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"Un secret", de Philippe Grimbert

 

 

Un secret, de Philippe Grimbert, c'est, nécessairement, l'un de ces cadavres que les familles ensevelissent toujours au fond d'un profond placard : vous en avez forcément un. Ici, les cadavres sont deux : une femme et son enfant, dont le nom s'écrivait G-r-i-n-b-e-r-g, soit « la Montagne Verte » en yiddisch. Et la façon dont ils sont morts, vous l'avez devinée tout de suite. L'auteur s'appelant Grimbert, en orthographe francisée, ce qui est le nom du blaireau dans le roman de Renart, vous en conclurez qu'il peut s'agir d'un roman autobiographique, ce que j'ignore. Et c'est enfant, c'est le grand frère qui a précédé le narrateur : vous savez qu'il n'y a rien de plus déstabilisant que d'avoir un frère aîné mort, auquel vous serez toujours comparé, voir Salvador Dali.

 

Je ne vous dis pas tout, intentionnellement, car le livre se lit volontiers, mais s'oublie vite aussi. C'est qu'il existe désormais une catégorie d'écrits que l'on pourrait appeler « romans de Shoah ». Ou témoignages, modifiés, je ne vais pas dire « embellis». Seulement, si c'est sous une forme romancée, le lecteur est en droit d'attendre une composition, un style, une émotion, impeccablement maîtrisés. Ici, de crainte sans doute d'en trop faire, Philippe Grimbert ne me semble pas en avoir fait assez. Trop court. Pas assez d'analyse, ce qui est paraît-il superflu (« oiseux », tel est en effet le mot juste). Pas assez de précisions non plus concernant les liens familiaux : nous ne savons pas toujours très bien qui est l'épouse, la sœur ou le cousin.

 

Nous ne sommes que des lecteurs, c'est-à-dire de modestes voyeurs, non concernés pour la plupart. Mais pour que l'on puisse s'intéresser, littérairement, à des personnages, il faudrait qu'on nous les eût présentés autrement qu'à grands traits, qu'on se fût attardé sur leurs caractéristiques et leurs comportements. Certains auteurs décrivent cela par le menu, si bien que leur personnage, dès qu'il bouge un pouce ou l'index, paraît à la lettre soulever des montagnes. Ici c'est sec. Le dilemme n'a pas été jusqu'à présent résolu : « écrire après la Shoah ». Ou bien le document pur, ou bien la déploration lyrique. Ou bien le silence, face à l'indicible même. Quelle que soit la véracité des faits, ou l'émotion profonde de l'auteur, il n'en transparaît rien ou presque. Même la sobriété, la sécheresse, provoquent un effet de trop, ou de trop peu.

 

 

La petite fille à l'arrosoir.JPG

C'est le fameux style « passe-partout », sujet-verbe-complément, qui peut aussi bien convenir pour une déception amoureuse, ou l'exposition d'une situation politique ou syndicale. Nous comprenons qu'il s'agit de pudeur. Nous comprenons que nos exigences esthétiques paraissent dérisoire, voire inconvenantes. Mais l'empathie, je ne l'ai pas ressentie. Il ne s'agit pas en effet de décrire ce qu'il y avait à l'intérieur d'un camp, où il n'y « avait » rien, justement ; il faut nous transmettre les recherches angoissées d'un enfant pressentant qu'il y avait quelque chose, quelqu'un, des gens tout proches de son père, avant sa naissance, doublement adultérine (il l'apprendra plus tard). Et cela pouvait se faire, à condition que la manière d'écrire dépassât sensiblement l'étiage moyen de notre maigre écriture contemporaine. C'est appliqué. Ça ne veut pas « faire de vagues » ni « tirer des larmes ». Autrement, cela peut attirer des commentaires odieux, comme celui d'un jeune homme à la fin d'une conférence de Sollers : « Il suffit » (parfaitement, « il suffit ») d'avoir été dans les camps, et forcément, l'histoire sera intéressante et bien accueillie par les éditeurs ».

 

Sollers avait déjà débranché son micro, et tourné les talons, fatigué. Tant mieux. Botter les culs demande de l'énergie. Mais enfin, force est bien d'admettre que le style de Pierre Grimbert n'est pas à la hauteur de l'indignation, de l'émotion, de l'implication sollicitées. Ce roman sec ne m'est donc pas resté longtemps sur l'estomac. La lecture va suivre, en compagnie du narrateur-enquêteur, ce qui se rapproche des situations à la Modiano. Mais Modiano, c'est une atmosphère; ici, nous ramons à sa recherche . Le jeune homme a retrouvé le petit chien en peluche de son grand frère, utilisé par lui aussi : n'a-t-il donc été qu'un enfant de substitution ?

 

« Lorsque j'étais remonté dans la chambre de service pour y rendre Sim à son lit de couvertures, j'étais tombé sur un album de photographies, à peine visible sous la poussière, au milieu d'une pile de magazines. J'y avais contemplé Maxime et Hannah » (son père et sa première femme) « en tenue de mariés, j'avais vu la jaquette noire et le chapeau haut de forme de mon père, j'avais fait connaissance avec le visage inquiet de sa jeune femme, aussi pâle que son voile, tournant vers son époux ces yeux clairs qui allaient si vite se ternir. Les pages cartonnées s'étaient ouvertes sur des scènes de famille, des groupes d'inconnus posant devant des maisons ensoleillées, des plages, des parterres de fleurs. » Rien que de très ordinaire, à la sauce Shoah pour relever. Il est vrai que la Shoah est survenue au sein des existences les plus calmes. « Une vie en noir et blanc, des sourires aujourd'hui éteints, des morts qui se tenaient par la taille. » (ça, pas mal). « Enfin j'avais vu Simon, » (le grand frère disparu, jamais grandi), « dont les photos remplissaient plusieurs pages. Son visage m'avait paru étrangement familier. Je m'étais reconnu dans ces traits, à défaut de me retrouver dans ce corps » (bien vu). « J'avais glissé dans ma poche l'une des photos de l'album qui s'était décollée, au dos de laquelle une date était inscrite : on l'y voyait en short et en maillot, au garde-à-vous devant un champ de blé, plissant les yeux face au soleil de son dernier été » (émotion facile ? version édulcorée du bouleversement ? me l'être demandé serait un élément de la réponse).

 

Commentaires

  • Ne vous en faites pas, les éditeurs, c'est fini, je leur donne vingt ans. Et encore.

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