Proullaud296

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Fleurs, couronnes, etc.

DERNIER ÉTAT

NE PAS OUBLIER QUE STAVROSKI EST DANS LA MAISON DES SŒURS ET AUSSI

DANS UN PAVILLON VIDE AU FOND DU JARDIN.

ANNE ET CLAIRE SONT LES PETITES-FILLES DES VIEUX MAZEYROLLES, DONT L’HOMME, (Robert Marqueton) EST COUSIN DE MYRIAM NÉE MAZEYROLLES DONC COUSIN PAR ALLIANCE DE Stary-Jerzy.

 

FAIRE UN PLAN AU CRAYON DES HABITATIONS.

 

hhhhhhhhhhhh

 

À la mort de sa femme, Jerzy ne fut pas accablé de chagrin. Il resta près du corps, assis au niveau des seins, répétant : Ce n’est pas possible. Une sourdine jouait Good bye stranger. Il regarda les murs verts, le corridor pavé, la serpillière en action. Plus loin les chambres d’où proviennent des bouffées de déjections et de désinfectants. Trois étages de couloirs : portes feutrées, salons, pièces imprécises, chuintements caoutchoutés de chariots et grommellements d’aides-soignantes. Sur le lit gisait Myriam en peignoir, tête calée par un coussin de glace. Ses lèvres ont pris l’aspect de fines cordelettes mauves. Le veuf dit : Je ne veux pas rester au Vieillards’Home ».

- Vous occupez notre meilleure chambre, dit Claire.

- Pourquoi nous avez-vous séparés ?

- Son agonie vous aurait troublé.

- J’aurais troublé l’agonie».

Claire glisse dans l’ étui ses lunettes fumées. Un vif éclair de monture blesse l’œil sec de Stavroski. - — Claire, je ne veux pas mourir ici. »

Good bye stranger fait 7mn 26 : claviers, fausset, tierce et sourdine. Quinze août.

PUTAIN LA GLACE !

Les cubes s’entrechoquent, cocktail, la tête qu’on replace. La main de Jerzy sur le bras de Claire : « Montez le son ». Les filles le fixent comme un demi-fou. Hope you’ll find your / Paradise – martellements feutrés indissolublement liés au visage de Claire, aux méplats lunaires de son profil

 

X

Stavroski et Claire à titre d’Avertissement doivent visiter cinq domiciles.

2

Dans le premier vit une vieille fille parcheminée, voix fausse : « Quelque chose à cacher - ...ce n’est pas l’essentiel Stary-Jerzy – dans un logis envahi de bibelots et de napperons blancs rue aux Juifs je vivais heureuse dit-elle j’ai tout fait repeindre et vernir les meubles sa bibliothèque est garnie de romans portugais Saramago Eça de Queiroz « la circulation » dit-elle « des voitures me gênait beaucoup puis je m’y suis faite, à présent l’été je laisse les fenêtres ouvertes et j’avais fleuri la terrasse sur cour…

 

Première visite

Une vieille fille parcheminée à voix de fausset quelque chose à cacher Ce n’est rien Stary-Jerzy juste une manie des doigts – dans un logis envahi de bibelots 36 rue Juiverie « j’ai tout fait repeindre, vernir et retapisser » les rayons sont garnis de romans portugais Eça de Queiroz et Saramago « D’abord la circulation dit-elle me gênait beaucoup, puis on se fait à tout, maintenant je laisse la fenêtre ouverte et j’ai fleuri la terrasse sur cour. La femme se lève, sort d’un tiroir une lettre où sa logeuse évoque un gendre au chômage, une fille aux longues études - le document porte en tête “Sommation de Déguerpir”.

Claire secoue ses boucles blondes : “À présent Mlle M. s’ankylose, comme vous le voyez,dans une pièce meublée d’un lit, d’une table. Plus une chaise, une coiffeuse à deux rangées de lampes nues.

- Les toilettes se trouvent au fond à droite, précise la locataire ; Claire la dissuade de se soulever “pour montrer”.

Il ne s’agit pas d’une spoliation, Jerzy ; mais d’une simple application de la loi. Tout propriétaire est en droit de réagir ainsi.”

Fin du premier avertissement.

Stary-Jerzy croit tout ce que dit Claire. Sa confiance en claire est inébranlable. Elle a 23 ans, blonde, pommettes écartées. Que pèse une vieille Portugaise rue aux Juifs ?

Le lendemain, Claire dit à Jerzy :

« Tu n’aimes pas les femmes seules.

- Je me comprends » répond-il.

- Fermez bien votre porte à clé.

Claire ne se décide pas, entre le « tu » et le « vous ».

 

Stary-Jerzy digère mal son expulsion programmée.

 

Deuxième visite

“Chez Léger. Passe devant.”

Qui est-ce ?. Le battant se referme et se rouvre, derrière sa chaîne. “On ne peut pas loger une personne de plus”. « Pas de migrants ! » ajoute la femme.

« Service Social » répond Claire.

Ce qui est faux.

Pierre a le cheveu crépu et le teint basané d’un quarteron. Menton lourd, 60 ans. Reinette, longiligne, porte une robe blanche de crêpe doublée satin.

« ...cas sociaux » murmure Claire.

- Nous avons nous-mêmes bâti cette maison.

- Chéri, que dis-tu ? c’est toi qui l’a construite.

- Pour toi, et nos futurs enfants. »

- Cinq enfants, dit Reinette ; à présent tous mariés. À chaque naissance, Pierre ajoutait une pièce, en longueur. »

Pierre avoue qu’il n’avait nul permis de construire ; un beau jour, « les hommes de loi sont venus démolir, « tout remettre en l’état ». Maison longue et basse. Murs blancs zébrés de craquelures, où passe le doigt. Pierre est à la retraite. Reinette, en robe de crêpe, n’a jamais ce qui s’appelle travaillé. Propriété hypothéquée. À leur âge, plus rien à attendre, qu’une cellule acceptable au Vieillards’Home : 24m², dont les enfants réglent les loyers. « Ça alors », dit Jerzy, parfaitement indifférent. « Vous verrez, Pani Jerzy ! » Le vieux Jerzy ne sait pas ce qu’il verra. Ils ressortent à deux du pavillon, Jerzy la bouche ouverte, le front patiné de sueur. « Je ne vois rien qui me convienne », dit-il. « Tout est fait pour me distraire de Myriam, empaquetée sous terre. Je n’arrive plus à la revoir.

- Eh bien Jerzy, restez donc hanté.»

 

Tierce visite

Claire tire Jerzy de sa torpeur. Le nouveau locataire en péril, homosexuel dit « Solange », commence sa litanie : « ...privé de logement » -  ...encore ! dit Jerzy - « ...par les agissements de ma femme… »

- ...Ne me parlez plus des femmes !

- ...j’ai pwéféwé abandonner ; la procédure de divowce suit son cours » - Claire laisse échapper un tic agacé ; Solange quitte son accent. C’est un ancien bijoutier. Il n’a pu satisfaire son ex-épouse, qui le hait à fond, et l’a dépouille de son capital. Même le matériel, « les outils », elle les a vendus. « À soixante ans... poursuit Solange, il n’a plus pour ressource qu’un dossier d’admission au Vieillards’Home , où lui seront servis trois repas par jour.

- Il me restait quelques diamants, dit-il. De tout petits diamants. »

Un jour sur deux, Claire et Stary-Jerzy inspectent les sexagénaires du crû. Les scènes se déroulent à Troyes. Je n’y suis allé qu’une fois.

« Je croyais que vous seriez triste, Jerzy.

- Myriam reviendra, répond-il. Demain ou dans mille ans. » Claire se rajuste une mèche. « Ces gens qui doivent me remplacer, dit Jerzy, n’ont pas de personnalité. Je ne peux pas leur ressembler.

- Qui vous le demande ?

- Eux-mêmes, ma biche.

- Ne m’appelez plus jamais « ma biche ». Elle rajuste sa mèche au-dessus des yeux.

 

À la Quatrième Porte, le locataire se présente : « Eugène Lokinio. - Alphonsine Turc, épouse Lokinio. - J’étais chef de gare, et ivrogne. - Nous avons eu six enfants, je suis une grand-mère incomprise, je bois du Guignolet-Kirsch ».

Stary-Jerzy demande s’il va falloir aussi s’apitoyer sur ceux-là. Ce n’est pas nécessaire dit Claire. Eugène Lokinio, barbu sec, précise : « Nous avons bu tous nos revenus. Pourtant nos six enfants nous respectaient.

- Vous les avez détruits, dit Stary-Jerzy, jusqu’à leur quatrième génération à venir.

Alphonsine s’emporte : « Deux générations suffiront, je suppose ? ». Lèvres pincées ; nez en couteau  : « Nous nous passons de vos sermons. »

 

EXPULSION MUSCLÉE DES LOKINIO

 

« Regardez bien, Stary-Jerzy : nous voici, aujourd’hui, tout à côté de chez Myriam. Où vous habitiez tous les deux ! ...autrefois !… À présent deux vieux y habitent, plus vieux que vous. c’est une maison en fond de jardin, derrière une autre maison. Celle de devant est occupée par des quadragénaires.

- C’est bien jeune, dit Jerzy.

- Ces jeunes ont engagé une procédure, dit Claire, pour expulser les vieux.

- On n’expulse pas les vieux , dit Jerzy.

- Dix-sept ans de séjour ! ...dans le jardin – disons la friche – entre les deux maisons – les vieux ont entassé deux gazinières, quatre batteries hors d’usage, plus d’autres ordures… Ils disent : « Notre fils viendra dégager tout cela par camionnette » mais les voisins quadragénaires, les Acquatinta, ne les croient plus ; ils ont tout fait virer, d’office : les encombrants, les déchets…

- Mais ces Stary-là, les Mazeyrolles, sont des cousins de Myriam !

- D’abord, les Acquatinta leur ont doublé le loyer, car ce sont eux, à présent, les propriétaires.

- ...Myriam avait perdu ses vieux cousins de vue. Ils habitaient tout près de chez nous. Quelle histoire ! quelle histoire !

- Puis les Acquatinta les ont persécutés ; pour gagner l’extérieur, sur la rue, les vieux Mazeyrolles devaient longer le jardin. Les Acquatinta, pleins de soleil, déjeunent en plein air ; les Mazeyrolles saluent les Acquatinta, les quadragénaires ne répondent pas, ou s’ils le font, c’est d’un air condescendant. Voire excédé.

- La Marie-Thérèse, c’était la fille de…

‘ ...elle n’a plus qu’une dent sur le devant. La lippe qui pend. Les cheveux peroxydés. Coquette hideuse.

- ...ça fait longtemps que je ne l’ai pas vue ! ...si longtemps !

  1. - Son mari s’appelle Jean-Paul. Lourdaud, Trapu, les épaules arquées. Il traîne des pieds.

- C’est bien lui ! tout à fait lui !...

 

X

 

Après chaque visite, Stary-Jerzy et Claire prennent un lait fraise et un diabolo menthe au bar de L’Entrecôte. Ils échangent leurs impressions. Stary-Jerzy est stupéfait. Il se fait tout expliquer, répéter, rétaler. Ces Mazeyrolles l’intriguent. Il se fait désigner leur ancienne adresse sur un plan de ville. Demande combien d’armoires s’entassent dans cette pièce où l’on ne peut plus mettre un pied. S’il est bien vrai qu’ils ne possèdent plus qu’un petit écran de télévision qui fonctionne, juché sur un grand irréparable. « Je parie » dit Stary-Jerzy « qu’ils sont devenus tout à fait sourds en s’engueulent en occitan de Lodève ».

- C’est exact, Stary-Jerzy ». Claire éclate de rire, montre ses dents et secoue ses boucles jaunes.

Stary-Jerzy se tourne vers Claire : « Est-ce que les curés parlent encore de la Bible ?

- Seulement de ce con de Jésus.

- Insultez-moi, et je porterai ma croix » psalmodie Eugène.

- Vous entendez ?... trente-cinq ans que ce chef de gare se prend pour un pasteur. Et ça boit… »

 

Eugène et Alphonsine commencent à se casser la gueule, ils empestent l’alcool dès qu’ils bougent, le Ricard, pour Eugène. Deux infirmiers surgis d’une camionnette les entraînent sans égards. À travers la porte arrière on entend Alphonsine brailler : Où y a Eugène, y a pas de plaisir.

- Ils n’étaient pas méchants, commente Stary-Jerzy.

- Détrompez-vous. Ils ont martyrisé leur troisième fils. Battu chaque jour, sans y manquer, sans laisser de traces. Ils lui ont fait porter les vêtements de ses frères aînés. Ils l’ont placé en internat dans la ville même où vivait la famille. Ils se sont opposés à son mariage.

- Est-ce qu’ils ont bien traité les deux fils aînés ?

- Oui. Mais ils n’auraient pas dû s’acharner sur le troisième ».

Claire lui apprend que ces soûlards aux traits secs avaient tout englouti, que la vente à bas prix de leur logement, à supposer qu’ils en trouvent, couvrirait à grand-peine les frais du Vieillards’Home. Stary-Jerzy répond J’aime tes yeux. Il ajoute que sous la peau du visage de Claire, si exactement remplie par le muscle, s’est incarnée toute la vertu du monde.

- La vertu, Jerzy ?

- La justice. L’égalité. Le droit. »

Claire se met à rire, secoue ses boucles.

Quinte visite.

« Regardez bien, Stary-Jerzy : nous voici, aujourd’hui, tout à côté de chez Myriam – votre femme ! ...où vous habitiez tous les deux ! ...dans le temps !… deux vieux vivent là, plus vieux que vous encore ! ...en fond de jardin, derrière une autre maison. Celle de devant est occupée par des quadragénaires.

- C’est bien jeune, dit Jerzy.

- Ces jeunes ont engagé une procédure, dit Claire, pour expulser leurs vieux.

- On n’expulse pas les vieux , dit Jerzy.

- Dix-sept ans de séjour ! ...dans le jardin (la friche…) entre les deux maisons, les vieux entassaient leurs ordures : deux gazinières, quatre batteries déchargées… Ils disent : « Notre Fils viendra dégager tout cela, par camionnette » mais les jeunes – devant eux - les Acquatinta – ne les croient plus. Ils ont tout fait virer, d’office : encombrants, déchets…

- Mais, ces Stary-là, des Mazeyrolles ! sont cousins de Myriam... Eh bé ! Eh bé !

- Les vieux Mazeyrolles n’ont pas supporté ce déblayage intempestif.

- Eh bé ! ...des cousins de Myriam !

- Les Acquatinta leur ont doublé le loyer. Puis les ont persécutés.

- Comment cela ?

- Pour gagner l’extérieur, sur la rue, les Mazeyrolles doivent traverser le jardin. On appelle cela « une servitude ». Les Acquatinta, quadragénaires, pleins de soleil, déjeunent en plein air ; les Mazeyrolles, au passage, saluent humblement les Acquatinta, qui ne répondent pas, ou d’un ton condescendant. Voire excédé.

- La Marie-Thérèse, c’était la fille de…

‘ ...elle n’a plus qu’une dent sur le devant. La lèvre qui pend. Les tifs peroxydés. Coquette. Hideuse.

Son mari s’appelle Jean-Paul. Trapu, lourdaud, voûté. Il traîne des pieds.

- Tout à fait lui ...

 

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Après chaque visite, Stary-Jerzy et Claire prennent un lait fraise et un diabolo menthe au bar de L’Entrecôte. Ils échangent leurs impressions. Stary-Jerzy est stupéfait. Il se fait tout expliquer, répéter, rétale ; ces Mazeyrolles, anciens voisins, l’intriguent particulièrement. Il se fait confirmer leur ancienne adresse sur le plan de ville. Demande combien d’armoires s’entassent dans cette pièce où l’on ne peut plus mettre un pied. S’il est bien vrai qu’ils ne possèdent plus qu’un petit écran de télé qui fonctionne, juché sur un grand irréparable. « Je parie » dit Stary-Jerzy « qu’ils sont devenus tout à fait sourds et s’engueulent en occitan».

- Exact, Stary-Jerzy ». Claire éclate de rire, secoue ses boucles et montre ses dents

 

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Petite prise de bec Jerzy-Claire p. 13 tapuscrit.

 

- Comment va Pépère aujourd’hui ? Il a fait un gros crotton le pépère ? il veut ouvrir les rideaux le pépère ?

- Faites chier.

- Pas poli le pépère !

- Je t’ai vouvoyée ».

Stary-Jerzy ne supporte pas que la très lointaine cousine de sa femme, Claire Mazeyrolles. use et abuse de la badinerie. Tout se joue dans sa contemplation. Près d’elle seule il ne se sent ni vieux, ni père, ni camarade.

 

 

Apparition dans le récit de Anne p. 14 du tapuscrit

Chez les vieux Mazeyrolles, ils retournent, en compagnie d’Anne Mazeyrolles, nouvelle soignante, jeune sœur de Claire. Se marier ne semble dans les projets ni de l’une, ni de l’autre , bien qu’il ne soit plus obligatoire d’adopter le nom de son époux. Les deux sœurs ne se ressemblent pas. La plus jeune aura ies cheveux noirs, des yeux noirs. Un menton, un nez insolents. Claire perdrait-elle ses attraits ?

Les Mazeyrolles apprennent leur réemménagement

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Les Vieux. Plus vieux que lui. Déclinant leur âge et leur identité. Claire, debout, prend des notes. Anne, en retrait, les toise. Derrière eux, les armoires s’entassent, garnies, bâillantes, toute une vie. Le soleil joue entre les battants. Thérèse Mazeyrolles demande :

« Il faut trouver un nouveau logement ?

Jean-Paul :

« On nous promet un rez-de-chaussée, même rue.

Au retour, hors de leur présence :

« Les déplanter, ce sera les tuer » dit Anne.

X

- Encore un peu de bouillon, Pépère ? ...Jerzy ! On se promène tout seul dans les couloirs à huit heures trente ? Tout le monde éteint les lumières ! Au lit, on dort ! »

Stary-Jerzy se fait rabrouer. Mais le règlement n’est plus ce qu’il était. Il n’a pas connu ce temps-là. Il quittera ces lieux. Le ton est à l’humour. Mais le cœur n’y est pas.

 

X

 

 

Les deux sœurs, Claire et Anne, occupent en ville une vaste demeure, aux chambres profondes : l’une d’elle est inoccupée, en raison de l’absence d’un frère. Les deux sœurs trouvent le vieux « marrant », « sympa ». Le déménagement se fait dans l’austérité, ou la sobriété. Anne vient en visite, elle boîte bas. Le vieux ne l’avait jamais remarqué à ce point. Mais il ne l’en aime que davantage. C’est une jeune femme droite, avec suffisamment de mystère. Elle s’assoit et ne dit pas grand-chose : « bouche grande, bouche close ». Ce pourrait être un proverbe. - Cela fait dix-sept ans que nous vivons ici, disait Marie-Thérèse Mazeyrolles. Anne s’éloigne.

 Même quand elle marche, on dirait qu’elle danse .

Les deux soignantes et le vieux couple portent le même nom de famille. Leur lien de parenté reste lointain. Stary-Jerzy éclaircira ce point. Ou non. Jerzy les admire. Laquelle susciterait en lui plus d’amour ? d’admiration ? Il aimerait désirer l’une ou l’autre - il tient jusqu’ici la balance - Jerzy est Sagittaire (vingt-quatre novembre)

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Le lendemain Anne est reveuet. Elle est plus éloquente. Lorsqu’elle rit, son visage reste lisse. Son débit s’affermit, ou bien se précipite, sans que rien ne puisse le laisser prévoir. « Les Mazeyrolles, dit-elle, vivent à nouveau dans un taudis. Leur papier peint se détache en larges copeaux, comme à leur dernière adresse. Sur la télévision j’ai vu tout un poulet à dégeler. La planche à repasser au milieu du salon.

De répéter deux ou trois prénoms de femmes sans se lasser. D’éprouver sa plénitude dans le vide. Enfin logé. Dignement. Seul. Et ça sent le foin quand il tourne la clef : laine de verre ou rat coincé, crevé ? Toujours en virée, dehors. La lune sort des nuages sur les murs en sommeil. Il longe la « Maison Usher ». Elle demeure froide. Murée, terrible. Stary-Jerzy titube avec bonheur, doucement d’un trottoir à l’autre sans avoir bu. «  Ma chambre est à moi. Elles me l’ont donné. Une arrière odeur de rats.

 

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Le lendemain Anne est revenue. Elle s’est montrée plus éloquente. Si elle rit son visage reste lisse. Son débit s’affermit, ou bien se précipite, imprévisible. « Les Mazeyrolles, dit-elle, vivent dans un taudis. Leur papier peint se détache en larges copeaux. Sur la télévision j’ai vu tout un poulet à décongeler. La planche à repasser au milieu du salon.

« Les déménager n’arrangerait rien ; ils portent leur taudis sur le dos.

- Vous êtes jeune, répond-il. Pourtant, vous aimez l’ordre.

- Ce n’est pas incompatible. »

Anne poursuit :

« Leur friche sert de dépotoir. J’ai compté quatre grille-pain rouillés, d’autres armoires en plein air, pourries sous la pluie.

- Ce sont des cousins de Myriam. » Jerzy n’en dit pas plus. Myriam, les vieux Maseyrolles et leurs futures soignantes sont donc apparentés. Lafayette (Madame de) en eût pondu vingt pages. « Nous sommes tous cousins » reprenait Anne.

- L’âge les a bien amochés, disait Stary-Jerzy : « Jean-Paul et Marie-Thérèse  Mazeyrolles». C’était la mode aux prénoms doubles. La vieille dame avait redoublé de laideur. Anne ajoute que Stary-Jerzy s’en est «mieux tiré » : très peu de rides. À quoi Jerzy répond : « J’ai une vraie tête de porc ». Anne se met à rire, sans plus exposer sa pensée : Claire, dit-elle, ne souhaitait pas les expulser. « Comment ! ...de cette laideur !? ...ils ne payaient pas non plus leur loyer ! - Qu’en savez-vous ? - Ne faites pas l’étonné dit-elle ; nous avons annexé, ces deux-là, racheté le terrain des Acquatinta. - Qui mettez-vous à la place ? » Anne se tait et la sœur aînée ne vient pas.

Une cloche tinte en cuisine : Oncle René appelle à table. Jerzy se lève pour le réfectoire, il parle volontiers de tout de table en table. Claire n’arrive que pour les pâtes, casque auditif en tête : Good bye stranger aux paroles si poignantes adieu femmes étrangères  l’anglais ne dit rien des sexes perdus - good bye Mary, good by Jane aussitôt quittées que séduites, sur une lancinante mélopée dont les mots nous échappent, lesquels sinon nous rempliraient de larmes) « gruyère pour tout le monde ! ».

X

Stary-Jerzy respire encore, deux fois, lentement. Ce bâtiment est vaste et sobre, il n’en connaît plus d’autre, n’en sort plus.Myriam lui fait un souvenir de fond, morte jadis au Vieillards’ Home, ailleurs. Claire et Anne donnent toute liberté, laissant leurs chambres personnelles bien fermées. Jerzy erre pieds nus dans le couloir frais. S’assoit dans son propre salon solitaire, face aux cendres froides de son nouvel âtre. Ses oreilles se libèrent lentement, et sa raison revient à mesure. Il passerait des heures à s’écouter se défriper ainsi la tête et les tympans : « Je devenais fou au Quartier des Hommes ». Il parcourt les revues aux toilettes, s’aventure dans le jardin, jusqu’au prunier ; au fond, derrière la haie, passent les nouvelles ombres des vieux Mazeyrolles : lui, voûté, silencieux – elle édentée, volubile – chez eux naguère, ils défilaient de même, derrière une autre haie ; c’est ainsi que se crée la légende.

Durant tout le repas commun règne en bout de table la télévision. Stary-Jerzy cache mal sa déception ; au moins peut-il se purifier des anciens miasmes du Home et le soir, de profil, contempler à loisir Anne et Claire, nimbés de marbrures lactées.

« Nous serons bientôt débarrassés d’eux » : l’une ou l’autre sœur se tourne un café. aussitôt quittées que séduites, sur une lancinante mélopée en La bémol dont la plupart ne comprennent pas les larmes. « Pourquoi passez-vous, ajoute-t-il, votre vie, dit-il encore, à observer des personnes âgées ? ... vous les tuez, dit Jerzy. Claire le regarde avec une intensité amusée.

 

L’oncle René apporte et remporte les plats sans rien dire : c’est de famille. «Ne vous apitoyez pas, Jerzy », dit Claire à voix basse. L’oncle René approuve de la tête et repart en cuisine. « On a brûlé toutes les armoires au centre du jardin ». Les vieux, baveux, contemplent la mise à feu de leurs boîtes vides. Jerzy les revoit monter dans une minuscule ambulance, courbés et désespérés. Ils auront vécu là 17 ans, derrière les Acquatinta, sans que les deux sœurs en subissent le moindre dommage. Des voisins se sont regroupés. Certains font mine d’avertir les pompiers. Mais les crépitations de meubles enflammés retentissent sur fond de réjouissances : plus loin dans le quartier, une foule de noceurs ivres reprend en hurlant mais c’est la mort qui t’as assassinée Macia – Jerzy revient dans son logis indépendant. « On n’a brûlé que les meubles hors d’usage ».

 

Les rapports d’oncle René et de sa mère constitueraient un immuable sujet d’étonnement ; nièce Claire et nièce Anne, Jerzy lui-même gendre Mazeyrolles, ne s’étonnent plus de rien. La mère et grand-mère est le type même de la Vieille Dame Charmante. Sa lèvre supérieure est striée. La vieille dame est souvent taciturne. Très stricte sur sa chaise, un peu déjetée sur sa canne et courbée, elle reste inséparable de René, son fils, escogriffe jaune et quadragénaire. Assistant sa mère, il la soutient avec des gestes d’antiquaire. Couvert d’amour et parcheminé.

Il écarte les obstacles et jusqu’aux pierres. Les personnes, s’il l’osait.

*

Le soir où l’on pendit la crémaillère, Jerzy les invita tous. Ils occupèrent le long côté des tables. L’oncle et sa mère se comportèrent sans faiblir, poussant à égalité la nourriture dans leurs gosiers. La vieille dame s’endormit entre deux bouchées. Son fils lui avait passé le pain, ôt les os de la viande, essuyé le coin des lèvres.

Sans doute Stary-Jerzy aurait-il mieux fait d’usurper la nouvelle maison des MAZEYROLLES, derrière la seconde haie, au lieu de rejoindre si vite le Bunker des deux Sœurs. Claire à sa gauche. Anne à sa droite. Elles ne disent rien. Les autres convives ? Il ne les connaît pas. Il n’est pas ici chez lui. Parfois les sœurs, aux places d’honneur, s’inclinent vers lui, lui tendent un verre, un petit four, un sourire, puis répondent de toute part aux invités qui se pressent. En face de lui, de l‘autre côté du buffet à double accès, deux vieilles droit sorties du Vieillards’, qui déglutissent. Une autre vieille mère, Marie-Thérèse et son vieux fils, raides, vides et le nez pendant. Le reste ad libItum. C’est un défaut de débutant : ne voir autour de soi que des individus sans qualités.

Jerzy lorgne sur son plat, aussitôt vidé que garni, alors que rien ne le convie à festoyer. Il les quitte, glisse au long de la table à chips, tourne sur les hors-d’œuvres ou mezzé, revient par les quiches. Il se bourre et s’occupe. La vie lui suffit. Ne sont venus que des inconnus. On ne nous dit pas tout. Tout le passé reflue en masse. «Mort de Myriam ». N’en peut plus d’observer. Il fait, défait connaissance. Un docteur aux yeux faux bordés de bacon - « l’essentiel chez » un vieux, c’est les jambes ». Stary-Jerzy a repris son circuit. Il revient sur ces deux-là, ses proches parents, disparus jadis des radars. Qui mâchent sans un mot, paupières basses. Le fils guette le pain par-dessous, guette la cuillère, la sauce qu’y a-t-il pour votre service, Mère ? premiers mots du fils.

Lorsque la vieille Marie-Thérèse plonge morte dans son plat, le nez en avant, le vieil enfant saute sur son siège, retourne la vioque, essuie la sauce, Claire et Anne disent Mon Dieu ce qui ne leur ressemble pas. la tablée jaillit en tous sens, on ne trouve qu’un seul téléphone, René accourt de la cuisine, serre le vieil enfant, son frère ! dans ses bras, l’appelle par son nom Jean-Paul. ...Chacun sait les 3 façons dont s’agitent les convives d’un mort, d’une morte : ceux qui mangent, ceux qui se dressent, ceux qui vomissent. George s’est levé sans précipitation. Il est sorti marcher de long en large dans sa portion de verdure attitrée, devant la haie des Mazeyrolles. Il s’est demandé pourquoi ces deux jeunes soignantes l’ont recueilli.

Qu’est-ce qui leur a pris. A bien pu leur passer par la tête . Elles acceptent n’importe qui. Cette ivrognesse est venue s’abattre d’un coup… pourquoi la mort le frôle-t-elle sans qu’il s’en émeuve ? Quelles mesures Dieu Créateur, qui n’existe pas, ou tout autrement, a-t-il entreposées dans son âme, derrière sa haie privée ? Quand Jerzy revient s’assoir, le médecin de teint jaune - « Poutzi, Pouzieff » ? - énonce le diagnostic : « Rupture d’anévrisme ».

Sa voix est nasillarde. Savoir s’il le fait exprès. S’il étudie sa voix sous un casque de retour. Deux infirmiers enlèvent le corps, qui n’a pas encore perdu sa souplesse. Certains invités hurlent encore. Le vieux fils accompagne sa mère à sa dernière demeure, le petit cimetière de l’hôpital. Il ne vivait plus que pour sa mère infirme. Saura-t-il en retrouver une qui boite aussi bien ? « À l’asile, j’étais bien ». Tout s’est passé si vite. Quand l’assemblée s’est dispersée, cercueil et ventre pleins, Jerzy pousse un soupir. Il sort, de nuit, dans les rues désertes. Par ici, des pavillons blancs, gros reflets de bonne carrure.

Il rentrera bien assez tôt ; possède à présent un domicile honorable c’est bon d’avoir soixante-dix ans marmonne-t-il. De répéter deux ou trois prénoms de femmes sans se lasser. D’éprouver sa plénitude en plein vide. Enfin logé. Dignement. Seul. Et l’odeur de foin quand il tourne la clef : laine de verre ou rat crevé ? La lune est sortie des nuages sur les murs en sommeil. Passe sur la Maison Usher (froide, murée, terrible). Stary-Jerzy titube doucement d’un trottoir à l’autre. Tout est dû aux vieillards. Jusqu’aux anges gardiens. Il se parle seul sur la chaussée, débarrassée d’humains. Si facile de passer pour fou. Stary-Jerzy a trouvé son chez-soi. Son plafond bombé jusqu’au ras du crâne – lattes en pont de navire, étroites et vernies, cognac juste derrière la porte en bois du buffet. Très lourd, venu de la maison du père mort. Vieux meubles, vieux os. 70 années de terreur. Les pleins et des déliés de la vie.

...Myriam gagne à être regrettée.… les vieux se guettent en coin. Se jettent des sorts… Myriam n’aura pas traîné – huit jours ? huit ans ? – à croire qu’il n’a rien vécu jusqu’ici. Sa tête décroche. Ces remontées de blocs de sommeil en surface. Tu es paresseux dit Claire.

Pourquoi ses oreilles, ses yeux qui s’effondrentquand il s’aperçoit qu’il écrit à Myriam il déchire la lettre il a des absences. Les deux sœurs et Jerzy regardent Le Prussien avec Edmond Beauchamp. L’histoire d’un vieil époux homme qui survit, apparemment indifférent. Les héritiers agglutinés le traitent comme une bûche. Pour l’enterrement de son épouse, comme il marche péniblement, tous les autres le dépassent. Il arrive, seul et bon dernier, sur la tombe. Veux-tu devenir ma femme. Un élan du cœur dense comme un renvoi de malt. Stary-Jerzy : « Si on ne devient pas fou dès le premier choc – on guérit à l’instant.

«  Voyons Jerzy, étiez-vous amoureux de votre femme ?

- Non.

- Pourquoi voulez-vous l’aimer davantage ?

Il dit :

- Je me moque d’être apprécié.

- ...je rêve ! » - Anne bat des mains.

- Parlez-nous de Myriam, dit Claire.

Jerzy s’en contrefout. Anne dit «  C’est dommage. Vous auriez pu en pondre deux chapitres. Nous allons vous détacher de vous.

Tous ces vouvoiements l’indisposent ; ce n’était pas dans leurs conventions

« Quelles conventions ? dit Anne. Elle regrette déjà de l’avoir accueilli dans « la Maison Mazeyrolles »

- Mais nous sommes tous des Mazeyrolles. »

Sur le retour, après séparation, Claire dit : « C’est dommage . Nous ne voulions pas brusquer le dénouement.

Anne conclut à l’échec. . PAGE 27 SUR PAPIER

**

 

 

 

Une conférence à quatre rassemble Claire, Anne, Noël et Stabbs. ...Stary-Jerzy Svarov découvre ce que chacun savait : la liaison, déjà ancienne, de Claire et de Stabbs. Qui est cet homme ? Un petit trou du cul d’Anglais, crépu et maladif, maniéré mais capable de brusques grossièretés. Il parle haut, dans le nez Détache les syllabes. Sa petite taille accroît son côté péremptoire. Il aimait Anne. S’est rabattu sur Claie. Mais tout ne va pas pour le mieux entre Claire et Stabbs.

Les deux amants s’affrontent, mais rien n’est si grave. Anne, belle-sœur de la main gauche, contemple Stabbs plus souvent qu’il ne faut. La plus jeune est brune, lèvres délicates et paupières fendues. Corps souple et propos fantasques. Stabbs courtise les deux sœurs. Nul ne sait cependant jusqu’où vont « ses audaces », s’il les honore toutes deux, s’ils les déshonore, ou de quelles façons. « Qu’attendons-nous ? » (Stabbs). « Qu’est-ce qu’on attend ? » (Anne).

Anne et Stabbs ne se cachent plus, et flirtent ouvertement.

Est arrivé aussi, après sa longue enquête, un certain Noëldieu, qui se prétend fils de Stary-Jerzy et de défunte Myriam ; il se trouve, pour lui, très affecté par la mort de Myriam. Sa taille, déplié, atteindrait les deux mètres. Le nez plus long et la tête basse, dépassant du complet-veston, une voix de tombe. Il ne lui manque plus qu’un chien, s’il ne l’était pas déjà : il les attire dans les rues. Son odeur indispose. Il demande asile et protection, ce qui est impossible. « Suis-je le gardien de ma mère ? » Il pense par livres et par rêves. Il apprend le décès au hasard des raccrocs. Il craint la paralysie, à brève échéance. Il finira cloîtré comme les autres. PAPIER PAGE 29

Voici le dialogue :

« Nous ne le jugeons pas sur ses actes...

- Il ne veut rien faire.

- ...ni sur ses intentions.

- Il regrette insuffisamment sa femme.

- Noël est inconsolable.

- Qu’en sais-tu ? dit Noël.

- Claire, pourquoi l’as-tu traîné, de vieux en vieux, d’expulsé en expulsé ?

- Il aimait les distractions que je donnais. Son fonctionnement m’intéresse.

- C’est sa maladie.

- Quelle maladie ?

Chacun parle de son mieux ; exprime ses sentiments et ses ressentiments.

Noël se lève, agite son nez de haut en bas : « Ne chassez pas Jerzy. Ne chassez pas Stabbs ».

- Qui parle de me chasser ? dit Stabbs.

Noël poursuit sans répondre : « Tout homme devrait être récompensé, juste pour avoir vécu.

Stabbs répond sans comprendre :

- Où irait-il ?

- Dans une boîte à dingues, réplique Anne.

- ...dans les puanteurs de cantines », poursuit Stabbs. « De pisse… de souvenirs… de mort prochaine… Guettant les premiers tremblements de mains… essentiels ou parkinsoniens… Pour tout spectacle : des grabataires. Des devenus gâteux,morveux. Je suis son fils. Nous sommes tous éveillés, beaux, pleins d’ardeur et d’avenir.

- On le garde, dit Anne. Il ne dépassera pas la haie, ni en hauteur, ni en largeur.

- Cependant il dérange, dit Claire.

Les deux sœurs à présent plaident à fronts renversés, ou intervertis. Stabbs, lui aussi, inverse la vapeur, pour plaire à Claire : « Le spectacle de sa décrépitude doit nous être épargné ». Noël à son tour cède du barrage : « Il se fout de la mort de Myriam. De ma mère. »

- Je ne l’ai jamais vu manifester, dit Claire, la moindre crainte de la mort » dit Claire.

- Il se fout de tout ! enchérit Anne.

- Il acceptera donc l’expulsion, dit Claire.

Confusion, conclusion.

X

De fait, ses mains tremblent. Ses jambes flageolent. Il se mouche bruyamment. Il manque de caractère, à première vue. Il est comme les autres. « Sa femme devait porter la culotte ! » Il se murmure qu’il se laissait battre. Mais tout le monde peut se tromper. Cocufier, c‘est possible. Il ne mérite plus de vivre.

« Quel désert, dit Stabbs.

« S’il était là, reprend Claire, nous serions tous à ses pieds ».

Ils ruminent. Ce débris d’homme leur en impose. Ils se découvrent eux-mêmes très inconstants. Où se tient la scène ? ...autour d’une table basse, dans la partie du bâtiment où Stary-Jerzy, le tremblant, le bubonique, n’a pas accès. Dans une salle de séjour sans tapis, devant l’âtre froid. Le vieillard absent provient d’une première expulsion, celle du Vieillards’ Home. Il échoue ici même, plus près des deux gouvernantes que jamais. Il leur importe plus encore d’être définitivement débarrassées de cette sangsue immortelle. Prélude à tant d’autres.

L’alcool est indispensable. Une bouteille de cognac, une autre de gin. Au-dessus d’eux court un réseau de poutres torses parfumées de Xylophène, Marque Déposée. Votons.

Maladroitement, Claire apporte un melon d’homme mort.

Gauchement, Anne tire d’un tiroir [sic] deux paires d’enveloppes.

Vainement, chacun dépose en le cachant son bulletin, l’œil rivé sur le voisin. Le vote est NON. Stary-Jerzy exclus par trois voix contre une : celle de Claire. Elle s’est voilée pour clarifier la situation. Pour masquer ses incohérences, elle agite et secoue ses boucles blondes, sans aucun effet sur Stabbs, son ex-amant.

Elle défait le premier bouton de son corsage. Rien. Tire de son sac à main une lettre :

Gardez-moi avec vous. La pâleur de vos joues est gage de divinité.

Stabbs éclate de rire. « Je n’éprouve aucun remords » dit-il « au départ de Stavroski. Ma punition viendra ».

- Il ne savait rien encore, dit Claire : ma thurne regorge d’ennui..» (le public : « sa thurne » !… - « regorge » !) - lisant la suite : quand vous n’y venez pas ; songez que je suis veuf 

- Il n’y songe plus lui-même ! dit Anne.

- Veux-tu l’épouser ? réplique Noël.

- Qui veut lui annoncer la nouvelle ? demande Stabbs.

- Toi, dit Anne.

- ...à quel titre ?

- Nous en trouverons, reprend Noël. Certains pourtant trouveront un peu fort qu’un Stabbs » - il le toise - « ...se permette d’avoir des visées sur un pavillon sans chauffage, au fond du jardin. Nous irons à tour de rôle annoncer son expulsion. Tout en parlant de choses et d’autres. Le crime de l’Orient-Express.

- Il sera vite convaincu, dit Claire.

Pour jouer ce mauvais tour, peu importe qui parle. Il suffira de tirer au sort l’ordre des intervenants.

Anne demande « pourquoi c’est pas les mecs qui s’y collent ». Anne répond que « les hommes, jusqu’à leur retraite, sont très occupés ».

- Qu’est-ce qu’il faisait ?

Pâtissier, tapissier, menuisier. Quelque chose en -ier

- « Chier » ?

 

 

x x x x

 

« Que faites-vous là, Jerzy ?

- La cuisine. Pour moi, et pour les chats. » Ces derniers n’appartiennent pas à la maison ; ils trouvent des gamelles prêtes, bien disposées.

Jerzy tient une râpe cylindrique ; il serait étonnants que les félins apprécient le gruyère.

Claire s’assoit sur une chaise : elle ne peut le sommer de partir tant qu’il se livre à cette activité.

Il introduit la pâte dans le tambour, la fixe au-dessus par un petit levier, puis tourne la manivelle : il en sort de beaux copeaux blonds, Claire se lisse les cheveux. Dans l’évier la vaisselle forme deux tas : la propre qui sèche, la sale, empilée, sur la gauche.

 

 

Une goutte tape sur un fond de poêle

« Vous vous êtes bien habitué, ici.

Mauvaise entrée en matière.

- Oui ! (voix volontairement de vieux) - c’est surtout le jardin qui me plaît. »

Une bande de terre entre deux bords de ciment, qui enserrent un rosier malingre, un hortensia rose et deux aloès. « Il faudra que j’arrache les mauvaises herbes. - Secouez les racines. - Rien à foutre, dit-il en polonais.

Pousse là aussi un pêcher de deux mètres donnant sept fruits par an, gâtés avant maturité. Plus loin deux appentis en tôle.

« Vous n’avez pas d’insectes ?

- J’ai des oiseaux dans la haie, ça croustille. Ce sont des mésanges charbonnières.

Stary-Jerzy si tu touches mon cul, quel beau prétexte !

Mais il paye son loyer. Je l’aime bien quand même.

À ce moment passe un chat sans nom. Il se faufile entre des planches verticales.

Claire n’aime pas cette palissade. Elle va la démonter, dit-elle, avec Stabbs, « mon ancien».

- Cette langue n’est pas la vôtre.

- Je me prends pour Anne...

-J’en doute. DDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDD

Sous l’auvent règne un établi pourri, garni de flacons cylindriques bourrés de vis et de boulons. Tous deux visitent ce réduit, Jerzy traîne exprès des pieds, contemple les planches et le chat qui repasse encore. Il ne partira pas. Votre quotidien n’est guère exaltant, Stary-Jerzy ; moi, je travaille.

- ...Vous visitez les Stary-Expulsés.

Nous y voilà. Jerzy évoque ses rêves : « Le quotidien, de jour, est morne; le quotidien de nuit peut me passionner. Par exemple : je me trouve dans un vaste établissement aux murs tout blancs. Je passe dans des couloirs, des greniers. De vieilles archives aux portes qui ne ferment plus - le rez-de-chaussée fait hôtel - voulez-vous du café ?

- ...Vous ne comptez pas un jour sortir d’ici ?

- « Cadeau repris, cadeau volé ! »

- Et le monde extérieur ?

- Un sucre ou deux ?  ...je viens d’arriver, Claire. »

(...dans ces hôtels, Jerzy est poursuivi ; monte à la course les escaliers. Entrevoit des grands lits défaits. On lui crie : Loyer ! Loyer ! Loyer ! «...j’arrive aux toilettes pour femmes – on secoue les portes ; les toilettes sont un labyrinthe, on aperçoit les chevilles humaines sous les portes, partout des fuites d’eau -

- Les bibliothèques sont des labyrinthes…

- ...j’arrive dans un cimetière

- ...bibliothèques…

- ...ma tombe n’a pas de nom, juste un cadre de planches de chant dans le sable, qui coule en dessous

jjjjjjjjjjjjjjjjjjjnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn

2

il reconnait, de rêve en rêve, l’entrée du haut, prêt de la route à quatre voies ; l’entrée du bas dans un virage urbain, entre deux gros piliers cannelés – arrivé là dit-il. je ne suis plus poursuivi

- Je venais vous parler des vieux Mazeyrolles.

- Les pauvres ?…

- Vous reprenez du poil de la bête, Stary-Jerzy.

- ...du moment que je ne suis plus à  l’Asile…

- Pour eux c’est pire que de mourir, Stary-Jerzy.

- Arrêtez de m’appeler comme ça.

 

 

- Nous avons visité dix expulsés. Vous êtes des privilégiés.

- Je n’entre jamais chez vous sans y être invité. Sans rien vous coûter.

- Vous ne nous convenez plus.

- C’est trop brusque.

- Vous n’avez pas cherché à savoir ce que sont devenus les Stary-Mazeyrolles, vos proches parents ? Deux expulsions en si peu de temps !

- Ils étaient dégoûtants. Vous m’avez mis à leur place. Nous sommes enfin venus chez vous. Quant aux Lokinio : l’air était irrespirable. En si peu de temps. Le taudis à l’identique. Indécrottables.

- Et Myriam ? Elle était dégoûtante, Myriam ?

- ...Vous changez de sujet.

- C’est votre dureté qui est en cause.

- Myriam et moi ne nous aimions plus. Dès le Vieillards’Home nous avions cessé toute relation intime ».

Claire écoute. Elle n’a rien dit mais pouffe ; imagine des scènes.

- Myriam chez les femmes, et moi chez les hommes. On se donnait rendez-vous aux toilettes, seulement aux toilettes.

- Pour vous dégoûter l’un de l’autre. Mais ça n’a pas marché.

- Nous faisions déjà chambre à part autrefois. Le lendemain de notre 55e anniversaire. Mais au Vieillards’Home, nous aurions voulu retrouver notre lit complet.

- Mais c’est dégueulasse ! s’écrie Claire, qui n’y tient plus.

- Vous y viendrez, Claire, quand vous aurez goûté du marital.

- Pourquoi pas,  Jerzy… Parlez-nous seulement des raisons de votre mariage.

- On ne se marie pas pour des raisons…

- Je parie que si.

- Cinquante ans de galère…

- ...de galère ?! …Jerzy !

Anne à son tour demande  s’il a des enfants.

- Les enfants sont la plaie du couple ! » Stary-Jerzy frémit.

- Cessez de hurler voyons ! Rentrez vos yeux voyons ! Jerzy ! Pani Stavroski ! Vous avez un enfant ! Nous le connaissons ! Noëldieu dit Noël.

Jerzy grommelle. - Un garçon. Jardinier. Boucher. J’aurais voulu qu’il devienne quelque chose comme ça : bien paisible. Bien gagner sa vie.

- « Paisible » ?!

- Pas beaucoup d’impôts.

- Boucher, «pas d’impôts » ?…

- Commis boucher [oujenik jejnitchy]

- Pani Stavroski, qu’est-il devenu, le Fils ?

- Professeur de littérature américaine à l’Université de Montréal.

- Eh bien ! Pani Stavroski !

- Ni bonjour, ni bonsoir ! Les études ! ni femmes ni bistrots ! ni homo.

Claire éclate de rire.

- ...un fier-cul ! ...moi aussi,j’ai fait des études ! en français, polonais, anglais !

- On s’exprimait mieux, de votre temps, monsieur Jerzy.

- Chez les bourgeois, mademoiselle Claire. Mon père était chef de gare, ivrogne et asthmatique. J’ai six frères et sœurs. J’étais le canard boiteux.

- Que sont-ils devenus ?

- Morts ou en retraite.

- Ce ne sont pas des professions.

- Il ne faut pas avoir d’enfants.

- Trop tard.

* * * * * * * * * * * * * *

 

Au mois de septembre les deux sœurs ont reçu huit pêches : tavelées, chlorotiques ; arbre rongé par la cloque. Fruits d’arrière-saison, au goût de bergamote. Peau épaisse et veloutée, qui se pèle aisément. Elles remercient. « J’en garde six autres pour moi seul » dit-il. Parviennent à leur tour à maturité les noisettes, qui tombent à terre : le noisetier du voisin passe les branches au-dessus du mur.

Il ne faiit plus grand-chose, Stary-Jerzy : gratter la terre, ôter les gourmands, déraciner les gerbes d’or en les cognant contre un piquet.

«...une vie de feignant, dit Claire.

- ...de nonchalant, reprend Jerzy.

Il dresse l’escabeau, coupe les rameaux secs.

 

* * * * * * * * * * * * * *

Stary-Jerzy possède le privilège de conserver son ancien logis, en fond de jardin. Il s’y rend deux fois par jour. Il conserve là-bas, dans son refuge, une platine ou « enceinte », de grande qualité ; à la demande des deux sœurs et en dépit du froid, il ouvre les fenêtres ; à travers la haie, Claire et Anne, qui ne sont pas frileuses, bénéficient de programmes hors-normes. Elles qui ne connaissent que le soul ou le reggae apprennent Ferré, Tenenbaum dit Ferrat, Manset, soit la floraison des seventeen’s – eighteen’s. Ou encore, la Symphonie celtique, et toute une avalanche de classiques.

« Il nous ennuie » dit Anne.

- ...nous instruit », dit Claire.

Un jour vient où le froid empêche l’ouverture des fenêtres, des chaises longues et des oreilles. Voici quelques répliques réversibles :

- Il ne reçoit jamais personne.

- Il est bien calme.

- Ce n’est pas comme les Mazeyrolles. Qui recevaient d’autres vieux plus vieux qu’eux.

- Des vieillesses plus dégueulasses…

- Anne, voyons !

Il est plus facile d’épier un seul vieux, au rez-de-chaussée, que deux, en fond de jardin.

Un jour le froid empêche l’ouverture des fenêtres et des chaises longues.

Stary-Jerzy parle à voix basse – avec Myriam dit Claire.

« Tout de même… sa mort ne l’a pas rendu fou…

- Tout le monde parle à sa femme en faisant la poussière.

Anne émet l’hypothèse que le vieux vit en sursis.

Elle fait des projets de mariage :

« Quand je voudrai me promener, il n’exigera pas de conduire. Il ira où je voudrai.

« Si mon genou me fait mal, il comprendra, et me le frottera du du même onguent que lui.

«  Jamais de scène : il est en deuil. Il me parlera de ma mère le moins possible, car il est d’une grande délicatesse. Nous irons ensemble à Lencloître. Il jouera de l’orgue à Notre-Dame.

Claire montre à sa jeune sœur une lettre jadis interceptée : Myriam écrivait La vie avec lui n’est pas de tout repos. Anne a répondu Je suis plus honnête que Mère et toi réunies. Tu es jalouse. Tu introduis ici ce vieux Polak sans même avoir eu le cran de l’expulser totalement de l’ancien pavillon. Mauvais exemple pour tous ; il peut se déclencher d’un jour à l’autre un jeu de chaises musicales incontrôlable. Je veux épouser cet homme.

- Quand nous étions petites…

- Nos petits jeux ne suffisent plus.

- ...Hier soir tu ne t’es pas gênée…

- ...c’était hier.

-  Il ne manque pas d’hommes en ville.

- Plus durs les uns que les autres,

Claire : « ...avec Jerzy, ce n’est pas la dureté qui est à craindre - va donc le rejoindre».

Ce jour, Stary-Polak, seul, écoute dans son antre Jean-Sébastien Bach, vitres closes. Les trente pas qui séparent Groszhaus du pavillon entravent les chevilles de Claire. Elle ne sait que faire de ces hommes qui tournent et eollent, et dont le corps pèse si lourd. Vous m’avez bien entendue. Anne veut vous épouser.

- Mais c’est vous que j’aime ..». Il éclate de rire comme un jeune homme : pourquoi pas avec vous. Il la prend par les mains, la fait assoir à côté de lui. On ne me laisse pas le choix ? Je dois dire merci ?

- Quelle que soit la femme, Jerzy, soyez réaliste.

- Il y a trois mois j’étais sur le point d’être expulsé.

- C’est une autre matière. Pourquoi riez-vous ?

- Que penserait Myriam ? ...Qui frappe ? »

C’est Anne, impatiente, anxieuse. Elle parcourt les pièces, celle que Jerzy conserve, de bonne acoustique, et les installations récentes de Stabbs ; les deux messieurs cohabitent à présent sur un pied de respect froid. Anne ferme dans son parcours les portes d’armoires bâillantes. Marque au feutre mauve les plus délabrées. Claire et Jerzy s’interrompent et surveillent ses faits et gestes, anticipant son installation. « Nous viendrons tout débarrasser cet après-midi. - Et Stabbs ? » Claire murmure « qu’il aille se faire foutre ».

 

* * * * * * * * * * * * * *

 

« Qu’est-ce que vous nous chantez, Jerzy ? ...on ne vous aurait interné que pour tenir compagnie à votre femme ?

- Oui, oui…

- J’ai horreur des sensibleries chez un veuf, dit Anne ; c’est peut-être votre vie commune, après tout, qui a rendu votre femme vulnérable.

- Peut-être, peut-être ?

- Et cessez de répéter chacune de vos paroles.

- Myriam était devenue un vrai sac à larmes. Elle pleurait de pleurer.

- L’avez-vous aimée au moins ?

- Je ne m’en souviens plus. C’est Claire que j’aime.

- Il faudra bien que moi, je vous suffise.

Elle lui pose un baiser sur le front et détale.

« Vais-je bander ?  pense Jerzy.

 

* * * * * * * * * * * * * *

 

Voici le repas de fiançailles. Il se tient dans le pavillon de Jerzy, qui l’occupe aujourd’hui tout entier. Cela permet de tout mettre au point, au détriment des plats, qu’ils soient engloutis ou jetés à la gueule. Stary-Jerzy en son antre n’a presque plus qu’un buffet brun, avec rosaces sur les portes.

Première entrée

Fait son entrée Mme Bove, seule, jeune, tout en rouge. Sa voix perce comme un clairon : « Mes enfants sont à la maison ». « Tant mieux » Claire ajoute que « ça ne fait rien ». Jerzy pense comment, Claire, tu aimes les enfants ? Ce qu’on dit, et ce qu’on pense.  Bove, placez-vous en face du buffet... » - tu en voudrais donc ?  ...vous qui appréciez les beaux meubles…  qui est cette femme que tu vouvoies ? - cesse tes messes basses dit Claire ; tu n’auras pas d’enfants de moi ; et ce buffet digne des Mazeyrolles… - ...il me semble l’avoir toujours eu devant les yeux, dit Jerzy précipitamment, « dès mon enfance.

- Ta vue baisse ?

- Mes souvenirs baissent, mieux que moi...

- Et si vous vous occupiez de moi ? s’exclame Bove. C’est moi, l’invitée… vous permettez que je téléphone ?

- ...mais comment donc !

- Claire, je suis chez moi, c’est à moi de l’autoriser.

- ...tu n’es chez moi qu’autant qu’il me plaira : ton ancien pavillon reste au fond de la friche…

Stary-Jerzy grommelle sur la facilité d’accès au téléphone d’une parfaite inconnue. « Écoute-moi bien : ce sont tes fiançailles. Si tu t’obstines à faire à mi-voix des commentaires désobligeants…

- ...je ne suis pas désobligeant…

- ...ou déplacés…

- Ce ne sont pas mes amis…

Bove raccroche et se rapproche :

« C’est plus facile, dit-elle. Nos enfants sont grands à présent… Nous sommes un peu à l’étroit, au premier ; mais nous pourrons bientôt annexer l’appartement du palier.

- Rue aux Juifs ? lance Jerzy.

- ...Quelle intuition ! C’est cela, monsieur Jerzy. J’ai l’air juif ?

Anne rattrape au vol : Il y en a des rousses, puis c’est l’habituel échange de piques, « vous n’avez pas le nez juif », « qu’est-ce que le nez juif », lubies et bribes obligatoires.. Mrs Bove prend le dé de la conversation : « J’ai repeint les plinthes, le bois des fenêtres ; reverni les meubles.

« Les meubles ! s’exclame Claire.

- Toi, lui dit Anne : musique s’il te plaît.

- Good bye stranger ?

- Exactly.

- Mais que se passe-t-il ici? dit Bove ; rajuste sa jupe.

 

Seconde entrée

« Anne, c’est à toi – Claire s’absente en cuisine fraîchement repeinte.

S’introduisent – c’est agaçant – deux masques blancs, « faisant Venise ».

« Eh bien c’est raté », dit Anne. « Vous portez des capes ? …pas même une épée ?...

- C’est émouvant tout de même, dit Bove. Moi, je suis émue.

- C’est que vous n’avez jamais rien vu (tournée vers les masques) vous ne parlerez pas ?

- Je suis bien sûre, intervient Bove, que vous les reconnaîtriez ; il y en a un grand, et un petit ».

Le grand masque se dévoile : « Nous n’avons pas été invités »

C’est Noëldieu. Anne hésite à rire. Jerzy demande ex abrupto à Mrs Bove qui a bien pu l’inviter, elle. « Et l’autre masque » enchaîne Anne, ne peut-être que… - Stabbs ! Je me présente : Stabbs ! »

Claire revient. Mrs Bove, jouant les superflues, précise à Jerzy que tout bien considéré, elle n’aurait pas dû abandonner ses enfants « là-bas », qu’elle s’est décidée « vite vite », que Claire (à mi-voix) se montre « bien bizarre » en un tel jour - « sans aller jusqu’à dire qu’il faut se méfier d’elle », « mais je ne sais jamais vraiment ce qu’elle veut ; et vous ? » - Stary-Jerzy dans un souffle : moi non plus… Claire s’agite sans but comme une hôtesse qui reçoit, Anne s’exclame sur les faux dominos de Venise, les retourne sur la doublure, les ôte et les suspend, Claire essaye tour à tour les masques. Les replace sur eux, leur ôte à nouveau « ces affreuses larves blanches ». « C’est effrayant » décrète Claire. « Je les confisque. En attendant, servez l’apéritif »/.

Stary-Jerzy, à voix basse : « Pourquoi sont-ils venus ? même Noëldieu soi-disant mon fils, ne m’aime pas.

- Et l’autre ?… le British ?

- Son ami.

- Pédés ?

- Non ?

- Bourrés ?

- Oui, dit Mistress Bove.

Stabbs écoute en coin. Il comprend parfaitement le français et le polonais : . « Nous avons bâti de nos mains cette maison où vous êtes ; sans permis de construire. Nous avons tout hypothéqué ».

Stary-Jerzy, lui-même polonais, pense détecter dans l’accent de Stabbs de lointains accents de Louisiane. « Fausse piste » souffle Bovette. Noëldieu fredonne une assertion proverbiale : « Quand le bâtiment va... » (tout va, tout va). Son fils prend une voix de tante. No comment.Tout le monde se dirige vers le buffet. Stary-Jerzy se trouve un instant seul avec Mrs Bove, qui secoue ses cheveux roux sur son col rouge. Stavroski observe que devant lui, les femmes secouent souvent leurs cheveux ; Bovette, avant de se lever, siffle son fond de Porto. Jerzy aimerait habiter une chambre, sans morte dedans, où rien ne changerait jusqu’à sa mort. C’est le moment que choisit la charmante Lady pour soupirer j’aimerais tellement voyager Jerzy dit c’est cela, passer d’hôtel en hôtel d’une voix sombre, puis tous deux rejoignent le cocktail.

Fin de la deuxième entrée

« Que sont devenus les enfants des Noirs ?

- Tous mariés » grommelle Jerzy.

- Avez-vous remarqué, fit la rousse, passant d’un sujet à l ‘autre, comment tous nous laissent seuls ?

- Ils se soûlent à la cuisine.

- Pourtant je n’éprouve aucun plaisir à rester avec vous.

- Ni moi, croyez-le bien, Mrs Bove. Je me souviens d’un bijoutier pédé…

- Parlez donc, monsieur Jerzy – poursuivez vos propos déplacés…

- ...il s’était fait dépouiller par sa femme. 800 000 francs de biens immobiliers se sont évanouis.

- Vous n’en aviez aucun souci, en ce temps-là ; vous vouliez une seule chose : entendre parler de votre femme morte. Et vous aviez horreur de l’accent des Antilles.

- Pourquoi Claire vous a-t-elle confié tout cela ?

- Votre bijoutier se plaignait sans cesse de ses déboires et mésaventures. Même Claire était fatiguée de lui.

- Son ancien amant, bijoutier volé, doit demeurer au Vieillards’ Home.

Mrs Bove éclate de rire : « Où avez-vous pris votre anglais ? Il faut dire Old People’s House. Il est mort, votre bijoutier. C’était le plus encombrant des locataires de Claire.

- Il a été expulsé, puis mort ? ...Mrs Bove, vous faites l’intéressante avec moi. S’ils nous laissent seuls, c’est pour que nous nous pârlions. Pour nous marier.

- Mais c’est avec Anne que vous vous fiancez.

- Vous serez ma maîtresse !

- Vieil impuissant !… J’ai confié mes enfants à des amis, dans un ,jardin. Ils sont bien couverts. Ils ne risquent pas le rhume. Je ne veux pas vivre avec mes trois fils, plus vous, dans un appartement de trois pièces. Ils sont jeunes. Ils ont tant besoin d’espace !

- Il me reste quinze ans à vivre. J’ai besoin de TOUT mon espace.

 

Surviennent les enfants

« John, Juanita, Soniechka, jouez dans le jardin. » (vers Jerzy : « deux de mes garçons sont des filles » (aux enfants) « restez de ce côté-ci de la haie ; n’arrachez pas la haie ; ne creusez pas de trous dans la pelouse.

- Claire ! s’écrie Jerzy ; vous voici ! Où étiez-vous tout ce temps ?

- Nous revenons tous, dit Claire. Sais-tu que le bijoutier est mort ?

- Tu m’annonces la nouvelle avec le sourire aux lèvres ! il y a longtemps que je le sais.

- Maman, est-ce qu’il y a de grands jardins après la mort ?

- Mort, comme Myriam, complète Stary-Jerzy.

Claire, à Mrs Bove : « Ça lui passera ». Se tournant vers Stary-Jerzy ; « Vous ne nous facilitez pas la tâche aujourd’hui : teigneux, résigné.

- Pourquoi m’avez-vous abandonné si longtemps pour ces deux masques, mon fils et votre ancien amant, Staabbs et Noëldieu ?. Pourquoi ces enfants libérés dans mes pattes ? Pourquoi ne puis-je pas voir ma fiancée, Anne, ta sœur ? Mrs Bove est charmante – mais pourquoi la lancer sur moi « 

Faute de mieux, Miss Bove a ri.

Jerzy l’imite.

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Violents coups de klaxon côté rue. Claire se précipite au pas de charge à travers le jardin, en même temps que Stabbs et Noëldieu disposent à toute vitesse sur la table les charcutailles. Hurlements à l’extérieur, irruption par la porte-fenêtre : Claire tient tête entre deux vieux homme et femme. Stabbs et Noëldieu automatisent leurs gesticulations mortadelles ? mortadelles ? « Qui va nous prendre en charge ? crie le vieux. Il a plein de poil, barbe et moustache, autour de sa bouche ronde. - Mais c’est Eugène ! répond Stary-Jerzy « libéré ? cavalé ? »

. À partir de là tout le monde s’est mis à crier.

 

Claire prend Jerzy à part : «Comment peux-tu le reconnaître ? - Je me souviens de tout le monde ». La vieille Alphonsine s’écrie dans le brouhaha qu’ils sont relâchés, sans plus savoir où aller. Réclame de l’alcool, « comme à l’asile – parfaitement ! le personnel nous donnait de l’alcool ! » C’était la prescription pour les intoxiqués. Mais il avait fallu payer le pétrole, et la vieille ne le digérait pas. « C’est un comble », répétait Claire. Ça la calmait. Noëldieu l’invitait ici même, avec son homme Eugène : « Regardez l’heure. On ne peut pas faire autrement » ; Stabbs le Roux, ex-amant, propose plaisamment de les accueillir chez lui. Claire le pousse du coude, il se tait. Oncle René sorti de ses fourneaux l’engueule en sourdine « je t’ai prêté mon pavillon, pas pour y faire venir n’importe quoi.

 

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- Ce sont mes amis ! - Quels amis ? » Eugène et Alphonsine se sont tus, bouches bées devant les mortadelles. Claire prend l’oncle par le bras et le ramène bougonnant dans sa cuisine : « Chacun chez soi.

- C’est ce que je dis » répond René.

Se mettre à table ne résout rien. Rosette et amuse-gueule. Rôti. Personne ne croit à ce qu’il mange. Eugène et Alphonsine se nourrissent proprement, ne boivent presque rien, oublient leurs griefs comme deux vieux buveurs. Ils verront plus tard où coucher. L’asile est loin derrière eux. Stary-Jerzy leur passe les meilleurs morceaux. Il leur demande s’ils connaissent les Maseyrolles. Eugène rapproche les sourcils, se tord la barbe. Alphonsine déglutit en roulant ses petits yeux.

« ...Voyons, les cousins de Myriam !

- Quelle Myriam ?

- Ma femme ! Celle qui est morte ! »

- Décrivez-les, ces cousins, annonce Eugène en se curant les dents.

- ...La vieille n’a qu’une dent, sur le devant. Elle soigne sa chevelure à l’oxygénée vingt volumes. Quand elle gueule ça s’entend. Elle ne parle jamais de la mort.

- Évidemment dit-il dans sa barbe.

- Je m’en fous, braille Alphonsine, cette vieille est tout le contraire de moi : brune, piquante, le nez fin…

- ...qui fut, qui fut, rectifie Eugène.

- « Qui fut ». Pourquoi voulez-vous nous parler de ces gens ?

- Ils n’étaient donc pas avec vous ?

- Où çà ?

- À l’asile.

- ...Tu vois, Eugène : le monsieur n’a pas peur des mots ».

Stary-Jerzy leur confie à l’oreille, même sourde, comment les Mazeyrolles l’ont supplanté, derrière la haie du fond : ils râlaient comme des putois, ils reprenaient leurs sales habitudes de taudis, là, derrière : « Tout mon entretien foutu »… Soudain, précisment, tous sans exception les voient passer en douce, les Mazeyrolles,sortis de leur parcage, à travers toute la salle à manger, haillonneux, graillonneux, longeant subrepticement les dos de fauteuils de table. C’est intolérable.

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Claire, à gauche, se rengorge dans un contentement inexprimable.Elle vit dans son monde. Elle ressemble à une Vierge dAnnonciation.

Les Mazeyrolles se crapahutent en boitant vers les pièces du fond.

« Que veulent-ils ? demande Mrs Bove.

- S’agiter, s’agiter ! avant disparition prochaine, dit Stabbs la bouche pleine.

Les Mazeyrolles disparaissent.

Ils occupent deux pièces encombrée de toutes les armoires qu’ils ont pu posséder ; rien déplacé, rien vendu. Le vieux Mazeyrolles revient seul sur ses pas et bouche toute la porte. Il pèse 100k, il n’a pas ôt son

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béret. D’une voix sourde et ferme, il précise qu’il est revenu sur ses pas, exprès : il s’est réinstallé, avec sa femme ; la maison du fond sera toujours assez grande ; il a toujours acquitté son loyer, sa part d’eau, de gaz, d’électricité – il mourra d’un coup.

Il se tourne, redisparaît.

C’est le moment que choisit Anne, 23 ans, cheveux bruns, teint mat et lèvres rouges, pour s’écrier :

« J’aimerais un premier rôle ».

- Ta gueule, dit le vieil Eugène, la bouche pleine (on mange beaucoup pendant les repas).

Alphonsine lui fait observer ceci : « Tout le monde parle la bouche pleine ici ; ce n’est pas une raison pour t’y mettre ».

Toute la table insiste en chœur : « Anne, exprime-toi, dis-nous ce que tu as sur le cœur ».

Anne répond qu’elle est jeune, qu’elle voit trop de vieux à cette table, qu’elle ne veut pas voir défiler

toute la vieillerie du monde ; « Nous avons le droit et les moyens de virer tous les viocs autant que vous êtes » ( hurlements de rire) - «...de confisquer leurs appartements, et de vous coller tous aux fins fonds de l’asile » (on rit beaucoup moins) – elle ajoute qu’elle était faite pour un destin exceptionnel, avec amour, mystère et respect ; que tout est allé sur la sœur aînée : « Il n’y a ici que des hommes rassis

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qui gratteront leurs croûtes sur mon lit de noces ! » (« même si je montrais mon cul, pense-t-elle, personne ne le verrait » ? Le rôti reste dans la gorge de Jerzy. La discussion devient générale et s’embrouille ; par exemple, Jerzy se demande ce qu’il va devenir : « Les vieux veulent me chasser ; or je n’ai que 68 ans – eux, quatre-vingt cinq. Ils sont toujours ici. Jusqu’à la mort. Myriam, de l’au-delà, me les envoie ». Eugène et Alphonsine, qui se sont envoyés tout seuls, dévorent : lèves pincées, nez en couteaux. Eugène porte la barbe, il est chef de gare en retraite, parle comme un pasteur. « Les Mazeyrolles ont occupé, illégalement, une partie de chez moi ». Claire a répondu qu’ils étaient chez eux, et que lui, Jerzy Stavrovski, jouissait d’une faveur… « Nous avons connu les Mazeyrolles, dit Alphonsine entre deux bouchées ; ils menaient un raffut terrible. C’était par-derrière chez nous. »

- Ils envoyaient leur chèvre brouter entre les voies, dit le chef de gare en lissant sa moustache. Elle a failli faire dérailler le Calais-Bâle.

- Ils s’introduisaient chez nous, ajoute Alphonsine. La bonne femme soulevait le couvercle des marmites : « Ça sent pas bon, là-dedans. Vous allez manger de ça ? »

- Ils étaient encore tout jeunes, dans les 55. Ils montaient dans les wagons sans payer. Leur fils a menacé un de mes contrôleurs avec un schlâsse à cran d’arrêt.

- « Ses » contrôleurs : ça le reprend – pas plus à toi que le reste.

- Le cran d’arrêt c’est vrai. J’ai balancé le fils sur le ballast. Et le couteau » - il le tire de sa poche - « je l’ai gardé ».

Un murmure parcourut l’assistance

- Posez ça, Pépé.

- On ne me dit pas « Pépé ».

- D’où tenez-vous ça, dit Mrs Bove, on ne vous l’a pas confisqué à l’asile ?

- On ne dit pas « asile », dit Jerzy.

Alphonsine calme ses voisins, se ressert du vin, confirme que les Mazeyrolles ne sont pas des saints, ni personne de leur famille. Myriam non plus, d’ailleurs, n’était pas une sainte. Stary-Jerzy demande pourquoi. Alphonsine s’embrouille, parle d’une rivalité amoureuse, « dans le temps » ; Stary-Jerzy a complètement oublié : « C’est de l’invention ».

Eugène lui rappelle d’un ton pontifiant que « sous l’Occupation, parfaitement », il avait fourni des listes de réquisitions : tant de bœufs ici, tant de lapins là.

« Tu confonds avec mon oncle, imbécile, dit Jerzy.Je n’avais que 17 ans.

- À cet âge-là y en avait qui résistaient.

- Moi je me cachais.  Et les Mazeyrolles ?

- Tout ce qu’il y a de plus péainistes, jusqu’au 30 juillet 44.

Claire : « Eugène, Alphonsine, vous êtes de mauvaises langues. Vous êtes tous vieux, tous du même quartier, avec de la couperose. Je vais tous vous virer de chez moi.

Alphonsine nasille que les Mazeyrolles y sont bien. Jerzy va leur demander « ce qu’ils pouvaient bien faire, eux, pendant la guerre. Mrs Bove mange. Elle est bien la seule. Anne intervient :

« Vous arrêtez vos engueulades ? On n’entend que vous, c’est des histoires de vieux, on n’en a plus rien à foutre.

- Je paye mon loyer.

- Quel loyer, Stary-Jerzy ? Ça fait trois mois qu’on n’en voit pas la couleur. On ne vous demande rien, notez…

- Je veux savoir ce qu’ils faisaient sous l’Occupation. Les convois ont bien été transportés par chemin de fer ?

- J’ai fait de la Résistance, clame Eugène, barbe en bataille. Parfaitement, pour bloquer les départs de trains ». Tout le monde détourne la tête, gêné. Après les avoir favorisés pendant quatre ans.

- C’est tout ce qu’on a pu faire ! crie Alphonsine, le nez pincé à tout rompre.

- Vous nous faites chier avec votre guerre ! gueule Anne. Tout le monde se détourne, gêné.

 

Les Mazeyrolles, énormes, ressortent de leur appartement, titubant sous leur graisse.

« Qu’est-ce qui se passe ici ? dit la vieille édentée.

La salle à manger regorge. Toutes les portes intérieures sont ouvertes.

- Comptez-vous, dit le vieux Mazeyrolles, pas encore mort, béret, des yeux bleus châssieusx.

- One ! dit Mistress Bove, infoutue de dire « un » en français.

- Two ! dit Jerzy pour se foutre de sa gueule.

- Trois ! C’est Claire.

Anne : « Quatre ! »

Nicolas : « Cinq! »

Stabbs : « Six ! »

On s’arrête là. Sinon on n’en finirait plus. Plus Eugène, plus Alphonsine ! jamais ils ne tiendront tous. L’asile a relâché ses proies.

«  À Varsovie, nous serions à notre aise ! s’écrie Stabbs ; il regarde en biais Stary-Jerzy, qui dédaigne. Mais le Polack lui souffle : « Vous partez après le dessert, n’est-ce pas ?

- Il doit à son propriétaire, susurre Claire, trois bons mois de loyer. J’ai mes renseignements. Stabbs n’a rien perdu des commentaires en sous-main. Nicolas Long-Nez : « Il peut loger chez moi ; je ne demande pas grand-chose. - Mais il le demande et l’obtient, murmure Claire. Un grand relent d’homophobie suinte de cette flaque… « Maintenant que ma mère est morte » - Myriam ! - tout est permis ». Claire s’aperçoit qu’il va proférer des énormités. Elle en sort une : « Je suis enceinte ! » Applaudissements. « On ne s’ennuie pas, chez vous » dit Mistress Bove à Stary-Jerzy.

Le drame se précise. Stabbs disparaît en sursaut, ressurgit avec les desserts. Il est devenu rubicond, Nicolas le fixe avec furie : « Toi ! Toi qui disais que la reproduction est le pire fléau de l’espèce humaine !

- Je t’explique…

Anne supplie qu’on cesse de s’expliquer ; sa migraine enfle ; on crève de chaud.

« Il n’y a rien à expliquer » réplique Nicolas. Il tire trois balles sur son ami qui s’effondre dans les plats de crème. Alphonsine, ravie et malfaisante, se précipite sur le téléphone.

- Puisque c’est comme ça, dit Claire, je ne le suis plus.

Eugène et Mazeyrolles, costauds pour leur âge, transportent Stabbs dans une chambre. Il meurt dans la nuit. Claire s’éclipse, pour cacher son indifférence.

20 août 1991: Nicolas S. arrêté pour meurtre, se rend sans résistance.

20 février 1992 : déclaré irresponsable au moment des faits, il est transféré à l’hôpital de Cadillac.

 

« Le patient S. a fait montre d’une bonne volonté exemplaire dans le suivi du traitement proposé. Il s’est toujours comporté avec une grande douceur, serviable, raffiné. Nous envisageons de le faire bénéficier de permissions de 24h.

Cadillac, le 15 mai 1992

 

« NICOLAS SGUIERS ? …Regarde-moi bien en face. Tu ne m’as jamais vu. Pourtant je t’attendais. Et si tu me dévisages, ma tête te rappellera quelque chose : la peau rouge, les tifs en pétard, les yeux au fond des trous… rien du tout ? ...allons, petit demi-frère… ?

- J’ai changé dit Nicolas, beaucoup changé.

- Lui aussi. Même qu’il est mort.

- Tu veux que je paye ?

- Ni argent, ni vengeance – juste curieux

- Il ne m’as jamais parlé de toi

- À moi, si. Mon demi-frère à la vie double. Tu ne l’as pas connu. Mais moi je te connais.

- Je ne me reconnais plus.

- Un grand calme, qui s’excite d’un seul coup. Il n’a pas de personnalité. Il sème la merde sans crier gare : des farces, des gros repas, puis plus rien. Hétéro. Taré.

- Je te demande pardon pour ton frère.

- C’est ce qu’on dit à Cotonou.

- Pardon ?

- Rien.

 

X

 

Ont commencé trois mois de déménagements incessants. Le demi-frère du mort prend soin de l’assassin. Il met toutes ses relations à son service : nourriture, abri, vêtements.

Bibatts est lui même un malfrat, rangé des voitures. Il travaille à B., dans une imprimerie. Aux moindres inquiétudes de son protégé, il l’installe dans une autre rue. Bi-B atts possède un bon réseau ; il pourrait repiquer, mais préfère décidément des eaux plus calmes. C’est Nicolas, fils de Jerzy, qui râle. Son long nez, sorti d’on ne sait où, le rend parfaitement reconnaissable. Il ne veut plus passer sa vie dans les couloirs d’asiles. Au milieu de l’été cependant, Nicolas veut revoir sa famille, ses nièces, la maison où il est tombé fou. Bibatts ne le désire pas moins ; pour la forme, il envoie des piques : « Ta mère te manque. La patronne.

- Je n’aurais jamais dû me confier à toi.

- Tu n’as pas changé. Mon demi-frère disait - c’est bien toi qui l’as tué, non ? il est à toi, tu le gardes.

- Je ne l’ai pas fait exprès.

Bibatts pourrait se fâcher. Il éclate de rire.

 

X

 

« C’est le vent » dit Claire.

Anne dit que c’est Nicolas.

Nicolas n’est pas venu seul. Avec Bibatts, il enjambe fenêtre du rez-de-chaussée. Il fait nuit, les deuix hommes sont passés par derrière. Bibatts présente pour rire un schlasse. Les filles reculent c’est une blague dit Nicolas juste une blague.

- Qui est celui-là ?

- Le demi-frère de Stabbs.

À l’évocation de son amant, les narines de Claire se pincent. La ressemblance est forte, malgré vingt ans de moins, et sans la moindre distinction. Les répliques sont attendues. Elles s’égrènent comme suit :

- Vous êtes fous.

- Nous sommes surveillés ;

- Ils n’y penseront jamais.

- C’est trop gros.

- On vous cachera.

- Il ne faudra pas sortir.

- ...Donnez-nous de l’argent monsieur Stabbs…

- Bibbats ; le Stabbs est mort. Mon demi-frère mort et moi ne sommes pas des assassins. Nicolas est  l’assassin de mon frère. Aux F.D. il se fera nommer « Bériko ».

- « Fous Dangereux »

- Nous l’appellerons aussi Bériko reprend Bibbats.

Quelqu’un : « Pourquoi êtes-vous revenus ici ? »

Bibbats répond qu’il n’a jamais mis les pieds ici, justement. Il est simplement « curieux de nature ». Anne suppose une « expédition punitive » - Je suis doux comme un agneau réplique Stabbs. Nicolas peut vous le dire. Vous nous accueillerez du mieux que vous pouvez. Ici la place ne manque pas, ni les doubles issues ».

Tout le monde s’assoit, tout le monde discute (« c’est le genre de la maison » dit Anne). Nicolas, calmé, demande à voir Jerzy, qu’il pense être son père. On lui répond qu’il dort , que les Vieux Mazeyrolles sont revenus dans le pavillon, derrière la haie, qu’ils dorment eux aussi (« les vieux, ça dort »). Alphonsine et Eugène, le chef de gare, n’ont pas voulu repartir non plus, chambre 13. Bibatts ricane en se resservant de scotch. Nicolas : « Vous ne pouvez donc pas vous débarrasser de vos grands-parents, à votre âge ?.

Nicolas éprouve de grandes difficultés en matière de généalogie.

Claire fait observer à sa jeune sœur qu’elle a « entretenu » sa mère « jusqu’à sa mort ».

Anne fait observer à sa sœur aînée que c’est leur mère à toutes deux, mais qu’elle-même, Anne, a « changé ». Claire : « Maman nous changeait, à présent c’est toi qui changes ? » Anne répond « Ta gueule ». Bibbats finit son scotch d’un trait et demande où dormir, « puisque tout le monde dort ». - Nous vivons en vase clos,dit Claire. Nous nous suffisons à nous-mêmes. - Claire, qui a prévenu les flics juste après l’accident ? - ...le meurtre, rectifie-t-elle ; c’est Alphonsine. Sans elle, tout pouvait s’arranger. Entre nous. Mon demi-frère avait bien plus qu’un an à vivre. Anne donne à Nicolas trois jours pour se faire arrêter.

- Raison de plus pour faire vite.

Tous se mettent à boire, en silence. Tous vont se coucher. Des ronflements s’élèvent.

 

BIBATTS ET NICOLAS DANS LE MÊME LIT

Il n’existe qu’un seul lit.

« Nicolas, tu dormiras par terre. Tu es l’assassin de Stabbs

- Pas question. Nous serons sur le même lit, habillés.

- Nicolas, n’enlève même pas tes chaussures.

- Je me lave les pieds, je lave mes chaussettes.

Ils vaporisent du désodorisant.

Si on les découvre, ils seront habillés, côte à côte, en chaussettes ; bien écartés sur les deux bords du lit, séparés par un traversin. C’est ainsi qu’ils se parlent, doucement, lourdement, dans le noir. D’abord, ils déplorent le bruit de la rue :

« Même pas moyen d’allumer la veilleuse, se plaint Bibatts.

- Ne chipote pas. Crève.

La lumière bleutée de la rue découperait leurs profils.

« Si tu es revenu, c’est que tu as un plan.

- Mes nièces n’ont pas d’argent, dit Nicolas.

- J’ai un plan.

- Tu veux nous faire passer pour des salauds ?

- Il nous faut un certain temps, dit Bibatts.

- Je ne nous donne pas trois jours avant de nous faire arrêter.

- Pas dit, Biriko. Nous allons d’abord nous planquer dans le pavillon du fond.

- Il est plein.

- Eugène et Alphonsine vont vouloir se recaser ici même, sur la rue. Çane va pas traîner. Stary-Jerzy peut conserver le pavillon du fond : il ne sera pas dangereux. Nous sommes dans un asile médical. Indélogeables. Mon plan est celui-ci : tout vendre.

- Mais… nous ne sommes pas propriétaires !...je n’ai tout de même pas fait exprès de tuer le Bijoutier.

- Ta froideur m’exaspère.

- .La tienne aussi. Assassin.

- Tu vas me faire le plaisir de me filer tout l’argent de mes nièces.

- Elles n’ont pas d’argent. Stabbs me l’avait dit.

- Les immeubles me reviennent. Je suis le fils de Georges.

- Ce qui reste à démontrer.

- Je te promets de disparaître ensuite avec toi. Napier, New-Zealand. J’ai un réseau. Tout un plan – des coups – appelle ça comme tu veux. Anne est sensuelle. Travaille-la au corps ; ton défunt frère a emballé Claire. Tu peux bien draguer la petite.

- Tu es dingue Nicolas. Criminel, dingue et dangereux.

- Je me charge de Claire. Elle le fait sans arrêt. Pour l’instant seule. Peut-être avec sa sœur.

- Tes cousines…

- Demande une dispense au pape.

Bibatts n’est pas convaincu. Il objecte ceci : les deux petite-filles Mazeyrolles voudront expulser jusqu’au dernier des occupants. Surtout Alphonsine. Eugène. Les deux ivrognes. Où qu’ils se trouvent. « Y compris dans cette maison même, où ils ont eu le toupet de revenir prendre part au repas, juste libérés de leur désintoxication ; ils n’ont pas bu une goutte d’alcool. Quant à Stary-Jerzy, il n’est pas à l’abri. Personne n’est à l’abri d’une expulsion. Leurs fonctions de garde-chiourme leur pèsent. ».

Nicolas change de sujet. Il a tué Stabbs sans préméditation, la chose le hante, il y revient sans cesse. Il se juge sévèrement, mais trouve aussi que les Sœurs exagèrent. Elles empoisonneraient volontiers dit-il tous leurs pensionnaires, en faisant macérer des pièces verrt-de-grisées dans leurs tisanes, comme la mère Cibot pour son mari. Le frère de Stabbs hausse les sourcils, n’ayant jamais ouvert un livre de Balzac. Il vit avec l’assassin de son frère, un vrai Caïn ; tend l’oreille à ses jérémiades et perpétuels remords sans le moindre état d’âme : ayez des demi-frères… Il couche avec lui, sans ôter plus de vêtements qu’il convient. Rabaisse les exagérations fantasmatiques de Nicolas qui voudrait, pour s’alléger sans doute, que les Sœurs couchent ensemble, et nues : « Tu exagères » dit Bibatts.

Le temps clair contrarie le projet des deux hommes, sur lequel nous manquons d’indications. Ils s’exhibent en compagnie dans le petit parc, de la Maison Mère au Pavillon, puis du pavillon à la maison mère. Et la police ne vient pas, comme si le secret s’était déplacé au bout du monde, où le Noir bijoutier partage la couche du Blanc assassin. Les deux hommes décident enfin d’adopter deux lits différents. Les circonstances peu à peu font chemin dans leurs âmes. Ils méditent une autre complicité, plus active. Il y faut plus de précision que pour une course en haute montagne. Mais ils se montrent. Chacun leur suppose un complot, mais seul aujourd’hui concentre les blâmes leur exécrable exhibitionnisme.

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Mrs Bove est venue s’acquitter de son loyer. La Maison Mère accueille autant de locataires qu’un hôtel. Les enfants, les animaux, sont encore interdits. Mrs Bove abandonne les siens à des subalternes à deux rues d’ici. Elle les appelle « mes gens », my servants. Cela fait sourire. Il règne ici une grande immoralité, une scandaleuse impunité. Les assassins bientôt s’y feront purificateurs. Parfois ils se dissimulent, mais si mal que chacun les découvre. On y voit la preuve d’un redoublement de perversion. Miss Bove les surveille avec la discrétion qui lui est si particulière. Elle se tient près de leur porte, couloir 3. Quand ils se sont renfermés avec toutes les mimiques précautionneuses possibles, elle colle l’oreille au bois du battant.

Ce jour de loyer, elle place la bouche au niveau de la serrure, une grosse lucarne à l’ancienne : elle flûte alors par le trou leurs identités successives, leurs domiciles, et la raison qui les leur a fait quitter. C’en est trop. Bibatts dit Biriko et Nicolas sortent d’un coup ensemble et lui font face avec insolence. Miss Bove explique aimablement que le vieil Eugène en remontrerait à deux détective. Elle rit avec embarras : « Votre meilleure protection est la complicité de tout le quartier »

- Tu noies le poisson, lance Bibatts.

Le tutoiement la choque. Elle paie sa quote-part du bon repas, rafle ses gosses et s’esquive chez elle. Claire, Anne et les deux clandestins, fils de Stary-Jerzy et Stabbs, noir et bijoutier, se dévisagent. « Vous pouvez aller et venir à votre guise » dit Claire. « Dans le parc, naturellement ». Ils demandent d’une seule voix où est Jerzy. Devant le mutisme des sœurs, ils se dirigent d’un pas décidé vers le Vieillards’Home. À ce moment Jerzy ressort des cuisines : « Croissants ! Croissants chauds pour tout le monde ! » Sa bonne humeur sonne faux. Son domaine, réduit de moitié, le ronge.

Il assigne à chacun sa place, joue les bourrus, dispose les croissants. C’est lui le plus jeune de tous. Il bouscule les vieux couples assis. Sa gêne disparaît. Il se répète intérieurement je suis seul et légitime occupant mais qui le lui conteste ? « Manque de place » d’après elles. Il serait bien de s’équiper à huit, huit vieillards bien décidés pour expulser « en bonnet de forme » il n’a jamais bien compris – ces sœurs faussement vertueuses et répartisseuses de paquets de vieillerie. De quel droit se sont-elles arrogé le privilège d’accueillir ou refuser, faire danser ou précipiter ces corps perclus d’une chambre, d’un pavillon, d’une pièce à l’autre ? Il en faut huit - pourquoi huit ? 

Tulle,boudin, Célestin

 

Saurait-il compter jusqu’à huit ? Les énergies restent virtuelles. Les Mazeyrolles, sœur et beau-frère, opinent et ne décident rien, Alphonsine picole et gueule, Eugène fait chorus entre deux fonds de ballon.

Croissants ! Thé ! Lait, café…

Il passe d’une pièce à l’autre ensoleillée, deux ou trois familles par pièce, l’ambiance est telle.

« Bonjour.

- Vous êtes Nicolas ?

- Votre fils.

- Paraît-il ». Georges, tasse et soucoupe en main, le considère par-dessous : « Mais non, Biriko, ou Bibatts : nom et surnom. Si vous prenez en plus celui de votre ami, je ne peux plus m’y retrouver. Vous êtes le frère de Stabbs le Noir, que mon soi-disant fils a estourbi ».

Nous n’avons jamais vu chez Vieux-Georges la moindre trace d’émotion. Heureux homme. Pourtant cette fois la tasse et la soucoupe tremblent dans sa main. Il les pose : « Que revenez-vous faire ici ? » À son tout Nicolas paraît dans l’embrasure. Bibatts est fondre. noir et toujours bijoutier. Il était impossible de les confondre. Vieux-Georges est p lus troublé qu’on ne pense, Plus retors peut-être. Les deux nouveaux venus debout échangent un regard : ils se savaient attendus, non pas méconnus. Méconnus exprès. « jJ ne vous attendais pas » prétend Gorges, Qui reprend tasse et soucoupe. Qui s’empresse à l’abri thé chocolat café Biriko le saisit par le bras :

« Qui vous commande ici ?

- Je sers le café du matin… je suis le plus valide » s’excuse-t-il.

- Réfléchissons, dit le Noir. Ils vous ont mis sur la touche. Même à l’article de la mort – de votre mort.

- Je ne le fais pas exprès.

- C’est le mot, papa. Ces quatre vieux pensionnaires vous rongent l’espace, à leur service.

- Mon fils » (pour la première fois), j’ai 71 ans, le temps fait son œuvre.

- Nous ne te sauverons pas, ni moi, ni le survivant (montrant Bibatts).

- Que voulez-vous ?

Les deux hommes repartent en se tenant par les épaules. Il entend Nicolas demander que voulait-il dire ? En face de lui se trouvent à présent les deux sœurs, Anne et Claire, bâillantes et sortant de leurs deux chambres en chemise de nuit. Comme si chacune et chacun défilaient devant lui, pour la revue. Il restait là, faux maître d’hôtel, mains tremblantes. Menaces des hommes, menaces des femmes. Qui sont ces êtres sortant de ma lampe. Que s’est-il passé pendant son absence ? Pourquoi lui demandent-elles s’il a vu « le vieux schnoque et ses bêtes » ? ...en existe-t-il un semblable ? ...il ne connaît personne qui s’enferme avec ses chiens. Le cerveau joue des tours. L’humour aggrave les incohérences. Pour la première fois l’aînée reproche à se propre sœur des moqueries cruelles. Tu ne sais plus ce que tu dis. Anne, en lui tu sèmes le doute. Vois comme il tremble. « Prenez place. Thé, café ».

Bibatts le Noir est revenu. Un grand Noir cauchemardesque. Commande une banane. Les Noirs n’aiment pas les bananes. Pas forcément. Anne demande au Bijoutier s’il veut écouter Good Bye strangers sur les haut-parleurs de salle. Claire lui répond Garde ça pour ton Vieux-Georges. Elle reproche à l’autre ce qu’elle fait elle-même. La faiblesse attire les tirs groupés.

Voici deux hommes, et deux femmes. Qui à présent se reconsidèrent. Lâchent prise sur Georges le remarié.

Nicolas Long-Nez revient sur ses pas. S’il pouvait fuir, poser tasse et soucoupe, laisser s’accomplir toutes les séductions, les répulsions. Claire dit des mots sans suite. Il est malaisé pour qui n’est pas dans son crâne de saisir ce qu’elle fait entendre : « Ton langage est le même que celui de ton compagnon de cellule ». Or Nicolas fils de Georges n’a jamais été incarcéré. Bibatts l’a été, parce qu’il est noir, et parce qu’il est bijoutier. Nicolas précise que Bibatts est en permission de taule. « Vous ne vous êtes pas assassinés », dit Anne.

- Quelles nouvelles ?

Nicolas fixe les sœurs du fond des yeux. Elle dit que les Mazeyrolles n’ont jamais accepté leur expulsion. Qu’ils ont été remis, par elles deux, là où ils vivaient avant l’asile.

- De fous ?

- De fous. Ils sont revenus comme un rot. Nous les avons remis chez eux. Nous avons pensé que Vieux-Georges aiderait à virer tous ces gens, ces ivrognes, ces fous de la tête. Il a préféré ses remords. Il les a aidés à survivre. Ils se cachent encore ici.

Bibatts prend la parole : « Nous sommes là tous les deux. Nous vous débarrasserons de tous les assiégeants. Vous pourrez vendre le fond du parc – reclassement cadastral.

- Je ne peux pas remettre ces gens à la rue. Mes parents, ces gens.

- Des vieux.

Nicolas intervient :

- Bibatts exagère. Il n’est pas chez lui. Monsieur dispose. Monsieur tranche ».

Bibatts commet des insolences. Sa demi-fraternité défunte ne l’autorise pas à décider de tout. Claire le dévisage. Comment cet homme a-t-il pu partager quoi que ce soit avec son ancien, très ancien amant. Ses joues se colorent. Sa tête se penche, Bibatts approuve du menton Dieu sait quel plan de l’assassin. Les gestes seuls sont francs, les gestes parlent vrai. Les deux hommes devant elle ne veulent pas simplement vider les pavillons privés en fond de parc : ils veulent le tout. Ils les pousseraient, elle et sa propre sœur, dans une haute tour de cité, au loin. Claire et Anne faisaient justement cela. Juste retour des choses.

Il n’y a pas d’autres retours que celui-là. Pour elles. Bibatts et Nicolas partiront en Nouvelle-Zélande, fortune faite – adieu, fils putatif ! De qui vont-ils revendre la maison ? et à quel vil prix ? n’ont-ils pas d’autres moyens de payer leur voyage ? Doivent-ils ou non former un couple ? Ne vont-ils pas, aux antipodes, fuir sans cesse de location en location, de refuge en refuge ? Comme en Europe, comme en France… le monde est plus petit qu’on pense… l’assassin de Batts peut-il vivre en sûreté, au sud-est de l’Australie ? Où avaient-ils disparu, avant leur forfait, juste après lui, barbouillés blanc sur blanc, sur noir, ils ne peuvent revendre qu’après la mort de tous les héritiers, dans un délai notarial de trois mois, la police dès la semaine les aura capturés.

To wkurze. C’est chiant.

Tout leur quartier les couvre. « Anne, ça ne peut pas durer. - Claire, on ne tue pas pour rien. Si Nicolas-Long-Nez dit vrai, c’est ton cousin qui aura tué ton… - ...ex, un mou, un vrai mou du lit à deux places. - Tu n’as jamais voulu me le présenter. Mon beau-frère. - Jamais je n’aurais épousé ça. Jamais cet homme. Jamais lui. Pédé à nègre. Assassin du frère de son ami. - ...demi-frère… - Assassin complet ».

La bâtiment du fond où se succèdent les épaves pue comme un chancre, la mouche et le tombeau. « C’est à nous de partir dit Anne ; nous sommes la branche héritière - vendre vite et filer – on étouffe –

- Je n’étouffe pas dit Claire.

 

Dès l’après-midi, le Noir et Long-Nez, Bibatts et Nicolas, indécollables, investissent et visitent

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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