Les vieilles et la gravure
Marciau roule la gravure et la pose à côté de son assiette. Jeanne grignote une croûte froide du bout de ses dents de cheval. La Naine se remet à ses mots croisés en se tamponnant le front. La fumée retombe en pendeloques aux angles du plafond. Vous avez la télé ici ? - Derrière vous." Le représentant se tourne. "On n'a jamais envie de l'allumer. - Parle pour toi ! - Je la supporte dit Soupov." L'homme se lève et tourne le bouton. Je me demande ce que vous pouvez voir dans cette fumée. Un ronronnement très fort. Pas de son. À l'écran des boyaux rougeâtres entrelardés de gras – Emission Médicale – Gretel s'envoie une gorgée de rhum ; la Naine lui arrache la bouteille. "Changez de chaîne pour voir ?" - même image, ronronnement plus aigre Curieux ces traces de rouge dans le noir et blanc – l'appareil s'éteint de lui-même. Le représentant coupe le contact, se rassoit, bouffe une gaufre.
...S'il y a des disques, ou la radio. "Nous avons un disque. - Un requiem ? - A nos âges, vous êtes fou ? - Oui." Jeanne minaude : "Ce sont des extraits d'opéras. Léon Escalaïs, ténor, très rare - tourne-disque en panne. Marciau se dresse pour placer, finalement, la gravure, sur le manteau de la cheminée. L'homme gonfle les joues en soupirant. Dit que ça sent bon ici. D'habitude chez les vieux ça pue. Chante la pendule d'argent – qui ronronne au salon... – Je ne supporte pas les pendules coupe Soupov. Le Niçois passe la main sur son cou, répète c'est étouffant - vraiment étouffant.
- Nous avons une fenêtre, tout de même ! - Seulement on ne l'ouvre pas. - Trop froid dehors dit la Naine, et Gretel : C'est bien toi qui es venu ici tout seul ? - Moi je lis" dit Jeanne et Soupov "Je tricote", et la Naine "Je pense". C'est pas marrant dit le représentant. - Les mots croisés c'est bien, répond Marciau ; comme un échiquier, en mieux : le labyrinthe, la conquête - tenez : combien de définitions pour – elle fixe l'homme à travers ses lunettes - "désir" ?
- Il peut être inconstant, ferme, fugitif. Ardent.
- Aveugle, dit Soupov.
Jeanne : "Exclusif, excessif" - Impétueux, crie Gretel. Soupov propose "physique, refoulé". L'homme se prend au jeu : "Satisfait" - On l'avive, dit Jeanne. Soupov précise qu'on le fouette, Marciau la Naine parle de le borner, de l'éteindre.
"Il naît", reprend l'homme. Je veux le confort et la gloire déclame Jeanne. "Moi"
Gretel darde ses yeux ivres. "Deux verticalement : "on s'essouffle à sa poursuite", sept lettres – orgasme évidemment ! - ça ne colle pas. Gr
- Si, dit l'homme.
La Soupov rit à grands coups d'asthme.
- "Poisson gadidé" en sept lettres ?
- "Bonheur" ?
- Monsieur retarde d'une définition.
- Je ne peux tout de même pas savoir par cœur... voulez-vous lâcher ça ? - lâchez ça tout de suite ou j'appelle la police ! Mesdames je vous prie ! Mesdames !
- ...Rends-lui son Tome II tu vois bien qu'il va pleurer." Jeanne rend le volume. La Naine saute au feu, pivote en présentant son tisonnier : "Vous avez dit combien, pour les mensualités ? - Soixante francs halète l'homme - ...et caroncules myrtiformes ça y figure dans votre machin ? hymen, cul ? - ...les grands mots soupire Jeanne.
- Evidemment dit l'homme : champ lexical médical, historique, physique...
- C'est trop ! - ...comment, "trop" ? - ...les 60 francs.
- Soupov, ne commence pas à marchander.
- ...Gretel, bouscule ton vieux : sous le traversin à droite...
Commentaires
Seul moyen que j'aie trouvé pour republier sur ce blog... Me commenter moi-même, totalement hors de propos bien entendu.
62 05 09
Ni le jour ni l'heure de mentionner Simone Veil et Loubianka. D'abord parce que je mets les vrais noms sur les vraies personnes. A ne pas montrer à ma femme quand je serai mort. Mais alors tout sera pardonne. Ou ne le sera pas ? Simone Veil fut aimée par une femme en un camp de Pologne. Mais que voulait dire "aimer" en de telles circonstances ? J'entends, physiquement . Avait-on encore les lubrifications nécessaires ? Loubianka m'aimait en me chevauchant. Je n'avais pas la longueur de bite nécessaire, son homme était une épée. Séif al Islam. Rouquin berbère, ou normand ? J'ai revu ses photos : la morphologie d'un roux. La rousseur s'atténue, disparaît avec l'âge.
Certainement très sympa, du moins après boire. Aurait constitué un excellent ami. Mais j'ai baisé sa femme. N'a plus pu me blairer. "Je vais le déboîter" disait-il de moi. Mais sans jamais chercher à me nuire. Ces mots trouvent encore leur place ici, sans qu'il soit nécessaire de les inclure dans L'intrusif, oeuvre prétentieuse. Où je me gonfle, où j'outre. Une grenouille mâle gonflée comme une outre. Loubianka fut la révélation sexuelle, amoureuse de ma vie. Pour moi, pas pour elle. "Il ne sait pas faire grand-chose étant donné son êge, ce fut surtout platonique entre nous". Irène m'a tout révélé. "Bien sûr qu'ils sont venus dîner ici, et plusieurs fois".
Je radote. Depuis, elle me hante, à mes moments perdus, mais il faut toujours que j'ironise C'est pus fort que moi. Que je me dévalue, et tout ce que je dis. Elle aurait vécu avec moi en pleine fusion. Nous ne nous serions jamais quittés. Nous nous serions acompagnés partout. Et baiser avec ma femme me semblerait honteux, non seulement comme entre frère et soeur, mais comme ne nous entendant pas du tout, par mensonge perpétuel de décennies de vie commune. M'avouer que je l'aime serait me dégrader, car nous nous sommes sans cesse opposés, et j'ai toujours, toujours cédé? Du moins dans les premiers temps, ceux qui comptent. Ceux où nous dépensions l'argent, le père ou la grand-mère étant censés nous renflouer sans cesse. Il s'agissait d'une statue de Civa, aujourd'hui bien perdue, ou cassée-jetée. C'était 88 francs, une somme énorme en 66. Comment vivions-nous en ces temps reculés ? Je crèverais de malaise à faire confiance à cette femme, qui m'a sauvé pourtant des prostituées, de l'alcool et de ma mère. Nous nous consolions toujours l'un l'autre des malheurs et des avanies que nous subissions, que nous avions subies. "Ce que vous ^petes enfant !" j'avais aussitôt tourné les talons. Jamais Annie ne m'aurait parlé ainsi.
Nous étions enfants tous les deux. Nous nous le disions tous les deux. Les autres, c'étaient les méchants, les adultes, et nous faisions front. Mais dès qu'elle avait le dos tourné, je disais du mal d'elle, jusqu'à détruire sa réputation avant même qu'elle n'arrivât à Vienne, trois mois après moi. "Je ne veux pas de cette fille-là chez moi", avait dit Vichon, proviseur du Lycée Français. Paix à son âme, il avait 59 ans d'âge en 1981, il a désormais, peut-être, 93 ans, et son fils habitait au sommet d'un col des Alpes, aussi con que son père disait un ami de Bernard, à Valréas. Poscar venait aussi de Carpentras, une belle juive descendante de fourreurs.
Si je disais "je t'aime" à ma femme, si je m'abandonnais entre ses bras, il me semble que ce serait trahir toute la haine que j'ai pu éprouver pour elle, en raison des nombreuses conrariétés, des nombreux obstacles qu'elle a dressés entre mes désirs et moi. Pourtant elle m'a aidée, à Ankara, quand j'étais chassé, ou après la mort de mon père. J'ai eu pour elle des haines apprises, extérieures. Nous formions bloc contre nos parents, tous ceux qui voulaient nous réduire. Nous transformer en eux-mêmes. C'étaient les principes des vieux cons qui nous dressaient l'un contre l'autre. Les jeunes s'engueulent pour les principes ou au nom des conneries de leurs parents.
J'avais honte de l'amour. Je ne sais pas d'où c'est venu. Déjà tout enfant, je hurlais au nom d' "amour" dans les chansons : "Même dans la Marseillaise !" disais-je. "Amour sacré de la Patrie" ! Et je ne comprenais pas pourquoi, dans L'appel de la forêt, ce jeune homme et cette jeune fille restaient ensemble, ne pouvaient pas se quitter, alors qu'ils ne cessaient de se quereller. Ils étaient amoureux, petit con. Et tu ne le soupçonnais pas, et même s'ils se le disaient, tu n'y croyais pas. Tous tes sentiments de haine pour ta femme sont faux.