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  • Le chemin parcouru

    COLLIGNON LE CHEMIN PARCOURU

    L'EFFONDREMENT DE ROSSENBERG

     

    1) Nuit à Rossenberg

    a) les lieux (trois pages)

    1) le bâtiment et ses entours (une page)

    2) chambre blanche, petit lit de camp, portrait d'Henri V de Chambord. (une page)

    3) ma compagne à côté (une page)? et l'impression étrange des volets hermétiquement clos. (une page)

    canada,fillette,séisme

    b) les raisons pour lesquelles nous y sommes, (trois pages) le froid ou le chaud selon les saisons,

    c) élargissement de l'espace, sorte de vaste palombière aux ramifications immenses, cf. l'hôtel d'I. à l'horizontale.

    DIX PAGES (EN FAIT, SIX SEULEMENT)

    2) L'effondrement

    a) alors que je me balade, effondrement d'une aile, je sais qu'il y a qq dessous, je décris les bâtiments, cf. une illustration de la collection "tremblements de terre et catastrophes naturelles"

    b) les hommes vont sur le terrain (torchis, colombages), (laine de verre, masques) - moi, je suis méprisé, on ne me confie que le nettoyage de la vaisselle, aidé par des fillettes, puits à chadouf, bien préciser à ce moment la situation d'humiliation et d'infériorisation dont je suis l'objet dans ce groupe de merde.

    c) Evocation effectivement d'O. qui me traite de Gugusse et de L. qui me remet le moteur en marche. Ne pas hésiter à dévoiler alors leur peu glorieux avenir (digeridoo, Uruguay)

     

    3) Mes lectures, destinées à bien montrer combien je suis supérieur (Musset aux chiotttes à la caserne, chapitre sur Ulysse dans "Si c'est un homme", ceci avec l'une des fillettes. Mais, "après-midi vaseux".

    a) mon bouquin, sa découverte dans les décombres, mon rafistolage, ce que je m'en promets

    b) un commentaire là-dessus

    c) ma transmission, très chaste, pendant la nuit à la petite fille, cf. Nuit de Mai, "Que c'est beau !"

     

     

    4) Ma soûlographie en mémoire de l'ermite

    a) le menu pantagruélique "Au Paléolithique", "Au Grand Béarnais" à Sarlat, les sauveteurs se restaurent

    b) Je suis ridicule et hargneux, cf. le barak hongrois, les cinq litres de vin avec L.

    c) Une agressivité sauvage, ma paranoïa n'ayant cessé de croître

     

    5) Le voyage du retour

    a) Le trajet à travers le Bocage, avec la petite fille dont nous ne savons pas tous les deux qui est le père ; petite route et cimetière de G., pélerinage ultra-lent car nous n'y reviendrons plus.

    b) le peintre Manolo, les adieux à tous.

    c) engueulade magistrale devant la petite fille pour savoir qui de nous deux est le père.

     

    6) Il faut pourtant larguer la fillette chez sa mère

    a) l'accueil plus que mitigé, cf. Machinchose à Kekpar.

    b) accueil dégueulasse de la fillette, cf. fille de V. à Villaras, écoeurant.

    c) elle nous annonce qu'elle va l'abandonner chez une autre copine

     

     

    7) Achat de bouffe cours Dr Lambert

    a) je médite ma vengeance en achetant des produits avariés

    b) je me lamente sur ma vie ratée, en retraçant la vie antérieure de mon compagnon et de moi

    c) le repas est dégueulasse, avec la radio qui hurle sur le jambon d'York

     

    8) Toujours la soirée studieuse

    a) Je reviens sur Musset

    b) je fais le tour de tous mes bouquins

    c) je fais effondrer à mon tour toute ma cabane

     

    9) Coincé dans ma poche d'air, j'attends les sauveteurs.

    a) je me sortirai de là, j'irai à St-Flour

    b) je ne pourrai jamais, jamais vivre seul

    c) j'entends la voix de mon compagnon qui demande qu'on arrête les recherches, on m'arrose de créosote avant de mettre le feu.

    Pendant ce temps-là je creuse, pour m'évader, deux cents mètres plus loin.

     

     

    JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE JE

     

    I, 1, a (une page)

    Il est sur une bosse un lieu nommé « Calvitie  de Vénus », avec dans la clairière une maison de bois: trois étages haussés par-dessus les cimes, en tous points comparable aux maisons fermières de l’Ouest canadien (Calgary, Mouse Jaw) – où croissent à l’infini les beaux blés de printemps. Juste devant l’entrée règne une calvitie d’herbe sans trace de jardinage : le propriétaire, Stoffer Jyves, poussant de plus en plus, assis sur sa tondeuse, la machine à débroussailler, a dégagé le sous-bois, couragé le feu.

    Sec et décharné, le tondeur utilitaire et monotone poursuit à travers les âges son apocalypse - remise en fin de journée son engin sous son appentis. Sa femme Jamie au contraire entraîne dans son cercle tous ceux qui l’approchent, dans un sourire où s’évanouit toute disgrâce, accueillante aux visiteurs sans issue.

    L'extérieur consiste en ces ingénieux recouvrements de lattes goudronnées plus enchevronnées vers les vent du nord-ouest : volants de Gitane biblique figée grise et verticale, pâtisserie de bois badigeonnée d’enduits dont l’entêtant parfum bitumineux redouble à chaque réfection. De rares ouvertures s’étagent sous leurs auvents, prolongées jusqu'au sol par ces raides volées de marches métalliques imposées par la législation contre l’incendie.

    L'intérieur présente aussi ses raides échelles de meunier, trappes et rampes vernies, où se déclinent les couleurs de miel : il fait toujours bien chaud dans les étages.

    I, a, 2

     

    Le couple cependant évite les visites, les "intrusions". Jeanne et moi bénéficions seuls de leur hospitalité ; ils nous logent alors dans une chambre du rez-de-chaussée, à gauche, donnant de plain-pied sur la pelouse. Il y règne un froid glacial, à moins que nous n'y transportions un de ces chauffages d'appoint, aux résistances électriques rougeoyantes, à l'odeur entêtante : rien qui s'épuise plus vite que ces minuscules bouteilles de gaz compact, riches d'explosions absolument impossibles. Nous dormons dans un petit lit de fer luthérien qui grince lorsque nous y sautons, pour nous rejoindre et nous réfugier sous l'édredon. Les deux panneaux du lit, à la tête et au pied, présentent des ferronneries industrielles remarquablement conçues ; il n'y manque pas une volute, apparenté sans doute au mot volupté : le creux du matelas forme une étroite gouttière, et nulle nuit ne me revient en mémoire sans que je ne l'associe à d'intenses courbatures érotiques dues à l'emmêlement obligé des membres, tant supérieurs qu'inférieurs.

    Mais nous aimons bien notre lit, qui fleure bon le puritanisme et ses douilletteries. Ce n'est cependant pas un crucifix qui le domine, mais un portrait de Napoléon par David, avec tout ce qu'on peut imaginer de plâtreux, ce profil gauche empâté, au menton engagé dans la graisse, majestueux mais déjà déchéant, le jaune cru, "gros jaune", et les écaillures lézardant l'esquisse. Rien d'officiel. Que du cruel, malgré le projet de "portrait équestre". Dormir sous le portrait de Napoléon deviendrait obsédant, si nous ne nous endormions tout de suite elle et moi, sous son poids justement.

    Nos nuits sont encombrées de lourdeurs impériales propices aux infarctus. Le matin, lorsque sont enlevées les lourdes barres de fer qui closent le volet, nos regards se posent sur une affiche décharnée, occupant cette fois le verso de la porte : un horrible Christ aux Souffrances, chantourné par la douleur, ce qui veut dire creusé du dedans. Sur sa peau friable coulent des larmes de sang, comme autant de rubis malsains. Les couleurs sont donc : jaune impérial, rouge christique, gris d'agonie, et nous.

    Puis la clairière, dégagée juste sous nos fenêtres, dont il nous suffirait d'enjamber les bords pour fouler l'herbe des Rocheuses. Les volets de bois lourd résonnent en s'ouvrant sur les bardeaux superposés, comme autant de volants d'une lourde gitane noire et goudronnée, figée dans une verticalité digne d'Edith, femme de Loth : une figure de bitume.

    L'odeur stagne. Celle d'un bateau calfaté poupe en terre, comme un bloc de goudron fissuré.

    1 a 3 Ma compagne

    La femme qui est dans mon lit devrait être un homme. Un maigre à moustache, qu'il ne peut ni couper ni tailler. C'est bien plus facile de se faire enculer : comme une femme, rien à foutre et se laisser faire. On sait qu'on jouira plus tard, toute seule, tranquille, à la branlette. En attendant que le mec ait fini de se secouer comme un porc, on se sent utile, on sait où l'on va. Pourquoi n'ai-je jamais été de force à concevoir ce que c'est qu'une femme ? La mienne a des besoins tellement plus énormes que moi, tant en sexe qu'en sommeil, que je puis aussi bien me promener dans les sentiers de prairie pendant plus d'une heure, dans la rosée, avant qu'elle ait songé à s'éveiller.

    La femme qui est dans mon lit est une femme. Elle ne dort, en vérité, jamais vraiment : du sein de sa torpeur et quelles que soit les questions que je lui pose, elle sera capable d'émettre un soupir ou une opinion pertinente. Je ne sens plus son odeur. Nous emmêlons nos membres au petit matin, au début de notre liaison je m'étouffais sous le poids de ses jambes, puis j'en ai redemandé, ce jour-là j'ai compris à quel point nous formions un vieux couple comme on dit d'un cheval de retour.

    Je me suis plaint d'elle, c'était mon sujet de conversation : preuve d'amour, de même qu'un blasphème prouve l'existence de Dieu. Il n'y a pas de crucifix dans la chambre, mais tout un rite matinal est respecté, petits baisers sur la bouche et les yeux, frôlements de joue, expirations tendres, ma barbe grattant encore à peine, car je me suis rasé la veille au soir.

    Nous n'y avons jamais froid dans le lit ni la pièce malgré les - 25 au dehors, il y règne toujours une transpiration, une buée de la lèvre supérieure de ma compagne délicieusement semblable à un loir au corps grassouillet, et Dieu me préserve de trouver un jour emmêlé à mes jambes les raides tibias d'un mâle moustachu plus rassurant mais sec. Je me suis toujours demandé comment la femme peut porter le corps de l'homme, à voir combien nous sommes démunis, taillés comme des bœufs, bâtis en barre à mine ou mous comme des poires avec des érections défaillantes - elles me disent, les femmes, du moins la seule que je connaisse et qui les a remplacées toutes, "vous êtes attendrissants", "nous vous portons dans notre ventre", ceci bien que l'une d'entre elles ait osé proférer (je l'ai lu) qu'elle refusait d'être enceinte d'un garçon pour ne pas avoir un sexe mâle dans le ventre, mon Dieu...

    Puis nous passons au petit déjeuner, et là, d'un coup, c'est le silence : les corps ne se touchent plus. Ni mots, ni caresses, juste l'air abruti de qui a trop dormi, au-dessus d'un bol chaud. XXX 62 02 02 SV 92 XXX

    ICI SINGE VERT N° 107

     

    b) les raisons pour lesquelles nous y sommes, (trois pages) le froid ou le chaud selon les saisons, et

    1) ceux qui nous hébergent,

    2)nous leur devons de l'argent et des services, voilà pourquoi nous sommes là, tous les ans depuis des années,

    3)je n'ai jamais pu déterminer si mon mec (je ne suis pas homosexuel, nous nous débrouillons chacun de notre côté) couche ou non avec le mâle, cf. aussi le bossu d'Issigeac et cet hôtel abandonné.

     

    I, b, 1) ceux qui nous hébergent.

     

    Soixante-dix, quatre-vingts fois, nous aurons débouché dans cette salle sentant la cendre été comme hiver, frissonnant le matin sous nos peignoirs troués, retrouvant sur la table invariablement les toasts saisis à point, ou ramenant sur nous les pans inusités de nos habits de vie, car nous couchons nus et ne nous rajustons que pour la décence. L'été, la porte intérieure s'entr'ouvre, et déjà nos hôtes sont là, souriants, prévisibles, humains. Comme nous sortons de nos tendresses personnelles, cet accueil agissait jadis comme un viol : d'autres êtres que nous peuvent donc s'aimer aussi bien que nous, avec leurs secrets à confier ou taire.

    L'hôte, grand maigre taciturne, ouvre et ferme ses longues mâchoires. Il mange salement, avec des claquements. Je voudrais voir les pluvians nilotiques picorer ses interstices interdentaires. Je hais ces gens et leur suis attaché si viscéralement que je ne sais pas ce que je pense. La boulette de graisse qui lui sert de femme tourbillonne autour de nous en imitant, à la lettre, la chouette: c’est-à-dire non pas ce doux hululement du hibou,mais cette criaillerie obscène du nocturne dépeçant sa proie. Depuis, à mon compagnon comme à moi, il n’est croissant si chaud ni si moelleux qui ne nous rappelle le goût du rongeur mort.

    Parfois lui et moi partons dans ces bois, à nuit tombante, fusils cassés à la main, bien que cela soit strictement interdit par les autorités de Regina ou Saskatoon : tout est loin. Nous feignons d'imiter le hibou qui bouboule ; il nous est répondu par familles entières sous le long ciel arctique de septembre. Et en vérité combien nous sommes désappointés, même atteints d’une sombre colère, de ne point voir sur la silhouette des branches à peine distinctes à présent ne fût-ce qu’une ombre géante et tutélaire de rapace. Nous rentrons seuls, la mort délicieuse dans l’âme ; en vue de la haute tour hantée par le vieux couple (réflexe guerrier, comme une porte qu’on pousse à regret), nous refermons d’un déclic sec nos deux fusils.

    Décidément, celui avec lequel je dors est un homme. Mais nous ne nous touchons pas de la nuit. Il est des obscénités qu’on ne commet pas entre hommes. Casqués et bottés. Ce lit de fer, c’est une tranchée. Il y a eu beaucoup de viols entre hommes et de tentatives dans les tranchées d'Europe. Nos fusils devant nous sur le râtelier, vue sur nos virilités au clou, nous sentons s'appesantir nos paupières, et nous sombrons dans le plomb jusqu’au petit matin. J’ouvre le volet qui bat lourdement la paroi, je sens monter d’en bas les effluves d’une chicorée amère, déjà la chouette féminine nous informe que le petit-déjeuner est prêt, ajoutant quelques crouacs qu’elle croit de très bon augure. Alors éclatent entre les deux hommes que nous sommes, renfilant sans nous laver nos habits pour la décence, des scènes de ménage entre les dents.

     

    Nous leur devons de l'argent, des services. Voilà pourquoi nous sommes là, tous les ans depuis des années. Nous venons d’Edmonton, 326 miles. C’est sans originalité. Nous ne devrions pas appeler réellement cette ville « Edmonton », car « Edmonton » existe réellement. Disons que la nôtre est perdue au milieu d’un désert glacé, soudain truffé de hauts gratte-ciel où il ne viendrait à personne l’idée de précipiter un avion, avec des silos à grains d’une hauteur démesurée, où tout fermente sous la paupière obtuse des thermostats lumineux. Mais tous les étés, tous les automnes, tous les hivers aussi (les scooters des neiges déblaient tout) nous ramènent chez Jywes et Holly, son épouse.

    Nous leur devons cela. Ils ont acheté pour nous cette haute baraque, « la Masure », alors que rien, strictement rien ne les y obligeait. Mais comme ils ont bien vu que rien ni personne ne nous ferait mettre « la main à la pâte », que décidément nous n’étions pas dignes de ce somptueux cadeau, ne sachant ni bricoler quoi que ce fût ni passer une couche de lasure tant soit peu régulière ni quelque fongicide que ce soit, ils se sont sentis obligés d’occuper notre maison, de l’entretenir, d’y passer couche de pinceau sur couche de pinceau, goudron sur goudron, de clouer bardeau sur bardeau. Ils avaient eux aussi leur petite maison bien cernée de pelouse, en banlieue, ils partaient à la pêche au Lac des Esclaves, la température descendait à des degrés inimaginables - mais ici, à la Masure, c’étaient eux qui entretenaient cette maison qu’ils nous avaient offerte.

    Est-ce qu’il ne s’était pas agi à un moment donné de Dieu savait quel billet de loto gagnant que nous aurions partagé, est-ce que nous ne nous serions pas bien mieux entendus jadis qu’à présent, est-ce que nous n’avions pas échangé nos femmes ou nos maris, n’y avait-il pas entre nous de ces secrets qui traînent depuis des décennies à l’intérieur des sectes et des communautés qui se sont faites, toutes, ne vous y trompez pas, à l’époque des Guerres du Viet-Nam ? canadiens ou pas... Ceux qui sont passés par ces épisodes confus peuvent seuls savoir - et nous sommes loin d’être justement les seuls - le caractère irréfragable que peuvent prendre alors les liens qui se tissent entre les gens, le fait d’avoir senti subrepticement se glisser en vous une queue qui ne vous était pas destinée, qu’on soit mâle ou femelle - ceux-là seuls peuvent comprendre l’impossibilité archi-absolue de toute rupture, le silence qui s’abat sur vous pendant des années, les folies aux visages variés qui vous font ou pousser des cris de chouettes ou des bubulements de hiboux, les culpabilités molles, les traînassements d’habitudes, et les jouissances de désespoir, de dérisions, lorsque le vent qui se faufile entre les cimes vient se heurter à nos volets.

    Ici les nuits comptent plus que les jours, elles ont une épaisseur révélatrice, elles vous révèlent incomparablement plus que les jours ce que c’est que le Pays de Moose Jaw, de Poughkeepsie, de tous ces lieux imaginaires auxquels il est formellement interdit de donner des noms vrais : une épaisseur qui vous plombe aussitôt dans un sommeil où l’on ne sait pas ce qui rampe entre vos jambes si c’est une femme (une lourde cuisse grasse) ou ce qui reste obstinément raidi sous le tissu sale et roide d’un pantalon insensible et désastreusement immobile, lorsqu’il s’agit d’un homme. Ce qui précède en sv 107 XXX 63 07 03

     

    1 b) 3 3)je n'ai jamais pu déterminer si mon mec (je ne suis pas homosexuel, nous nous débrouillons chacun de notre côté) couche ou non avec le mâle, cf. aussi le bossu d'Issigeac et cet hôtel abandonné.

     

     

    De notre chambre à coucher fermée par des barrières à la salle du petit-déjeuner, il n’y a qu’une échelle-de-meunier, ce genre d’escalier qui provoque lamort de tant de bambins qu’on doit clore le haut par une petite barrière dont seuls les adultes possèdent la clé. Mais nous explorons les étages supérieurs. C’est comme dans un rêve. Nous ne nous sommes pas déshabillés, nous portons nos fusils cassés le long de notre hanche, nous montons les yeux fixes dans le noir, où nous acquérons la vue puissante et nyctalope des oiseaux que nous trouvons pas. Ce sont des chambres vides, à l’infini, en hauteur, comme si en vérité le bâtiment se rehaussait à mesure que nous le parcourions, comme s’il s’érigeait, à mesure que nous découvrions les chambres abandonnées, lavabos orphelins gouttant dans la nuit, draps roulés et défaits, les matelas mêlants leurs rayures ; ampoules mouchetées chiures, blafardes et grésillantes, bien plus propres à effrayer qu’à éclairer, tandis que s’ébranlent dans notre dos, plus effrayants que s’ils étaient là tout proches à nous toucher, des lourds usufruitiers qui nous demandent ce que nous pouvons bien foutre là-haut, à gaspiller de l’électricité, à voir quoi, bon Dieu, à moins qu’ils ne nous pressent de les payer enfin en travaux d’entretien auxquels nous ne condescendrons jamais.

    Nous savons qu’ils entrent avec nous, dans la chasse aux escaliers, cette créature qu’ils relâchent la nuit et hante les bas-fonds de leur cave, non point Ligéia ici enterrée vive, mais ce bossu par-devant, bossu par-derrière, bitord, qu'ils ont ramené de banlieue - cet homme, Vercassis, exerce la profession de modèle; il teint son nez et ses pommettes en vermillon. Il se fait photographier dans les postures les plus difformes. Puis il est revendu sous forme de figurines. Se faire poursuivre de nuit par lui dans les étages nous flanque à tous les deux mon chasseur et moi, des terreurs atroces ; et quand dans notre épuisement sur nos talons parfois son nez passe la spirale, nous explosons le pas et l'étage s'ajoute aux étages.

    Que va-t-il advenir de nous ? Mon chasseur et moi ne savons planter un clou. C’est tout le bâtiment de bois qui s’ébranle ainsi au milieu de la nuit. Nous savons qu’après la mort de nos protecteurs ce bâtiment restera quelque temps plus ou moins entretenu, puis qu’il s’affaissera sur nous sous ses poutres et nos sciures. Nous reviendrons à Edmonton au printemps. Nous y suivrons des cours de charpente. Nous rétablirons le courant pour que les lampes sans abat-jour cessent enfin de tressauter comme des paupières.

     

    c) élargissement de l'espace, sorte de vaste palombière aux ramifications immenses, cf. l'hôtel d'Issigeac à l'horizontale.

     

    Cette partie est devenue inutile, car tout a déjà été développé dans les paragraphes précédents, avec force détails.

    2) L'effondrement

    alors que je me balade, effondrement d'une aile,

    2° une illustration de la collection "tremblements de terre et catastrophes naturelles"

     

    je sais qu'il y a qq dessous, je décris les bâtiments,

     

    I, 2, a : une page

     

     

    X

     

    Deux chemins partent de la clairière où Jywes traîne incessamment sa silhouette chevaline sur sa tondeuse ; deux sentiers raides dévalent raidement de part et d’autre de la haute calvitie que couronne la tour. Il faut avec entêtement lutter contre la descente avec autant d’obstination qu’on l'a gravie, tant les buissons, les ronces, les végétaux piquants vous agrippent au passage, vous protègent de la chute ; c’est le chemin du sud qui vous retient le plus. Celui du Nord plus doux mène au Lac Travey ; il caresse d’abord l’épaule par de hautes fougères arborescentes. Il se dégage alors de ces petits champignons éclatants (lorsqu’on les foule) un parfum pénétrant de spores, éjaculation végétale, poussière balsamique.

    Et je les parcourais, alternativement, déplorant le peu d’espace offert par ces bois ancestraux, tandis que mon compagnon le chasseur gisait vivant tout raide auprès de son fusil. Je songeais à cette arme entre nos corps placée. C’était la pente sud ou femelle, et mes nombreux passages à pied dans ses broussailles rendaient chaque fois moins piquants mes agrippements, lorsqu’il me sembla ouïr un craquement sourd et lointain ; la terre ondula sous mes pieds, des éboulements se distinguèrent au sein des fourrés. Remontant la pente avec essoufflement, parfois m'accrochant des deux mains à terre, je pressentis que le Bouclier Hercynien Canadien, qui se pensait à l’abri des séismes, subissait une secousse bien réelle.

    Tout le monde a déjà ressenti un séisme : sensation de nausée, perte d’équilibre et de tout repère, angoissante question de sa propre existence (un point, une poussière) : il y a dans cet abandon une douceur infinie, des endormissements. Je voulus courir vers la cabane, dont plusieurs tournants montants me séparaient au plus épais des fourrés. Les arbres autour de moi craquaient sans s'abattre ; ils fourniraient le bois de mon cercueil, car ils m'enseveliraient dans leur chute imminente. Il existe ici de ces espèces balsamiques remontant à des millénaires. Peut-être des gisements de houille hantent-ils le sol où je me débats, mais qui planterait des chevalets d’extraction parmi les bavures de lianes argentées ? Je remontais péniblement la pente. Pourtant c’était comme un jeu. Le creux de mes mains s'écorchait. Les branches basses m’entraînaient dans une valse infernale et facétieuse.

    Puis le sol recouvrait sa stabilité. Je courais sur les aiguilles de conifères, bien rangées, bien sèches. Puis tout se remettait à onduler comme la peau d’un serpent dans les parfums, de nouveaux tournants se précisaient entre les buissons bas. Acte d'amour terrifiant et merveilleux avec Nature, à la fois dangereux et affectueux, car elle est capable de délicatesses. Je ne risquais rien, à moine que le démon n’ouvrît sous moi une de ces crevasses d’engloutissement, aussi facilement refermées qu’ouvertes.

    2° une illustration de la collection "tremblements de terre et catastrophes naturelles"

    Une page

    Le bâtiment, quand je le vis enfin, m’offrit l’image d’une invraisemblance absolue. Comment avait-il pu se faire qu’une surface aussi réduite n’eût pas provoqué un effondrement « en château de cartes » ? Les convulsions du chat ou de la tortue (disent les Japonais) sur lesquels nous vivons, vermine humaine, sont imprévisibles : une partie du bâtiment restait intacte ; c’était la moitié sud-est. Les volants étagés du bois, en jupe géante, restaient fixés l’un sur l’autre comme un grand pan d'écailles. Et d'un coup, au-delà d’une flèche de bois que la secousse avait propulsée à la verticale, toute l'habitation de Mont Shaïle s’était affalée au nord-ouest, en direction de l’Alaska. C’était comme un épine dorsale brisée, un long chevauchement de chevalets d’échine, un espadon mille fois rompu et rerompu, un léviathan fossile mal classé encore par les paléontologues, comme si le tremblement de terre s’était produit vingt millions d’années avant notre ère, et que les morceaux d’un ichthyosaure - les mots m’échappent, comme la terre sous mes pieds. La sciure planait par-dessus tout cela. L’odeur était merveilleuse, les particules demeuraient suspendues à deux mètre ou trois au-dessus du sol, et répandaient cette saveur de bois qui détermine les vocations de forestiers for ever, quel que soit le bas salaire qu’on obtienne dans ces professions déshéritées, loin de tout.

    Un journaliste pressé -j’aurais pu vendre très cher mon reportage, mes clichés si j’avais eu l’esprit de porter sur moi un Nikon 400 E - « Je devrais me barder d’appareils photographiques, ces deux sentiers sont si riches que je rapporterais au poins de quoi garnir deux albums » - et puis j’oubliais - aurait alors mitraillé cette scierie bombardée,ce chaos d’éclatures où subsistait le grand dessein d’un architecte. Nulle fumée ne s’élevait encore, à l’exception de cette écharpe odorante et blonde, et c’était merveilleux, en vérité, que nul incendie ne se fût déclaré, ni ne menaçât, car mon odorat était aux aguets. Tous les sens jouissaient e la perspective eshétique offerte à moi. Les oreilles jouissaient d’une sorte d’écho : de là où j’étais, les arbres bienveillants m’avaient masqu » le bruit de l’effondrement, qui avait dû se produire très lentement, comme un froissement de vent dans les feuilles. Je me penchai pour cueillir au bout de mes doigts de cette matière merveilleuse, et je pensais qu’ainsi s’effondrent les empires, il n’en reste plus que le parfum qui pour toujours entête les civilisation à venir.

    Des champignons, des insectes, se repaîtraient de cette sciure. J’étais subjuguée, transformé en femme, ouverte à toutes les sensations. Enfin, pensais-je, notre prison n’existe plus. Je ne pensais pas : « Comment vais-je réapprendre à vivre désormais ? » Non, la destruction, préalable à toute renaissance, m’apparaissait dans toute sa bienfaisance. Je longeais ces « poutrelles désaxées », ces planchers désormais verticaux, j’évaluais en connaisseuse ‘désormais j’étais femme, pour un certain temps, je priais l’intérieur de moi-même pour que cet état divin se prolongeât, car la femme est proche du divin autant que le sommet s’affale à terre et en épouse les contours) l’angle, techniquement parlant, 25° ? 45 ° ? où tous ces enchevêtrements se présentaient.

    Et rien, Dieu merci, n’était reconnaissable, ni la chambre, où trônaient les hideuses images, ni la chambre des deux monstres, l’homme et la femme encore condamnés à leur sexe respectif, seule peut-être la tondeuse à gazon osait montrer son large siège de cuir en forme de cul : je voyais les deux étroites ellipses dessinant sur le cuir la marque des fesses d’un certain Jywes.

    je sais qu'il y a qq dessous, je décris les bâtiments, une page

    Alors seulement j’acceptai de penser aux humains. Qui était vivant, qui était mort ? Le cheval maudit, l’homme à la tondeuse ? Notre hôtesse, la graisseuse, toujours à virevolter au milieu de ses tartines ? Mon compagnon le chasseur, sale et raide dans ses pantalons militaires, et qui ne me touchait jamais pendant la nuit ? Je ne l’aurais pas suporté : qu’il se lavât, d’abord. C’était vraiment, j’y revenais toujours, l’odeur qui m’emplissait tout entière, du poumon à ces cavités que je sentais, nouvelles et palpitantes, désormais vivre en moi - mais pour combien de temps ? Mon Dieu, faites que mon changement de sexe se confirme ! La sciure me pénètre par tous les pores. A la moindre odeurde cadavre, d’ici quarante-huit heures je suppose au plus tard, je sens que je redeviendrais un homme.

    En même temps, quelque chose s’agitait dans mon esprit : « Tu n’es pas raisonnable. Tu es monstrueuse. Tu jouis du spectacle, tu palpes le bois frais, sans t’inquiéter de ceux qui vivaient là, qui se préparaient à vivre une de ces merveilleuses matinées solitaires. Tu aimerais, n’est-il pas vrai, qu’ils revécussent, qu’ils revinssent à la vie, afin de reprendre cette histoire qui ne t’avait jamais appartenu...

    Tout est trop calme. Il ne règne absolument pas d’atmosphère de mort. Une heureuse coïncidence a fait que tous auront survécu. Je me fais peur. Il n’y a pas de mal. Ils sortiront de leur cage de bois, soit de la partie miraculeusement restée intacte, soit de cette longue avancée disloquée. Et c’est d’abord le cheval funèbre, le chevaucheur de tondeuse à gazon, qui s’ébroue de sa sciure, tout près de la base, où le poids a pesé le moins. Il me regarde hébété, les bras ballants. Il ne trouve rien à me dire, ses lèvres sont retroussées exactement comme celles d’un cheval sur le mort, je vois ses dents jaunes dont je détourne toujoiurs le regard pendant les petits-déjeuners si copieux.

    A mon grand désespoir, à mon grand soulagement - comment définir ces deux choses, là, juxaposées ? - je vois la boulette sortant par la demi-porte restante, car la catastrophe l’a surprise au milieu des étages. Elle était en train de manger, les lèvres lui dégoulinent encore de sirop d’érable. Pourquoi les tremblements de terre n’éliminent-ils jamais ceux envers lesquels nous sommes redevables ? Pourquoi me trouvais-je si proche, dans un chemin creux, encombré de buissons ? Où est mon chasseur ? Il étire son long cou de l’autre côté du bâtiment, il revient lui aussi de promenade, il a pris le second sentier, vers le nord, il ramène par les ouïes une carpe à demi morte, que l’affolement a jetée sur sa ligne,

     

     

     

    TEXTE DU CHEMIN PARCOURU

     

    COLLIGNON LE CHEMIN PARCOURU

     

    L'EFFONDREMENT DE ROSSENBERG TEXTES

     

     

     

     

    1) Nuit à Rossenberg

    a) les lieux (trois pages)

    1) le bâtiment et ses entours (une page)

    2) la chambre blanche, le petit lit de fer, le portrait de Henri V comte de Chambord. (une page)

    3) ma compagne à côté (une page)

    b) les raisons pour lesquelles nous y sommes, (trois pages) le froid ou le chaud selon les saisons,

    c) élargissement de l'espace, sorte de vaste palombière aux ramifications immenses, cf. l'hôtel d'I. à l'horizontale.

    DIX PAGES (EN FAIT, SIX SEULEMENT)

    2) L'effondrement

    a) alors que je me balade, effondrement d'une aile, je sais qu'il y a qq dessous, je décris les bâtiments, cf. une illustration de la collection "tremblements de terre et catastrophes naturelles"

    b) les hommes vont sur le terrain (torchis, colombages), (laine de verre, masques) - moi, je suis méprisé, on ne me confie que le nettoyage de la vaisselle, aidé par des fillettes, puits à chadouf, bien préciser à ce moment la situation d'humiliation et d'infériorisation dont je suis l'objet dans ce groupe de merde.

    c) Evocation effectivement d'O. qui me traite de Gugusse et de L. qui me remet le moteur en marche. Ne pas hésiter à dévoiler alors leur peu glorieux avenir (digeridoo, Uruguay)

     

    3) Mes lectures, destinées à bien montrer combien je suis supérieur (Musset aux chiotttes à la caserne, chapitre sur Ulysse dans "Si c'est un homme", ceci avec l'une des fillettes. Mais, "après-midi vaseux".

    a) mon bouquin, sa découverte dans les décombres, mon rafistolage, ce que je m'en promets

    b) un commentaire là-dessus

    c) ma transmission, très chaste, pendant la nuit à la petite fille, cf. Nuit de Mai, "Que c'est beau !"

     

     

    4) Ma soûlographie en mémoire de l'ermite

    a) le menu pantagruélique "Aux chasseurs", "A l'auberge basque" à Sarlat, les sauveteurs se restaurent, O.K.

    b) Je suis ridicule et hargneux, cf. le barak hongrois, les cinq litres de vin avec L.

    c) Une agressivité sauvage, ma paranoïa n'ayant cessé de monter.

     

    5) Le voyage du retour

    a) Le trajet à travers le Bocage, avec la petite fille dont nous ne savons pas tous les deux qui est le père ; petite route et cimetière de G., pélerinage ultra-lent car nous n'y reviendrons plus.

    b) le peintre Manolo, les adieux à tous.

    c) engueulade magistrale devant la petite fille pour savoir qui de nous deux est le père.

     

    6) Il faut pourtant larguer la fillette chez sa mère

    a) l'accueil plus que mitigé, cf. Machinchose à Kekpar.

    b) accueil dégueulasse de la fillette, cf. fille de V. à Villaras, écoeurant.

    c) elle nous annonce qu'elle va la larguer chez une autre copine

     

     

    7) Achat de bouffe cours Dr Lambert

    a) je médite ma vengeance en achetant des produits avariés

    b) je me lamente sur ma vie ratée, en retraçant la vie antérieure de mon compagnon et de moi

    c) le repas est dégueulasse, avec la radio qui hurle sur le jambon d'York

     

    8) Toujours la soirée studieuse

    a) Je reviens sur Musset

    b) je fais le tour de tous mes bouquins

    c) je fais effondrer à mon tour toute ma cabane

     

    9) Coincé dans ma poche d'air, j'attends les sauveteurs.

    a) je me sortirai de là, j'irai à St-Flour

    b) je ne pourrai jamais, jamais vivre seul

    c) j'entends la voix de mon compagnon qui demande qu'on arrête les recherches, on m'arrose de créosote avant de mettre le feu.

    Pendant ce temps-là je creuse, pour m'évader, deux cents mètres plus loin.

     

    XXX61 04 23XXX

    rossenberg 3

    I) Nuit à ROSSENBERG

    a) lieux

    1) le bâtiment et ses entours (une page)

    2) la chambre blanche, le petit lit de fer, le portrait de Henri V comte de Chambord. (une page)

    3) ma compagne à côté, et l'impression étrange des volets hermétiquement clos. (une page)

    I, 1, a (une page)

    Il est au sommet d'une montagne un lieu étrange et pénétrant, nommé la Calvie de Vénus, où se dresse un des plus étranges chalets. C'est au centre d'une clairière une haute maison de bois, correspond pourtant aux normes architecturales de ces contrées : trois étages dont le dernier jette juste un coup d'oeil par-dessus les cimes, et semble un fenil aménagé. Comparable en tous points à ces hautes maisons de fermiers, dans l'Ouest canadien (près de Calgary, ou de Mouse Jaw) - là où s'étendent de si vastes arpents de blé de printemps.

    Pourtant il ne règne au rez-de-chaussée qu'un rond de prairie, comme une calvitie de verge (d'où le nom "Calvi[ti]e de Vénus"), sans aucune culture ni trace d'aucune sorte de jardinage. Le propriétaire du lieu, Stoffer Jywes, passe de plus en plus loin sa tondeuse à gazon, sur laquelle il s'asseoit, et pousse entre les arbres des débroussaillages de plus en plus lointains, si bien que les sous-bois du sommet du Mont Chauve se trouvent parfaitement dégagés, bien propres à décourager les incendies.

    Sec et décharné sur sa tondeuse, il semble en vérité quelque cavalier dégénéré de l'Apocalypse de Dürer, motorisé, utilitaire et monotone. Il la remise sous un appentis, en lisière des hauts feuillus qui délimitent sa clairière. Sa femme est tout le contraire : une joyeuse boule de graisse, dont le sourire efface la disgrâce, et qui accueille le mieux possible les visiteurs, à l'endroit où parvient la route tortueuse et sans issue menant à cet ermitage conjugal.

    L'extérieur du bâtiment consiste en un savant assemblage, tout simple en réalité, commun encore en ces régions, de lattes goudronnées se recouvrant l'une l'autre, mieux ajustées encore vers le Nord-Ouest. Le tout, recouvert de divers enduits, présente l'aspect d'un gâteau de bois indigeste et revêche, aux rares ouvertures disposées sous les auvents, toutes munies de raides escaliers externes imposés par la législation anti-incendies.

    L'intérieur retrace l'histoire d'une lutte contre la verticalité : ce ne sont qu'échelles de meunier, trappes périlleuses et rampes vernies, où règnent cependant des teintes blond clair, presque miel : il fait toujours bien chaud passé le premier étage. xxx61 05 04 XXX

    rossenberg 4

    I, a, 2

    la chambre blanche et son décor (le petit lit de fer, le portrait de Henri V comte de Chambord). (cf. aussi l'affiche de Saratov)

     

    Les deux êtres décrits plus hauts détestent autant qu'il se peut les visites, qu'ils appellent "intrusions". Ma femme Jeanne et moi bénéficions seuls de leur hospitalité ; ils nous logent alors dans une chambre du rez-de-chaussée, à gauche, donnant de plain-pied sur la pelouse. Il y règne un froid glacial, à moins que nous n'y transportions un de ces chauffages d'appoint, aux résistances rougeoyantes, à l'odeur entêtante : rien qui s'épuise plus vite que ces minuscules bouteilles de gaz compact, riches sans doute en émanations de Co².

    Nous dormons dans un petit lit de fer protestant, qui grince allègrement lorsque nous y sautons, pour nous abriter sous l'épais édredon. Les deux panneaux du lit présentent des ferronneries courantes à la fois et remarquablement exécutées, il n'y manque pas une volute, ce mot rappelle "volupté", ce que nous nous efforçons d'atteindre, souvent avec succès : le centre du matelas forme une étroite gouttière, et nulle nuit ne me revient en mémoire sans que je ne l'associe à d'intenses courbatures dues à l'emmêlement obligé des membres, tant supérieurs qu'inférieurs.

    Mais nous aimons bien notre lit, qui fleure bon le faux puritanisme et ses ferreuses douilletteries conjugales. Ce n'est cependant pas un crucifix qui le domine, mais un portrait de Napoléon, Neumeier, Nicolas Ier ou II, le Maréchal Ney... en rapport avec une commémoration). Je crois qu'il s'agit fort banalement d'un portrait de Napoléon par David, avec tout ce qu'on peut d'imaginer de plâtreux, ce profil gauche empâté, au menton engagé dans la graisse, majestueux mais déjà déchéant, le jaune cru, "gros jaune", et les écaillures déjà lézardant l'esquisse. Rien d'officiel. Que du cruel, malgré le projet de "portrait équestre". Dormir sous le portrait de Napoléon devientdrait obsédant, si nous ne nous endormions tout de suite elle et moi, par son poids justement.

    Nos nuits sont encombrées de lourdeurs impériales, de jaunes d'oeufs mal digérés, propices aux infarctus. Le matin, lorsque sont enlevées les lourdes barres de fer qui closent le volet, nos regards se posent sur une affiche décharnée, occupant le verso de la porte : un horrible Christ aux Souffrances, le visage chantourné par la douleur, ce qui veut dire creusé de l'intérieur. Sur sa peau friable coulent de voluptueuses larmes de sang, comem autant de rubis malsains. Les couleurs sont donc : jaune impérial, rouge christique, gris poreux d'une chair d'agonie, et nous.

    Puis la clairière, qui se dégage à un mètre sous nos fenêtres mêmes, qu'il nous suffirait d'enjamber pour fouler toutes ces herbes des Rocheuses du Nord... Les volets de bois lourd résonnent en se rabattant sur les bardeaux superposés comme autant de volants d'une lourde, noire, goudronnée, improbable gitane, qui danserait sur place, dans une verticalité aussi figée que celle de la femme de Loth : une statue de bitume.

    L'odeur est là. La maison est un effroyable bateau fiché poupe en terre, comme un bloc de goudron fissuré. XXX61 05 04XXX

    1 a 3 Ma compagne

    Cette femme qui est dans mon lit est un homme. Je le vois comme un mâle maigre, affublé d'une moustache qu'il ne veut jamais couper ni tailler. Il est beaucoup plus facile de se faire enculer. On se sent utile, on sait où l'on va. Pourquoi n'ai-je jamais été de force à concevoir ce que c'est qu'une femme ? Elle a des besoins tellement plus énormes que moi en sommeil que je puis aussi bien me promener dans les sentiers alentour une heure,batifolant dans la rosée, avant qu'elle ait ouvert l'oeil. La femme qui est dans mon lit est une femme. Je ne parviens pas à me décider. Elle ne dort jamais. Au sein du plus profond sommeil et quelle que soit la question que je pose, elle sera capable d'émettre une opinion ou un soupir, tout cela très pertinent. Nous nous connaissons depuis si longtemps qu'elle change de sexe à volonté de mes fantasmes. Je ne sens plus son odeur. Nous emmêlons nos membres au petit matin, au début de notr eliaison je m'étouffais sous le pids de ses jambes, puis j'en ai redemandé, ce jour-là j'ai compris à quel point nous formions un vieux couple de vieux chevaux. De retour.

    Je me suis plaint d'elle, car c'est mon principal sujet de conversation : dire du mal de sa femme est la preuve même de son amour, de même que le blasphème est preuve de l'existence de Dieu. Il n'y a pas de crucifix dans la chambre, mais mon Dieu il faut toujours que tout un rite soit respecté, de petits baisers sur la bouche et les yeux, de frôlements de joue, de soupirs tendres, et c'est malgré la misogynie la sortie du four même du sommeil de je ne sais quelle pâtisserie moëlleuse, ma barbe ne gratte pas trop car mon rasage date de la veille au soir.

    Cette chambre en vérité est un étouffoir, nous n'y avons jamais froid malgré les moins trente du dehors, il y règne toujours au moment une tranpiration, une buée moite sur la lèvre supérieure de ma compagne délicieusement semblable à un loir, par le grassouillet de son corps, et Dieu me préserve de trouver un jour emmêlé à mes jambes les raides bâtons squelettiques d'un mâle moustachu, rassurant mais sec, sec, sec. Qu'est-ce qui fait qu'une femme puisse supporter le corps d'un homme ? Combien nous sommes désagréables, taillés comme des charpentiers, bâtis en barre à mine, avec des érections défaillantes - elles me disent, les femmes, du moins la seule que je connaisse et qui les a remplacées toutes, "Vous êtes attendrissants", "nous pouvons vous porter dans notre ventre", mon Dieu se peut-il qu'une d'entre elles ait osé proférer qu'elle refusait d'être enceinte d'un garçon pour ne pas avoir un sexe mâle dans le ventre, mon Dieu once more n'importe quoi.

    Puis nous passons au petit déjeuner, et là, d'un coup, c'est le silence : les corps ne se touchent plus. Ni mots, ni caresses, juste l'air abruti de qui a trop dormi, au-dessus d'un bol chaud. XXX 62 02 02 SV 92 XXX

     

    b) les raisons pour lesquelles nous y sommes, (trois pages) le froid ou le chaud selon les saisons, et

    1) invariablement les connards qui nous hébergent,

    2)nous leur devons de l'argent et des services, voilà pourquoi nous sommes là, tous les ans depuis des années,

    3)je n'ai jamais pu déterminer si mon mec (je ne suis pas homosexuel, nous nous débrouillons chacun de notre côté) couche ou non avec le mâle, cf. aussi le bossu d'Issigeac et cet hôtel abandonné.

     

    I, b, 1) invariablement les connards qui nous hébergent.

     

    Soixante-dix, quatre-vingts fois que s ais-je, nous avons débouché dans cette salle sentant la cendre hiver comme été, frissonnant sous nos longues robes de chambre et invariablement trouvant les toasts juste saisis à point, ou ramenant sur nous les pans inusités de nos habits de vie, car nous couchons nus et ne noue réajustons que pour des besoins de décence. L'été, la porte s'entr'ouvre, et déjà, quelle que soit l'heure, nos hôtes sont là, invariablement souriants et humains, et comme nous sortons de notre tendresse personnelle, ce petit-déjeuner agit invariablement comme un viol : comment d'autres êtres que nous peuvent-ils s'aimer et avoir croupi au lit, le leur, comme nous, avec d'autres choses à se dire ou à ne se point dire ?

    Le grand maigre, taciturne, ouvre et ferme ses longues mâchoires de crocodile, non si bien endentées cependant. Il mange salement, avec des claquements, je guette invariablement les pluvians nilotiques picoreurs de canines. Je hais ces gens et leur suis attaché si viscéralement que je ne sais plus que penser : ainsi de l'homme, ou de la femme, qui partage ma couche. La boulette de graisse qui sert de femme à notre hôte tourbillonne autour de nous en imitant, à la lettre, la chouette: c’est-à-dire non pas ce doux ululement du hibou,mais cette criaillerie de l’oiseau nocturne dépeçant sa proie. Depuis, à mon compagnon comme à moi, il n’est croissant si chaud ni moelleux qui ne rappelle un goût de rongeur mort.

    Parfois lui et moi partons dans ces bois, à la tombée de la nuit, nos fusils cassés à la main, malgré l'interdiction formelle des autorités du Saskatchewan : tout est si isolé ici. Nous feignons de pousser les cris du hibou, il nous est répondu par nichées entières alignées sous le long ciel arctique. En vérité nous sommes surpris, même rageurs, de ne point voir sur la branche à peine distincte ne fût-ce qu’une ombre tutélaire de rapace. Nous rentrons seuls, une mort délicieuse dans l’âme, et dès la haute tour hantée par le vieux couple, comme une porte refermée, nous refermons d’un seul déclic nos deux fusils.

    Décidément, mon compagnon de nuit est un homme. Mais nous ne nous touchons pas de la nuit. Il est des obscénités qu’on ne commet pas. Nous couchons casqués et bottés. Ce lit de fer, c’est une tranchée. Il y a eu beaucoup de viols, réussis ou tentés, entre hommes, devant Verdun ou sur le front de Somme. Ici, contemplant devant nous nos virilités sur le râtelier de bois, nous appesantissons nos paupières, et sombrons dans le plomb jusqu’au petit matin. J’ouvre alors le volet qui bat sur le mur, je sens monter les effluves de chicorée amère, déjà la chouette humaine nous informe que tout est près, ajoutant quelques crouacs qu’elle croit de très bon augure. Alors éclatent entre les deux hommes que nous sommes, renfilant nos pantalons sans nous laver pour descendre décents, de sourdes scènes entre nos dents rentrées.

     

    2)nous leur devons de l'argent et des services, voilà pourquoi nous sommes là, tous les ans depuis des années,

     

    (une page)

    Nous venons d’Edmonton, au sud. C’est sans originalité. Nous ne devrions pas appeler réellement cette ville « Edmonton », qui existe réellement. La nôtre se perd au milieu d’un désert froid, touffe de gratte-ciel où personne n'aurait la moindre idée de précipiter un avion. Les silos qui la cernent atteignent en perspective une hauteur extrême, l'ensemble fermentant sous le regard obtus des thermostats lumineux. Mais tous les étés, tous les automnes, tous les hivers aussi (les déneigeuses du cru démontrent leur efficacité) (il n’y a qu’au printemps que la boue empêche tout) - nous ramènent chez Jywes et Holly, son épouse.

    Nous nous y sentons obligés. Nous sommes leurs obligés. C'est pour nous qu'ils ont acheté cette haute maison, qu’ils appellent entre eux « la Masure », alors que rien, strictement rien ne les y obligeait.

    Mais comme ils ont bien vu que rien ni personne ne nous ferait mettre « la main à la pâte », que décidément nous n’étions pas dignes de ce somptueux cadeau injustifié, ne sachant ni l'un ni l'autre bricoler quoi que ce fût ni passer une couche de lasure ou de fongicide, ils se sont sentis obligés d’occuper la masure, de l’entretenir, d’y passer couche de brosse sur couche de brosse, goudron sur goudron, de clouer bardeau sur bardeau, volant sur volant. Ils avaient eux aussi leur petite maison bien cernée de pelouse, en banlieue, ils partaient à la pêche au Lac des Esclaves, la température descendait - mais ici, c’étaient eux qui entretenaient la Masure qu’ils nous avaient offerte.

    Est-ce qu’il ne s’était pas agi, à un moment donné, de Dieu sait quel billet de loto gagnant que nous aurions partagé, est-ce que nous n’avions pas jadis échangé nos femmes ou nos maris, n’y avait-il pas entre nous de ces secrets de sectes et de communautés toutes antérieures à janvier 73, Canadiennes ou pas... Seuls les survivants de ces temps confus peuvent se figurer correctement le caractère indissoluble de tels liens – ainsi, sentir se glisser en vous une queue subreptice – d'où l’inconcevable éventualité de toute rupture ; le silence qui tombe sur vous pendant les années de l'après-vie ; les folies qui vous font soudain chuinter comme une chouette ou boubouler comme un hibou ; culpabilités molles, traînasseries, désespoirs jouissifs qui s'immiscent à l'heure où le vent faufilé dans les cimes redescend heurter les volets.

    Ce sont les nuits qui comptent ici, d'une épaisseur bien plus révélatrice que ce jour court, au pays de Moose Jaw et de Poughkeepsie, de tous ces lieux sans véritables noms. Une densité morne qui vous plombe d'un coup dans un sommeil où l’on ignore qui rampe entre vos jambes : si c’est un homme une obstination raide sous le tissu sale d’un falze désastreusement immobile.

     

     

    De notre chambre à la salle à manger d'en bas, il n’y a qu’une échelle-de-meunier, trompe-la-mort pour chiards, barrée d'une sécurité dont seuls les prétendus adultes possèdent la clé. Nous explorons aussi les étages supérieurs. C’est comme dans un rêve. Nous ne sommes pas déshabillés. Nous portons nos flingues cassés le long de la hanche, nous montons les yeux fixes dans le noir, où nous avons acquis le regard nyctalope des rapaces que nous échouons à trouver. Ce sont des chambres vides deux par deux superposées, comme si en vérité le bâtiment se haussait à mesure, s’érigeait tandis que nous découvrions les pièces délaissées, les lavabos gouttant dans la nuit, les draps roulés là ou défaits, les matelas entoilés croisant leurs rayures, les ampoules salies de chiures que nous allumons, blafardes et grésillantes, bien plus propres à effrayer qu’à éclairer, tandis que s’ébranlent dans nos dos, loin au dessous de nous mais d’autant plus effrayants je le répète en vérité que s’ils étaient là tout proches à nous toucher, des lourds usufruitiers qui nous demandent ce que nous pouvons bien foutre là-haut, à gaspiller de l’électricité, à voir quoi, bon Dieu, puisqu’il y a longtemps qu’il n’y a rien à voir depuis le temps que ce foutu hôtel est abandonné, à moins qu’ils ne nous demandent de les payer enfin pour tous les travaux d’entretien qu’iils voudraient que nous fissions, auxquels nous autres chasseurs nous ne condescendrons jamais, jamais.

    Nous savons qu’ils entraîent avec nous, dans la chasse aux escaliers, cette créature qu’ils relâchent la nuit et hante les bas-fonds deleur cave, non point l’exquise Ligéia enterrée vive, mais ce bossu par-devant, bossu par-derrière, bitord en termes techniques, ramené de leur infecte banlieue proprette... Cet homme, Vercassis, exerce en banlieue la profession suivante : modèle pour nain de jardin. Il teint son nez, son visage, de vermillon. Iil prend lesp ostures lesp lus difformes et se fait ainsi photographier. Puis les plasticiens prennent modèle sur lui, reconstituent son image par ordinateur (« D.A.O. ») et le revendent sous forme de figurines.

    Se voir poursuivi dans l’escalier de nuit par un tel monstre nous flanque à touts les deux, mon chasseur et moi, des terreurs indicibles : car parfois, dans notre essoufflement, nous voyons son nez de grotesque polichinelle passer le tournant du colimaçon, et nous accélérons, et les étages s’élèvent toujours. Que va-t-il advenir de nous ? Ni mon Chasseur ni moi ne savons planter un clou. Jywes et son épouse suivent à grand bruit trois étages plus bas. C’est tout le bâtiment de style norvégien qui s’ébranle ainsi au milieu de la nuit. Nous savons qu’après la mort de nosp rotecteurs, le bâtiment restera quelque temps à peu près bien entretenu, puis qu’il s’affaissera sur nous, peu à peu avec les années, puis tous, hommes de chair et bâtiments de bois, rentreront sous forme de sciure dans le vaste cycle de la nature.

    Nous reviendrons à Edmonton (Saskatchewan) pour le printemps. Nous prendrons des cours de bricolage et de charpente. Nous rétablirons le courant électrique de façon satisfaisante, pour que les lampes sans abat-jour cessent enfin de trembloter comme autant de paupières.

     

    c) élargissement de l'espace, sorte de vaste palombière aux ramifications immenses, cf. l'hôtel d'Issigeac à l'horizontale.

     

    Cette partie est devenue inutile, car tout a déjà été développé dans les paragraphes précédents, avec force détails.

    2) L'effondrement

    alors que je me balade, effondrement d'une aile,

    2° une illustration de la collection "tremblements de terre et catastrophes naturelles"

     

    je sais qu'il y a qq dessous, je décris les bâtiments,

     

    I, 2, a : une page

    D

    ·0 eux chemins s’échappent de la clairière où Juwes incessamment promène sa silhouette chevaline sur sa tondeuse ; les deux chemins descendent raidement, de part et d’autre à peu près de la haute calvitie que surmonte la bâtisse. Il faut avec entêtement lutter contre la descente avec autant d’obstination qu’on en mettrait à gravir, tant les buissons, les ronces, les végétaux piquants en général vous retiennent au passage, vous protègent de la chute, ainsi qu’une mère abusive, agrippante. C’est le chemin du sud qui vous retient le plus. Au Nord, la pente plus douce menant au Grand Lac des Esclaves caresse d’abord l’épaule à travers le tissu, au point qu’on souhaiterait être nu, par de hautes fougères arborescentes ; il se dégage alors de ces petits champignons éclatants (qui éclatent lorsqu’on les foule) un parfum pénétrant de spores, éjaculation végétale, poussière balsamique : la voix mâle, opposée à la voie femelle ?

    ·1 Et je les parcourais, alternativement, déplorant le peu d’espace offert par ces bois ancestraux, tandis que mon compagnon le chasseur reposait tout raide auprès de son fusil. Je songeais à cette arme entre nos corps placée comme à l’épée qui sépare Tristan d’Yseut dans la légende du Morrois. C’était la pente sud ou « femelle », et mes nombreux passages rendaient chaque fois moins piquants mes agrippements, lorsqu’il me sembla ouïr un craquement sourd et proche à la fois et lointain ; la terre ondulait sous mes pieds, des éboulements se distinguaient dans les impénétrables fourrés qui m’enclosaient.

    Remontant alors avec essoufflement, parfois les deux mains à terre, je pressentis que le Bouclier Hercynien, qui se croyait à l’abri des séismes, subissait une secousse improbable et réelle. Tout le monde a déjà ressenti cela : sensations de nausée, êrte d’équilibre, perte de tout repère, l’angoissante question métaphysique de sa propre existence (« Je ne suis qu’un point,, une poussière près de l’engloutissement ») - il y a dans cet abandon à l’infini une douceur elle aussi infinie, comme celle qui vous prend lors des endormissements. Je voulais courir vers la cabane, dont plusieurs tournants me séparaient au plus épais des fourrés.

    Les arbres craquaient, ils ne s’abattaient pas. Ils fourniraient le bois de mon cercueil, je serais enseveli parmi eux. Il existe au Canada de ces espèces balsamiques, remontant à des siècles, et de génération en génération, à des millénaires. Peut-être des gisements de houille hantent-ils ces sous-sols, mais qui planterait des chevalets d’extraction au milieu de ces arbres millénaires, tout chenus de bavures de lianes argentées ? Je regrimpais péniblement la pente. C’était comme un jeu. Les forsythias de là-bas m’écorchaient le creux des mains. Les branches basses se dérobaient à mon étreinte, semblaient voulori m’entraîner dans une valse infernale et facétieuse.

    Puis le sol recouvrait sa stabilité. Je courais sur les aiguilles de pins ou d’épicéas, bien rangées et bien sèches. Puis tout réondulait comme la peau d’un serpent, le perfum était pénétrant, un nouveau tournant se précisait entre les buissons bas. C’était un amour merveilleux avec la nature, quelque chose de dangereux et d’affectueux, comme d’uen mère éléphant avec un chaton. Mais ces gros animaux sont capables de délicatetsses inimaginables. Je ne risquais rien, à moine que le démon n’ouvrît sous moi une de ces crevasses d’engloutissement, aussi vite refermées qu’ouvertes.

    2° une illustration de la collection "tremblements de terre et catastrophes naturelles"

    Une page

    Le bâtiment, quand je le vis, m’offrit l’image d’une invraisemblance absolue. Comment avait-il pu se faire qu’une surface aussi réduite au sol n’eût pas provoqué un effondrement « en château de cartes » ? Les mouvemets du chat, ou de l’éléphant, ou de la tortue (disent les Japonais) sur lesquels nous vivons, vermine humaine, sont rigoureusement imprévisible. Une partie du bâtiment restait vigoureusement intacte. C’était la moitié sud-est. Les étagements de bois, les volants de jupe ligneuse restaient fix »s l’un sur l’autre comme autant d’écailles intactes. D’un coup, au-delà d’une flèche de bois plus capricisues, que la secousse avait amené à la verticale, toute la maison du sommet de Mount Shyle s’était affalée au nord-ouest, en direction de l’Alaska. C’était comme un épine dorsale brisée, un long chevauchement de chevalets d’échine, un espadon mille fois rompu et rerompu, un léviathan fossile mal classé encore par les paléontologues, comme si le tremblement de terre s’était produit vingt millions d’années avant notre ère, et que les morceaux d’un ichthyosaure - les mots m’échappent, comme la terre sous mes pieds. La sciure planait par-dessus tout cela. L’odeur était merveilleuse, les particules demeuraient suspendues à deux mètre ou trois au-dessus du sol, et répandaient cette saveur de bois qui détermine les vocations de forestiers for ever, quel que soit le bas salaire qu’on obtienne dans ces professions déshéritées, loin de tout.

    Un journaliste pressé -j’aurais pu vendre très cher mon reportage, mes clichés si j’avais eu l’esprit de porter sur moi un Nikon 400 E - « Je devrais me barder d’appareils photographiques, ces deux sentiers sont si riches que je rapporterais au poins de quoi garnir deux albums » - et puis j’oubliais - aurait alors mitraillé cette scierie bombardée,ce chaos d’éclatures où subsistait le grand dessein d’un architecte. Nulle fumée ne s’élevait encore, à l’exception de cette écharpe odorante et blonde, et c’était merveilleux, en vérité, que nul incendie ne se fût déclaré, ni ne menaçât, car mon odorat était aux aguets. Tous les sens jouissaient e la perspective eshétique offerte à moi. Les oreilles jouissaient d’une sorte d’écho : de là où j’étais, les arbres bienveillants m’avaient masqu » le bruit de l’effondrement, qui avait dû se produire très lentement, comme un froissement de vent dans les feuilles. Je me penchai pour cueillir au bout de mes doigts de cette matière merveilleuse, et je pensais qu’ainsi s’effondrent les empires, il n’en reste plus que le parfum qui pour toujours entête les civilisation à venir.

    Des champignons, des insectes, se repaîtraient de cette sciure. J’étais subjuguée, transformé en femme, ouverte à toutes les sensations. Enfin, pensais-je, notre prison n’existe plus. Je ne pensais pas : « Comment vais-je réapprendre à vivre désormais ? » Non, la destruction, préalable à toute renaissance, m’apparaissait dans toute sa bienfaisance. Je longeais ces « poutrelles désaxées », ces planchers désormais verticaux, j’évaluais en connaisseuse ‘désormais j’étais femme, pour un certain temps, je priais l’intérieur de moi-même pour que cet état divin se prolongeât, car la femme est proche du divin autant que le sommet s’affale à terre et en épouse les contours) l’angle, techniquement parlant, 25° ? 45 ° ? où tous ces enchevêtrements se présentaient.

    Et rien, Dieu merci, n’était reconnaissable, ni la chambre, où trônaient les hideuses images, ni la chambre des deux monstres, l’homme et la femme encore condamnés à leur sexe respectif, seule peut-être la tondeuse à gazon osait montrer son large siège de cuir en forme de cul : je voyais les deux étroites ellipses dessinant sur le cuir la marque des fesses d’un certain Jywes.

    je sais qu'il y a qq dessous, je décris les bâtiments, une page

    Alors seulement j’acceptai de penser aux humains. Qui était vivant, qui était mort ? Le cheval maudit, l’homme à la tondeuse ? Notre hôtesse, la graisseuse, toujours à virevolter au milieu de ses tartines ? Mon compagnon le chasseur, sale et raide dans ses pantalons militaires, et qui ne me touchait jamais pendant la nuit ? Je ne l’aurais pas suporté : qu’il se lavât, d’abord. C’était vraiment, j’y revenais toujours, l’odeur qui m’emplissait tout entière, du poumon à ces cavités que je sentais, nouvelles et palpitantes, désormais vivre en moi - mais pour combien de temps ? Mon Dieu, faites que mon changement de sexe se confirme ! La sciure me pénètre par tous les pores. A la moindre odeurde cadavre, d’ici quarante-huit heures je suppose au plus tard, je sens que je redeviendrais un homme.

    En même temps, quelque chose s’agitait dans mon esprit : « Tu n’es pas raisonnable. Tu es monstrueuse. Tu jouis du spectacle, tu palpes le bois frais, sans t’inquiéter de ceux qui vivaient là, qui se préparaient à vivre une de ces merveilleuses matinées solitaires. Tu aimerais, n’est-il pas vrai, qu’ils revécussent, qu’ils revinssent à la vie, afin de reprendre cette histoire qui ne t’avait jamais appartenu...

    Tout est trop calme. Il ne règne absolument pas d’atmosphère de mort. Une heureuse coïncidence a fait que tous auront survécu. Je me fais peur. Il n’y a pas de mal. Ils sortiront de leur cage de bois, soit de la partie miraculeusement restée intacte, soit de cette longue avancée disloquée. Et c’est d’abord le cheval funèbre, le chevaucheur de tondeuse à gazon, qui s’ébroue de sa sciure, tout près de la base, où le poids a pesé le moins. Il me regarde hébété, les bras ballants. Il ne trouve rien à me dire, ses lèvres sont retroussées exactement comme celles d’un cheval sur le mort, je vois ses dents jaunes dont je détourne toujoiurs le regard pendant les petits-déjeuners si copieux.

    A mon grand désespoir, à mon grand soulagement - comment définir ces deux choses, là, juxtaposées ? - je vois la boulette sortant par la demi-porte restante, car la catastrophe l’a surprise au milieu des étages. Elle était en train de manger, les lèvres lui dégoulinent encore de sirop d’érable. Pourquoi les tremblements de terre n’éliminent-ils jamais ceux envers lesquels nous sommes redevables ? Pourquoi me trouvais-je si proche, dans un chemin creux, encombré de buissons ? Où est mon chasseur ? Il étire son long cou de l’autre côté du bâtiment, il revient lui aussi de promenade, il a pris le second sentier, vers le nord, il ramène par les ouïes une carpe à demi morte, que l’affolement a jetée sur sa ligne,

     

     

     

     

     

     

  • Cette rue-là

     

    C O L L I G N O N

    C E T T E   R U E – L À

     

     

     

     

    Cette rue-là : ma rue. Je n'y habite pas mais l'emprunte à peu près chaque jour. Elle commence à cinquante pas de ma maison, bicoque irréparable, pour s'achever place Capeyron, rebaptisée "Jean Jaurès", moins pour honorer le grand homme que par conformisme, comme on a une rue Jeanne d'Arc ou Victor Hugo. Là se trouvent les petits services ou commerces (poste, café, boulangerie). J'entreprends à mon âge ce que la société jointe à ma flemme ne publiera pas.

    Il semblera peu indiqué d'introduire ici, sans lien avec ce qui précède ou suit, un vademecum de toute une vie envieuse, suintant de haine recuite et de mauvaise foi. Le but poursuivi est de fournir un efficace contre-poison à toutes ces Lettres à un jeune poète plus ou moins bien recyclées que l'on assène en début de carrière à tous ceux qui postulent à la gloire ou plus modestement à la reconnaissance, et dont le souci essentiel semble de conserver entre les mains avides d'auteur tout le bénéfice de notoriété, en submergeant le néophyte de toutes espèces de considérations sur la difficulté extrême d'entreprise, et les conditions de grandeur et de modestie qu'il faut avoir patiemment cultivées, ce que l'auteur a fait, mais dont toi, pauvre larve destinataire, tu ne parviendras jamais à te rendre digne.

    La gloire en définitive, c'est comme l'argent ou l'érection : ne pas en avoir, ce n'est pas si important.

    Rompez.

    Apprenez ceci, et faites comme il vous chante : resservir les Conseils de Rilke à un jeune poète relève d'Aa mahonnêteté intellectuelle, tant ces époques semblent désormais préhistoriques... Je dirais : décidez-vous vite, virez dans le book-business, un emploi vite n'importe lequel, soyez pute-pute-pute, le pied dans la porte, pour les filles vous couchez on vous le publiera votre manuscrit et même on vous l'écrira pourvu que vous écartiez bien les cuisses sous le stand du Salon, n'importe quel fond de tiroir les sujets bien bidon sana vagues – solitude cancer bons immigrés c'est vendeur – mais si vous vous êtes un instant figuré que vos sentiments meurtris et votre timidité de couille sèche vous ouvriront l'accès Allah Publication retournez donc vous branler sur votre tas de paille tout est complet occupé comme une chiotte tu ne vas pas t'amener comme ça devant l'usine à yaourts avec ton petit pot perso dont tout le monde se tape. Le coup du "comité de lecture" et du "manuscrit envoyé par la poste" dire qu'il y a encore des cons pour le croire et des salopards pour le faire croire jusque dans les livres scolaires c'est à désespérer de l'intelligence humaine MOI j'ai assisté aux comités de lecture, le mec sort la première phrase avec l'accent belge au suivant avec l'accent arabe suivant japonais pédé bègue suivant suivant suivant qu'est-ce que t'attends pauvre con de timide va te jeter dans la Seine et ne remonte jamais. maison,vieille,marrons

    Ce qu'il vous faut jeunes gens just what you need c'est d'être superbien dans sa peau bonjour à tous et sourire, "l'écriture y a pas que ça qui compte", "l'important c'est de parler avec les Gens, les Aûûtres", si excitants. Laissés-pour-compte, timides, authentiques – allez vous faire foutre. Le milieu, on vous dit, se faire bien voir et bien se faire voir, ne pas dépasser ne pas se dépasser, avoir bien négocié le virage 20-25 ans, choix du métier choix du partenaire – mais qu'est-ce qu'il qu'est-ce qu'elle lui trouve – c'est mon choix qu'ils disent et quel que soit leur "niveau d'études" – ô chers couillons de profs, chers boy-scouts si sottement persuadés de votre influence -

    - jeunes ! jeunes ! si vous n'avez pas intégré la profession du livre ou du baveux, d'Aa télé ou du ciné, ce sera jamais à tout jamais pour vous, si vous n'avez jamais connu Un d'Aa Mafia intimement et avant – car le premier commandement qui leur est fait aux mafieux, dès leur intronisation, c'est de ne jamais, plus jamais accorder leur amitié, exactement comme les femmes mariées d'Aa bourgeoisie se seraient crues déshonorées si elles avaient révélé si peu que ce fût sur la sacro-sainte Nuit de Noces, à savoir une grosse bite fourrageant sauvagement dans un pauvre petit sexe de femme tout meurtri. Et aucune jeune fille de ce temps-là n'en a jamais rien su. De même, le réseau des maisons d'édition, soigneusement verrouillé, s'obstine-t-il plus que jamais à répandre auprès des jeunes lycé-huns et haines des informations fausses, telle cette ignoble légende du "manuscrit-envoyé-par-la-poste" qui fait se boyauter jusqu'au dernier sous-directeur de collection – pauvres, pauvres élèves... Bref, je ne me suis pas fait admettre parmi les milieux littéraires, je n'ai pas rencontré André Breton (il n'avait que ça à foutre, André Breton : se balader comme ça sur les trottoirs pour pistonner les débutants) – "mon succès, je le dois à mes rencontres !" - soigneusement arrachées, lesdites rencontres, même au sein d'Aa Mafia, au terme d'Aongues, farouches et tortueuses négociations - "il rencontre Marcel Bénabou, il devient documentaliste au CNRS" – alors voilà : on va dire du mal, je ne dis pas de mal de Pérec, je dis du mal de toutes les réussites en général.

    Il n'y a que ce sujet pour enflammer la conversation. Liste des maisons dignes du souvenir :

    - les Blot – la Doctoresse – le bourrier – le Six, ex-Mousquet, la mère Bourret juste en face – le vieil Arménien du pressing et son fils – l'ancien garage des Birnbaum – la bicoque rénovée en fausse meulière ; chez Barcelo – la pharmacie – le petit labo : encore la rue Mazaryk (nous étions deux vieux dans l'histoire, la femme et moi – autant dire que la rue d'Allégresse proprement dite ne montre que des pavillons totalement dépourvus d'intérêt.

     

    * * *

     

    La rue d'Allégresse rejoint l'avenue Gindrac à la rue du Niveau. Gindrac est un stade tout vert, où parfois les Minimes de Cingeosse affrontent SPTT Junior à grand renfort de projecteurs et de haut-parleurs. Le Niveau, c'est l'emplacement d'A'octroi, d'une grande bascule au ras du sol où s'effectuait la pesée des fardiers, tirés par leurs grands limoniers. La rue d'Allégresse monte en pente imperceptible. Fier-Cloporte habite plus à l'est, après la place triangulaire toute malcommode : au 5 Avenue François-Joseph, "Empereur d'Autriche et roi de Hongrie" (c'est sur le panneau) – 1830-1916 – pourquoi ici une Avenue François-Joseph ? pourquoi rue d'Allégresse ? une de ces dénominations d'A'ancien temps, le temps naïf et grandiose où les faubouriens de Liège s'en jetaient un petit au zinc "du Commerce et de l'Industrie", au coin pourquoi pas "'Impasse de la Fraternité.

    Dès les premiers pas le piéton passe au droit des panneaux "Résidence Allégresse", "Propriété privée", "Voie sans issue", superposés. Je n'entre jamais. Prenons tous les jours ou presque, seuls ou en couples,la direction de ces petits commerces Place Pérignon ou "Jean Jaurès" puisque "Jean Jaurès" il y a mort en 1914. Trottoirs de terre battue, perspectives plates et pavillons sans grâce. Les Mousquet s'y sont promenés jusqu'en 97 où le mari mourut chez lui d'une chute au réveil ; lorsque les secours ont passé la civière entre les battants d'Aa fenêtre un jeune infirmier répétait en boucle faut pas vous en faire PAPY ce n'est rien puis ce fut le tour d'Aa survivante aller-retour sur ses jambes en poteaux, octogénaire et chaloupant son abdomen sans une plainte. Ils ont bite au fond du jardin une bicoque insalubre, vue imprenable sur la clôture, télé à fond je l'allume pour avoir du bruit loyé payé ponctuellement bouclant les fins de mois du proprio, visite mensuelle de prélèvement, vingt-cinq minutes de conneries appelées "bavardage". Dernières déclarations du Mari Papy n'oublie pas le gros lapin pinpin dans son clapier rue d'Allégresse au bout à gauche et pis t'es mort, imbécile et grandiose. Le pinpin vaut bien Du haut de ces Pyramides jamais jamais dit par Buonaparte.

    On trouve rue d'Allégresse des renfoncements secrets avec des lapins tout au bout, des couloirs extérieurs sous voûte s'élargissant soudain en cours, en sentier, en prairie de ville ou petits carrés bien bêchés dans l'herbe dite "folle".Derrière des façades fades une porte en bois de passages dérobés d'une rue l'autre ; pour aller chez la Veuve Mousquet il faut passer par un sentier de ciment sous les glycines au sécateur une servitude en langage foncier, pousser la claie du jardinet puis marcher sur l'herbe jusqu'au mur moisi : la bande dessinée – nettoyage obligatoire irrégulier des branchages, feuillages, excréments félins, cailloux et noyaux de pêche sinon SINON le proprio devra payer pour le col du fémur, payer pour le fauteuil payer pour l'hosto payer pour les zobsèques. .

    Beaucoup reste à construire. Les prix s'envolent mais qui achètera la parcelle où vivote et végète une mère et grand-mère de nonante ans ? Non, la rue d'Allégresse n'émet pas d'atmosphère étrange pas même originale. Une rue vide tout au plus avant travaux, sans parfum ni densité. Tel ce triangle de trottoir aux de tiers de longueur devant paraît-il un ancien garage, d'où déboulent sur trois tricycles trois gosses têtes à claques en dérapant sur le sable-et-gravier non coulé – juste ce fragment de rêve : à cinquante ans d'ici c'était les ploucs.

    Oui les passants sont nonchalants. "Chez Grigou, escaliers, menuiseries" allée privée (trois maisons cossues, laquelle est "Chez Grigou" ? Le proprio du "terrain Mousquet" pense un jour demander aux trois gendres de remplacer, faire sauter, la petite claie à claire-voie entre sa plate-bande à lui et le terrain vague herbeux qui rampe jusqu'au mur de la bicoque-à-vieille "un certain charme" – pourvu mon Dieu qu'elle ne se casse pas la binette un jour "ou peut-être une nuit" sur ces 18 débris de bois spongieux désassemblés tout verdâtres qui ne ferment plus, qui se dandinent en grinçant dans les coups de vent. La Nonamousquet dit qu'elle tiendra "bien autant que moi" "mais peut-être bien madame Mousquet (jamais "Mamy" ni "Mémé") vous nous enterrerez tous avec vot' portillon" – rue d'Allégresse qui ne sait rien des habitants ne sait rien de la rue, mais justement ! les habitants n'intéressent personne...

    Jamais. Je n'ai que des maisons. Rien à foutre des gens. Sauf quand ils habitent au fond du jardin. Un effort à faire, c'est tout. Nous n'allons pas imaginer une histoire par bicoque. Ce n'est pas du Perec ici. La rue de l'Allégresse ne rappelle rien. Rien du tout. Un passage ; impersonnel jusqu'au délire. Les morts y passent. Il s'appelait Margolis. Avec ses bretelles, sa ceinture, son chef-d'œuvre Jardin Public rebaptisé, imprononçablement, Les îles Faults. De la prétention, un bon lainage, un bon roman, la mort - Véra F., aussi. Qui est morte. Passer devant sa boutique en se disant Pourvu qu'elle ne me voie pas ou j'en ai pour une heure. Plus de problème. Prochain bavardage de l'autre côté. Sur sa tombe, une gerbe rouge éclatant, toute rectangulaire, àplat sur le sol, ces derniers temps elle n'avait plus que la peau et les os. Je lui ai parlé de moi au-dessus de la gerbe et du bon côté de la terre, et sur les bouquets de côté on lisait À Nicole – Tu savais, toi, qu'elle s'appelait Nicole?

    Sur des rubans roses. On dirait une pâtisserie, qu'est-ce que je disais des gens tout à l'heure ? À gauche donc "Cité de l'Allégresse", brèche incongrue dans la rue à l'ancienne seventie's tout le confort puis la vraie rue démarre : entre ses rebords de trottoir, mollement, comme un alignement de molaires qui trébuchent (les gosses ne jouent "à l'équilibre" que sur des bords bien nets, piétinage et radotage sont les deux mamelles du grand âge. Sur ces pierres déambulait le père Mousquet, grand, ilstable. Un jour des petits cons l'ont bombardé de marrons il a gueulé des syllabes édentées tous les gamins ont détalé. Je ne réagis jamais. Une volée de pétards dans les jambes sans tressaillir d'une ligne. Parole il est sourd ! Haïr tout ce qui est jeune avec la même conscience que je haïssais totu ce qui dépassait 35 ans.

    Elle a beaucoup frappé la nouvelle de Buzzati où les vitelloni trucident leurs pères avant de se regarder dans le miroir à présent son père c'était lui. Le père Mousquet fut enterré avec drapeaux parce qu'il avait été pompier. Ses deux petits-enfants concoctèrent une petite oraison avec une faute énorme religieusement conservée par l'abbé, qui ne s'est pas rendu compte que sa démagogie correspondait exactement à du mépris faire peuple, c'est mépriser le peuple. L'Église crève d'avoir voulu "faire peuple". Madame Veuve Mousquet écoute la messe télévisée. Tous les étés par la fenêtre ouverte d'avril à mi-novembre bon pied bon œil. Toujours riante et souriante, ravaudant les vêtements des vieux : ça repart, ça revient...

    À 8h chaque jour, heure d'hiver, heure d'été, ses volets contre le mur que de maigres moyens ne permettent pas de retaper. Souvent lui téléphoner pour ne pas retrouver unbeau jour son corps "en décomposition avancée" disent les journaux. Qui gagne sous son béret,clopin-clopan, le bout de la rue d'allégresse. Ne pas prendre chaud. Ne pas prendre froid. Revenir. Le jeu consiste à éviter la mère Mousquet. Sans la bombarder de marrons. Du plus loin qu'on l'aperçoit venant à sa rencontre, trapue et vacillante, s'interdire tout changement de trottoir, histoire de ne pas froisser. Échanger des bonjours, des météorologies sur un ton enjoué, poursuivre chacun sa route. Elle a pris l'habitude de ces manières peu causantes. Mon mari était comme lui. Je mène (c'est son mot) une vie "retirée".

    Exact. À la dérobée je regarde ma montre sitôt la visite arrivée. La plus grande satisfaction est de passer tout le jour sans l'avoir vue sortir ou entrer. L'essentiel en tout cas est de ne plus croiser personne :judicieux traversements de rue du plus loin qu'on aperçoit quelqu'un. Quelle autre conduite à tenir ? ...détourner le regard, saluer au dernier moment ? Lâcher "Bonjour !" ? Voici l'endroit précis où se situe la moitié de la rue : cela se passe en biais, sur un angle de vingt degrés. Le côté gauche présente à cet endroit une propriété avec de l'herbe, un balcon où l'on monte par de larges marches, une plaque cuivrée : "Le Scouarnec"

     

     

     

  • CE MACCHABEE DISAIT...

    Ce macchabée disait

    Couché dans mon cercueil, reprenant peu à peu mes esprits, sentant les quatre planches, n'étouffant pas - comme j'aurais dû les entendre, ces battements de mon coeur, et comme il est étrange de ne rien entendre...

    Impossible. Tétra. Plus la tête. Par la fente la lueur d'un cierge - défaut de capitonnage - mes héritiers ne m'ont pas très bien encapitonné - un tic de ma bouche a fait glisser le linceul de mon visage - j'ai chaud, très chaud - soudain je me sens soulevé: le coup discret du Chef de Marche sur le bois près de l'oreille, les six hommes au pas lent, de vagues pleurs chuchotés troublés de temps à autre par un sanglot plus perçant - ils s'imaginent nous transporter doucement. Dignement. C'est faux.
    Ils nous heurtent aux portes. Ils jurent dans l'escalier en colimaçon par-dessus la boule de rampe - j'ai le mal de terre. Puis le corridor, le perron râpé (je reconnais chaque marche, passager cette fois de mon véhicule) - trottoir. Ma boîte enfournée dans une autre boîte, déposée sur la plate-forme. Pas de grand air, pas de cheval, pas de dais : à présent, les héritiers veulent poser le cul sur des coussins pour suivre leurs morts.

    Je sentais les relents de pétrole, j'entendais les hoquets du moteur qui s'étouffe en seconde. Puis un ronron fade mêlé à la chaleur distillée par les vitres du corbillard, étalant sur le cercueil une rosace diaprée. Enfin je suppose. Si j'avais réduit ma consommation de clopes, je me serais prolongé de trois mois ; je ne serais pas mort en plein mois d'août... Revivre ? je tords le nez. Le corbillard s'arrête devant Saint-Firmin. La porte arrière bascule, je suis tiré, hissé. A la résonance, j'ai reconnu l'église.

    Un piétinement de moutons derrière moi. Des chaises qui raclent, des nez qui reniflent. Mes nausées reprennent : un boiteux pour le tangage, et un pédé qui tortille - proportion d'homos dans la profession ? Un cierge se renverse. Petit affolement sous le plancher, puis - mouvement d'ascenseur - le catafalque - un requiem chanté ! Je n'en crois pas mes oreilles. Ils doivent être drôlement débarrassés... Allez donc "prodiguer des largesses"' à des héritiers. On va me laisser longtemps là-dedans?

    Je vais attraper un chaud et froid. Il ne faut pas éternuer. Collecte. Qui peut être venu ? Au bruit, une cinquantaine de personnes. C'est peu. C'est beaucoup. Bon Dieu ce que cet enfant de choeur chante faux. C'est le petit Haffreddi. Sale Juif. J'espère bien que ma femme, ma fille et les trois frères Fiouse auront de la peine un jour - allez au trou le Bernard ! et bloum, bloum, les mottes de terre... "Il est mieux où il est" - pourquoi pas. Un Dies Irae à présent ! C'est qu'ils réussiraient à m'effrayer, ces cons. Surtout que la voix de l'enfant de chœur filerait la colique à un squelette. Mon prof de biolo disait : "On porte son squelette à l'intérieur de soi. ..."Mes os sont liquéfiés par ta -colère ô Seigneur... - Psaume CIII et des poussières... "Devant ce cher cercueil..." Je crois bien. Plus cher que ce qu'il y a dedans - eh! Père Monnard, tu doist'en foutre éperdument : une âme en plus pour le serial killer, là-haut ! "Douloureuses circonstances..." "Coup imprévu..." - j'ai dit : « Faites-le entrer, si ça ne me fait pas de bien, ça ne me fera toujours pas de mal !" Alors ils m'ont foutu l'Extrême Onction.
    mort,cercueil,survieAh curé, curé, qu'est-ce qu'on aura rigolé ensemble, avec tes putains de bondieuseries Mais aujourd'hui je n'ai plus le cœur à rire, un Kyrie, un Pater, c'est le Paradis garanti sur facture, que je sois damné si j'y coupe ! Mais alors pourquoi suis-je toujours allongé là-dedans, 2m x 0,60 - même que malgré le rembourrage ça commence à devenir dur ... Au lieu de répondre il m'encense la charogne - pense-t-il "Fichu métier", ou pense-t-il vraiment "Au pouvoir de l'Enfer arrachez son âme, Seigneur"? Trajet jusqu'au cimetière. Ils enlèvent la femme de sur ma caisse. Elle m'étouffait. Puis on m'enterre. Je regrette les funérailles d'antan, les vraies grandes bouffes grecques, le chant XXIV de l' Iliade, on donnait des jeux, on savait rigoler à l'époque.
    Puis plus rien. Les petits éboulis de terre qui se tasse. Des chuintements. Le calme plat. Je suis vraiment coupé du monde. Je suis mort, à présent, véritablement mort. Enfant, ma mère m'emmenait choisir le tissu d'un nouveau costume ; à peine sorties des lèvres, les voix s'étouffaient dans les rames d'étoffe - des voix voilées - à présent c'est la terre qui pèse sur mes lèvres, le tissu de la terre sur le couvercle, il le défoncerait, m'envahirait comme une trombe, emplirait ma bouche et mes yeux. Un jour le marbrier me chargera de ses quintaux de pierre...

    Combien de quintaux pour un tombeau ? Un tombal, des tombeaux. Je voudrais crier. Fuir. Quelle folie ! Que peut-il m'arriver de plus, à moi mort ? Quelque chose me dit que des risques subsistent... Je frissonne. La terre, la terre... Oh ! comme je regrette d' être mort! Et je pensai : « Peut-être que je suis vivant. Qu'on m'a enterré vivant.

    Pourtant mes muscles ne répondent plus. Peut-être vais-je mourir vraiment. Je perds connaissance. Un bruit de voix qui me réveille. La voix vient d'en haut.

    Ma tatie, au Paradis ? Dialogue animé : "Personne n'en saura rien ! - Il n'en est pas question Madame. - Il est bien là, j'en suis certaine ! voyons, quelques coups de bêche... - Le règlement... - Je ne vais tout de même pas perdre un chapeau de ce prix-là! - Je ne peux pas rouvrir une fosse... - Et qu'est-ce que je vais mettre pour la communion de sa fille ? »Je devine le geste impuissant du fossoyeur. ...Vais-je passer l'éternité sous le chapeau de ma tante ? Long silence. Puis un grattement sur le bois. J'essaie de me tourner - " il est sous la terre une taupe géante qui fore les cercueils..." - un chuchotement indicible : « Eh... a... an... ou...? » Je m'entends dire :

    - Qui êtes-vous ? - Etes-vous bien ? Vous - sen - tez - vous - bien?" Une voix sépulcrale, encombrée de parasites - la mienne, un bourdonnement : "Le satin m'étouffe. » - Remuez légèrement. Vous êtes nouveau. Un mort de fraîche date - vous ne tarderez pas à vous habituer. C'est le mort d'à côté qui vous parle. Je vous ai entendu enterrer. Vous verrez, c'est sympa ici, on sait s'organiser - il y a des cimetières où on s'emmerde, mais pas ici. Il y a de l'animation. - Quel âge avez-vous ? - Je suis mort à quarante-cinq ans.

    « Mais ça fait dix ans que j'habite le caveau treize. On compte dix ans d'âge. Mon nom, c’est Michel Parmentier - je reviendrai plus tard. Pour l'instant, dormez. Les jeunes morts ont besoin de beaucoup de sommeil." ...Ou plutôt je m'enfonce dans une

    sorte de glaire onirique, une longue coulée de rêves emmêlés. Ma femme se penche sur moi. Le souvenir des derniers coups d'artères au fond de mes tympans "...j'entends des pas dans l'ombre" - puis des vagues, des roulis de songes - une musique poignante et lancinante de requiems mêlés, de Mozart, de Jean Gilles, de Cherubini (I et II) pour la mort de Louis XVI ; des éclairs glauques, une sourde douleur dans la nuque.

    Des gargouillis en bulles à la surface de mon cerveau. Et, au milieu de déchirants points d'orgue , une voix qui me transperce : « Bernard! Bernard ! Je te verrai la nuit prochaine !" et la face de Dieu m'éblouissait, et mon corps amoindri me semblait voltiger entre les murs de mon cercueil - je m'éveillai trempé de sueur : « Voisin ! Michel Parmentier ! » La voix me semble douce : « Vous m'avez fait peur, dit-il. Comment vous appelez-vous ? - Le Rêve ! Le Rêve ! - Quel rêve ? Comment vous appelez-vous ? - Collignon ! Bernard Collignon ! - J'aurais dû vous prévenir. Ne vous tracassez pas. Dieu n'est pas si terrible. Vous vous en tirerez avec un sermon et quelques rêves de purgatoire."

    Ce jour-là, j'eus tout le temps de penser - à ma vie, ni plus ratée ni plus perdue qu'une autre. C'était ma petite fille de sept ans que je tenais dans mes bras. C'était ma femme qui me baisait tendrement la joue avant de s'endormir - nous faisions cela religieusement. C'était le terrible accident du 18 juin 40 où mon père avait laissé la vie. Le fleuve à nouveau se déroulait sans fin, avec de longues échappées ensoleillées sur ce qui aurait pu être, des paysages inconnus où mon corps s'ébattait, de voluptueuses reptations subaquatiques dans l'Aisne, mon corps ruisselant, et, à mon côté, la Fiancée me tenant par la main.

    La prairie inondée, les grenouilles, une de nos maisons au dos si large contre la crue épanchée de la Vesle... Quelques heures plus tard, une lueur s'infiltra par le couvercle soulevé. « Salut ! » La tête hideuse et sympathique de Parmentier : "C'est le terrain qui conserve par ici". Il inspecte le cercueil : « Ce n'est pas grand, chez vous. On ne vous a pas gâté. Nous ne pouvons pas tenir à deux, je reste sur le bord. Mais plus vous vous décomposerez, plus vous aurez de liberté de mouvements. Quand vous serez bien décharné, vous pourrez commencer à sortir.

    « En attendant je vous amènerai du monde. - Arrangez-moi les plis du linceul sous le pantalon, c'est insupportable. » Il le fit. "Je suis venu vous réconforter un peu avant la visite à Dieu. C'est le trac, non ? - Plutôt. » Je lui révèle que j’ai touché » ma petite fille, que j'ai sodomisé ma femme, que je me suis prostitué quelque temps, lorsque j'étais étudiant... « Diable ! fait-il en se grattant précautionneusement la tête. Avez-vous tué ? - Oui, sur une barricade. - Ecoutez - je ne veux pas être pessimiste, mais vous en aurez lourd.

    « Je connais un abbé, dans l'allée, en face, qui doit subir toutes les nuits des cauchemars de remords. Parce qu'il faut que je vous explique : l'enfer, le purgatoire, ce n'est pas du tout comme vous vous le figurez là-haut. Il n'y a pas d'enfer, juste le purgatoire, et même pas à jet continu, parce que le Patron sait bien que nous ne pourrions pas tenir." Il hoche la tête en soupirant : « Croyez-moi, le purgatoire, c'est infernal. Et tout le monde y passe. Le ratichon, en face, ça fait vingt ans qu'il tire. Il appréhende les nuits, il réveille ses voisins.

    « Enfin un conseil, soyez bien calme, bien humble, et il vous sera beaucoup pardonné. Je vous quitte, ma femme m'appelle" (je n'entendis rien) "elle ne m'a rejoint que depuis deux ans, elle est encore très... tourmentée." Je m'étonne de l'entendre parler avec cette crudité. "Oh vous savez, ici, on ne fait plus attention. Au revoir !" Je le retiens, anxieux. « Allez du courage. Tout le monde doit y passer. » Après quelques instants d'angoisse, je me sentis plongé dans un profond sommeil. Une voix me déchirait les oreilles en criant mon nom, avec les inflexions écrasées d'un haut-parleur mal réglé : « Bernard ! Bernard ! » - et il me semblait que le couvercle appuyait sur moi de toutes ses forces, comme pour expulser mon âme de mon corps. En outre, pour autant que j'en pusse juger, je sentis que j'étais sorti de ma tombe, et qu'une part de moi flottait bien au-dessus, dans un espace d'une autre nature. Je ne pouvais voir ni mon corps ni mes membres, mais je sentais, loin sous moi, ma poitrine et mes os broyés à suffoquer, tandis que, distinctement et simultanément, une espèce d'autre corps, projeté et immobilisé "en l'air" à une distance incommensurable, se trouvait maintenu là en position repliée, la tête sur les genoux, les mains derrière le dos. Osant à peine relever les yeux, je vis une immense estrade de bois nu, où trônaient des anges noirs, drapés dans leurs ailes. Je compris que ce qui me ligotait

    ainsi, ce qui me forçait à rester immobile, c'était la présence, l'essence même de Dieu. Je me trouvais englobé en Lui, et Sa force me pressait de toutes parts. Un Souffle Ardent me parcourut, qui intimait compréhension, sans qu'il fût besoin de mots.

    Il m'accusait d'inceste, et du meurtre d'un flic. Alors le Souffle m'enserrait plus âprement. Et je baissais la tête en murmurant. Et je sentais mon corps, celui d'en bas, pressés entre deux grils rougis. Je voulus regarder au moins les Anges en face! Ils se tenaient fort droit, comme il est juste : Juges, et Témoins. Ils me semblèrent ridicules, et Dieu lut en mon coeur. Je m'inventai de nouveaux crimes, et chaque aveu me courbait un peu plus : n'avoir plus assisté à la messe depuis... « Je m'en fous ! » tonna DIEU, et les Anges éclatèrent de rire, en découvrant leurs dents aiguës comme des poignards.

    Tranchant enfin mon sexe avec mes propres dents je le tendis à l'Ange le plus proche, qui l'enfouit sous ses plumes. Enfin je murmurai, écrasé de repentir et d'amour : « Seigneur, je ne suis que poussière. - TEL EST TON REVE, ECOUTE, dit le Seigneur.

    TU SENTIRAS TON AME COMBLEE DE REMORDS. ET CE REMORDS TE SERA VOLUPTE, ET CETTE VOLUPTÉ TE SERA PLUS GRAND HONTE ENCORE. ET DE LA HONTE MÊME TU TIRERAS TA VOLUPTÉ. Retourne dans ta tombe, et crois en Ma Miséricorde." Tel fut Son ordre. Et les anges s'envolèrent, agitant leurs ailes noires en poussant des cris rauques. Je me trouvai d'un coup les yeux ouverts, Michel Parmentier près de moi : « Ça va mieux ? ...Je vous ai regardé, ce n'était pas beau à voir. - Pourquoi êtes-vous venu ? En quoi puis-je vous intéresser ? - Entre morts, il faut bien s'entraider. Tenez - il s'écarta - je vous présente ma femme. » Ses yeux bleu pervenche pendaient de leurs orbites. ELLE PUAIT. C'était la première fois que l'odeur m'incommodait.

    Elle commença à m'embrasser, me fixant avec des lueurs éloquentes. « Excusez-la, dit Michel, vous lui faites envie, vous êtes encore tout frais. » Elle tourna vers son mari un regard interrogateur. Il acquiesça. Elle glissa une main sous mon linceul et me fit bander comme un mort. Mais pris de pudeur je les renvoyai tous les deux. Après quoi je restai longtemps de mauvaise humeur.

    Quelques jours, quelques nuits s'écoulèrent - moi aussi (j'appellerai "jour" l'intervalle inégal séparant deux temps de sommeil - intervalle plus court apparemment que sur la terre - pour qu'on s'ennuyât moins sans doute ? Je n'ose penser pour que les rêves reviennent plus souvent... La nuit surtout est dure à supporter. On dort un peu - très peu - puis le sommeil survient, très lourd, puis s'effondre lui-même, comme défoncé par-dessus.

    Puis tranchant la nécrose, taillant son manchon, chutant de plus en plus bas, le cylindre pestilentiel et lumineux du SONGE - non pas à proprement parler une vision, mais une sensation qui se propagerait au corps entier : chaque pore comme un

    œil, aussi autonome qu'un organe entier : une boule au ventre, une boule derrière l'os du front, le Remords comme une matière lumineuse et pourpre, ou le rubis au front de LUCIFER.
    Et aussitôt, infecte, la jouissance, l'ignoble complaisance, l'atroce volupté de l'avilissement. ...Je me réveillai en sursaut, lèvres bourdonnantes. Je passai mon doigt sur mon ventre. Il s'enfonça. Un peu de sanie s'écoula. Des bouts de vêtements sombrent dans la chair liquide ; du bout des doigts je les repêche et les projette, comme des mucosités nasales, sur les parois. Mes mouvements deviennent moins gourds, je suis très fier de cette nouvelle agilité de mes index... Le sommeil me reprit et de nouveau, terrible, le cauchemar m'envahit. Ce n'était pas une histoire vécue, ni des visions, mais une horrible sensation, physique, de remords. Rien de plus terrible que ces rêves d'aveugle. Parfois le sommeil calme revenait, parfois non. Les jours et les nuits avaient perdu leurs repères. Mais sommeils et veilles se succédaient rapidement.
    J'eus envie de la femme. J'appelai. Elle vint. Elle me fit l'amour en riant : « Excusez-moi, j'étais privée depuis si longtemps ! » Elle me vida, et je constatai avec plaisir qu'au moins, sous terre, l'avantage était que les femmes jouissaient aussi vite avec un homme que seules en surface. Au moment ou l'orgasme commençait à venir, survint le mari : "Ne vous dérangez pas pour moi !" Il nous regarda jusqu'au bout et respecta notre postlude. "Elle vous rend service, dit-il.

    « En vous secouant, elle vous aide à vous décomposer davantage... Françoise, tu pourrais rester plus longtemps, par politesse. « J'ai hâte de retrouver le violoniste, au bout de l'allée. » Et je constatai avec non moins de plaisir que les femmes mortes montraient beaucoup plus de chaleur et de spontanéité. « Ne croyez pas cela de toutes, me confia Michel Parmentier. Vous avez de la chance avec la mienne. »Mais ce qui me préoccupait le plus, c'était le Temps. L'ennui. "Michel, comment faites-vous, ici, pour compter le temps ? - Compter le temps ? - Calculer les jours... Michel rit doucement. "Que vous êtes jeune! ma femme posait les mêmes questions... Eh bien, nous pouvons toujours nous régler sur les "bruits d'en haut". Quelque chose de précis, par exemple, les rondes du gardien, et des jardiniers. On les entend marcher, pousser la brouette, parler... - On comprend ce qu'ils disent ? - Bien sûr, avec un peu d'entraînement. Il y a une ronde à 11 heures, et une à 17 heures, avant la fermeture... Mais vous verrez, on cesse vite de s'y intéresser.
    « On s'habitue vite à l'éternité. On s'installe.. . - Il doit bien y avoir quelques marchands de pantoufles, ici ? - Au bout de l'allée, oui... Que voulez-vous dire ? » Je laisse tomber la question dans le vide. "Tenez, reprend-il, je me souviens de la visite des deux beaux-frères, il y a de ça... trois mois, peut-être ? Ils étaient là à discuter au pied de ma dalle, et le premier se met à dire : "Il est toujours là-dessous ce vieux con..." Je l'entendais gratter la terre avec son pied. Et l'autre lui répond quelque chose dans le genre : "C'est ce qui pouvait lui arriver de mieux.

    « De toute façon il était condamné. Et puis qui est-ce qui pouvait bien l'aimer? - Vous avez pourtant l'air bien aimable... » Il hausse les épaules, secoue ses orbites d'un air fataliste. Sa mâchoire s'allonge et pendille, il la reclaque en frappant du carpe, avec un bruit de cigogne. Soudain je m'avise d'une étrangeté singulière : « Mais dites-moi... - Oui ? - Comment se fait-il donc que nous puissions nous voir, l'un et l'autre ? ...D'où vient la lumière? - Tiens ? D'où vient la lumière ? c'est ma foi vrai ; nous n'y avions jamais pensé…

    Je hasarde l'expression de "perception extra-sensorielle". Il reste dans le vague. "Et nous, reprends-je, on ne nous entend pas ? - Non. La plupart du temps, ils n'ont pas l'oreille assez fine. - "La plupart du temps" ? - Ici, nous avons le silence ambiant, nous ne respirons pas, notre coeur ne bat plus... - C'est beaucoup plus facile ? Vous êtes sûr ? » A ce moment mon jéjunum miné laisse échapper, entre cuir et sanie, un doux phrasé bulleux. De tous les coins du cimetière, par le couvercle à demi soulevé, me parvient, semble-t-il, proche ou lointain, toute une rumeur concertante de chuintements, de sifflements, de craquements indéfinissables, ce qui remit fortement en question pour moi l'existence de ce fameux Peuple Souterrain auquel il me faudrait peut-être bien bien croire, peut-être même à quelque sauterie ou danse macabre.

    De la terre se coula à l'intérieur de mon habitacle, formant sur le satin de lourdes traînées grasses. Ca n'a pas d'importance, ce truc ; pour ce que vous allez en faire, du satin... » Il est vrai que les visites - une, surtout - ont singulièrement terni le lustré de

    mon étui. "On peut nous entendre, de à-haut, reprend-il encore, si nous projetons notre volonté. - Les médiums ?- Pas seulement. Finalement, nous pensons très fort, et cela suffit. - Tiens, c'est vrai ; je ne me sens pas remuer les lèvres, quand je parle. - Vous comprendrez vite les paroles d'en haut, répète-t-il. En revanche, pour voir, il vous faudra du temps. »

    Je restai silencieux.. Ma première visite d' "en haut" ne fut pas, comme j'avais la faiblesse de l'espérer, celle de ma femme et de ma fille. C'étaient des pas lourds, de grosses voix masculines, indiscrètes et cependant indistinctes. Michel Parmentier traduisit : "Ce sont les marbriers. Ils prennent les mesures." Je m'inquiétai : "Si le cercueil est solide, ça ne vous écrasera pas. Autrement, si ça vous diminue l'espace vital, vous en serez quitte pour émigrer. - On peut donc sortir de là-dedans ? - Et moi donc ? « ... Quand vous serez bien décharné." Il passa son doigt sur mes yeux, d'où coula une sanie repoussante.

    "Pour vous, ce sera assez rapide." Plusieurs semaines passèrent ainsi. Je restais de longues heures allongé. Michel Parmentier venait souvent m'entretenir. J'appris ainsi un grand nombre de choses. Je l'interrogeai par exemple sur des points de hiérarchie. Cependant je m'ennuyai beaucoup. Je me disais que ce n'était pas la peine d'être mort. Parmentier m'apprit que l'ennui faisait aussi partie du "purgatoire".

    Quant à sa femme, elle -préférait visiblement le jeune pianiste du bout de l'allée.


    Qu'y a-t-il en dessous de nous ? demandai-je. - C'est un cimetière du XVIIIe s. Ils mènent une mort totalement indépendante. - Et plus en dessous ? Il fit un signe d'ignorance. Mais il me désigna la direction de la fosse commune : «Il est très difficile d'y vivre », dit-il. Quant à mes périodes de sommeil, elles étaient troublées de songes atroces, dont rien ne venait atténuer le caractère horrible. Seuls étaient animés les jours de fête.Deux mois et demi après ma mort, je perçus une grande agitation à l'étage au-dessus. Des enfants couraient parmi les tombes. L'un d'eux m'écrasa l'estomac en passant sur ma dalle, qu'on avait installée entre temps. J'entendis le bruit d'une gifle. "C'est la Toussaint", me dit Parmentier. J'étais scandalisé, de mon vivant, par tous ces gens endimanchés poursuivant leurs conversations sur eux-mêmes, leurs impôts, leurs tiercés, insoucieux du sort qui les guettait. On riait, on rotait, on s'interpellait. Je fus partagé entre l'assentiment et l’indignation, voire le désir de surgir, comme j'étais, à la surface, bien que cela me fût encore impossible, pour les accabler d'horreur et de reproches.
    Mais non, dit Parmentier. Laissez-les donc. Ils nous rappellent un autre temps, ils se croient heureux, ils nous font marrer, c'est maintenant, le bon temps. Écoutez-moi ce raffut ! Je ne reconnus pas ma femme ni ma fille. « Elles viendront un autre jour. Aujourd'hui, c'est la grande foire des vivants, qui veulent oublier qu'ils seront morts demain. » Elles vinrent en effet le trois novembre, jour de la Saint Hubert, et leurs douces voix incongrues récitant le "Notre Père" me parurent incomparablement fades

    en comparaison du joyeux tohu-bohu de la Toussaint. Ému cependant, j'envoyai du fond de ma tombe un "Je vous aime encore" appliqué. Je sentis qu'elles en eurent l'intuition, car ma femme du moins m'adressa sur la dalle un baiser et des mercis précipités. Je fus un instant attendri par ma petite Nadine. Les pensées m'étaient plus accessibles que les paroles ; mais je me désintéressais de plus en plus de ma vie passée.

    En fait, je m'ennuyais à mourir. Pour me distraire, j'étudiais les progrès de ma décomposition. Les intestins n'étaient plus qu'une bouillie, où le sexe avait disparu. Un jour une autre mort vint me rendre visite : son cercueil s'était effondré, il cherchait un autre gîte. "Excusez-moi, dit-il ; ce n'est pas drôle de devoir jouer les pique-cercueil." Je dois mentionner aussi les cérémonies du Onze Novembre, la musique épaisse, les garde-à-vous. "Curieux, dis-je à Parmentier. Il me semble que les piétinements proviennent de notre niveau« Devant, sur la gauche. - C'est le carré des soldats, me dit Parmentier. Leurs squelettes marquent le pas sous la direction d'un grand colonel décharné. Vous avez dû déjà les entendre. C'est leur punition d'avoir été soldats." Et comme je m'étonne : « En compensation, précise-t-il, leurs rêves sont plus doux. »

    Trois coups sur la paroi. Je m'éveille avec peine. « Visite médicale ! » Je me dressai sur mon séant, rejetant mon couvercle. Un grand squelette chauve se tenait là, un caducée gravée sur son front jaune. "Vous allez pouvoir quitter la chambre", ricana-t-il. - Mais je ne suis pas encore... Il haussa les clavicules :


    "Vous dites tous ça, me dit-il. On dirait tous que vous avez peur. Pourtant vous vous emmerdez assez, dans ce cercueil. Vous n'allez
    pas me refaire le coup de l'utérus. Ce disant, il avait tiré de sa fosse iliaque un assortiment de pinces et de scalpels. "Tendez un peu le bras droit ? « Vous n'avez pas peur, j'espère ? Un grand mort comme vous ! " Il sectionna quelques ligaments. "Ça fait mal ?" Je ne sentais rien du tout. Il gratta mon radius sur toute sa longueur. "Du vrai poulet bouilli, déclara-t-il. Laissez ça au fond de la marmite, ça pourrira sur place, vous n'en êtes plus à ça près." Il me gratta de même toute la jambe. La chair se détachait en aiguillettes baveuses. Ma rotule lui glissa des métacarpes, il la remit en place. "Comment vais-je faire pour sortir, si mes os se détachent ?

    - Ils l'auraient fait de toute façon. Ca ne tient plus, tout ça." Il jeta derrière lui un fragment de ménisque, puis tira d'entre ses côtes une provision d'agrafes et de fils de fer. Je n'osai lui demander d'où pouvait provenir la matière première : ferrures de cercueils ? chirurgiens enterrés avec leurs instruments ? "Ça c'est du solide, fit-il en posant les premières agrafes. C'est pour la mâchoire surtout que c'est primordial. - Et vous ? - Moi, je tiens tout seul. " Je n'insistai pas. Lorsqu'il m'eut ligaturé, proprement agrafé du haut en bas, il me demanda :« Vous ne connaissez personne dans le quartier?

    - Si, Michel Parmentier. - Il faudra qu'il vous aide pour les exercices de concentration. Vous vous déplacerez par influx magnétiques, mais il faut vous apprendre à les développer. » Il replaça ses instruments dans ses cavités, puis me serra les phalanges à les briser. « Je reviendrai dans un an, pour vous enlever toute cette ferraille. Adieu !» Aujourd'hui, à travers terre, le garde a conversé avec moi. J’ai rencontré aussi des fantômes, j’ai constaté qu'ils avaient beaucoup de force. J'acquis des connaissances diverses : sur une guerre passée entre les morts, dont Parmentier ne put me donner que des détails confus. Je reçus également la visite de la joyeuse bande du caveau vingt-trois : toute la famille, et certains amis, fumaient du pissenlit séché. Certaines séances se déroulaient dans la loge du gardien de nuit, en surface.

    Un jour, on a enterré en face, dans le quartier des caveaux. J'ai entendu la lourde porte se refermer, puis le curé, puis le corbillard. Ils sont repassés devant moi en disant pis que pendre de la défunte. Mes journées se règlent sur les tournées des jardiniers, qui sifflotent, ou des gardiens, qui ne sifflotent pas. Je reconnais chacun à son pas, et à ses soliloques. Ma femme vient moins souvent. J'ai appris qu'elle se masturbe avec le volant de ma voiture. Le jour où j'ai obtenu du médecin-chef la permission de sortir, je me suis affolé : « Mes os vont se détacher ! - Concentrez-vous! » J'ai appris à nager dans la terre, à repousser les mottes souterraines, sans muscles, mais en bandant ma volonté. Parfois je reviens sur mes pas à la recherche d'un os. Une fois j'eus une altercation et nous nous réconciliâmes après avoir essayé chacun l'os (mais elle (c'était une femme) se l'était essayé à l'emplacement du vagin) (on jouit

    comme le reste, par volonté). On circule sous l'allée, ou bien on franchit les cercueils. Je peux rendre des visites, voir enfin les soldats. Pour ne pas m'égarer, il a fallut d'abord me promener avec Michel Parmentier. Les points de repère souterrains sont peu nombreux. Il y a quelques pierres indicatrices. Il existe aussi des couloirs d'une tombe à l'autre, mais ce réseau demeure encore assez anarchique : la terre, àforce d'avoir été remuée, est devenue plus meuble. Dans certains quartiers, les morts ont réalisé un beau réseau de tunnels. Avec mon voisin je suis allé voir une jeune fille morte récemment. Nous l'avons beaucoup surprise.

    Elle est encore très belle et son odeur modérée. D'ailleurs je me suis habitué, je ne sens moi-même presque plus rien. Nous avons parlé à la jeune fille. Elle a raconté sa mort, j'ai voulu la faire sortir, mais Michel est intervenu : « Vous allez l'abîmer : ses muscles ne répondent plus, et elle n'a pas encore fait les exercices de volonté. » Je voulus la posséder, mais ma tête décharnée l'effrayait. Nous avons poursuivi notre promenade. Nous nous heurtions parfois à des parois de ciment: les caveaux de famille. Ils sont très utiles pour se repérer. Dans le quartier riche du cimetière, ils se touchent. Un jour, nous parvenons au mur extérieur. Je propose l'aventure, mais Parmentier me le déconseille : nous risquerions de tomber dans les égouts ; une fois, un camarade à lui y fut retrouvé, la police l'a pris pour un clochard mort, elle a fait des recherches, elle a cru découvrir une identité, et un vivant a été classé mort. On a réenterré le camarade, bien content de retrouver, après quelques errances, son domicile fixe.

    J'assistai un jour à une séance du Tribunal d'Accès. Elle se tenait dans un souterrain voûté. Il s'agissait de savoir si tel ou tel mort était devenu, véritablement ou non, un squelette viable. Ces derniers, rangés derrière un grand couvercle en guise de bureau, huaient le candidat, par trois claquements de mâchoires, ou les applaudissaient (quatre claquements, deux fois deux). Ayant été récemment intronisé, je m'essayai aux claquements, mais cela fit rire: squelette de fraîche date, mes os résonnaient de façon molle et novice. C'était un tribunal d'une propreté éblouissante. Solennels, ils jugeaient une dizaine d'autres morts dans le même état, mais d'aspect bien plus noir.

    Un autre squelette, devant la barre, témoignait que chacun s’était bien débarrassé de toute trace de chair. L'un d'eux, appelé, se présenta muni d'un dernier lambeau mal placé, qu'il essaya de dissimuler entre ses cuisses. Ce furent des huées (trois claquements de mâchoires). Je récidivai. Les regards se tournèren de nouveau vers moi, et l'assistance éclata en huées de quatre claquements (deux fois deux), car j'avais encore, malgré tout, de nombreux lambeaux de chair.

    Je m'enfuis. Moi aussi je passai plus tard devant ce tribunal et m'en tirai fort bien, et même, certains de mes os tombaient en poussière. Dans la fosse commune, la situation est presque avantageuse, on vous fout dans la chaux vive, et après quelques jours de bousculade, les morts passent sans transition à l'état d'esprits. On peut se faufiler à travers pierres. On devient immatériel. On peut même remonter à l'air libre. Nous avons taillé quelques bavettes avec le gardien, qui nous assoit tous sur des sièges de paille et nous donne de quoi fumer.
    Enfin prendre l'air et ses ébats parmi les tombes, se prélasser ! Mais de nuit seulement. Nous nous allongeons parmi les sépultures, nous faisons des danses macabres grâce aux musiciens enterrés avec leur instrument.

    A l'issue du bal, nous finissons la soirée dans un caveau. Les propriétaires nous y offrent de l'encens. Sur différentes étagères, des cercueils, où les cadavres présentent leurs degrés de décomposition. Les plus jeunes, en se soulevant, peuvent participer aux réjouissances. Grâce au gardien, l'encens est complété par de l'opium. Je fais des promenades avec la jeune fille que j'ai vue, et que j'aime. Demain, nous serons mariés. La vie continue. Nous irons en voyage de noces à l'étage au-dessous. ...Le macchabée fait ses ultimes découvertes. Tout a duré un ou deux ans dans son temps à lui, mais un million d'années sur terre. ..La bataille d'Azincourt est figée comme une gelée et se passe éternellement. On la retrouvera telle quelle. Pourra-t-on y toucher ? Les événements du passé sont ceux qu'ont imaginés les hommes de l'an 8000.

    Je suis persuadé qu'on voyagera dans le temps. A la limite, l'espace se recourbe sur lui-même comme une sphère. Nous sommes à sept milliards d'années-lumière et ici à la fois, mais ces deux points de l'espace se recouvrent : comme une vibration (tels les électrons qui bougent tant, qu'ils en restent immobiles. Il en est de même pour le temps.

    Mais je crains fort, cher Houellebecq, d'avoir abusé de votre patience.

     

  • Carré de dames - théâtre

    C O L L I G N O N

    C A R R É  D E  D A M E S

    dédié à Anne Sylvestre

     

     

    ACTE UN, Tableau unique

     

    Une cuisine traditionnelle, avec cheminée. Une grande table sur le devant, un buffet au fond à jardin. TROIS VIEILLES DAMES debout ou assises tout autour. UN REPRÉSENTANT, UNE AUTRE VIEILLE DAME dans un fauteuil roulant, près d’une fenêtre côté cour, sous un amoncellement de couvertures.

    Prévoir un écran, un prompteur. vieilles,savoir,représentant

    PREMIÈRE VIEILLE DAME (JEANNE)

    WATSON’S INTERNATIONAL ENCYCLOPEDY…

     

    DEUXIÈME VIEILLE DAME (FITZELLE), accent naturel de Toulouse

    Tell on… Very exciting…

     

    LE REPRÉSENTANT, petit brun frisé, style taurillon. Les paumes écartées bien à plat sur la table

    Alors ? Décidées ?

    JEANNE

    C’est dit !

    FITZELLE

    Un petit whisky !

    LE REPRÉSENTANT

    Si vous le dites…

    JEANNE ouvre le buffet, sert un verre de whisky ; FITZELLE verse deux verres de Porto.

    C’est du porto.

     

    DEUXIÈME VIEILLE

    Et du bon .

    Le Représentant boit posément. Les deux vieilles avalent ensemble, côte à côte, cul sec (éclairage:soleil couchant)

    LE REPRÉSENTANT, grimaçant

    L’Encyclopédie Watson, chef-d’œuvre de la conscience professionnelle anglo-saxonne...

    JEANNE

    Aryenne…

    LE REPRÉSENTANT se choque

    JEANNE

    Vous n’êtes pas spécialement nordique, non ?

    LE REPRÉSENTANT

    Niçois.

    FITZELLE

    Arabe ?

    LE REPRÉSENTANT

    Tout de même pas.

    Silence. Le tas decouverturesur le fauteuil respire doucement.

    LE REPRÉSENTANT

    Dites-moi…

    JEANNE

    Oui ?

    LE REPRÉSENTANT

    Il va où, cet escalier ?

    FITZELLE

    Il ne va nulle part cet escalier.

    JEANNE

    Il reste ici.

    LE REPRÉSENTANT

    Ah bon.

    FITZELLE

    Porto ?

    Elle le ressert d’office.

    LE REPRÉSENTANT, la main sur le volume

    Une somme incomparable…

    JEANNE

    Il est bon le Porto ?

    FITZELLE

    Nous sommes l’Encyclopédie.

    LE REPRÉSENTANT

    Tout est là-dedans.

    JEANNE ET FITZELLE lui tendent la bouteille

    Là-dedans.

    Il empoigne la bouteille et la vide en roulant des yeux.

    De l’âtre surgit la TROISIÈME VIEILLE,accroupie, tisonnant le foyer

    LA TROISIÈME VIEILLE, MARCIAU

    Pas d’accord !

    Un coup de pétard dans le feu, éclairant les visages dans les mouves rougeoyants ; une lueur inquiétante, au-dessous de l’escalier.

    MARCIAU, brandissant son tisonnier :

    Je ne veux pas acheter L’Encyclopédie Watson.

    LE REPRÉSENTANT, tourné vers les deux autres :

    Vous étiez d’accord, vous deux. Ça fait trois quarts d’heure qu’on discute.

    FITZELLE

    Au moinsse…

     

    LE REPRÉSENTANT

    Ah tout de même…

    Il se dirige en titubant vers la sortie, heurte du genou sur la chaise le tas de couverture qui pousse un cri.

    Affolé :

    Y a quelqu’un ?

     

    LA QUATRIÈME VIEILLE, SOUPOV, de sous ses couvertures

    Imbécile !

     

    LE REPRÉSENTANT se retourne lentement. Il hausse le front, passe son index recourbé sur ses lèvres. Ton doctoral :

    « Imbécile » ? Soit. Mais comment l’entendez-vous ?

    Il referme le tome sur son doigt. Il en appuie fortement le dos sur la table.

    Vous pensez que j’en suis la parfaite illustration.

    Les quatre vieilles approuvent vigoureusement de la tête.

    Vous n’avez pas de miroir ?

    Elles se regardent en ricanant ; MARCIAU, tournée vers la flamme, essuie ses lunettes de fer.

     

    SOUPOV

    Tί δ’ἂν αὐτῷ χρώμεθα ; [ti dann autô khrôméta] ?

     

    LE REPRÉSENTANT

    Ce que vous en feriez ? Ô courte sagesse, ô sexe imbécile ! c’est folie de courir aux miroirs ; bien plus grande encore de les avoir brisés !

     

    JEANNE

    Proxima mors mox auferet nos (sur un prompteur : « Une mort proche bientôt nous emportera ».)

     

    MARCIAU

    Sind wir mal noch Frauen ? (Prompteur : Sommes-nous seulement toujours des femmes?)

     

    JEANNE

    Noli deridere. (Prompteur : ne te moque pas de nous).

     

    LE REPRÉSENTANT les considère et se rassied lentement(à part) Pas de pitié… (déclamant) « On a vu la vieillesse la plus décrépite et l’enfance la plus imbécile courir à la mort comme à l’honneur du triomphe ».

     

    MARCIAU

    Je prends ce tome-là.

     

    SOUPOV, à MARCIAU

    Crève.

     

    LE REPRÉSENTANT, se rengorgeant

    Georges Bénigne Bossuet...

     

    FITZELLE

    On sait.

     

    LE REPRÉSENTANT

    ...qui n’était pas un imbécile…

     

    JEANNE

    Une ganache.

     

    SOUPOV

    Et qui puait du cul.

     

    LE REPRÉSENTANT

    Que de science !

     

    FITZELLE, très vite

    Une buse.

     

    JEANNE, même jeu

    Une couenne.

    MARCIAU, même jeu

    Une croûte.

     

    SOUPOV, même jeu

    Un fourneau, une gourde

     

    FITZELLE, accélérant

    Manche.

     

    JEANNE, même jeu

    Moule.

     

    MARCIAU, même jeu

    Noix.

     

    SOUPOV, même jeu

    Une tourte

     

    LE REPRÉSENTANT, fouillant dans sa mallette

    J’ai là aussi une estampe. À vendre.

    Du plat de la main il la déroule sur la table et se recule vivement. Les têtes des vieilles (sauf SOUPOV) se rejoignent. Ces dernières soulèvent l’estampe.

     

    FITZELLE

    Je vois une faux.

     

    JEANNE

    C’est faux.

     

    SOUPOV, qui a rapproché son fauteuil

    C’est une huître.

     

    JEANNE

    Je vois un texte en vers.

     

    MARCIAU

    On ne voit rien.

     

    LE REPRÉSENTANT

    Facile. (Il se lève pour tourner l’interrupteur. Debout près de la porte à Jardin, la main sur le commutateur, il les considère toutes l’une après l’autre en ricanant silencieusement)

    C’est la gravure, Mesdames, qu’il faut examiner.

     

    SOUPOV

    Nous avez-vous suffisamment détaillées ?

     

    MARCIAU

    Rasseyez-vous.

     

    LE REPRÉSENTANT baisse le bras, tire sur les plis de son pantalon en se rasseyant

    La gravure a pour titre « Der Tod und der Tor ».

     

    Elle représente en effet, traitée dans le style de Holbein, un évêque assis, coiffé d’une immense mitre en bonnet d’âne, disputant avec la Mort une partie d’échecs. La Mort est représentée de façon traditionnelle sous la forme d’un écorché assis de profil. L’immense faux qu’elle tient s’incline juste par-dessus la mitre. À son pagne grotesquement déchiqueté pend une riche aumônière, vers laquelle, par-dessous la table, l’évêque tend une main gantée toute garnie de bagues).

     

    LE REPRÉSENTANT, prêchant

    « Il est sûr que s’il y a un sou à gagner, l’imbécile l’emportera sur le philosophe » (Voltaire).

    Voyez comme il sourit, l’évêque, voyez comme il croit couillonner son adversaire.

     

    MARCIAU

    Tout dépend de comment on le regarde.

     

    LE REPRÉSENTANT

    La Mort étend le bras. Elle va gagner la partie !

     

    SOUPOV

    Sûr ?

     

    MARCIAU

    ...et certaine. Regarde l’échiquier. (Elle lit)

    « Cil cuide engeigner la Mort

    Par lui desrobber sa bource

    L’imbecille doute encor

    S’il a terminé sa course »

     

    LE REPRÉSENTANT

    Savez-vous que cette gravure a failli brûler ? (Il montre des taches brunâtres) Plus des coups d’épingle (il lève la gravure) autour du fer de faux… sur l’échiquier aussi, en forme de croix.

     

    JEANNE, qui ne voit rien

    En effet.

     

    LE REPRÉSENTANT

    C’était pour un exorcisme.

     

    JEANNE

    Curieux, ces déchirures.

     

    MARCIAU

    Je dirais plutôt que vous l’avez arrachée.

     

    JEANNE, qui examine réellement l’image

    Je vois des caractères en transparence.

     

    LE REPRÉSENTANT

    Un pa-limp-seste. Rien de plus courant.

     

    MARCIAU

    Comment ceci est-il tombé entre vos mains ?

     

    LE REPRÉSENTANT

    Après l’incendie de 1614…

     

    FITZELLE

    Mais encore ?

     

    LE REPRÉSENTANT

    Chocolats Bouinbouin. Complétez votre collection (d’un coup, doctoral) Savez-vous que cette estampe pa-limp-ses-tique s’est trouvée mêlée à l’une des plus fameuses a-nec-dotes de la période révolutionnaire ? (Il appuie sur un bouton dans la paroi, qui débite un enregistrement)

    VOIX OFF

    « Le 5 thermidor an II, le chevalier de Pierrefonds jouant aux échecs s’aperçut que la main de son partenaire, posée sur un cavalier devant lui, n’était plus qu’un assemblage infect d’os et de tendons. Levant les yeux, horrifié, il sursauta : son adversaire avait pris l’aspect d’une momie suintante. Dans le sursaut qu’il fit, l’échiquier se renversa. Par-dessous se trouvait cette gravure. Le chevalier s’enfuit aussitôt pour l’exil, sans avoir pu réunir ses biens, jusqu’à Brighton en Angleterre. L’autre se retira précipitamment par la fenêtre, en dégageant une odeur pestilentielle. Les domestiques affirmèrent sous serment que dans la rue, l’homme avait repris un aspect naturel, la perruque de travers toutefois. C’était lui que le Tribunal du Peuple avait chargé d’arrêter le Chevalier. »

     

    SOUPOV

    C’est combien ?

     

    LE REPRÉSENTANT écrit une somme sur un papier qu’il pousse vers elle.

     

    JEANNE

    Trop cher.

     

    LE REPRÉSENTANT

    Comment ?

     

    JEANNE, en russe

    Slichkom daragoïé.

     

    LE REPRÉSENTANT se

    carre sur son siège

    À prendre ou à laisser.

     

    JEANNE

    Est-ce votre compagnie qui vous demande de vendre ?

     

    LE REPRÉSENTANT, burlesque et solennel

    Certains membres de notre compagnie.

     

    LES QUATRE VIEILLES ÉCLATENT DE RIRE

    MARCIAU s’empare de la gravure et la scrute. Elle tire de sa poche un crayon et du papier, commence à prendre des notes.

    SOUPOV, renfrognée, fait un signe de croix orthodoxe en direction de la table.

    FITZELLE, accoudée au dossier de MARCIAU, lit distraitement par-dessus son épaule et bâille.

    LE REPRÉSENTANT sursaute.

    JEANNE, précipitamment

    Dieu vous bénisse !

    LES TROIS AUTRES, mécaniquement

    Et vous fasse le nez comme j’ai la cuisse.

     

    LE REPRÉSENTANT

    Quelle heure est-il ?

     

    SOUPOV

    Ah que ça va être censément dans les huit heures-z-et demie.

     

    MARCIAU sans lever le nez

    L’heure que tu dégages.

     

    FITZELLE

    Ma montre s’est arrêtée.

     

    LE REPRÉSENTANT

    C’est un effet de la gravure.

     

    MARCIAU

    Ça fait tard.

     

    LE REPRÉSENTANT

    Oui, quoi-t-est-ce qu’on bouffe ? (en hébreu) Mayèsh lé-êhhol ?

     

    FITZELLE, hargneuse

    Y’a pas de chambre.

     

    JEANNE

    T’as vu ta tronche ?

     

    SOUPOV regarde ses compagnes

    Vous êtes ici chez moi (regardant le REPRÉSENTANT) Vous êtes ici chez vous.

     

    FITZELLE

    Ce sera des gaufres et rien d’autre.

    LE REPRÉSENTANT fait signe que ça ne le dérange pas. SOUPOV roule son fauteuil contre la table, près de l’âtre, où son visage apparaît en pleine lumière. MARCIAU, sur la pointe des pieds, place la gravure de chant sur la table, légèrement enroulée.

     

    SOUPOV

    Personne ne vous attend ?

     

    LE REPRÉSENTANT

    Pas même vous.

     

    JEANNE lui tend son assiette vide à bout de bras

    Tiens, Azraël.

     

    FITZELLE farfouille rageusement dans le haut du buffet ; les verres s’entrechoquent.

    Il va nous taper l’incruste ce blaireau (plus haut) C’est vrai, ça, que tu es représentant de commerce ?

     

    LE REPRÉSENTANT se fouille, se met à poil

    J’ai oublié ma carte… J’ai une femme… Deux enfants… J’ai une bi- euh, une sexualité normale…

     

    JEANNE rappuie dessus pour le rassoir.

    Assis.

     

    MARCIAU allume deux chandeliers

    LE REPRÉSENTANT

    Ne vous mettez pas en frais…

     

    MARCIAU désigne la gravure magique, encadrée à présent de chandelles à la façon d’un tabernacle. La gravure doit être de biais par rapport à la salle ;

    FITZELLE, désignant la gravure

    Ça me brouille l’estomac.