Proullaud296

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Prémisses de l'amour

 

  • Elle dit « Mon amour n'était pas éveillé ». Je crois que si. Je ne voulus pas répéter l'expérience de V., 38 ans, moi 25 : « je ne viens pas », disait-elle (sévère, chemisier marine)« chercher l'aventure : juste prendre des cours”. Dont acte. “Mes besoins sexuels »  (disait-elle) je les comble à la va-vite, ni plus ni moins, comme on pisse. » Château d'Aurillac.JPG

  •   Et dans mes yeux je mettais « Montrez-moi, montrez-moi... » votre branlette express) - entre elle et moi passaient des ondes de torpeur où chacun savait bien, dans la suffocation de l'été, ce qu'il voulait de son corps. Ce sont des temps d'effrayante ancienneté,n'est-ce pas 75 ans qu'elle aurait désormais, bien sonnés ? par suite d'un accident, où son mari avait perdu la raison, son nez saillait à peine, un charme de camarde, trois cartilages pris d'une autre partie du corps et mal rajustés, toujours en semi-dislocation sous l'épiderme et la monture des lunettes - sanglée, revêche autant que moi -   que je ne revive plus cela, ces faussetés. Sa sœur qui paraît-il dansait nue au Crazy Horse, ces filles renvoyées sitôt qu'elles touchent un client couchant à deux par chambre – de qui venait un tel raffinement de perversion ? «il est difficile en effet » ( les interviewers insistaient) « d'avoir des liens amoureux à l'occasion du travail ; nous sommes mariées avec notre métier.L'équipe du studio, les auditeurs, bouleversés, n'apprenaient plus qu'une chose : les chastes, les prudes exhibitionnistes en scène, se transformaient bel et bien en branleuses à deux - – les frustes bites des touristes se persuadant trop volontiers - que le Crazy Horse, régiment de gouines, brûlait de tendres vertus...

  •   Cependant ma Hanem rassemble pour son cours des documents sur table. J'étale mes connaissances et mon parti pris d'enseignant collaborateur : « ...ce que nous voulons faire ensemble. » C'est toujours ainsi qu'il faut faire : feindre le pied d'égalité. L'anti-Leçon d'Ionesco. Et je la faisais lire à haute voix. Elle articulait, sd'une voix douce d'ocarina, sans grande expression, avec une application touchante. J'appris plus tard qu'elle faisait lecture ainsi à son mari Nikos pour l'appâter. Jouait à la maîtresse. Nikos était sa créature, jamais Pygmalion n'abandonne sa statue. Et je couvais de tous mes yeux d'attention, de ferveur – de tendresse me dit-elle un jour - ma dernière élève.

  •   Et ses yeux se levant un jour de son livre sa voix un instant se suspendit, à me voir ainsi par-dessous. Il faut aimer profondément ses disciples. Puis de nouveau la nuque s'inclina sur les pages. Vêtue sobrement : cela m'avait bien plu. Pas le genre de femmes à poitrine expansive -    «pas pour toi gros porc” - mais j'étais observé moi aussi. Les cours passèrent.

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  • Nous habitions, Lazare et moi, une cabane en rondins toute en recoins : mon bureau donnait sur le jardin, pelouse détrempée, par capillarité, aux moindres crues du fleuve. Le battant de bois, rebondissant doucement sur la vigne vierge extérieure, se rabattait sans cesse vers moi ; je préférais alors allumer ma petite lampe au lieu de me pencher sans cesse pour le repousser : c'était là que je préparais mes cours, sur des feuilles A4 non lignées.

  •   C'était un plaisir pour moi d'imaginer mon rôle.

  •   En un certain début d'après-midi, rédigeant un schéma de questions sur Baudelaire ou Swift, il me vint ce fameux pincement de cœur, dans cette antichambre.

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  •   Et jamais je n'avais ressenti cela depuis ma haute adolescence, me surprenant à murmurer “Liétouva chéli” en hébreu et français, car celui qui ne met pas son âme et son cœur entier dans sa leçon ignore ce que c'est que d'enseigner. J'amorçais déjà de ces conversations ambiguës, où chacun sait à quoi s'en tenir mais aimerait, sans trop paraître se défier, s'assurer. J'ai sonné, elle m'a ouvert, nous sommes entré dans la cuisine où se tenait désormais la séance pédagogique ; puis nous avons commencé à interpréter Baudelaire, ou Corneille (« Cela ne m'intéresse pas beaucoup ») mais je ne ressentis plus rien. Je faisais mon boulot, question-réponse (le contraire de ce qui se fait à présent), et peu à peu je distillais ma Passion de Maître. Le fils Enten m'avait dit un jour : “Arrêtez de vous demander comment nous dire que - vous nous aimez...” Cela se voyait donc tant ?... Qu'il me soit beaucoup pardonné pour ces mouvements de mon cœur.

  •     Je me souvins alors de cette autre lecture, guerrière (La légende des siècles) d'une si petite brune aux cheveux lissés, si émouvante : elle essayait de faire tonner sa voix sans parvenir à dépasser le premier rang. Emu aux larmes, je lui fis tout poursuivre jusqu'au bout (c'est ainsi que Roland épousa la belle Aude).Cela remonte à ma préhistoire, et le C.E.S. de C. ressemble désormais à quelque monstrueuse chrysalide en plaques de verre, sans la moindre ouverture vers le ciel.

 

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  •   D'elle à moi, 17 ans d'écart : 46, 63 - nombre du jeu de l'oie, limite alors d'une existence humaine. A présent Hanem frôle la cinquantaine, sans soupçonner qu'elle aborde la plus féconde décennie de sa vie. Ayant cherché plus tard ce que nous nous offririons de plus intime, nous découvrîmes, elle, un doudou de fille ; moi, dans une petite boîte à pilules, trois ou quatre dents de lait, recueillies par ma mère. Hanem les glissa dans son corsage - me les eût-elle rendues, ces dents, je les aurais jetées dans le première regard d'égout venue ; non que je fusse amoureux à ce point, mais il me semble morbide que ma mère ait tenu à conserver ces ossements intimes.

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  •   Je ne me suis pas laissé aimer par ma mère. Cette première sensation d'amour j'eusse voulu l'entretenir (nostalgie ?) au Maine-Giraud, dans cette pièce exiguë où Vigny rédigea d'une traite le premier jet de La mort du loup. Mais rien ne me vint ce jour-là. Tant d'années après, j'entretenais, je ravivais la flamme : sitôt que j'entrevis Hanem en position d'enseignée, je ne songeai qu'à dispenser mon savoir, ce jour-là très moyen.

    • Nous étions proches à nous toucher, sans réagir. Le mari, mystérieux, se glissa dans la pièce - «ne vous dérangez pas » - pour un couteau à chercher ; j'imaginai pour le mettre en confiance de l'inviter à l'un de nos cours. C'étaient Les mémoires d'Hadrien. GK se tournait vers lui pour répondre : “Ce n'est pas votre mari qu'il faut regarder, mais moi”. Le texte décrivait une tempête, topos antique, d'Homère à Foligno. Nikos semblait ravi.

  •   J'appris ensuite l'ivrognerie de ce mari, ainsi que sa totale gentillesse : le mot venait d'elle. Plus tard elle admit que cet homme était aussi cultivé qu'on peut le désirer « Il faut bien qu'il le soit » disait-elle, puisque je le vois toujours vautré devant l'écran, même devant Arte. » . Plutôt cependant demeurer seule que subir de tels épiages : il la serre au cul sitôt qu'elle s'approche de l'ordinateur, où Dieu merci nous avons ménagé une cache informatique ?

  • Mais la voici qui joue la carte de la réconciliation conjugale : Kyrios Nikos baise bien. Mieux que moi. Bien plus efficacement. Il se retient à volonté. Il accompagne désormais partout sa femme, au cinéma, aux chiottes, en promenade.

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  •   Moi non plus je ne cède rien : mon épouse est malade, toujours je la servirai, nul ne me déviera, moi non plus, de mon serment (« N'espère rien de lui ; il ne lâche rien. ») Je suis allé trouver ce fameux baiseur hors-pair : je n'ai trouvé que finesse. Ni voix pâteuse ni tremblement dans le service du jus de fruit. Ces deux-là, entre lesquels je veux m'introduire, comme un coin, s'entendent bien, car ils parlent d'amour entre eux, ils font le point sur eux-mêmes ( conseils aux couples en difficulté  : « Faites parfois le point sur l'état de vos relations » - je ne le fais plus, et pour cause, avec ma légitime) - je dois donc escompter de fortes résistances. « Je n'ai plus l'intention de lui faire subir à nouveau tel enfer » disait-elle de lui ; il en avait perdu dix kilos dans le mois) moins pour d'éventuelles relations du corps que par le simple fait qu'elle serait amoureuse d'un autre – il l'a vu dans ses yeux.

 

Commentaires

  • Un enseignant collaborateur maintenant c'est un prof qui soutient à fond l'immigration - et il y en a, gavé !

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