Proullaud296

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  • Wing, Wang, Wong

            Autre fille chinoise, occidentalisée, rédigeant en français son roman qui s'appelle Héroïque. Ou l'art et la manière de s'inventer une vie héroïque, lorsqu'on n'est qu'une hôtesse d'accueil au chômage, et que son père, un « sale Arabe », je cite, vient de se faire virer de son poste de chauffeur routier. Après tout, l'autrice a peut-être essuyé des insultes du style « sale chinetoque »,  le racisme comme la connerie n'a pas de frontières. Donc notre hôtesse d'accueil, prénommée Jeanne pour faire vraiment français, et teinte en blonde, se fait refuser un emploi par une nommée Mayou, elle-même patronnée par le nommé M. Merle. Ce Merle est un parfait salaud, qui essaye de lui faire croire qu'elle sera embauchée à coup sûr si elle accepte de passer une après-midi par semaine avec lui, et pas pour jouer aux cartes. 

     

     

    CETTE PHOTO S'APPELLE "DE BAS EN HAUT"
     038.JPG   Et le roman ne cesse de faire des aller-retours entre ce que Jeanne observe et constate, ce qu'elle imagine (à propos de son père, du sexe répugnant de M. Merle, des actes héroïques accomplis par elle-même) et les évènements qui pourraient se produire si, et si, et si. Selon cet outil d'appréciation, le lecteur peut admirer cette souplesse, cette ingéniosité, dans l'imagination d'une jeune femme un peu détraquée, prête à tout pour se faire embaucher, même à conduire des camions à la place de son père, ou bien à tuer M. Merle en lui balançant une bouteille de Coca dans la gueule  (ce qu'elle fait en effet, mail il l'évite par réflexe). Elle pense même avoir découvert que cet embaucheur sans scrupule est un tueur en série : elle se penche sous le siège de la belle bagnole de cet homme pour y découvrir un chewing-gum ou n'importe quel indice qui lui prouverait le caractère criminel de ce mufle, comme dans un policier qu'elle a vu à la télévision.
        Mais elle ne voit rien qu'une moquette impeccable. Ou bien, ledit lecteur peut se lasser de ces interminables méandres d'une imagination de petite fille prolongée, se lasser de ces robots qui ne pensent que par sautes d'idées. Il peut ne plus se souvenir du tout d'avoir lu ce livre, un de ceux qui défilent sur son bureau de vieux maniaque : quel maniaque peut supporter un autre maniaque ? Entre ce qui est vrai et ce qui est faux, peu de différences ; entre ce que l'on pense (« alors je ferais ceci, alors il ferait cela, j'aime bien mon père et ce patron est excitant à vomir »), ce que l'on aurait pu dire et ce que l'on dit réellement, peu de différences également : à l'intérieur du cerveau d'un enfant les imaginations défilent, chaque situation est considérée soit du point de vue réel soit du point de vue potentiel, comme dans notre tête, après tout, à nous tous.
        Le lecteur se voit donc en face du banal extraordinaire ou réciproquement, et le style, clair, direct, académique, ne lui permet pas de se raccrocher à son propre intérêt. Il peut s'imaginer avoir
    lu ce qu'il a lu, il peut décréter que ces personnages schématiques ne sont que des figures d'exercices, apprécier l'exercice mais laisser son âme en dehors de tout cela, sauf s'il est fille, arabe ou chinoise ou les trois. Nous aurions là un excellent point de départ pour des observations sociologiques ou psychologiques, pour étudier l'humour froid et le détachement, la condition des chômeurs infantilisés issus de l'immigration sur le chemin d'une intégration indéfiniment repoussée, pour nous pencher sur la manière hitchcockienne de présenter un scénario étincelant de cristallisations banales, mais n'est pas Hitchcock ni les frères Dardenne qui veut.
        Il semble que le roman dit Héroïque ferait un excellent film, centré sur la personne d'une dingue, style Muriel, et notre lecteur devrait posséder la souplesse de s'adapter à de nouveaux procédés de narration : mais il n'a peut-être jamais su acquérir cette faculté de perception. Vous en savez peu, mais suffisamment pour goûter déjà ce fragment situé ves la fin, qui pourrait vous rappeler Pas d'orchidées pour Miss B. : nous vous guiderons s'il y a lieu. Notre Jeanne arabo-chinoise (c'est une supposition) arrive en passagère devant la maison de M. Merle, présumé tueur en série :
        « Elle était effrayante. Une fille naïve qui ne savait pas qui était Merle l'aurait trouvée sublime ». En effet, notre héroïne présente la particularité non seulement d'imaginer, mais aussi de juger ses imaginations, en vraie cabotine de onze ans et demie d'âge mental ; notre auteur ici ne se contente donc pas d'énumérer tout ce que fait son personnage, mais se figure omniscient à l'intérieur du cerveau de cette jeune femme). « Tous ses os devinrent aussi mous que du fromage blanc. Cette maison ressemblait à un long paquebot à 2 étages, échouée au milieu de nulle part. Jeanne eut beau scruter l'horizon aussi loin que ses yeux le permettaient, aucune forme d'habitation humaine ne se laissait deviner. Il n'y avait que la forêt qui s'étendait à perte de vue et, au-dessus d'elle, une immense colline noire, très longue et toute râpée. Même si la maison paraissait très propre – les façades étaient d'une blancheur immaculée comme si elles avaient été repeintes la veille, les rideaux attachés derrière les 6 fenêtres étaient tous semblables et tous parfaitement symétriques – et même s'il y avait sur la pelouse très tondue et d'un lumineux vert pomme, des sculptures amusantes d'animaux - » (le vrai série B pour télévision allemande) « Jeanne savait qu'elle était habitée par un tueur. Et 2 indices lui donnèrent raison. Elle aperçu, collé contre le côté gauche de la maison, à l'opposé de la porte du garage, un hors-bord monté sur une remorque. La mer se trouvait à plus de 300km et ici » (dans le Puy-de-Dôme apparemment) « il n'y avait pas le moindre brin d'eau.