Proullaud296

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Arcachon et Basse Bavière

    « Allô ? Fat Kader ben Zaf ? Tout baigne à La Teste ? » C'est le mot de passe. Kader, entre deux liqueurs, fait fête à l'autre bout du fil à son ami Duguay, collègue en manipulation  : oui, Mademoiselle Bost, ex-boulangère bien connue , mord à l'hameçon, pose de plus en plus à l'artiste, et même, commence à sourire. Des stratégies s'établissent pour lui faire vendre ses œuvres, grâce à des acolytes, qui trouvent toujours moyen de le refiler moyennant quelque bénéfice dans le médiocre marché de l'art. Quant au Père Duguay, du haut de sa Margeride, que peut-il révéler ? Comment persuader à une strip-teaseuse professionnelle de venir s'enterrer en hauteur à Châteauneuf-en-Beauves, prise de la ville par Robert de Montebrond (1370) ? Une musicienne morbide, à la rigueur, eût succombé à la Danse Macabre, à 110km par la route (Grandrieux-Brioude) – bref, les subalternes prennent le pouvoir.

    X

     

    La moto verte.JPG

    Annemarie Mertzmüller, maîtresse du chaussurier, comme nombre de grandes mystiques, éprouve souvent le besoin de pénitence. Les intervalles entre ses tournées, soumises aux aléas d'improbables imprésarios, elle les dépense en retraites ; les unes, conjugales, destinées à François dit Frank Nau, permettant à ce dernier d'oublier son fétichisme du soulier. A moins que par fantaisie le commerçant préfère la levrette en porte-jarretelles, ce qu'elle trouve dégradant, sans compter les marques sur les cuisses – so gemein ! soupire-t-elle,«  si vulgaire » ! Mertzmüller jouit peu. Les autres retraites, Mertzmüller les doit à ses bronches, pour les soustraire aux inhalations de cigares passifs, sous les voûtes des cabarets. « Nous irons » dit Frank « à Châteauneuf-en-Beauves, ou bien La Chaise-Dieu si tu y tiens ». Va pour Châteauneuf. Duguay se rengorge, abreuve la maîtresse de son maître de discours casuistiques, invoque la fine fleur des jésuites du XVIIIe siècle, les Révérends Habert et Valla. Pensée rococo dit-il. Annemarie lui prête une oreille distraite. Le don tout visuel de son corps dévoilé aux Messieurs (et dames) d'un certain âge lui semble toujours bien plus élaboré, plus personnel. Quant aux reproches de frivolité, ils la laissent de glace. La transmission géométrique de la beauté (il serait du dernier commun de vouloir palper) relève à ses yeux non seulement les virilités flapies mais aussi son niveau particulier de conscience, infiniment supérieur aux considérations d'un abbé. Cependant, Annemarie Mertzmüller s'essouffle dans cette paroisse de Lozère où les contraintes du Père Duguay l'entravent. Les commanditaires ont laissé carte blanche Ils ont été supplantés. Les strip-teaseuses ne montrent plus leur cul. C'est un succès. Ce que l'abbé n'a pas prévu, c'est qu'elle est attirée par une autre femme ; car l'amitié (tout sexe éliminé) se révèle souvent plus ardente, efficace et vive entre femmes qu'entre hommes (aucun rapport avec les compensations largement méritées que l'on s'octroie maîtresses quand les frères sont en chasse (calibre 420). Tout est bien compartimenté dans sa tête. Annemarie la strip-teaseuse consolide, au fond des campagnes, des relations plus solides qu'entre filles de salle. Elle rejoint, au second étage du presbytère, une bonne de curé, d'origine allemande elle aussi, la soixantaine. Qui recoud, reprise tous les surplis, toutes ces aubes bannies par Vatican II. « Au contraire de mon métier », dit l'effeuilleuse en souriant. La sexagénaire invente et brode à satiété ses vêtements sacerdotaux, comme si le Concile n'eût jamais eu lieu. Elle en coud même de très excentriques, inspirés de loin par Fellini (François dit Frank Nau, cardinal à roulettes ?). Il règne entre ces deux femmes, Beate und Annemarie, dans cette mansarde Beauvesaise aux armoires profondes, d'insondables affinités. D'emblée, elles se parlent en allemand. Annemarie ne trouvait à employer cette langue que dans ses numéros d' « Ange Bleu » - mais Marlène, longue et grave, ne lui convient guère. Aussi, quel plaisir de converser avec Beatrice, qui sait préserver ce Hochdeutsch suranné de Luther, prononcé en gothiques... Nul ne les comprend, pas même le Père Duguay, qui se targue de germanisme, niveau guide touristique : n'a-t-il pas rédigé la notice Châteauneuf-en-Beauves und seine Umgebung (« et ses environs »), dont une touriste du Mecklembourg lui a renvoyé à sa grande honte un exemplaire abondamment rectifié, qu'il cache mais consulte. Les deux femmes baptisent leurs conversations du beau nom français « Les Entretiens de la mansarde ». Ils portent sur la taille et la nomenclature des habits ou ornements, dans les deux langues ; sur les points et figures de broderies et brocarts  : les Bavarois se sont très longtemps attachés aux pieux vocables saint-sulpiciens, voire Biedermeier. Ces envoûtantes litanies énumératives évoquent plus ou moins le vocabulaire de la solide armure de chevalerie (cuissots, grèves de tibias) : celle que précisément portait Robert du Plessis-Bertrand. Du Guesclin… Puis après de longs silence où toutes les deux cousent (Mertzmüller lève aussi de mémoire ses anciens patrons de scène), la conversation s'oriente insensiblement vers les manœuvres des Mâles, les faux-culs (falschen Fünfziger, « faux quinquagénaires »…) : « Je vous sauverai de toutes ces manigances chère amie, croyez-moi ! » Beate (« Sœur Beate », dit le prêtre) se chipote souvent avec le Père Duguay, de ces petits accrochages entre cousin et cousine passé l'âge de se tripoter. Il s'agit le plus souvent de l'usage auquel il convient d'assigner les grosses pièces de 10F de la quête.