Enfer et limbes
...Comment peut-il se faire qu'un Dieu infiniment bon, infiniment cruel, ait pu laisser subsister, non loin de Guantanamo (j'plaisante !), un endroit matériel où les âmes, mêmes celles des Anglais, ne cessent de hurler avec "le feu partout, le feu dessus, le feu dessous, le feu à droite, le feu à gauche, le feu devant, le feu derrière" – et Dieu sait comment les séminaristes montherlantistes pouvaient bien interpréter cette pantalonnade – l'auteur s'empresse d'ajouter que les paroles exaltées du prédicateur jésuite suscitaient sous cape de sacrilèges ricanements). Mais ces flammes n'ont jamais pu se définir de façon éclairée, humaine, logique :
Les théologiens s'accordent aujour'hui à conférer à ces flammes une valeur métaphorique, symbolisant les sentiments d'abandon, de soliltude totale, de désespori et d'abandon par dieu: la Déréliction. Ces âmes se desespèrent d'avoir été elles-mêmes pleinement responsables de cet ^te mise à l'écart définitive et infinie de l'Esprit d'Amour :
Et s'il faut, pour sauver de l'Absence éternelle
Les âmes des damnés s'affolant de l'Absence,
Abandonner mon âme à l'Absence éternelle,
Que mon ême s'en aille en l'absence éternelle.
L'enfer est l'ultime aliénation, le vide à soi-même, ce "qui suis-je" voire ce "suis-je" pour lequel fut interné Nicolas Bouvier, dont la recherche de l'autre à tout prix au cœur de ses voyages l'avait privé du sentiment de soi-même, car on ne cherche les autres que pour se trouver...
D'après les termes mêmes du Credo, le Christ "est descendu aux enfers" : il conffirme ainsi aux saintes âmes n'ayant pas connu la Rédemption qu'elles seront sauvées, au jour du Jugement Dernier ; finalement, tout le monde sera sauvé, depuis Adam, qui signifie "l'Homme", jusqu'à Noé, dont tous les cotemporains futent noyés, jusqu'aux immenses sages antiques, Platon, Sénèque, Plotin : ils ne ne sauraient avoir été voué à la souffrance juste en raison de leur ignorance. On ne parle plus d'enfer, dans notre religion d'à présent. Il ne faudrait plus parler d'enfer, maid il faut faire croire que Dieu n'est qu'Amour, "c'est que du bonheur" et autres fadaises, alors qu'il est aussi Justice et Equilibre.
Mais cette imagination, cette représentation, cet article de dogme, relayés de siècle en siècle peuvent-ils ainsi s'être évanouis, peut-on les rayer d'un trait de plume ou d'un compte rendu de concile, alors qu'elle a visiblement dirigée, maintenu sous sa férule, voire structuré des peuples entiers, femmes terrorisées, pères de famille se battant la coulpe, mea culpa, mea maxima culpa ? Ces flammes ou ces glaces, ces fers rouges et ces tenailles, ont hanté l'imagination de millions de nos ancêtres, ont servi d'instruments de domination, instruments d'un clergé indigne amateur de pouvoir lâchement extorqué. Or, nous rappelle Luz Amparo Cuevas, à qui la sainte Vierge apparut, "l'enfer existe. Nous voudrions tous qu’il n’existe pas, mais il existe bel et bien, tout comme le Ciel existe." Et chacun sait que la plus grande ruse du Diable est de faire croire qu'il n'existe pas.
Mais, "si [l'enfer] était vide ?" Peut-être venons-nous juste de laisser derrière nous les siècles les plus cruels de la superstition théologique, et ne sommes-nous qu'au tout début de notre interminable ascension vers la nature de Dieu... Nous pourrions toujours espérer que l'enfer soit vide... Mais cela contredit l'Evangile : « Luttez pour entrer par la porte étroite, car beaucoup, je vous le dis, chercheront à entrer et ne pourront pas. » (Luc 13, 23-24) A moins de mettre en doute les paroles du Christ – donc le christianisme lui-même : prétendre qu'à la fin des temps Dieu et le Diable se réconcilieront est une hérésie. Nous conclurons provisoirement par cet aphorisme peut-être d'Ambrose Bierce : "Si Dieu et le Diable existent, ils doivent bien se frotter les mains ensemble"...
En Madrid,
Seis meses de invierno
Seis meses de infierno.