Proullaud296

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Mon protecteur est un serial killer

 

Je lui oppose le massacre de Longrupt, perpétré par PAZIOLS. Elle dit que c'est un de plus. Je dis : « Massacre de civils. Par un fou que je connais.  - Je ne tiens pas compte des massacres privés ; qui parle de cela ? » Je lui fais tenir le vieux journal que je conserve dans un tiroir. Il passe, inaperçu, dans ses mains au henné. Je suis le seul encore à me pencher sur le sort du meurtrier blond, à soupeser la terreur de son acte. Abinaya demande posément comment je l'ai connu. Je brode. Je ne suis pas si réservé qu'on croit. Quand elle est repartie, des tirs nourris écrasent les Quartiers de l'est, c'est à présent que je n'y suis plus, j'envie nos héros qui meurent glorieusement.

 

Je me suis renfoncé au cœur des pièces intactes. Sur un sofa obscur je repasse ces jours si richement exposés, si brefs ; j'ai plus connu d'humanité qu'en neuf mois de lectures. J'entends encore étouffés par les pièces intermédiaires le tir déchirant des canons de montagne, je pense à la Zurichoise paralysée dans sa chambre d'hôtel. Il faut pourtant que je retourne parmi les hommes. Et je rêve aussi d'un pays rasé ; un vaste parking. Tous les matins la population serait conviée à l'exercice. Paziols me bat froid ; il fait irruption au Palais, il est véritablement devenu fou : il croit à l'action.

 

Le voilà qui m'entraîne en ville. J'avais juré que non. Sur le ventre il tient son pistolet-mitrailleur constamment braqué. Je sais qu'il existe des guerriers qui baisent. Il veut tirer la couverture à lui. Il compte sur le meurtre, comme il est naturel (fondation d'une secte de haschischichin?) Il expose son projet avec sérieux. Il cite Spinoza. « Depuis le temps qu'ils m'appellent Paziols-le-Fou ! » J'ai connu cela : je vidais mon chargeur sur les chèvres. Cette nuit, des appels terribles m'ont réveillé : mon Père mort – me réclamait. C'était un rêve. Sur les quais les canons s'échangent de grosses merdes d'acier. Je retourne à l'abri. La vie devient sérieuse. Ne pas oublier que tout bilan se dérègle à le faire.

 

Je reviens à ma peau ; voilà une bonne résolution. Je commande un plan neuf de la ville à ma domesticité : qu'ils me tracent exactement les délimitations de zones – j'en ferai photocopie pour Abinaya. Quant ils me le remettent, mes chaouchs ont tracé à l'ouest un grand « quartier des fous », tenu par Hamri « le Rouge », l'ancien Directeur de l'asile de Damas. Mais moi, j'ai Paziols. Plus au nord, l'hôtel de Touled et ses « moslims » loqueteux ; au sud-est, le quartier chic aux avenues blanches : Palais Présidentiel, Hôpital où mourut mon père. Il m'est apparu désormais, il me parle : je comprends mal qu'il soit resté alerte aussi longtemps qu'il ait vécu, tirant les cartes et composant d'inquiétants aphorismes ; depuis qu'il a disparu (je n'ai pas vu son corps) il vient de nuit, sous un bonnet à la Daumier, portant des couches anti-énurésiques.

 

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Il me paraît plus sensé encore. Paziols, c'est vrai, me plaît davantage. Mais il est creux. Mystérieux aussi, comme l'action, comme le meurtre, le meurtre seule action possible. Tuer des membres de sa famille..., des gamins de village... - quel enfantillage ! Il y a mieux à faire : « Paziols! - Me voici ! “Que penses-tu des factions de Motché ? - Tous terroristes ; quand je les aurai tous dézingués je reviendrai chez moi. Tuer pour la guerre : pas de mérite ! Ça gâche le métier... Le meurtre est affaire de famille.” Comment m'y retrouver. Mourir pour la patrie est un si digne sort / Qu'on briguerait en foule une si bell e mort / Mille l'ont déjà fait, mille pourraient le faire / Mais contre un autre soi tourner son propre fer ... - je voudrais citer tous ces vers où j'apprends, ironie ! qu'il est plus noble de tuer les siens que ses ennemis - “amoureux de Paziols” ? Quel excès... Nous ne voulons rien compromettre, lui et moi – je l'entreprends sur la morale, pour la forme.

 

- J'ai tiré au hasard, dit-il ; les uns de ma famille, les autres non. Il m'apporte de vieux journaux : “Qui parle encore de moi ? ...je sortirai en ton nom du Palais. Passe-moi la liste, pour les courses.” Il trouve encore à manger. Je fouille dans son filet, à la recherche d'une tête,d 'un genou. Cela nous fait éclater de rire. “Pour qui travailles-tu, Paziols ? - Pour Hamri. - Mais tu restes à l'est, avec moi ! - Je traverse tout ce que je veux.” Il me dit que la veille il a repéré un touriste : il se baladait les mains dans les poches et la gueule en l'air. Tout le monde le voyait. “Personne n'a visé. Trois Arabes l'ont cerné. Il répondait par des vannes, il ne sortait même pas ses mains de ses poches. A la fin il s'est pris un coup de crosse, alors il s'est dégagé, il a saisi un canon de revolver à main nue, le coup lui est parti dans la paume, il a chouré le pistolet, il a flingué tout le monde, il s'est barré par un trou de mur, il a rejoint des miliciens qui le couvraient en rafales, à tout hasard - “et c'est comme ça qu'il a choisi son camp” dit Paziols. Le lendemain j'apprends que cet homme s'est réfugié dans le nord du pays, près de Louqsoum – ici Paziols s'embrouille, jamais il ne m'avait autant parlé, bientôt c'est moi qui lui demanderai de ne plus se confier.

 

A la télé de fausses grosses blondes damascènes agitent leurs seins sous des bonnets résille. Paziols et moi fumons devant l'écran comme un vieux couple, il ne quitte pas son PM.sur ses genoux Tous les matins il part à la guerre comme au boulot. Le soir, il pend son casque à la patère et me lance : “Qu'est-ce qu'il y a pour dîner ce soir, chérie ?“ Je le soupçonne de me tromper. “Mais non” dit le tueur. Le lendemain il m'apporte des fleurs dans une douille – et un gâteau – un gâteau! - puis il m'équipe : “Tu ne descendras pas la colline comme la première fois, les bras ouverts, les mains percées. Je vais te donner une arme définitive. Prends-en soin. “ Je me force à rire : tant de simplicité !

 

Paziols cligne de l'œil : “Attends.” Il porte sur lui, dans une poche intérieure de treillis, toutes les photographies de ses victimes. “Quelques jours avant le drame”, dit l'article. Ce sont des

 

enfants qui, ayant joué, pourrissent ; des vieux, qui n'avaient plus grand-chose à faire , des gros ; un instituteur, une mariée : “Ma sœur”, dit Paziols. Je lui demande s'il retournera là-bas, dans les Vosges ; il me répond qu'il n'a plus personne à tuer. Que les Druses sont descendus occuper le village, qu'ils tirent à vue – les Druses ? ...il déménage. “Il n'y a plus un insecte vivant.” Je redemande les photos, trop vite vues, je fouille les regards - désespérément creux - où je cherche en vain la peur.

 

ILS SONT MECONNAISSABLES. Et je ne peux connaître les gens qu'à travers leur peur.

 

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