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Les Provinciales de Pascal

 

« Ne commencez pas » nous dit le sieur Dantzig «Blaise Pascal par Les Provinciales ». Eh bien pourquoi pas, cher Maître, dans la mesure où les fameuses Pensées, si géniales quand elles se construisent à partir de Montaigne, dérivent à la pure bigoterie plus ou moins antisémite vers la fin, peu souvent étudiée (comme cela ne surprendra pas) en classe. Nous avons dans Les Provinciales une explosion de talent humoristique et persuasif tel que cette œuvre, destinée à quelques curés ou théologiens, est parvenue jusqu'à nous dans un bel état de fraîcheur humaine, et nous empoigne encore (non sans nous avoir quelque peu endormis par endroits). Il s'agit de lettres envoyées « à un provincial par un de ses amis » sur une certaine dispute survenue en Sorbonne à propos d'un certain différend théologique.

 

 

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Les prétendues opinions d'un certain Jansénius, évêque d'Ypres, en actuelle Belgique, auraient affirmé que le bon Dieu sauve ceux qu'il veut sauver, puisqu'il sait d'avance qui sera sauvé, car il sait tout, n'est-ce pas. Ce qui fait que les pauvres diables qui accumulent les bonnes actions pourraient tout aussi bien être damnés et rôtis en enfer. Cela ressemble furieusement à la prédestination. De l'autre côté, les jésuites affirment que les bonnes actions, les bonnes œuvres, nous accordent l'obtention du paradis à la fin de nos jours, car l'homme est libre de faire ce qu'il veut, libre de pécher ou de bien se conduire ; on appelle cela le « libre arbitre ». C'est l'opinion la plus communément répandue, de nos jours encore, hélas.

 

Et vous objecterez que nos contemporain se soucient peu de ces choses, que les théories dites de Jansénius, ou « jansénisme », ont été mises à bas par Louis XIV, avec les murs de Port-Royal, et désavouées par le Pape en 1710, voir la bulle Unigenitus. Certes. Assurément. Mais toute théologie mise à part, le débat reste actuel, pour déterminer par exemple le degré de responsabilité des criminels ou de l'homme du peuple. A ce débat éternellement ouvert s'en superpose un autre : rien n'arrive que par la volonté de Dieu ou du moins par la volonté du Mystère. Car sans aller jusqu'à l'enfer ou au paradis, nous voyons bien que certains s'efforcent et ratent, que d'autres ne font rien et réussissent, ce qui est rare , et que certains s'efforcent et réussissent.

 

Et cela, dès ce bas monde. Les plus orgueilleux parlent de leur travail et de leur volonté, les plus modestes parlent de leur chance. Travail, oui, mais gros coups de chance, dit Galabru par exemple. Posons donc qu'il existe un certain principe, un certain hasard, un certain mystère, qui donne le salut en ce monde-ci à certains, et qui ne le donne pas à d'autres. Admettons que les personnes du XVIIe siècle appellent ce mystère « Dieu » : pour le croyant, il existe, pourl'incroyant, ou celui qui doute, ce sera une commodité de vocabulaire, comme « n » ou « x » en mathématiques. La religion en ce temps-là tenait lieu de politique, de même qu'à notre époque la politique tient lieu de religion. Il faudra donc vous habituer aux mots « Dieu » et « salut » comme équivalents de « Principe Mystérieux de la Chance » et « réussite terrestre ». La « Chance » sera appelée « Grâce de Dieu » et la « réussite terrestre » « salut éternel ». Cela dit, rien n'arrive sans intervention de la Grâce de Dieu ou de la Chance. Mais à qui l'envoie-t-il ? À tous, ou à certains, qui seraient les heureux élus, ou les élus tout court ?

 

Dans le doute, certains se mettront à voler ou assassiner. D'autres, à se conduire le mieux possible, pour qu'au moins, Dieu ou la Chance ne se trompent point. Comme si Dieu pouvait se tromper, voyons ! Donc, bien se conduire, c'est comme acheter un billet de loterie, et se conduire en assassin, c'est ne pas acheter son billet. C'est pourquoi les jansénistes observaient un modèle de vie très austère, tandis que les jésuites favorisaient la vie facile, un peu trop même selon Pascal. C'est tout de même paradoxal : ceux qui pensent qu'il ne vaut pas la peine de vivre saintement vivent saintement, et ceux qui croient que les bonnes actions nous seront payées en l'autre monde ou en celui-ci – se relâchent et tolèrent à peu près tout.

 

Mais revenons aux Provinciales, que nous n'avions pas tellement quittées : cette série de lettres s'inscrit dans une actualité qui n'est plus la nôtre. Cependant, elles combattent le mensonge, la perfidie, la calomnie, et cela, c'est de toutes les époques. Premièrement, les théories jansénistes que l'on pensait incluses dans les écrits de Jansénius ne s'y trouvaient pas. Il est inexact de prétendre que Jansénius (1585-1638) avait repris les thèses parfaitement catholiques de saint Augustin, puis les avait déformées. Il suffirait d'y aller voir, mais les jésuites ne veulent pas y aller voir. Ils se contentent de proclamer que l'évêque est hérétique, et puis il est hérétique, et puis il est hérétique, na, et si vous demandez à vérifier, c'est que vous doutez de nous, de l'Eglise, du pape, et vous brûlerez en enfer, parce que c'est l'Eglise et les jésuites qui le disent.

 

De même, sans avoir lu Salman Rushdie parce que de toute façon c'est un péché, vous devez croire vos imams et vous déchaîner contre cet auteur, pour l'excellente raison que des imams vous l'ont dit. On appelle cela le « principe d'autorité ». Vous pouvez remplacer « les imams » ou « les jésuites » par « BHL » ou « Michel Onfray ». C'est comme vous voulez. Pascal n'a aucun mal à s'indigner contre de tels raisonnements qui n'en sont pas, il ironise à tour de bras, et répond même à ceux qui lui reprochent d'avoir ridiculisé de saintes personnes : oui, mais si ces pères jésuites se ridiculisent eux-mêmes par leurs obstinations absurdes, ils ne doivent s'en prendre qu'à eux-mêmes ! Le plus grave, c'est qu'ils brailllent tellement, ils excitent tellement les passions et la haine qu'ils deviennent dangereux, ils condamneraient les gens au bûcher ! Remettre leur parole en doute, c'est blasphémer ! Même des papes s'y sont mis ! On ne discute pas les grands maîtres !

 

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