Voyage autour de ma chambre
Bonjour auditeurs nouveaux, et auditrices de tous âges. Nous faisons une émission consacrée à la littérature. Mais non pas à la littérature contemporaine, du moins pas obligatoirement. Nous procédons plutôt par coups de coeur, vous faisant part de nos engouements par voie de lecture. C'est ainsi qu'aujourd'hui nous déterrons pour votre plaisir le "Voyage autour de ma chambre" par Xavier de Maistre, frère du contre-révolutionnaire et polémiste Joseph de Maistre, lesquels étaient aussi différents que les frères Léotard actuels, c'est dire...
Cette oeuvre, publiée à nouveau par les Editions Comp'Act à Chambéry, date de 1795, où, "à la suite d'une malencontreuse histoire de duel", l'auteur écopa de quarante-deux jours d'arrêt, pendant lesquels il rédigea donc ce "Voyage autour de ma chambre", qui était bien le seul qu'il pût faire.
L' "Encyclopedia Universalis" me rappelle qu'il s'agit d'un "essai philosophique et littéraire se prrésentant sous la forme d'un aimable vagabondage plein de parenthèses et de digressions".
En ressort cet ingénieux traitement de la description d'une cellule relativement confortable de détention pour officier sous la forme d'un paysage et d'un itinéraire. En ressort aussi la figure de Joanetti, parfois évoquée dans les extraits de vieux manuels scolaires : ce brave domestique n'a pas reçu ses gages et n'ose les réclamer. D'où les commentateurs ont conclu à de certaines préoccupations sociales de la part du turbulent Xavier de Maistre.
Il ne nous parle pas de Révolution, mais de femmes, d'imagination, de goûts littéraire, et d'humour léger. C'est un humour qui l'apparente d'un côté à Diderot, pour l'esprit, c'est-à-dire pour l'intelligence pétillante, et d'un autre côté, hélas, à Sterne : l'art de faire un sort au moindre incident de pensée (bien forcé quand on est prisonnier) se transforme un peu trop souvent en délayage, qui ne provoque plus guère que des rengorgements ricaneurs polis.
On se passerait volontiers par exemple d'un dialogue fade et abstrait de l'âme et du corps de l'auteur, bien dans le goût de l'abstraction archaïsante du temps ; disons qu'une page eût suffi là où nous en sont proposé six. Heureusement, le tout s'accompagne de considérations préproustiennes, ton sinistre ne moins ( Proust sait être sinistre) sur les sensations bizarres et délicieusement prolongées du réveil, où les sensations extérieures (l'ordonnance prépare le petit-déjeuner) se mêlent aux dernières imaginations vagues de la nuit qui s'effiloche.
Bref un ouvrage charmant, à propos duquel je me battrais en vain les flancs pour extraire quelque autre commentaire que ce fût, tant il me marqua peu.
La page 47 présente la fin du chapitre XXVII : l'auteur parle d'un miroir ornant sa cellule, et où il se contemple. Il en profite pour disserter sur l'objet du miroir :
"Peu de monde y jetterait les yeux (à supposer qu'il reflétât un portrait moral précisè-je) - et personne ne s'y reconnaîtrait, - excepté les philosophes. - J'en doute même un peu.
"En prenant le miroir pour ce qu'il est, j'espère que personne ne me blâmera de l'avoir placé au-dessus de tous les tableaux de l'Ecole d'Italie."
Vous voyez donc par cet extrait l'attachement à une morale traditionnelle, issue des Antiques par La Fontaine ; le doute sur l'élévation réelle de l'âme des philosophes ( il faut y inclure tous les glorieux morts du siècle qui s'achève : Rousseau en particulier, qui ne futpas exempt de complaisance); et la pointe paradoxale, bien que l'Ecole d'Italie n'ait peut-être pas effectivement produit au XVIIIe s. ce qu'elle a de meilleur.
Cette légèreté m'enchante, me rase doucement, m'exaspère, je l'oublie aussitôt. C'est le champagne champenois, ou le petit blanc de Savoie : sitôt bu, sitôt évaporé. Ill eût fallu sans doute le consulter, cet auteur, dans une édition érudite et couverte de notes, qui m'eût convaincu de son poids, que ne revendique pas l'auteur. Voyez-vous, voilà que moi aussi je fais du Xavier de Maistre.
Le lecteur éprouvera cependant un grand plaisir à lire un fin styliste, un homme de goût comme on disait, si typiquement et creusement français (mais ne suis-je pas superficiel), quelque chose qui ne fatigue pas mais cependant tombe des mains, réservé à ceux qui éprouvent d'emblée une affinité. Je le rapprocherais, aigreur cachée en moins, des promenades de Walser, auteur suisse.
A noter que le "Voyage autour de ma chambre" possède une certaine tradition théâtrale, il peut donc se représenter, donc, le volume de cent pages s'achève sur de petits textes extraits des correspondances de l'auteur, et sur des notes concernant certains détails contemporains inconnus du public, ainsi la mention d'une "fameuse marchande de modes à l'époque du "Voyage autour de ma chambre".
Dieu merci de tels éclaircissements sont rarement nécessaires, et nous suivons très bien encore les méandres de cette pensée légère et érudite.
Laissons donc s'éloigner de nous cet auteur aimable, épris de sensibilité (il appuie son bras sur celui de son domestique en s'apitoyant sur son sort au nom d'une égalité humanitaire), de belle peinture (il commente les gravures qui ornent son cabinet de détention), d'humour (il tombe de son observatoire, qui se révèle être son fauteuil, car nous avions oublié avec lui que nous nous mouvions dans le cadre d'une chambre et parmi le mobilier d'icelle).
Peut-être un jour rééditera-t-on "l'Expédition nocturne autour de ma chambre", où l'auteur, de bonne guerre, exploite le filon, ou "Les Lépreux de la cité d'Aoste", à moins que ce ne soient "Les Prisonniers du Caucase".
Xavier de Maistre, né en 1763, coula des jours pasibles et voyageurs jusqu'en 1752. Longue survie à ses oeuvres, aisément compréhensibles, aisément traduisibles pour les barbares qui nous suivront.
Commentaires
J'ai lu quelque part qu'à l'époque, Xavier de Maistre était plus célèbre que son illustre frère et que ce dernier s'offusquait souvent d'être confondu avec lui.
Personnellement, je préfère le frère Joseph (catholique, membre de l'ordre des pénitents et franc-maçon) qui fut une influence majeure sur Bloy, Bernanos... et même René Girard.
Il existe un excellent petit livre aux éditions Pardès sur Maistre, par Jean-Marc Vivenza.