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Chichis de Peyrefitte

Le bel alangui.JPG

     L'oracle de Roger Peyrefitte est vraiment infect, comme ces parfums qui tournent dans leur flacon. Toutes choses vieillissent, et Roger Peyrefitte est de celles-là. Il adopte pour parler des choses les plus crues ou les plus érudites le même ton faussement salace et

CE TABLEAU, "LE BEL ALANGUI" , EST D'ANNE JALEVSKI

 

superficiellement spirituel qu'une Verdurin s'efforçant d'aristocratiser. Verbe où figure « socratiser », ce que se permet le prince d'Elbassan, Albanais d'origine allemande et chevalier teutonique, avec son petit Toinet, qui n'est pas son fils. Même l'exaspérante Miss Teacher (« professeur ») aime à s'exhiber devant les enfants, nue sous l'homme (ou sur l'homme, à l'antique). A cet étroit point de vue, l'ouvrage effleure même la répugnance, lorsque son auteur va jusqu'à nous présenter l'impur Toinet et la virginale Mirtia luttant en maillots pour parodier la lutte grecque.
    Nous pensions bien à autre chose, et Mirtia, dix ans, finit par s'enfuir parce que le garçon a bandé. Un peu plus, et nous assistions à ces tristes spectacles d'enfants se tripotant moyennant finances sous le regard des adultes : Rétif de la Bretonne en a seulement ouï dire, mais le décrit avec bien de la précision... Ce livre ne paraîtrait plus aujourd'hui, mais qu'est-ce qui paraît aujourd'hui ? Toujours est-il que le sieur Peyrefitte étale, avec ses sous-entendus graveleux, une érudition propre à nous impressionner, pauvres ignares que nous sommes en matière hellénique. Ses personnages,  en particulier la voluptueuse Anglaise, en deviennent insupportables.
    C'eest d'ailleurs le personnage le plus largement caricaturé, à l'insu de son auteur, qui s'imagine sans doute représenter la véritable jeune fille moderne, collectionneuse de partenaires, capricieuse, insolente et bruyante, qui se donne avec une brusquerie dont on sent bien que l'auteur, homosexuel militant, s'est toujours avec soin abstenu. La femme est criarde, vaniteuse et pintade. Prétentieuse, Si c'est ainsi qu'il se la représente... Pour l'instant, le sieur Guibert, jeune archéologue, retrouve, après quelques trouvailles archéologiques, son directeur d'Institut en compagnie de son épouse : M. et Mme Giletière, au nom tout aussi harmonieux qu'Amédée Fleurissoire, des « Caves du Vatican » - j'y suis : Peyrefitte et ses ironies ricanantes ne s'estimerait-il pas seul épigone de l'illustre Gide ? Le voici qui prête à l'un de ses héros une longue tirade où se démontre la perpétuelle survivance de la langue grecque dans la nôtre : la fin de cette énumération pantagruélique (ou giralducienne, voir la « tirade du bouleau » dans La guerre de Troie n'aura pas lieu), le couronnement de ce morceau de bravoure, « jusqu'au bébé qui tète », veut nous prouver que « tous » « ne pensent, n'agissent ou n'existent que grâce à des mots grecs ». M. Giletière (Flacelière de son vrai nom) s'oppose ainsi sans le savoir à notre vénérable Florence Dupont née Grimal, qui prétend à juste titre que les civilisations antiques nous paraîtraient éminemment exotiques et barbares, loin de représenter la source de toute nos traditions actuelles. « Il fallait que M. Giletière eût été entraîné par son éloquence, pour s'être permis d'évoquer les plaisirs conjugaux, » (plus haut dans le texte), « bien que voilés par une image maternelle et par le rideau de la philologie » : Peyrefitte persifle.
Les femmes n'est-ce pas mon cher commencent dans la vulgarité, puis s'étouffent dans la convenance, matrimoniale ou britannique. Ce M. Giletière ou Flacelière, auteur d'une Histoire littéraire de la Grèce,  patriote comme sa femme, est le véritable Homais de ce roman : voulant paraître distingué, mais se vautrant dans le ridicule, dans le « déclassé ». Défendant une tiare aussi fausse que persane retirée en catastrophe des catalogues de musées, mêlant à ses phrases des expressions tirées du grec antique (« Ô bonheur ! Ô lait ! »), tâtillon, érudit au point de restituer des initiales gravées dans la pierre alors qu'il n'en reste plus que les extrémités supérieures, et toujours prompt à s'offusquer.
Ce comique mondain faussement effarouché de Roger Peyrefitte, mort en l'an 2000, perdit son capiteux à mesure que nous prenions de l'âge : il nous semblait très fin, très distingué, très vachard, mais à présent nous en sommes aux pornographies à la Ruquier (vite, une note en bas de page). Les seules personnes à ne pas être ridicules sont le prince Albanais, amateur de petits garçons, et Jean Guibert lui-même, héros du livre, dont tout laisse à prévoir selon l'avant-propos qu'ils ne tarderont pas à partager la même couche, en accord avec ce que nous imaginons de l'érotisme grec.
    Pourquoi pas ; et fous-lui donc ta pine dans l'cul, et qu'on en finisse, et qu'on n'en parl' plus. De même rougissions-nous de gêne et de plaisir lorsque paraissaient dans « Planète » les dessins de Pichon, ou les enquêtes radiophoniques de José Artur (note en bas de page!) interviewant je ne sais plus quelle femme pour lui soutirer des indications de la plus haute importance : lorsqu'elle désirait, se sentait-elle surtout chaude, humide, ou fortement démangée ? Est-ce que ça vous gratouille, ou est-ce que ça vous chatouille ? Nous n'en savions rien il est vrai, nous autres hommes, en ces temps-là, toutes les femmes nous le dissimulaient soigneusement. Il fallait bien, il était congruent à l'époque, d'user de subterfuges et de fausses réticences. « Il s'était arrêté au bout de sa tirade, » (alexandrin) « avec l'air triomphant du bon élève qui vient de terminer brillamment un exercice difficile ».
Assurément : notre marchand de gilets n'aura été, sa vie durant, qu'un bon élève, ne voyant pas plus loin que le bout du nez de sa spécialité, mené de même par sa femme sous couleur de soumission féminine, et vraisemblablement pédéraste ou fortement tenté (si je puis me permettre, hihi!) de l'être. C'est sans doute ce que voulait dire l'avant-propos, qui parlait de nous instruire en nous divertissant. « Mais, de même que la ménagère » - comparaison homérique - « qui achète un chou ne sait pas qu'on lui vend un mot grec », [de même] « le directeur de l'Ecole d'Athènes (1925, admission à ladite école) ne savait pas que, là où il déversait son flot d'érudition, était enfouie une inscription boustrophède – celle que Guibert avait restituée, par vindicte, aux profondeurs du Ptoïon. » Une inscription « boustrophédique » alterne les lignes écrites de gauche à droite et de droite à gauche, comme un bœuf qui tourne au bout de son sillon.
Nous avons oublié en quelle circonstance Guibert, le jeune archéologue, avait renfoui sa trouvaille ; troublé par la valeur des faux, qui à force de commentaires érudits acquéraient eux aussi leur grande légitimité, il éprouvait des doutes sur ses deux statues grecques à lui. L'une d'elles avait été trouvée dans un carton, il 'avait présentée à l'éphore, entendez le gouverneur, de la province ; et ce dernier lui avait dit : « Je l'avais mise là avant de la jeter au rebut, car elle est fausse ; mais après tout, j'ai pu me tromper ». Le moyen, après cela, de conserver sa foi ?
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Une fois présentées toutes ces restrictions, reste à exposer l'immense érudition de Roger Peyrefitte, qui parvient à énumérer vingt ou trente sources mythologiques issues du sol hellénique sans nous lasser, sous forme de dialogue cuistres avoués comme tels, ce qui nous mène au second degré, mais qui se prend au sérieux ce qui fait le troisième degré,
 dont on se moque également ce qui mène au quatrième degré. Nous parviendrons aussi à réhabiliter ces fausses audaces désormais si dépassées, cet humour académicien dont nous avons perdu  la saveur sauf chez d'Ormesson ; ce véritable amour de la Grèce antique dissimulé sous les boutades, où les gens dits normaux n'ont plus entendu parler que d'une dette irremboursable... Une sensualité de baiseurs de statues, un bonheur de culture et de soleil, une hésitation entre deux sexes et de bon aloi vu l'atmosphère irréelle et divine de ces royaumes divins... 
Notre héros se retrouve ainsi en compagnie de son héroïne libérée, qui veut se baigner nue. Ça fait peur aux hommes ces trucs-là. « Ne craignez pas pour votre pudeur – je ne dis pas pour la mienne : dans cette petite baie, il n'y a jamais personne. Vous n'y trouverez que quelques arbres et une chapelle de saint Jean, votre patron » - lequel ? il y en a des tonnes.
« Ils contournèrent le Copaïs et atteignirent assez vite, la route étant meilleure, Orchomène et la source des Grâces. Aujourd'hui, les Grâces s'étaient métamorphosées en lavandières, (moches ou belles?). Heureux habitants d'Orchomène et qui ne connaissaient pas leur bonheur ! Leur linge était blanchi, là où les Grâces s'étaient baignées » - chance que nous avons de nous promener avec un érudit, là où les touristes ne pensent qu'au prochain repas d'étape en sortant de l'autocar. 
« Maintenant, les voyageurs avaient rejoint la grand-route et pouvaient aller tout à fait bon train. Voulant profiter le plus possible du golfe de Corinthe, ils avaient décidé de ne s'arrêter qu'à Tilphousa,leur dernier oracle, et à la source de Narcisse.

Commentaires

  • Pivot dit : les écrivains sont de drôles de zigues. Peyrefitte ajoute : "Et ils ont parfois de drôles de zobs" A l'époque, ça choquait...

    L'érotisme s'aseptise très vite, en fait. Deux exceptions : Lolita de Nabokov est encore plus sulfureux aujourd'hui que lors de sa publication. Et les fantasmes homo-hitlériens de Genet ne passeraient pas non plus... même chez Ruquier !

    Sinon, pour en revenir à Peyrefitte, avez-vous lu son livre sur les Juifs ? Et celui sur les francs-maçons : Les Fils de la lumière ? Je ne me suis jamais résolu à les ouvrir, en fait...

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