La maison du jouir et Para-Conspuation
C O L L I G N O N 1
É D I T I O N S D U T I R O I R
Semper clausus
C O L L I G N O N 1
A R T I C L E S
É D I T I O N S D U T I R O I R
Semper clausus
LES ÉGRÉGORES - LE MAÎTRE DU JOUIR
Remarquable contrepied conceptuel dans l'utilisation du matériau théâtral : les Ègrégores, dans Le maître du jouir, représenté pour Sigma en fac de Lettres à Talence, se sont livrés à une démonstration particulièrement convaincante de leur capacité à inverser leur projet scénique.
Alors que dans Jules César de Shakespeare ils avaient servi avec générosité un texte aussi luxuriant dans sa problématique explicative que dans son foisonnement poétique, La Maison du jouir (c'était celle de Gauguin aux Marquises) met en scène une dramaturgie d'où la phrase et le mot ont été aussi délibérément éliminé que dans le cinéma muet.
Vêtu d'un improbable costume de marin-explorateur fin de siècle à la Francis Garnier, le protagoniste, rompu à la pratique des arts martiaux, construit dans son espace une relation au corps particuiièrement expressive, dans un effarement permanent. Or cet espace est celui d'une Asie fantasmée, avec ses femmes européennes ou indigènes aux faces resserrées dans des bas de soie remaquillés, son étincelant dragon au corps intérieur hérissé de perches, ses béquillards clopinant qui défilent devant la providentielle pharmacie de campagne de l'Homme Blanc – ses marionnettes géantes ou phalliques.
Qu'il s'agisse ou non de Victor Segalen importe peu, dans la mesure où nous autres Longs-Nez reconnaissons nos fascinations pour l'incompréhensible Asie, nos attirantes frayeurs : l'Asie est une femme qui s'offre et se refuse, une pelote griffue qui s'agrippe et qu'on viole, entre fumerie d'opium et cimetière au sol trop vert, trop fluo, et ineffablement spongieux.
Nous assistons de l'intérieur, de notre intérieur, au déploiement inévitable et envahissant de notre quincaillerie sexuelle occidentale, sans pouvoir échapper à nos délicieuses terreurs, hétéro- ou homosexuelles, imbibés que nous sommes par les délices du pays de Chine tout autant que pollueurs par le fait même de nos imaginaires projetés comme un venin délétère.
Ce qui constitue l'originalité de ce spectacle consiste en un remarquable travail d'expression
LES ÉGRÉGORES - LE MAÎTRE DU JOUIR 2
corporelle, à un niveau qui s'apparente à la chorégraphie : ce que l'on appelle "construire un masque", ou une "figure" : chacun maîtrise un répertoire à la fois précis et variable à l 'infini à partir de schémas soigneusement caractérisés.
Utilisation parfaitement pertinente aussi dans le décor des couleurs flashantes – enfin omniprésence inséparable, consusbstantielle, d'une bande musicale et parlée transportant l'auditeur dans une Asie refantasmée jusque par l'oreille – La maison du jouir présentée par la troupe des Égrégores a su démontrer dans l'irrévérencieuse continuité de son inspiration la capacité de surprendre et de captiver un auditoire, qui exprima in fine sa très vive reconnaissance.
HARDT VANDEKEEN PARA-CONSPUATION 2043 3
Conspuation : beau titre. L'hiatus en [üa] figure si bien le mouvement des lèvres pouor "sputer", pour mollarder, que l'on se prend à regretter la bonne vieille langue des huées : "Cons-puez Tar-dieu ! Cons-puez Tar-dieu !" - dans Les Thibault, je suppose ?
Beau titre. Mais ensu-ite, bien des choses se gâtent ou s'approfondissent. Les maux sont bien vus, les causes à mon sens mal dégagées.
Qu'il soit bien vrai que la littérature se meure est à démontrer : la chose se dit depuis qu'il y a des littératures, et Voltaire et Goncourt s'en sont plaints à leur tour et à leur époque ; cependant j'y inclinerais davantage, considérant l'abandon de la lecture, qui n'est pas, comme les commentateurs en chipotent, un phénomène de mode, mais de masse, et sans qu'il soir besoin d'attendre sur x décennies les données de Dieu sait quelle extrapolation statisticienne...
Rappelont tout de même que Diderot tirait à 700 exemplaires dans un pays d'illettrés... Moi aussi j'ai crue morte la littérature, tant que je n'étais pas publié ; à présent que je le suis, elle me semble se porter beaucoup mieux. Quoique...
Le fléchissement des mœurs littéraires (et non de la quantité des publications) semble procéder, comme dit Christophe Manon, d'un excès de commentaires ; la littérature étouffe sous la glose. Mais il ne s'agit là que d'un phénomène universitaire ! Quel texte n'a pas été, dès l'origine, glosé ? J'aimerais bien qu'on me glosât... Tout crève plutôt de ce que le critique est aussi, pour sa part, un littérateur – ce qui ne serait encore que moindre mal, si ne venait se greffer là-dessus un jeu de renvois d'ascenseurs...
Ce qui semble bien plus grave, déjà relevé par Loyen dans La littérature latine tardive, c'est que désormais des professeurs écrivent pour des étudiants et vice-versa, reconstituant le cercle infernal non seulement de la basse latinité, mais de toute la littérature en latin du Moyen Âge. Nous sommes un futur Moyen Âge. Ne l'oublions jamais.
Le drame est que le peuple, par essence, ne saurait s'intéresser à la littérature. Et qu'il n'existe pas de bon vieux temps – sauf peut-être dans l'Athènes classique. Que celui qui a des yeux, lise, et après nous le Déluge.
Qu'il nous soit permis pour finir de soigneusement distinguer, chez BHL et chez Sollers, ce qui ressortit au masque médiatique et ce qui relève de la littérature. Que BHL fasse le clown à Sarajevo n'enlève rien à l'excellence de son style oral – Les derniers jours de Baudelaire, sauf le chapitre trois, où la patte du nègre est bien visible, forme un pénible contraste avec les embrouillaminis de je
HARDT VANDEKEEN PARA-CONSPUATION 2043 4
ne sais quoi "à visage humain" et de la Défense des intellectuels. Bizarre, non ? Même observation chez Sollers, bien qu'il crache dans la soupe, c'est-à-dire sur les femmes – quelle platitude... Il n'aurait plus manqué que Duras, pour parfaire la trilogie des Cibles Obligées. Mais ces trois-là ôtés, qui reste-t-il ?
Car s'il fallait vraiment taper sur les masques médiatiques de Breton, de Sartre ou de Malraux,une bibliothèque n'y suffirait pas...
C'est tout pour aujourd'hui, Manon, Yann Houry, mais nous aurions tant de choses à nous dire... Poursuivons au marteau-piqueur, pas toujours au même endroit, mais hardi, bicepsons, bicepsons...
LES ÉGRÉGORES - LE MAÎTRE DU JOUIR
Remarquable contrepied conceptuel dans l'utilisation du matériau théâtral : les Ègrégores, dans Le maître du jouir, représenté pour Sigma en fac de Lettres à Talence, se sont livrés à une démonstration particulièrement convaincante de leur capacité à inverser leur projet scénique.
Alors que dans Jules César de Shakespeare ils avaient servi avec générosité un texte aussi luxuriant dans sa problématique explicative que dans son foisonnement poétique, La Maison du jouir (c'était celle de Gauguin aux Marquises) met en scène une dramaturgie d'où la phrase et le mot ont été aussi délibérément éliminé que dans le cinéma muet.
Vêtu d'un improbable costume de marin-explorateur fin de siècle à la Francis Garnier, le protagoniste, rompu à la pratique des arts martiaux, construit dans son espace une relation au corps particuiièrement expressive, dans un effarement permanent. Or cet espace est celui d'une Asie fantasmée, avec ses femmes européennes ou indigènes aux faces resserrées dans des bas de soie remaquillés, son étincelant dragon au corps intérieur hérissé de perches, ses béquillards clopinant qui défilent devant la providentielle pharmacie de campagne de l'Homme Blanc – ses marionnettes géantes ou phalliques.
Qu'il s'agisse ou non de Victor Segalen importe peu, dans la mesure où nous autres Longs-Nez reconnaissons nos fascinations pour l'incompréhensible Asie, nos attirantes frayeurs : l'Asie est une femme qui s'offre et se refuse, une pelote griffue qui s'agrippe et qu'on viole, entre fumerie d'opium et cimetière au sol trop vert, trop fluo, et ineffablement spongieux.
Nous assistons de l'intérieur, de notre intérieur, au déploiement inévitable et envahissant de notre quincaillerie sexuelle occidentale, sans pouvoir échapper à nos délicieuses terreurs, hétéro- ou homosexuelles, imbibés que nous sommes par les délices du pays de Chine tout autant que pollueurs par le fait même de nos imaginaires projetés comme un venin délétère.
Ce qui constitue l'originalité de ce spectacle consiste en un remarquable travail d'expression corporelle, à un niveau qui s'apparente à la chorégraphie : ce que l'on appelle "construire un masque", ou une "figure" : chacun maîtrise un répertoire à la fois précis et variable à l 'infini à partir de schémas soigneusement caractérisés.
Utilisation parfaitement pertinente aussi dans le décor des couleurs flashantes – enfin omniprésence inséparable, consusbstantielle, d'une bande musicale et parlée transportant l'auditeur dans une Asie refantasmée jusque par l'oreille – La maison du jouir présentée par la troupe des Égrégores a su démontrer dans l'irrévérencieuse continuité de son inspiration la capacité de surprendre et de captiver un auditoire, qui exprima in fine sa très vive reconnaissance.
HARDT VANDEKEEN PARA-CONSPUATION 2043
Conspuation : beau titre. L'hiatus en [üa] figure si bien le mouvement des lèvres pouor "sputer", pour mollarder, que l'on se prend à regretter la bonne vieille langue des huées : "Cons-puez Tar-dieu ! Cons-puez Tar-dieu !" - dans Les Thibault, je suppose ?
Beau titre. Mais ensu-ite, bien des choses se gâtent ou s'approfondissent. Les maux sont bien vus, les causes à mon sens mal dégagées.
Qu'il soit bien vrai que la littérature se meure est à démontrer : la chose se dit depuis qu'il y a des littératures, et Voltaire et Goncourt s'en sont plaints à leur tour et à leur époque ; cependant j'y inclinerais davantage, considérant l'abandon de la lecture, qui n'est pas, comme les commentateurs en chipotent, un phénomène de mode, mais de masse, et sans qu'il soir besoin d'attendre sur x décennies les données de Dieu sait quelle extrapolation statisticienne...
Rappelont tout de même que Diderot tirait à 700 exemplaires dans un pays d'illettrés... Moi aussi j'ai crue morte la littérature, tant que je n'étais pas publié ; à présent que je le suis, elle me semble se porter beaucoup mieux. Quoique...
Le fléchissement des mœurs littéraires (et non de la quantité des publications) semble procéder, comme dit Christophe Manon, d'un excès de commentaires ; la littérature étouffe sous la glose. Mais il ne s'agit là que d'un phénomène universitaire ! Quel texte n'a pas été, dès l'origine, glosé ? J'aimerais bien qu'on me glosât... Tout crève plutôt de ce que le critique est aussi, pour sa part, un littérateur – ce qui ne serait encore que moindre mal, si ne venait se greffer là-dessus un jeu de renvois d'ascenseurs...
Ce qui semble bien plus grave, déjà relevé par Loyen dans La littérature latine tardive, c'est que désormais des professeurs écrivent pour des étudiants et vice-versa, reconstituant le cercle infernal non seulement de la basse latinité, mais de toute la littérature en latin du Moyen Âge. Nous sommes un futur Moyen Âge. Ne l'oublions jamais.
Le drame est que le peuple, par essence, ne saurait s'intéresser à la littérature. Et qu'il n'existe pas de bon vieux temps – sauf peut-être dans l'Athènes classique. Que celui qui a des yeux, lise, et après nous le Déluge.
Qu'il nous soit permis pour finir de soigneusement distinguer, chez BHL et chez Sollers, ce qui ressortit au masque médiatique et ce qui relève de la littérature. Que BHL fasse le clown à Sarajevo n'enlève rien à l'excellence de son style oral – Les derniers jours de Baudelaire, sauf le chapitre trois, où la patte du nègre est bien visible, forme un pénible contraste avec les embrouillaminis de je ne sais quoi "à visage humain" et de la Défense des intellectuels. Bizarre, non ? Même observation chez Sollers, bien qu'il crache dans la soupe, c'est-à-dire sur les femmes – quelle platitude... Il n'aurait plus manqué que Duras, pour parfaire la trilogie des Cibles Obligées. Mais ces trois-là ôtés, qui reste-t-il ?
Car s'il fallait vraiment taper sur les masques médiatiques de Breton, de Sartre ou de Malraux,une bibliothèque n'y suffirait pas...
C'est tout pour aujourd'hui, Manon, Yann Houry, mais nous aurions tant de choses à nous dire... Poursuivons au marteau-piqueur, pas toujours au même endroit, mais hardi, bicepsons, bicepsons...