De l'amour
Nils est « gentil » : que signifie ce mot ? « noble » à l'origine ; « niaiseux » de nos jours. Il se passionne pour l'histoire. Et boit très peu – bien la peine de jouer les martyrs ! pourtant je prends son Nils en pitié. (« Ne jamais parler de l' « autre » m'a dit Lazare ; et moi je montre la photo de ma femme, la vraie, ce portrait d'identité fourré dans mon portefeuille !). Kohanim chéli veut m'exhiber ses pinçons sur la joue, « Regarde, là, regarde ! » - les traces ont disparu - quelle malchance ! Et si tout était inventé ? Si j'avais deviné toutes les affabulations, et qu'elle ne voulût plus me revoir, comme il arrive aux affabulateurs une fois sévèrement démasqués ? une fois qu'ils ont « perdu la face » ? de même Lazare n'était-il plus qu'un tout petit trou du cul, après dévoilement de toutes ses manigances... selon sa femme...
Mensonges, mensonges ! Nager là-dedans, y vivre !. « Vivre, c'est mentir » (Dostoïevski) involontaires, bien sûr, les mensonges ; la mauvaise foi. Rien à voir avec l'autre, le méchant, le bon gros mensonge manipulateur énorme...
X
Allongés sur l'herbe, nos corps à angle droit, les portières ouvertes délimitant au-dessus du sol un carré de couverture rouge au ras des pneus - « je ne veux plus souffrir », dit-elle. Qui renonce à souffrir, renonce à aimer. J'écris mais ne poste pas (« mon fils Brice ouvre le courrier ! ») : « Jamais je n'ai trouvé chez d'autres ta lucidité, ton scalpel ; aujourd'hui je comprends – je pressens. » Aucun reproche dans ta bouche - nous nous dessécherons, tomberons l'un de l'autre par simple décision. Si tu pars ne me méprise pas, comme pour ceux d'avant. » Puis le temps du froid, sans nouvelles.
La mécanique informatique ayant rompu la relation, quatre nuits de panne et nous voici éliminés, abandonnés du monde et de ses prothèses ; Kohanim ne me croit pas, je ne crois plus non plus.
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Revient sans cesse en cause la coutume, inversée, des îles Malinovski : « On ne fait l'amour qu'avec celui dont on partage les repas ». Or les Trobriandais répètent : « Baiser dans les buissons, tant qu'ils veulent ; mais ne jamais manger ensemble, si l'on n'est pas dûment mariés » - tabounon sexuel, mais alimentaire.
J'ignore quels sangs se mêlent dans ses veines. Pour moi je viens de Louis le Pieux : frontalier de Lothaire, et de Lotharingie.
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« Si ton mari ne sait pas que tu le trompes, tu ne causes aucun tort. » Et autres arguments. « Il faut que nous arrêtions. Je fais quelque chose de mal » - « Je t'aime trop, je te quitte. » Cela n'existe pas que dans les livres. Elle a pensé se faire prendre au mot, abandonner. La litanie, l'antienne, le radotage, prétendent tout rehausser aux dimensions atemporelles : ni début, ni milieu, ni fin ; tout aura existé de toute éternité. Amour cyclique, carrément... Par cette quadrature du cercle je cherche à me dégager de tout libre-arbitre. Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent ? à d'autres, Victor. Mes imaginations m'ont bercé, ou exalté,sans que j'aie rien fait pour que quoi que ce soit se matérialise : « immaturité », disent-ils.
Regarder Kohanim, m'enivrer d'amour et de cendre, gémir, infantile - tout dans le bec sans rien bouger - conserver l'épouse et la maison d'adulte, jusqu'à l'avènement du temps ? ...réfléchissons : si je m'imagine, en même temps, que les autres sont responsables du mal qu'ils me font ? deux poids deux mesures ? pourtant j'ai bien le sentiment d'avoir construit cet amour de toutes pièces, de tout mon vouloir. Je me félicitais de cette volonté, même funeste. Une femme sensible à mon corps dès le premier instant où je la touche, comment pouvais-je imaginer cela. Son plaisir à présent - est-ce un acte médical ? un pas gymnastique ? «Mettre l'amour au pas » : l'homme ne « fait » pas jouir la femme. Qu'il ne tombe pas dans le piège où se précipitaient les Américaines des sixties, qui balançaient leurs lourds regards fardés sur les hommes au-dessous d'elles « si celui-ci me rate, quel con ! (« loque », « ordure »)» - mais c'est la structure même de chacune, et son expérience propre, qui feront qu'elle jouisse ou non - homme, fais tout de même ce que tu peux...