N'habitez jamais votre lieu de travail
Magdalena tente une autre approche : “Nous ne voyons jamais personne.” Il faut dire que la Cité du Purgatoire (leur domicile) se prête peu aux fréquentations, voire aux voisinages : des immeubles bas, allongés dans leurs briques rouges sur un terrain boueux, venteux... “Quittons ce désert”, dit Magdalena. Quittez ces bois, vous ferez bien [“Le Loup et le Chien”]- à vrai dire chacun d'eux vit sous un véritable déluge de contacts sociaux : patients de psy, potaches de prof. Un trop plein. Une hémorragie. Une diarrhée. Un déluge de diarrhée. De retour du travail il leur faut s'isoler, s'allonger, se reprendre – quant à recevoir... à être reçus... à écouter, parler, répondre - ils étouffent, certes ! Au cœur du Dédale Rouge alias Cité du Purgatoire (pour mémoire) – ce sont les lieux mêmes qui suintent d'inquiétude dit Térence (trop d'élèves habitent la cité, déversant leurs sarcasmes anonymes par les fenêtres ouvertes sauf l'hiver, le bienfaisant hiver.
C'est pourquoi aussi contre toute logique il veut rester ; Magdalena ne jurant plus que par B., port du Midi, où résident famille, amis - je préfère souffrir ici, seul, dignement. dit Térence qui se revoit, jadis, étudiant, à B., au Fac Mother où il reviendrait boire du lait fraise (je suis abstinent). “Je peux” dit Magdalena “rouvrir un cabinet rue J. [quartier des médecins] ; mon père médecin fournira l'argent.” Près de Paris, Cité du Purgatoire, Térence descend la pente et prend le train de banlieue, puis marche dans la Capitale (je prends mon exercice) “Tu ne visites même pas” dit “les expos” mais Térence affectionne Pari où l'air est plus vif dit-il, où j'ai l'impression qu'un jour il se passera quelque chose un peu comme un tirage de loto en province même pas de loto.
“Tu es un provincial” dit-elle. Arrive un jour de brouillard Cité du P. Les immeubles flottent, les angles s'adoucissent, la vue blanche porte à trois mètres. Térence marche avec soulagement : ni vu ni reconnu. Par temps clair je ne peux sortir de chez moi. Térence croit fermement que sous les fronts de quinze ans ne clapote que du fiel. Il est dur d'être enfant Cité du Purgatoire. Des cons formant barrage devant le bureau de poste. Jadis il était jeune. Peureux. Pas accepté dans les bandes. Il restait seul. A l'instant il voudrait leur casser la gueule. Baisser les épaules marcher droit ! mais il baisse la tête, il lève les pieds.
Ce sont les autres qui se tournent, qui sont gênés. Le pain. Les cigarettes. Les vélomoteurs au point mort. Doux bruissement. Juste de l'embarras, ce n'est rien, l'épaule au niveau de l'oreille, l'émotion sans doute, la baguette au-dessus du cabas. Térence trébuche il est mal habillé. Une pièce tinte sur le trottoir : Goo-oo-ood morning, Mister Elliott ! Dès qu'il a tourné le dos la Nuée glapit ! s'il se retourne il est foutu... Il se redresse. Démarche im-pec-cable. Tous les trois jours goo-oo-ood morning goo-oo-ood evening de très loin, de très haut – béni brouillard, béni brouillard.
Il ne faut pas frapper les enfants. Ça ferait du bien. Puis les hyènes. Ça recommencerait, plus haut, plus fort – je ne tremble plus – je respire à fond. Une fois tout de même l'un d'eux s'est pris toute la largeur d'un bouquin sur la gueule – c'est pas moi – qu'y gueulait – moi non plus – j'ai répondu. Pour se valoriser Térence a rédigé une Thèse sur Shelley (Percy Bysshe), correspond avec Oxford, Boston (Mass.), avec un tarif, un pèse-lettre (pas de queue au bureau de poste) ; la boîte aux lettres d'ici s'encastre dans un renfoncement. Terence prend les petits pas chinois dans l'herbe et dépose à l'abri son courrier dans une autre boîte lointaine ; le long du chemin les vitres renvoient son image droite et digne.
Ce lundi la poste a muré le renfoncement, les jeunes sont partis.