Proullaud296

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Drague homo

 

 

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Comment vivent-elles ? À quel avenir rêvent-elles toutes deux ? Quelles sont leurs techniques de masturbation ? ce sera pour toujours leur plus grand plaisir. Au bar le rock plein pot. Un jeune homme vient s'assoir, me demande si je suis espagnol. Je suis un extranjero. Lui aussi, marocain. Tous pédés. En français d'abord, hésitant, nous gueulant les phrase par-dessus la table et les cannettes, que j'enfile, vite, vite. "Je ne te dérange pas, Bernard, au moins ?" - mais si mais si, les voyages pour moi sont tout ce qu'on veut sauf des rencontres, pour les conneries qu'on peut se dire. Si tu veux faire des rencontres, tu n'as qu'à mettre le nez dans ta rue. Ici, c'est entre paumés. La pitié nous aiguise les regards. Je mobilise – il mobilise ? - toutes les ressources de l'art dramatique pour bien montrer que non seulement je ne suis pas dérangé, mais qu'il m'est infiniment agréable de l'l'avoir rencontré, que je n'attendais que lui, dans ma misérable solitude - l'autre se pique au jeu, me révèle qu'il récolte les melons, ici, en Espagne – ses semblables, ses frères, mort de rire. Il me paye un autre bar, me dit de ne pas parler espagnol, parce que je ne dis que des conneries, le barman bouffi nous regarde à travers son apathie, nous tend même la main au-dessus du comptoir, bières, toilettes, bières, toilettes.

 

Mon ami autoproclamé admire à présent tout ce que je dis. Au troisième bar, il m'assène ses malheurs ; on le prend pour un voleur, "le barman d'avant, je voyais bien qu'il pensait tiens le Marocain qui va encore se faire un touriste", je mange un plat de poisson frit qu'il tient absolument à m'offrir, c'est imbouffable, quelle veine j'ai eue de rencontrer un être humain, et dans la rue piétonne, de bar en bar, nous titubons, en nous entrechoquant l'épaule et la hanche – tu vois, je ne l'ai pas volé le Français – je n'avais rien dit, proteste le premier barman, c'est toi qui te fais encore ton cinéma – mon Marocain s'appelle Mardi, le Béni. Autant dire Benoît. Il me dit "Je pars le premier, toi ensuite".

 

Mais qu'est-ce qu'il s'éternise. Nous échangeons nos adresses, moi je lui donne, pas fou, celle de mes vacances – devenue depuis la mienne en vrai, pourvu qu'il ne vienne pas se repointer. "Tu ne veux pas aller encore dans un bar ?" - cette fois-ci, le drapeau est mis, c'est une boîte à tantes. Je décline : "Il faut que j'aille dormir dans ma caisse" – bien me garder de révéler qu'elle est stationnée là, au coin. "Va-t'en Bernard, va-t'en, je ne peux plus supporter tes yeux" – je les ai écarquillés, fixes et perçants, surexcités de fatigue, de sueur dans les sourcils, exténués d'incessante concentration artificielle – la Joie des Rencontres en Voyage – l'ami Mardi voulait faire le fou, mais sans aucun scandale, modérément.

 

Moi je ne connais pas de milieu : ou la police, ou la philosophie. Et Dieu sait que nous avons philosophé. "Tu demanderas où est Untel ; celui-là, c'est un ami – tu comprends ? Un vrai, pas de ceux qui jouent l'amitié pour te débiner par derrière" – tiens, ça s'appelle "débiner" ? Nous revoyons, à l'extérieur, les mêmes filles en jupes courtes, peinturlurées sur toute la gueule, hors du monde – "Bien sûr que j'aime les femmes, Bernard ; on les aborde ? - Pour leur dire quoi ? Tu te figures peut-être qu'elles ne vont pas comprendre pourquoi on les aborde ?" Toujours été comme ça, parole : tous ces faux-semblants, ces tourne-autour-du-pot, pour en arriver là, une fois sur cent, que dis-je, cent... au bûcheronnage quadrupède, cul à cul à péter comme des ânes dans la canicule. Elles repartent toutes fières sans doute d'avoir fait bander deux ivrognes par 38°, l'Espagne est en marche mon pote, les femmes se libèrent, qu'est-ce que tu crois, le doigt dans la fente jusqu'au poignet, les hommes ça voit le mal partout, si Mardi est pédé (j'en suis sûr) c'est parce que j'ai repéré les suspensions de voix, la cassure que je connais par cœur dans les conversations où le dragueur d'hommes se demande avec mille pincements s'il osera ou non se révéler. Je ne supporte plus tes yeux Bernard. Ils étincellent de fatigue et d'extrême embarras. Va t'en, va t'en, ou ça va dégénérer. Le poing dans la gueule. Ne joue pas trop avec les mots, Bernard. J'aimerais, et je n'aimerais pas. Oui par les yeux non par la bouche. Tourner le premier coin, rejoindre vite l'abri surchauffé, refermer sur soi les battants arrière. Le rideau couvre l'avant, quiconque passe voit mes pieds – Mardi me découvrirait, me défoncerait jusqu'à la gueule. À deux heures les enfants crient toujours, pissons : c'est un renfoncement de mur. Juste en face au premier survient au balcon un gros balèze, jambes écartées les poings dans le short, bien décidé à m'engueuler aux premières gouttes. J'ai fait ça plus loin, sous la lumière aveuglante d'une rue étroite, contre un mur de crépi qui m'arrose tout le tibia. Et dès cinq heures, premiers pas de touristes, premiers vélos très mous des prolétaires de l'aube.

 

Alors j'ai dégrafé le rideau, escaladé le siège avant, et, dans ma crasse, repris la route. Le soleil a levé sur tribord son gros œil rouge et menaçant. Très longue étape vers le pôle en évitant Aranjuez où je vis chier de dos naguère un petit brun sec ; éviter Madrid par Gétafé, haut lieu de la Guerre d'Espagne. Sur l'Atlas une écharpe rouge enserre la capitale, frontières de districts, autoroutes numérotées qui de çà de là me renvoient au Pardo : Via prohibida, culs-de-sac successifs, jeep de flics en faction devant le portail blanc, Campo Militar, je décampe au premier tibia kaki descendu sous la portière, Madrid abrupt à l'horizon sur ses ravins pelés, sur babord en contrebas trois bergers, des moutons, hors d'âge.

 

Commentaires

  • Et comme disait Till Ulenspiegel : "Quand tu me mettras le nez dans le cul, n'oublie pas d'enlever tes lunettes !"

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