Proullaud296

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Délire, salon

 

SI JE DOIS

 

S'il faut écrire ainsi devant je me livre au massacreet tel déferlement de haine ignominie pour tout ce qui m'entoure que j'entre en autohaine, en meurtre et de moi-même et cela restera comme on a dit aux grimaciers Tu seras défiguré pour toujours. Après quoi, ivresses de larmes et d'épuisement, portails de Grande Dépression, commencement de vivre – je ne remonte pas – c'est trop de prix – au fond de moi gît la mort. La Mort honteuse.

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MON SALON 20 10 2052

 

Z. tricote devant moi. Je ne la voyais pas devenir comme ça. Mince, tout en vert, de longs cheveux de chaque côté. Je lui parle. Elle fait des progrès au violon. Elle incline la tête et me parle de violon. Je ne savais pas qu'elle deviendrait une vraie femme. On ne décrit pas sa fille. C'est inconvenant. Elle est issue du temps ; étrange, médiévale, ou 1925, avec son pantalon collant et son « haut » flottant, vert pâle sur canapé vert foncé. Anne sort de son lit, j'ai prié pour elle cette nuit ; elles partent toutes les deux, je n'ai plus que la télé, que je comptais décrire, qui est bien commode car éloignée de toute psychologie. Sonia revient s'assoir. On dirait un profil de grande maigre, au nez long et droit, légèrement oblique.

 

Je ne la connaîtrai que jusqu'à 52 ans, l'âge de la mort de la Vierge Marie – pardon, sa dormition. Paupières baissées sur le tricot, une longue aiguille horizontale. Et la télé, vaste fenêtre carrée vert-noir où se reflètent la lueur et le petit-bois de la baie derrière moi. Des cassettes audio empilées flanquent la télé sur la droite avec leurs titres, qu'on ne repasse jamais. Et trois appareils mystérieux sur sa tête : un magnétoscope, gras d'inutilisation, un lecteur de DVD brillant, plat, perfide, et un « Ciné-Cinémas » que je ne puis désigner autrement, indiquant 15 h 23, avec un petit point rouge. Plus haut quatre télécommandes dont deux seulement sont utilisées. La télé flanquée donc et surmontée de trucs inutiles.

 

Des tableaux non moins inutiles peints par mon épouse allongée, sur lequel j'ai appelé des bénédictions pour qu'elle maigrisse. Je décris ces tableaux en d'autres lieux, destinés à d'autres tiroirs. Le tout sur un mur crépi paille propre, à droite, sale et foncé à gauche. Il faut mentionner (dans mon inventaire) le dessin encadré d'une femme au profil enfoui dans les bras qu'elle tend devant elle, dégageant le sein ; des poches en plastique et deux registres, vert et violet (le premier tenu par des sangles obliques, l'autre barré sur son dos d'une longue étiquette blanche et vierge). Un tabouret soutient tout cela, sans autre utilité. Tous les objets de chez moi regorgent d'inutilité, je m'y sens moi-même un peu perdu et gratuit.

 

Ce que contient « le meuble de télévision », rescapé de déménagements et d'héritages, est également inutile : le tiroir blond foncé, avec deux poignées, regorge de jeux de cartes et de croquis de branchements, de notices en tous genres. Et au-dessous, derrière une porte aux moulures sans style, d'autres films jalousement gardés : dramatiques, ballets, jamais revus, car mieux vaut toujours

 

pour moi se retremper aux actualités que de ravasser de vieilles lunes filmées, fussent-elles chefs-d'œuvre. Mon œil descend : il y a sous le meuble aux moulures inférieures vaguement festonnées une prise multiple et blanche, des serpentements de branchements électriques mous et sales, une boîte dont je ne vois que la tranche, ou un carton vide (j'irai vérifier). Sur le sol, à droite, un écorché de plâtre lève au-dessus de ses yeux, comme pour se protéger du soleil ou parer un coup, un coude d'écorché. On lorgne à l'endroit des couilles, et on les aperçoit, pitoyables, entre les deux cuisses dont l'écorchure dégage une abondante et tendineuse musculature. Cette statue sert ou pourrait servir de modèle, rien ne servant ici-bas, ni dans une autre vie.

 

L'écorché tourne le cul à une pile de livres, en bois, œuvre d'art de toute beauté, qui m'a tapé dans l'œil et désormais se couvre de poussière à l'angle de l'âtre ; je ne vois ce dernier que par-dessous une table brun doré. Ainsi qu'une statue allongée : deux corps enlacés nus et debout, plus devinés qu'à vraiment décrire, formant chenet. Nous n'avons jamais allumé le feu dans cet âtre, pour ne rien détériorer de ces œuvres oubliées. Je vois une chaise paillée, sagement rangée sous la table. Ses pieds droits posent sur le pavé : diverses plaques rectangulaires, en angles droits. Amen.

 

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