pifomètre, sans plan, guidé mar mes seuls souvenirs d'internet. Mais tout est bien plus long ! Mézières s'étire lamentablement, premier pont, deuxième pont, l'avenue Carnot étire indûment ses numéros jusqu'à plus de 220.

Enfin, à une station service (spectaculaire évasion de 480 talibans dit la radio je n'en suis pas le pompiste me fait la grâce de rire, je suis échevelé, fatigué). Première chambre pas prête, c'est le cas aussi pour un couple de vieilles gouines avec leur chatte "bonne voyageuse", car je m'en suis enquis pour faire l'aimable. Numéro 202. Le gérant ressemble à Fabien Burgot. Télévision. Zapping effréné. Un dimanche à la campagne, avec le merveilleux Louis Ducreux, mort peu après. Quand j'éteins, je n'ai plus pour me contenter ni force ni envie. Mais je me promène en zone industrielle, sous une longue rangée de réverbères. Dans la forêt adjacente, juste des craquements, une vaste tranquillité.

Au bout d'un diverticule, un bâtiment plat derrière des camions de Z.I., "Chambres funéraires – Tonnelier". Je n'ose pousser la porte, un macchabée en pleine nuit ? Le lendemain soleil, un bol de cornflakes au lait, je reprends mes 4 kilomètres, un bus 3 me double, dont le chauffeur m'indique du doigt l'arrêt suivant, il m'attend porte ouverte, je galope à couper le souffle, redescends rue de Nouzonville, beau panorama de Meuse, Pointe du Moulin. Au large un pagayeur COLLIGNON HARDT VANDEKEN ITINERANCES

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pagaie à grands moulinets, 10h moins 10, les employés préparent l'ouverture, l'ancien Moulin abrite le Musée Rimbaud : ce ne sont que copies et photographies, le seul qui m'émeuve est le non moins tordu Camille Pelletan, qui se tripote un bâton d'un air farouche. Je tâche, à ce Coin de table, à me passionner. Le premier étage présente du Plossu. On ne s'appelle pas Plossu. Et ses clichés, en noir et blanc, se perdent au sein d'immenses marges encadrées. Tout relief se voit gommé, et les petits paysages ainsi étiquetés perdent toute puissance émotionnelle. Le catalogue, bien paginé, peut entraîner l'adhésion.

Le deuxième étage présente encore moins d'intérêt si possible. Rien du tout n'en présente en fait. Et Plossu bat des records de banalité. Ce qui laisse libre cours à l'imagination bien sûr, mais cette paroi toute nue en laisse encore bien davantage. Et puis Rimbaud n'est pas mon poète. Trop sûr de lui, trop arrogant, grande gueule, sans manières. Sa poésie trop péremptoire. Dans sa maison quai de la Madeleine, des installations "à la page" masquant mal un vide intersidéral : oui, Rimbaud vivait là – et après ? Une double banquette, de la musique à partir de bruits, censée nous faire voyager. Dans une autre pièce, des extraits de poèmes balafrent le mur : c'est la chambre de notre poète.

Rien que du conventionnel. Sauf au deuxième étage où retentissait la voix rauque d'un locuteur amharique, encore l'émotion demeura-t-elle bien rudimentaire. Mon souvenir amplifiera tout cela.

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S'il n'y avait pas ce désir de repentance, de retour à la vraie Foi, jamais je n'écrirais. Il faut bien que je croie en quelque chose. Le mensonge mène à la banalité, qui mène au silence, et sans doute jamais ces paroles ici transcrites ne trouveront-elles de lecteur, puisqu'au moins trois ans passeront avant qu'elles ne soient imprimées. J'entends d'ici rire dans ce minable hôtel où se déchaînent les grosses rigolades et l'ivresse. Je viens de voir l'étrange dénouement auquel se livre l'adaptateur de Boule de suif. Pour ma part, je peine à raccorder les morceaux. C'est de mon plein gré que je me suis lancé dans ce parcours casse-gueule de la vérité. J'ai rencontré rue Dolet une Anne-Marie de mon âge, qui m'a demandé mon prénom.

Elle m'a dit "Jai la diarrhée". Le flirt commençait bien. Tant elle se plaignait avec sa béquille que deux fois je l'ai embrassée, sa peau était d'une douceur satinée. Je n'aurais pu la secourir davantage, car il m'est venu à Bordeaux une vie et une famille. C'est par ici dans les Ardennes que COLLIGNON HARDT VANDEKEN ITINERANCES

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je me sens bien, parce que j'y ai des attaches spirituelles, à 15 km de la Belgique : mon père a vécu et souffert ici, "à l'E.P.S. de Mézières". Puis il a commencé sa carrière cahotante, empreinte de misère et de coups de gueule, toute baignée par la peur et ces préjugés sur la domination du mâle. C'est ici que j'ai dit à Evelyne Ferry "Tu commAnderas les jours pairs et moi les jours impairs". Nous étions à Mohon, dans une cité ouvrière peut-être disparue. Les femmes portent un précieux calice. Je lui disais, à cette Anne-Marie dont le prénom fut couvert par un passage de voiture, qu'à nos âges personne n'était plus libre.

Mais au retour de mon expédition, comme une pluie perçante commençait à tomber, j'ai préféré prendre le bus, tandis que les passagers poursuivaient leurs conversations à l'intérieur, et plus jamais je ne repasserais au 22 rue Etienne Dolet, pendu et brûlé gros et gras l'an de grâce 1546. Je n'aurais pu soutenir toutes ces misères que les femmes traînent et qu'elles nous contraignent à soulager, car si mon père avait le préjugé de l'autorité mâle, je me trimballe pour ma part celui du chevalier blanc secoureur de la veuve et de l'orphelin. Déambulant tout doucement parmi mes battements de cœur, je suis remonté vers le musée des Ardennes, où j'ai gravi les quatre niveaux de la connaissance : depuis le petit casque enfantin du guerrier de La Tène jusqu'à Charles de Gonzague et au-delà.

Il y avait une vieille érudite et son ami ou fils, déchiffrant une inscription sarcophagique : "Mais non, ce n'était pas un citoyen ! il portait un gentilice local, en -o ! " Je n'ai pas voulu me mêler à la conversation. Il ne m'a pas été loisible de côtoyer cette inscription étroitement chaînée d'une lettre à l'autre. Je me suis reposé devant la sombre reconstitution d'une apothicairerie du XVIIIe, les laissant à leur tour l'admirer. C'était aussi la première fois dans un musée que je voyais un Isaac tête sur le billot ouvrant la bouche de terreur dans un éclat de cri, bouche ouverte et circulaire en biais, semblant victime d'un éclatement de pierre accidentel. J'ai photographié maintes choses, des marionnettes du théâtre d'ombres de Java, recherchant à ma sortie ce fameux automate de la place W. Churchill : chaque heure présentant un spectacle différent.

Or le ventre du bonhomme était resté bien derrière ses planches, et je ne vis aucun de ces tableaux qui se mouvaient aux heures justes. Ce n'est qu'ensuite que j'ai attaqué le Mont Olympe. Je ne me souvenais pas de ces broussailles. Il y avait pour mes dix ans un très beau parc bien taillé, avec des bancs de pierre. Et le sol était plat et non pas montueux. Au sommet, des villas de blaireaux conçues par un blaireau de promoteur de lotissement, comme à Clermont au sommet de COLLIGNON HARDT VANDEKEN ITINERANCES

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Chanturgue, réduisant l'Olympe à quelques jardins où l'on voyait déambuler de gros blaireaux en bermudas. Je suis revenu par la passerelle du moulin, croisant d'indifférents groupes de collégiens enfants. Ils avaient l'air ploucs et francs, loin des teigneux de mon Sud-Ouest par adoption. Puis j'ai tourné, à droite, à gauche, dans de très longues rues à l'est de Charleville, jusqu'à ce que, parvenu à l'extrémité d'uen rue de l'Eglise, je fusse parvenu aux dernières volées de cloches manuelles devant St-Rémi : une femme au sommet des marches donnait à ses connaissances un fascicule, j'entrai après elle.

C'était bien du monde pour un mercredi à 14h 3, et bien noir. Des fleurs parcoururent en pots l'allée centrale, portées par de diligents employés. Un cliquetis m'avertit qu'on déposerait un cercueil sous le narthex, où se tenait le vieux curé avec ses enfants de chœur en surplis, dont une grande fille. Et lorsque le cercueil entra, légèrement soulevé de tête pour bien voir et être vu de Dieu, l'assistance instinctivement se leva, car c'est avec respect que les fils d'Adam voient entrer la mort et celui qui l'incarne sous le bois sans apprêt. C'est pourquoi je désapprouve les applaudissements sous les toits d'une église. Une photo sur les fascicules me montra une femme de 60 ans, je n'étais pas de la famille et m'étais mis au bout du rang pour m'esquiver.

Alors s'élea le premier cantique : "N'aie pas peur et regarde le Christ qui t'ai-ai-meu-eu" – mon Dieu une voix de femme si pure et si juste pour brâmer de telles âneries si inférieures aux mystères qu'elle chante. L'Eglise en vérité râtisse large, et bas. Tandis que sans être vu je remontais vers la sortie, j'entendais les accents polonais du prêtre parler de Ida, que l'on accueillait ici au seuil de l'éternité, Ida Josef, veuve depuis 95, dont les œuvres étaient rappelées, continuant celles du mari. Elle avait un esprit d'aventure car elle connaissait quatre langues (polonais, français ; anglais et allemand je suppose, ou bien russe) – comme si des polyglottes ne pouvaient s'enfermer dans leurs langues au contraire.

Mais aussi une messe des morts eût été trop fort pour moi qui perçois à présent, aux échos rapprochés de ma voix, que le fond du cul-de-sac est proche. Alors je m'aperçus que j'abordais la gare par le nord, et m'en fus quérir les horaires afin de pouvoir dire que j'aurais vu Givet. J'y vais pour la dernière fois. Je suis donc rentré par la ligne du 3, qui pilait sec aux feux, ne pouvant rien acheter moi-même au magasin de gros : "Les ventes aux particuliers ne seront pas acceptées". Voilà comment se termina ce jour où je suis parvenu, me gavant de jambons et bananes, de biais sur mon couvre-lit, tandis que défilaient les fades infos et deux films tirés de Maupassant, après Boule de COLLIGNON HARDT VANDEKEN ITINERANCES

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Suif Oncle Sosthène. En ce moment l'accomodation de mon œil se fait mal, et la paroi de droite bleu foncée s'approfondit en vide et vertige, si bien qu'il me semble écrire à côté d'un abîme, tel Pascal...

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Attention : dernière soirée sous l'artificielle électricité de ma table restreinte d'hôtel. Ce matin, pénétré d'attente, 58 04 28, je me suis rendu sous la pluie fine au rendez-vous de la cybernétique. Débarqué Bd Jean-Jaurès, j'ai rejoint mon trentagénaire aimable et direct selon lequel rien n'était enregistré. Toujours sa musique de bastringue en sourdine en boucle. Branché sur la 18, j'ai eu la surprise (fausse) de ne rencontrer aucun message de Seconde Epouse, qui joue l'offensée que je m'amuse seul. Ou bien qui se laisse brimer. Mon blog paraît et disparaît au gré des interprétations de code. Et je me retrouvre à 5mn du départ en gare : quai 5, je l'attrape.

Carte en main du doigt de Givet. Je suis les ponts, reçois un message de Schulmann. Je lis "Fonderies Collignon", de même qu'à Givet se trouvent les usines Schulmann. Je m'enthousiasme sur le gris de la Meuse picoré de lourdes gouttes orageuses, car ici, c'est mon pays, c'est ma vallée, avec les siècles qui m'ont formé, avec mon père, avec ma mère : cela remonte jusque dans les Vosges, et le Périgord, toutes les splendeurs dorées du Pourpre, du Noir ou du Vert, ne feront pas que je ne préfère la rudesse du sanglier ardennais ou des côtes de Meuse. Le Sud-Ouest est un autre peuple, où je me suis fait à l'exil, au putaing-cong et à l'humanisme souriant : que voulez-vous, plus une guerre depuis les Religions, cela vous ramollit un peuple.

Ici nous avons eu de rudes combats, aux frontières, à la marge – vous autres les Putaingcongs vous restez décentrés, en marge, sans poids réel, cuvant dans votre moût de ving... Et c'est ainsi qu'entrevoyant, par dessus les brouillards, les Quatre Fils Aymond et autres "Roche à 7h", je parviens à Givet, moins beau que Boigny ou Monthermé, mais doigt tendu au cul de la Belgique par où défilent les invasions. La Belgique ici est partout, à l'ouest : 3 km, autant au nord, autant à l'est. Un fort énorme domine la ville, que je contourne d'abord puis manque manquer, tournant le dos à ce pont qui fièrement s'appelle "Pont des Américains". Il n'y a rien à Givet. C'est là, et c'est tout.

Dans son cul-de-sac visité par des bus belges aux regards ahuris, traqués, ceux des chauffeurs wallons qui serrent les fesses en terre étrangère : venus de Heer, de Bauraing, de Pte Doiche. Privé. "On peut prier sans avoir la foi, mais il faut prier pour avoir la foi." Je savais bien COLLIGNON HARDT VANDEKEN ITINERANCES

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que l'homme fabriquait Dieu, comme les balancis des déités hindous créait l'efficacité des vœux prononcés sur cette nacelle. L'homme fait le Dieu, qui fait l'homme, matière et antimatière et physique quantique et de cheval. Eros-Antéros, toute la clique, alors je prie, je demande à saint Hilaire, à la basilique sur l'autre rive. Et je prends bien garde à mon cœur, doublé par les camions. "Fromelennes, c'est bien par là ? -Oui, allez-y, pas de souci" me renseigne un grand gros en tenue de jardin. Sur le chemin (très long, Givet se prolongeant sans s'interrompre) j'aurais bien chipé quelque mignon nain mal scellé peut-être, et jouant tête baissée et regard en dessous des villanelles sur un rebec, ou un luth.

Et je monte en tournant par dessus le cimetière. Des chalets sont là (mon prétexte étant les grottes de Nichet : mais les deux gouines incorrectes poursuivant leur conversation avec Dieu sait quel "fond d'œil" ophtalmique me dissuadent d'explorer ces cavités, 150 marches à monter, 45mn de visite (or je ne veux à aucun prix manquer le dernier train) : "Mon cœur n'y résistera pas ! Servez-moi tout de suite un Coca en terrasse". Il y a là sur des tables en bois formant corps avec leurs bancs une tripotée de sacs à dos gardés par deux Flamands flaminguants, et voici que surgissent 30 garçons et filles, tous néerlandophones, mais comprenant les restrictions de la guide française : le groupe aurait traîné, car trop nombreux dans de petites salles, et il faudra que tous reviennent s'ils le souhaitent avec leurs parents, mais ce sera plus cher.

Je suis émerveillé d'entendre ces beaux et belles jeunes gens de 13 ou 14 ans s'exprimer, même l'Asiatique, en chantant flamand, ce merveilleux assemblage de longues et de brèves sculptant les phonèmes, au point que l'un de mes lointains Gascons ne rêvait de rien tant que d'épouser une fille de Flandres. Ces Flamands-ci n'avaient pas l'air vrai. Ils ressemblaient, avec leur naturel en langue, pressentie mais non comprise, à mes disciples autrichiens de Vienne. Quelle beauté, quelle plénitude et sûreté de soi en ces filles que ne brimaient plus désormais ni coutumes ni complexes et n'avaient plus besoin ni de moi ni d'hommes, alors que c'est tout le contraire pour les garçons, eux aussi fièrement campés et jargonnants.

Ils s'en allèrent emportant leurs sacs sur le dos, éphémèrement remplacés par de vieux parents à petite fille tenant la pose pour faire photographier sa joliesse. À peine eus-je tourné les talons après mes adieux aux "surtons" (mais qu'est-ce ?) qu'une averse m'atteignit à travers les branches gouttantes. Et je m'esbaudissais en lançant des jurons , jusqu'à ce que, reparvenu à Fromelennes, je m'aperçusse que la pluie redoublait comme un David en fin de troisième, que les COLLIGNON HARDT VANDEKEN ITINERANCES

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éclairs se formaient à l'improviste à moins de 5 et 3 mètres de moi, inconscien fataliste. Si j'avais levé le bras j'étais mort. Un homme s'arrêta pour me charrier, car je faisais du stop sous les litres d'eau malgré mon grand âge. Il m'emmena charitablement jusqu'à la tahana hamerkazit, ne sachant si, comme je le disais, "Dieu le [lui] rendra[it]", et je séchai, j'envoyai un message à David sur le vieil orage et le compatissant chauffeur m'ayant tiré du milieu des vagues : "Reviens en entier et vivant", pourquoi faut-il que celui-là m'aime bien, je ne comprendrai jamais rien. Givet-Mézières fut égayé par une petite fille de moins de deux ans qui babillait sans savoir parler tandis que sa mère déversait sur sa tête une montagne bienfaitrice d'amour, inquiète de déranger ou d'être ridicule, mon regard aigre ayant dû se détourner pour ne pas imposer les ravages de ses préjugés : cette lère était aussi fatigante qu'un métier.

Alors, tout titubant et trempé à côté d'un jeune Beur puant, je descendis à Roule-Couture afin d'acheter ce qu'il ne faut pas pour mon ventre, pâte d'amande à la chimie, plus bananes. J'en suis donc là après lecture de Fumaroli qui me décrit le branle vibratoire du monde, entre vrai et toc, s'imaginant dénoncer l'impérialisme américain alors qu'il ne fait qu'exposer son enthousiasme désespéré pour ce qui est, qui fut et qui sera...

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Journal de boyatché. L'aller fut sans histoire. Des filles en pagaïe. Ça se renouvelle. Toutes belles, décidées, se défendant. Coup d'œil venimeux de la première, qui se juge mieux habillée. Un sexe puant de tabac revient des chiottes la queue entre les dents : "Excusez-moi madame, vous ocupez ma place." La nouvelle venue se tire. À côté de moi, une fillasse blondasse pas très épanouie parle à son papa, à sa maman, pour qu'on vienne la chercher à telle heure 50. C'est la loco de Pamiers, cette foix, que l'employée de Mérignac s'obstinait à prononcer "palmier" à travers l'hygiaphone. Chauffeur insolent, blasé, qui a le privilège de voir La Tour de Carol en terminus tous les jours.

Il doit en avoir marre de la Tour de Carol. Dans le secteur se trouve un tunnel spiralé qui repasse en dessous de lui-même. Jamais vu. Des filles rouspètent pour devoir acheter ou composter leurs billets "au guichet". Pour moi, "je n'ai pas le choix", me répète le chauffeur. "Vous n'avez pas le choix ?" ("Oui, je passe devant le Campanile, mais je ne peux pas vous arrêter"). Résultat des courses, je me farcis 3 km à pied avec la valise à tirette. Des filles me demandent l'horaire de la navette. La balayeuse quinqua-sexa répond qu' "ils" ont supprimé le service ; il ne faut habiter l'Ariège qu'en saison touristique ! Des adolescentes insolentes, grossières, mâche-gommes : impossible d'aimer romantique.

Les parents viennent aussi les prendre, c'eût été de mauvais goût de mendier une place près de papa-maman. Alors je tire ma valichotte. En plein cagnard, 35°. Le petit vieux poussif s'arrête souvent, dans les liserés d'ombre. Une voiture le dépasse en criant "...go......" - ils ont gueulé par la portière "escargooooot !..." Je salue de la main tant d'humour. J'envisage une maladie grave par insolation. "Je n'ai pas pu lire jusqu'au bout : trop de narcissisme" – prof d'espagnol, je t'emmerde. Achat, justement, de brugnons d'Espagne. "Où est le Campanile ? - Après le camping." Décevant panneau : "Camping", pas encore "Campanile". Assis à l'ombre pour manger les nectarines et les biscuits, en écoutant France-Cul sur le transistor d'un autre âge.

Il paraît que si si, le chimpanzé possède non seulement commme les autres bêtes une conscience de l'environnement, de ce qui est bon ou mauvais pour lui, mais aussi la conscience de soi : on lui fout une tache blanche sur la gueule, on la lui montre dans un miroir ; il essaye de se l'enlever, donc il a conscience de soi. CQFD. L'histoire ne dit pas s'il s'est frotté du côté gauche ou droit. Et enfin, le Campanile. Mme Véronique Pierre m'accueille ! On m'a compté 6 petits déjeuners à 9 € : "Je ne reste que 3 jours, mais je suis seul !" De plus, ne pas boire l'eau du robinet. Il m'est COLLIGNON ITINERANCES 32

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donné une bouteille gratuite, bien glacée, mais je peux me doucher. "Depuis le 26 mai, nous avons du ("chlorydrate phosphaté ?") dans la nappe phréatique ! - Non non, sans façons, merci ! - Alors on est très, très content !" La dame est très polie, elle a ri à mes plaisanteries de voyageur, elle a vécu à St-André-de-Cubzac, ce dont je n'ai rien à foutre. C'est difficile, la réciprocité. Une fois tournée chez moi la clé en plastoque, je me mets plus nu qu'un Strauss-Kahn, je disperse tout ce que je peux partout partout, et je m'étends, côté gauche, côté droit, sur le dos, variant le nombre d'oreillers, engloutissant l'eau fraîche.

Puis l'ennui venant plus ou moins, j'ai consulté mon emploi du temps : je devais travailler sur clé USB, donc, à la recherche DU cybercafé de Foix.Ni chez les téléphones portables, ni chez Orange, ni chez Nokia qui me voit arriver portable en main et s'imagine que je viens le recharger. Juste déambuler dans les rues surchauffées de la cité, après le Pont Vieux, en remontant vers St-Volusien, prétendu martyr d'Alaric II en 488 et des poussières (le n° I s'est emparé de Rome en 410). Une bouffée de moisissure et d'encens femelle remonte de l'antre ultrafrais, en bas des trois marches intérieures. Du coup, j'en prie... Je formule des souhaits à tout hasard. Seigneur, faites que vous existiez.

Sinon, cela ne fait toujours pas de mal de croire en sa nature de poussière d'étoiles, de se représenter le mystère "qui- nous-entoure-et-nous-constitue" ; d'appeler ça Dieu et de l'affubler d'amour et d'autres oripeaux puisqu'il faut bien que le Tout cohère, cher Latécoère, la danse des éléctrons, la loi de gravité, attirances et répulsions, donc Dieu existe et m'aime très fort, CQFD, bis. Ensuite, il serait excessif de reconstituer tous mes détours de rues : je finis par les plus larges, remontant vers le château qui domine l'esplanade, avec ses touristes slaves et sa fontaine ("Eau non potable – Ne pas boire" pour les obtus, mais on m'a épargné DO NOT DRINK). Visiter le château demain.

Rajustement de la pile de téléphone. Positionnement de la pellicule dans le réservoir argentique. Plaisanteries de clients, "entre hommes", sur la coupe "ticket de métro", le peu de poil que tolère le mâle après l' "épilation du maillot". Je règle – ah ! ah ! ah ! - et je m'en vais. Foix. Pluie. Sidoine.

Et quand j'eus passé le Pont Nouveau, une sonnerie se déclencha dans ma poche : c'était l'ombrageuse et toute simple Z., peu avant 19h, de son travail : "Je te dérange ? - Non, je marchais (...) - Tu me commentes ta visite comme s'il s'agissait d'un match de foot. - C'est parce que je te parle en marchant." J'étais enthousiasmé, bien sûr, comme d'habitude, fort peu, mais sur un ton outré. Je l'entendais répondre à mes exaltations par ces monosyllabes où se montre la jouissance morale, de n'être pas méconnue, voire aimée. Pourrais-je soutenir ce rythme ? Puis elle me rappelle. Tout me semble perçu à travers ce voile de la soixantaine dont parle Goncourt. Je suis rentré chez moi par la case supermarché, où l'on me renvoya peser mes fruits : quelle poésie ! Je répondis, assis sur les dernières marches descendantes du Phoebus, où l'entrée était interdite "en cas d'ivresse manifeste".

Tant d'aventures en vérité, en si peu de jours ? Z., comprendras-tu que je vis dans ma tête, exclusivement, incapable de vivre ou de salir mes mains ? Toujours éliminer, toujours vexer ! L'itinéraire du retour va d'un repère à l'autre, et s'en trouve pour ainsi dire raccourci. Le mardi matin, je longe en hurlant la nationale qui me lâche dans le dos les pires camions frôleurs, l'écoulement océanique des moteurs. Je chante des obscénités en italien, français, djoungo. Pour aujourd'hui, c'est le château. Ne pas oublier de se reposer à intervalles réguliers. Lacets internes du territoire castellacien, tendeur de pelouse au profil masqué, petits coups de faucheuse rageuse. L'herbe coupée sent bon, j'en paie le parfum par les douleurs d'oreilles. La visite guidée et déjà commencée. Je la rejoins salle des chapiteaux. Le guide ressemble à mes anciens élèves avec 5 ans de plus. Il est compétent, ou bien récite tout par cœur, en prononçant "les-z-hallebardes". Sous les vitrines les armures comme neuves, et même un chanfrein (de ch'val, of hourse). Avant de quitter mon quart de visite, j'offre 2€ à ce jeune étudiant paysan, qui n'ose se poster à la sortie pour quémander, tournant le dos. Puis je me hisse par le colimaçon. Redescendu, claqué mais content, j'erre dans des rues qui se ressemblent de ville en ville, les yeux en l'air, le pas lent, les épaules voûtées.

Se présentent à mon seuil, au Campanile, deux femmes de ménage, une Noire en chair, une blonde chafouine Ah mince il y a quelqu'un – Laissez comme cela, videz-moi non pas les couilles mais les poubelles – Vous êtes sûr ? C'est très gentil monsieur merci beaucoup. Vous ne voulez pas de (sachets pour le) thé, (le) café ? Nous échangeons quelques mots sur le temps qui "va péter, c'est sûr", allons, ma grandeur s'est bien comportée envers le peuple... Le soir, après les siestes, coup de téléphone, cette fois de Françoise. Elle s'est cisaillé le pied sur sa débroussailleuse, tombant de son tracteur ; un orteil coupé, le pouce sous broche, douleurs et perte de sang, trajet vers l'hôpital des Quatre Pavillons, Robert klaxonnant à tout va, les "pisseuses" surtout ne laissant pas passer, puis à Pellegrin, vétuste.

Depuis ce lundi, examens, prises de sang, perfusions... Je lui dis que j'aurais préféré une brouille passagère à cet accident matériel : C'est vrai ? - Oui ; dans une brouille, on peut toujours se rabibocher. Tandis que là.... Je me fais développer les détails, apprends qu'elle a enfin trouvé une chambre individuelle, pour cause d'incompatibilité de choix télévisuels. Une femme ordinaire, dit-elle. Je suis très content quand elle raccroche, car j'ai surmonté mon naturel égoïste et féroce. "Soyez naturels", qu'ils disent... Surtout pas ! Je rappelle : on est sur ma main ! (perfusion, sans doute) – Je peux le dire à Anne ? - Comme tu veux, tu es libre ! Anne s'est exclamée. Du coup, je n'ai même pas eu l'idée de savoir si c'était le pied gauche ou droit. Le soir, chute de brume. Je gagne Labarre, son barrage hydrolélectrique interdit, ses camions frôleurs et le bord de l'Ariège redevenu torrent. Ce soir, "Les Keufs" de Balasko(vitch), médiocre scénario incrédible où la vedette metteuse en scène essaye d'éclipser une magnifique Arabe prostituée, mais elle-même, Josiane, irrémédiable laideur étudiée, en cheveux carotte.

Le drame est qu'elle s'imagine "faire" vulgaire, alors qu'elle est vulgaire. Et ses émois vaginaux avec un gros nègre me laissent froids. Alors j'éteins, et je ne peux plus rien faire vu mon âge. Le lendemain 29, saints Pierre et Paul, ayant vu sur la carte que St Jean de Verges était proche, je m'y rends à pied, profitant d'un interminable défilé de véhicules grouillants, gagnant enfin deux rangées de cahutes que troue en permanence un serpent d'automobiles, autocars et camions, qui doivent participer aux charmes de la vie locale. J'ai poussé jusqu'à la poste, indiquée par un boulanger livreur. Fermé le mercredi – Pourquoi ? personne n'a donc besoin de poste le mercredi ? Traversée en biais du cimetière, tâchant d'accrocher ces portraits qui prouvent par l'image et par leurs regards chargés de choses inconnues l'étude de Barthes sur la fonction essentiellement funèbre de la photographie. Je pense à ce banal énergumène qui se filme en permanence toutes les 30 secondes afin de se rendre immortel pour ses descendants. Il transforme sa vie en corvée mortuaire. Je photographie donc l'église romane, étroite et pure dehors et dedans. C'est à Saint-Jean de Verges que Raymond-Bernard II, comte de Toulouse, se soumit en 1229 au roi de France, et je l'ai lu en occitan ; c'est pourquoi sans doute le souverain d'alors (Louis IX) n'est pas mentionné. Se déclenche sous la nef un éclairage direct et indirect, qui use beaucoup d'électricité (je reviens sur mes pas, j'appuie, suite de la minuterie).

Ne pas sortir de paragraphe convenu sur la supériorité ou non du roman pour contenir Dieu, ne plus mentionner le vide existant au sein des campagnes françaises où le moindre village ou sanctuaire pouvait aussi bien servir de cache aux évènements les plus importants (paix du Fleix en 1575 ?) Et je repars, à Vergès, comme l'avocat, commune de Crampagna, Crapougna, ce qui ruine tout jeu de mots sur les verges. Les premiers kilomètres sont difficiles, car le rebord herbu ne sert qu'à se tordre les pieds, je m'arrête donc sitôt que survient une voiture en face. "Il n'y a rien d'autre dans ces pages que les réflexions d'un homme ordinaire sur ce qu'il vit, ou bien lit" – sentence rêche comme un pubis d'étudiante bien frottée de Faculté.

Mais que voulez-vous donc, jeune sotte, que ce soit ? Me faudrait-il donc m'efforcer, ou posséder Dieu sait quel génie, pour survivre ? Avant de parvenir à Vernajoul, je vois un autobus scolaire effectuer un demi-tour en Y bien serré. Vernajoul ? des noms de rues ressuscitant des vieux lieux-dits, des gens qui vivent là. Et moi-même bouffant un fruit sur un banc "Place de la Mairie", ce qui fait plus sain que de Gaulle ou Jeanne d'Arc. Je prends en photo, outre une abside obligatoire, deux poteaux modernes reliés par des rubans. Je traverse des petutes gorges. Rien à signaler. Le château de Foix se profile, c'est beau, etc. Sur mon carnet, je lis : "Trouvé petit hôtel pas plus cher, avec petit-déjeuner à 6€ au lieu de 9." La prochaine fois, ne rien réserver, débarquer. Comme à Moulins. Tandis que je fais mes courses à Foix, un SMS de Sonia : David est reçu. Je tape : "Bravo ! David superstar !" Sur quoi il me rappelle.

Je suis en public, les "chalom" et "sur la Torah" pleuvent, David bafouille de joie, me redétaille ses stress, puis je raccroche, il appelait, il dépensait. Dans la mesure où je peux être ému, je ressens de la joie, la communique à ma femme par téléphone, me mets à bouffer, dors, tout le processus habituel. Vois un film sur le Baron Rouge, mal interprété par un petit blondinet aux yeux de furet. Bien germanique, et je me réjouis : pour une fois, nous voyons les souffrances de l'armée allemande. Peu importe le but de la guerre, l'empereur Guillaume II ramène ses moustaches en crocs. Mais notre héros émet des doutes sur la victoire. Il fonce au milieu des escadres ennemies, de nuit : "On n'attaque pas de nuit".

Eh bien si. Outré, le Kichthofen. Ses camarades meurent, dont Voss, qui avait oublié son bonnet fétiche. Le héros se retrouve à l'hôpital, à St-Niklaas (Belgique). Très, très peu de documents sur l'occupation allemande en ce pays. Mais j'aimerais que les Allemands gagnent. Ce que c'est que le changement de perspective ! Et cette atmosphère d'Ernst Jünger, d'Iliade, où la guerre est présentée comme un face-à-face salutaire et purgatif avec la mort, et l'expression la plus forte de la condition humaine ! Or Maupassant régla son compte à Moltke : des soldats crétins tirant sur des chiens et des vaches pour tester les performances de leur arme. Stupidité meurtrière. Et quand le héros meurt, par ellipse, et que la fiancée belge et chaste se recueille sur sa tombe, je me contente d'avoir assisté à la démonstration de l'imagination humaine.

Petite sortie nocturne dans le parc du lac, ultrapropice à toute agression avant dissimulation de cadavre, comme pour toute joggeuse. Puis second film, où j'accroche tout de suite en raison de Bruel, Benguigui-le-Souffrant, de son frère Elbaz ("David"), et de toute une brochette de juifs richissimes (tant mieux, tant mieux) : chacun défend ses frères, Gitans contre Feujs, Michel Aumont joue les salauds; enlèvement, rançons, massacre des kidnappeurs après un achat d'armes chez les crouilles, musique pathétique : Les 5 doigts de la main. Tu connais l'histoire du gars qui avait 5 bites ? ...eh bien son slip lui allait comme un gant. C'est beau l'imagination. Même avec Bruel. Moi je l'aime bien ce mec.

Et j'éteins. Après une rafale de pubs répétitives sur les numéros porno. Putain j'ai dû en rater un sur l'autre chaîne. Ne m'en remettrai jamais. Aujourd'hui 30, c'est le grand jour : départ, définitif, car, qui revient sur ses pas dans sa 67e année ? Alors je range bien tout. Auparavant shampoing, dernier petit-déjeuner à 9€ bande de sauvages. La responsable est un petit taureau frisé bien replet bien moche plus lesbien tu meurs. Elle parle volontiers au couple de vieux touristes hétéro, leur vante maints sites où je n'irai plus, dépourvu de voiture comme je suis. Mais quand c'est mon tour, elle montre de la distance. Je lui dis pourtant que j'ai pris quelques jours de congés conjugaux, ma femme faisant toute une histoire si elle n'a pas pour elle notre unique voiture. Elle écourte, apparemment c'est que je ne regarde pas dans les yeux, que je souris en fer à cheval, qu'on sent l'hostilité, la méfiance envers les femmes moches, et ces gens-là, qui travaillent dans la clientèle, possèdent un sens infaillible du contact ou non : elle sent parfaitement, la taurillonne, que je me force.

Alors je paye plein pot, car il y a les taxes, aussi. Sans regrets, je preprends la route vers le centre, avec les roulettes en bruit accompagnant. Aucun de mes pas ne sera plus refait sur ce tronçon Labarre-Foix, voici la gare au bout de sa "rue des Marbrulires". Dans la cour j'entends des jeunes gens expliquer à des jeunes filles qu'à Luchon tout le monde passe la frontière espagnole pour les cigarettes. J'entendrai d'autres conversations, d'un jeune homme instruisant des jeunes Canadiennes, d'une femme consolant une magnifique Turque voilée, de sa peine de cœur voilée. Je pense que je vais découvrir la douceur, la sincérité, la fraternité de tous les rapports humains, juste au moment où tout va finir, de même que j'ai enfin compris l'amour des femmes à l'âge où rien ne peut plus aller dans l'exaltation des sens. Amen. Le train fonce à vitesse effrayante, afin de rattraper trois quart d'heure de retard.

Ne risque pas nos vies, conducteur.

 

 

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