Clovis actuel ?
Nous l'entrevoyons plus que nous ne le voyons, et sa présence en est accrue, diluée, comme au sein d'un halo. Et tout autour de lui gravite une civilisation entière, dont les rites et coutumes juridiques et guerrières nous sont développées avec art, ainsi que toute uen galerie de figures elles aussi légendaires : Clotilde, qui participa de façon plus qu'occulte aux décisions capitales, Geneviève, qui détourna les Huns de la capitale de la France, selon le même schéma que St-Aignant les détournant d'Orléans, du pape Léon les détournant de Rome, ce qui fit penser que ma foi, ces légendes un peu trop parallèles et répétitives pouvaient bien n'être justement que des légendes, mais il se trouve que Michel Rouche y ajoute foi, se fondant sur des documents qu'il nous expose in extenso à la fin de son essai.
Ces documents sont rédigés dans nu latin absolument flamboyant, où le classique ne retrouve ni ses constructions ni son vocabulaire : les mots y sont systématiquement rares, sa grammaire systématiquement tarabiscotée, la chose n'était véritablement compréhensible que par des clercs d'uen extrême érudition, alors que les souverains souvent ne savaient pas lire (sauf Clovis). Cela fait exactement penser à ce charabia chiadé dont usaient naguère encore nos littérateurs, alors que les soi-disant lecteurs s'expriment dans un français en pleine décopopsition. Heureusement, nous avons le français moderne en colonne parallèle au texte.
J'avais bien aimé ce Clovis de Michel Rouche. On y traitait d'un empire en proie aux invasions, les anciennes populations gémissaient sous lejoug de peuples autoritaires qui faisaient fermer les églises ne correspondant pas à l'hérésie de leurs rois, et la solution qu'imaginait Clovis et son entourage était de se soumettre au pape, indirectement il est vrai, seul héritier finalement de l'universalité, de la catholicité (ce qui veut dire la même chose) romaine. Les curés sont els héritiers de l'Empire romain : amusant, et insondable ! Et Clovis résolut les contradictions en instrumentalisant la religion à son profit.
Et si Sarkozy était notre nouveau Clovis ? S'il fallait en passer par une mise au net de tant de problèmes politico-spirituels ? Mais je commence à sentir le bûcher. Les choses ne se présentent pas de la même manière. Quoique. Vous allez entendre un rappel biographique de notre grand St Rémi, attaché au renom de Clovis comme plus tard Eloi le fut à celui de Dagobert. Ce saint fut fêté le 1er octobren qui coïncidait avec la rentrée des classes. Il vécut un nombre incalculable d'années. Il fut l'ami de Clotilde. A la Noël 499 selon de nouveaux calculs, il baptisa Clovis, qui embrassa le cul-te de Clotilde, tout ses soldats en firent autant, et Clovis épuisa – euh... épousa – Clotilde.
Toute plaisanterie mise à part, cet évêque prestigieux influença fortement lui aussi la conduite de Clovis, allant jusqu'à l'admonester afin qu'il se conformât aux commandements de Dieu, qui prescrivait sans doute de décimer ses descendants, mais nous ne sommes pas au XXIe siècle. Il continua ses sermons auprès des successeurs de Clovis et mourut à près de cent ans et en odeur de sainteté. Voyez ce qu'en dit Michel Rouche, l'historien, dans ses abondants et passionnants commentaire ssuivant chaque document latin, et suivons le détective temporel dans ses investigations :
“L'auteur de cette lettre est incontestablement Remi évêque de Reims, puisque Sidoine Apollinaire, évêque de Clermont, alors aux prises avec les Wisigoths, lui écrit uen lettre datée de 481, pour le féliciter de ses déclamations, dont un ami venu de Reims lui a parlé. Il est donc déjà évêque depuis quelque temps à ce moment-là. Par ailleurs, dans la lettre 3 que nous verrons plus loin (cf. Document XI, p. 454), ses adversaires lui reprochent d'être évêque depuis cinquante-trois ans, à une date postérieure à la mort de Clovis (511). Grégoire de Tours dit que son épiscopat dura “soixante-dix ans et plus, à ce qu'on rapporte” (G.C., 78). La Vie Brève de Remi déclare qu'il fut ordonné évêque à vingt-deux ans. Hincmar, dans sa Vie de saint Remi (c. 60), en conclut qu'il mourut après soixante-quatorze ans d'épiscopat, à l'âge de quatre-vingt seize ans. Comme, après un épiscopat forcément très court de Romanus, son deuxième successeur Flavius était présent au concile de Clermont le 8 novembre 535, Remi est donc mort le 13 janvier 532 ou 533. La date du 13 janvier est celle qui a toujours été observée dans l'Eglise de Reims. Les martyrologes disent le 15 janvier. Mais la fête anniversaire de Remi est en réalité le 1er octobre, à la suite d'une translation de ses reliques faite avant que Grégoire de Tours n'écrive (H. F. , VIII, 21). Donc le culte de saint Remi existait déjà à tout le moins avant 573. Une telle longévité était alors rarissime. Que l'on y ajoute les événements qu'il vécut et l'on comprend à quel point il fuit un personnage hors du commun.
En effet, il naquit en 437 ou 436. Il a donc connu l'Empire romain d'Occident sous le règne de Valentinien III, dernier empereur de la dynastie théodosienne, l'invasion des Huns en 451, le pillage de Rome par Genséric, roi des Vandales, en 455, avant d'être ordonné évêque en 459, au moment où les royaumes wisigoths d'Aquitaine et burgonde prennent leur indépendance tandis que les derniers empereurs romains se succèdent de plus en plus vite – le dernier, Romulus Augustule, étant déposé en 476. Il a donc connu les rois francs du Ve siècleet en particulier Childéric (464-481). Mais il a reçu aussi toute l'éducation romaine classique, probablement à Reims : ainsi s'explique qu'il ait des qualités d'écrivain et d'orateur. Ses déclamations, louées par sidoine Apollinaire, ont disparu ; n'ont survécu que ses quatre lettres, des vers qu'il a gravés sur un calice et que nosu a recopiés Hincmar, et son testament (cf. p. 498). Une messe fut composée en son honneur au début du IXe siècle. Elle servit aussi de source à Hincmar. Quant à sa famille, elle est d'origine sénatoriale, comme nous le montrera son testament. Il est donc le représentant typique d'une élite galllo-romaine cultivée et riche, d'un système politique qui vient de s'écrouler et d'un groupe social dirigeant qui raisonnait au niveau d'un empire mondial. Si, comme il est maintenant accepté par tous les spécialistes de la prosopographie, le nom de famille est une propriété personnelle que l'on se lègue de génération en génération, il faudrait voir parmi ses ancêtres Remigius, le magister officiorum de l'empereur Valentinien Ier, mort étranglé, que signale Ammien Marcellin (XV, 5.36). Si Remigius, qui a donné Remi en français, peut être expliqué par son étymologie, il signifierait, ce que je ne garantis pas, originaire du pays des Rèmes, c'est-à-dire de Reims. Nous aurions donc affaire à une aristocratie d'origine locale récente, comme beaucoup de sénateurs gallo-romains de l'Empire tardif. Mais, pour Remi, la grande différence avec ses collègues vient de ce qu'il n'a exercé aucune charge civile. Alors que Sidoine Apollinaire a été préfet de la Ville (de Rome) avant de devenir évêque de Clermont, pour mourir en 489, battu, exilé et réintégré dans sa chaire épiscopale moyennant obédience au roi des Wisigoths ariens vainqueurs, Remi, lui, s'est trouvé projeté dans l'épiscopat sans aucune expérience politique. Il se trouve donc, face à l'échec de l'ultime résistant que fut Sidoine Apollinaire, à même de méditer entre 471 et 481 sur le véritable universalisme : celui de l'empire de Rome ou celui de l'Eglise de Rome. Par cette précoce jeunesse religieuse, il est donc plus apte à faire prévaloir un universalisme catholique.”
Et c'est ainsi que l'Eglise a sauvé le monde, en prenant les manettes, amen, “Clovis”, de Michel Rouche, chez Fayard.
Commentaires
Michel Rouche, un catholique m'avait conseillé Les Racines de l'Europe. Je l'ai... mais pas encore lu.
Cela vous dit-il quelque chose ?
Je ne connais de lui que cette excellente monographie sur Clovis.