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Jérôme

    Au milieu d'un fourré de doutes et d'interrogations, mon sort me mène au sein d'une méditation de Jérôme, futur saint. Elle concerne la meilleure façon de mener sa vie. Epinglons cette inconséquence de Cicéron, je crois, qui affirme ne pas se soucier des observations des autres sur son propre compte, "à moins qu'elles ne soient justifiées" : en effet, comment distinguer, et qui distinguera, les observations justifiées de celles qui ne le sont pas ? On y passe toute sa vie, à étudier précisément les réflexions des autres ! Nous dirions plutôt qu'il ne faudrait pas tenir compte de ces autres. Oui, mais s'ils se jettent à la traverse ? S'ils vous "taclent" ? La réponse n'est pas même simple chez Jérôme, lequel vante le monacat : il n'est rien de plus pénible de vivre dans une société restreinte et sans renouvellement perceptible.
    Non, il s'agirait pluôt de l'ermite, de l'anachorète, du "séparé. Encore se voit-on hanté par de certains dédoublements de nous, sous formes de démons hallucinatoires ou d'un phénomène cérébral qui se fait passer pour Dieu. Nous serions donc un carrefour d'influences rivales, un courant d'air. Cette conclusion sans appel et sans grande originalité une fois acquise, retournons-nous, retrouvons-nous, dans la Littérature, seul champ illimité à notre portée : ca    r la glose est inépuisable : à l'exemple des marins, entonnons un refrain joyeux en guise d'épilogue. La joie de vivre, en accord avec le modèle humain du Christ je suppose. Démerdez-vous, et soyez en accord avec vous-même, dédoublé en un Sauveur largement fantasmé.   
    Nous nous sommes trompés, tout est réductible, nul champ n'est sans limites. Ô désert que diaprent les fleurs du Christ ! Et c'est parti pour le délire litanique et l'exaltation à deux balles. Le désert, oui. Les fleurs du Christ, surtout des fleurs de sang, sous les épines, autrement, nous sombrerions dans la guimauve de calendrier des postes. Surtout ne rien prendre au sérieux, sous peine de tomber dans la paralysie tautologique : "Ce qui est, est". Ô solitude, où naissent ces pierres fameuses, desquelles – selon l'Apocalypse – se bâtit la cité du grand roi ! Les métaphores vont leur train. Les deux premiers mots exceptés, nous n'acceptons rien. Quant à la solitude, elle ne se peut concevoir, sous-entend Cicéron, que dans l'espoir d'une publication de ses écrits : dans le désert, mais bien en vue. Ô ermitage qui jouit de la familiarité divine ! Complétons Jérôme : cette familiarité avec le dédoublement se mérite, passés de nombreux écueils.

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    Il y faut une âme d'athlète, une lucidité sans faille, alternant avec l'extase. Et cette familiarité, que Dieu soit extérieur ou non, cette étincelle, cet éclair répété entre ces deux pôles de soi-même, consume sans devoir brûler, s'il est vrai que la conscience est le bien suprême. Alors, s'il est une conscience, elle ne pourra que se tourner vers un destinataire, et voilà pourquoi Dieu créa le monde et la conscience de l'homme, son extension à lui. Frère, que fais-tu dans le siècle, toi qui es plus grand que le monde ? Appel ici à la dignité, à la vanité aussi, à ce sursaut de crête de coq par lequel nous pensons nous élever au-dessus de notre charogne. Mais posé le Transcendant, nous en procédons, et notre orgueil n'est qu'humilité. L'absolu ne vaut rien. Il stérilise, anesthésie, endort. Tue. Bâillonne à tout le moins. Ne reste que le chant. Le bruit. Le Verbe. Boucle bouclée ? Jusqu'à quand un toit t'oppressera-t-il de son ombre ? Mais c'est qu'il y a de la véhémence là-dedans, un sacré mouvement, une bousculade !
    Ne saurons-nous sortir de ces morcellements, ne rendrons-nous pas justice à tant de conviction, à tant d'enthousiasme ? Én théos ! Il est vrai que Dieu résout tout, du moins ouvre tout, propose une clôture qui soit à la fois suprême ouverture, infinie diversité ! Sans chercher aussi loin, ne serons-nous pas sensibles à cet appel du large, appel au nomadisme de l'esprit, corps immobile mais âme cherchant Dieu dans son dédale ? Jusqu'à quand t'enfermera la fumeuse prison de tes cités ?  Mourons donc dans un bus déglingué, au fond de l'Alaska. Fuir ou rester ?  S'il le faut, part. Ma focale est coincée. Le monde relatif m'échappe. Crois-moi, il me semble contempler ici un jopur plus lumineux ! Je m'éveille face à l'aube, au bord de ma caverne.
    Bientôt le soleil torride me renverra dans mon abri. Pour l'instant je bâille comme un lion, avec le soleil dans l'œil. Libre, immobile, retiré, joint au monde par courrier, vagabond des espaces infinis de la prière et de l'adoration, revenant à moi-même assez souvent pour dissiper les craintes infondées de fusion, d'absorption... Je jouis d'avoir rejeté le fardeau de la chair et de m'envoler vers le ciel brillant et pur.  Adaptons : la chair serait notre télévision, nos écrans. Notre société de communication ? Non, puisque Jérôme écrit pour convaincre. La réalité subsisterait, mais plus pure, comme sous un cristal filtrant, la conscience du monde caché au-dessus de nous autres. Vivre en vibrante et constante alternance entre le Haut et le Bas.
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    Coucou, Jérôme, bonjour au lion, bonjour au crâne. T'as mal au cââne, visiblement, t'as mal au cââne. A présent il se débat, notre Jérôme, avec des visions bibliques, prises au pied de la lettre : Isaïe a vu le trône du Seigneur environné d'un couple de séraphin, de six ailes : deux pour couvrir le haut, deux pour couvrir le bas, deux enfin pour voler. Il disserte pour savoir comment il se fait que les séraphins soient à à la fois siégeant et volant. Qu'ils aient représenté le Fils et le Saint-Esprit, alors que d'autres ont vu le Fils Unique sur le trône. Il va falloir redescendre de notre ironie pour examiner ces symboles avec érudition. Parler du Christ, cuius domus sumus nos, dont  nous sommes la maison. “Il faudra donc ne pas nous souiller du péché”, dont le plus répugnant n'est-ce pas est la luxure. A chaque père sa spécialité : pour Augustin, c'est la culpabilité PARDON SEIGNEUR PARDON DE N'ETRE QU'UNE MERDE JE ME ROULE A VOS PIEDS SI ÇA NE PUE PAS TROP ; Jérôme, c'est le zizi : “Les trois commandements de l'Eglise sont PAS DE SEXE, PAS DE SEXE, et troisièmement PAS DE SEXE.” Eternellement il me faut surmonter cela. Il ne m'a pas été donné d'intelligence supérieure. Pourtant si : le pressentiment qu'enfermé dans un système clos, ce système devient littéralement, rigoureusement exact. La clôture de la pensée juive est emblématique de cette fascination : si l'on accepte la symbolique, la correspondance juive trait à trait de ce monde-ci et de l'autre ici bas même présente, rien ne permet d'en sortir, et tout se justifie au micron près dans une construction confortable et agrandissante.
    “Si toutefois jusqu'au bout nous gardons fermement le principe de sa substance”, principium substantiae eius. Latin d'Eglise, ordre des mots inversé. Citation de l'Epître aux Hébreux III. Ne peuvent avancer sans béquilles de chaque côté, afin de corroborer leurs dires, et que l'on se prosterne en les écoutant, devant Dieu, bien entendu, devant Dieu... Or plus Grand Corps Malade s'appuiera ostensiblement sur sa béquille, plus il en aura besoin : ça marche en sens inverse ; au lieu de te guérir, tu t'aggraves. Et l'exégèse de Paul mène aux langues de bois, qui fleurissent en chaire. Il faut expliquer les explications, comme un répétiteur de saint Thomas d'Aquin. Ce que je préfère aux sermons d'aujourd'hui, que l'on croirait écrit par un Michel Drucker.
    Et notre Jérôme de joindre référence à référence, Epître cette fois à Timothée. Il fait comme moi. Il se raccroche, faute de mieux en lui-même, aux textes saints, à l'Ecriture, puis il commente. Race de profs. Traducteur de la Bible, la Vulgate. Dispensateur de la bonne parole, par opposition avec l'hérésie. Accusé lui-même d'hérésie par les hérésiarques. “Dans la maison de Dieu, qui est l'Eglise”. Il y a, Sonia, ce que je pense avec le cœur, et ce que je dois faire et penser. A dire sans détours sa pensée, chacun se trouverait confronté aux ennemis en tout genre. Je ne veux pas passser ma vie entouré d'épées menaçantes. Au sein de l'hostilité de ma famille, sans compter ma femme à dompter.
    Donc je me fais aimer, j'opère des concessions, je prêche ce qu'il faut, je pense à l'extrême droite et je vote à gauche, voire à l'extrême gauche. Tu trouves cela bien curieux, et tu n'es pas la seule. Mes terminales de Belvès se demandaient aussi ce que je pensais vraiment. Et je répondais que je ne me sentais pas le droit de les désespérer. Dans ma fonction de professeur. Moi non plus je ne crois à rien, mais vous êtes vous -mêmes, adolescents, suffisamment pénétrés de nihil pour que je me dispense d'y ajouter mon nihil personnel. Et combien je m'en félicite, n'est-ce pas... Retournons donc au saint texte : Sequitur (Suite) “Et les Séraphins étaient debout autour de lui ; six ailes à l'un et six ailes à l'autre”. Et l'on y croyait. Pourquoi le Seigneur en effet n'eût-il pas envoyé ses visions ? Car si tu crois, tout devient possible, logique, évident, digne d'être rapporté, voire d'être aux autres imposé. Rien de plus terrible que la logique. “Tout change, et il n'y a que des opinions”.
    Autre écueil : l'évaporation du cerveau. Pétrification, sublimation : Eros, Antéros. Ordre et Désordre. Nous revenons toujours buter à cette aporie. Demeure l'action : il fit ceci, et fit cela, trame de tous les romans et récits. Puis à bien voir les hommes dans les rues, ou sur les journaux, mon Dieu, ce sont bien toujours les mêmes mille actions qui s'enchaînent autour de leurs axes toujours les mêmes. En mathématiques, il me fallait toujours en revenir au axiomes, aux théorèmes déjà depuis longtemps démontrés : le moyen de poursuivre une démonstration, lorsqu'il fallait toujours étayer les béquilles ? Le texte, le texte : “De deux ailes ils voilaient la face, de deux les pieds, de deux ils volaient, et duobus uolabant. On se voile la face devant Dieu, par respect, pour ne pas non plus être brûlé.
    J'ai oublié le sens de seraphim. Les voici donc en libellules. “Et ils criaient l'un à l'autre et disaient : saint, saint, saint le Seigneur Sabaoth, la terre entière est pleine de sa gloire” - “des armées”, sabaoth, “des armées”, Messieurs de Vatican II, armées d'anges et de dominations. Le ciel est un plafond d'Opéra, bourré d'anges bouffis et fessus, dans une avalanche de bleu et rose, sans une fissure de vide, roulant sur les nuages gras et ramenant leurs pans de voiles sur leurs grassouillettes anatomies de nourrissons géants. Bien préférables sont les libellules de Jérôme. Qui se crient dans la gueule sanctus sanctus sanctus, “et paix  sur la terre aux hommes de bonne volonté”, ce qui ne signifie pas que les autres sont dans la guerre et l'affliction. Se répéter comme en classe, le public se renouvelant chaque année. A présent s'approfondir, les classes ayant disparu. Je ne suis plus que devant moi, devant Dieu, qui est mon jugement. Mais alors : voir plus haut, impasse, aporie, sans étapes intermédiaires.  “Il n'y a pas de Purgatoire”. “Nous voulons savoir ce que sont les Séraphins debout autour de Dieu, ce que sont les six ailes de chacun et le total de douze” - m'sieu ! m'sieu ! Les apôtres ! Quomodo duabus uelent faciem et duabus pedes - “comment de deux ils voilent le visage”, etc... Jérôme professe, conte, répète...
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    Etrange explication en vérité d'estimer que les séraphins (de genre neutre) voilent la face de Dieu, et ses pieds, et non pas les leurs propres ; ce qui nous renvoie à notre ignorance de l'extrême passé , et de l'extrême avenir : qu'advenait-il avant le monde, qu'adviendra-t-il après le monde ? Il faudrait donc que le temps soit une dimension physique ? Et nous autres, humains, n'aurions pour voler de nos propres ailes que les deux ailes du milieu, suffisantes pour notre territoire de connaissance. Non moins étrange l'interprétation des ailes voilant la face de Séleucus, roi aveuglé, conduit en captivité à Babylone, la paire inférieure voilant les pieds parce que les derniers rois ont été enchaînés dans leurs captivités successives.  L'exégèse aurait beaucoup à voir avec l'explication de textes, tout débouchant sur tout, et l'association d'idées, tout mot se situant au carrefour infini des possibles. Ce qui rend si hasardeux toute exégèse. Puissance et faiblesse du Verbum. « Mais moi, dont les yeux ont des ragards de convoitise, dont la main m'est cause de scandale, moi qui pèche par les pieds, par toutes les parties de mes membres » - il est temps de considérer ces évidences non plus comme d'intolérables humiliations de la glorieuse nature humaine, mais comme d'autres incontestables évidences : nous sommes impurs par réalisation, par rapport à ce néant qu'est Dieu.

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