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Retour à St-Flour

 

C O L L I G N O N

 

 

R E T O U R    A

 

ST-FLOUR

 

Tous mes chapitres portent des numéros de rois

All my chapters are numbered kings

 

 

CHAPTER THE FIRST

 

J’écris par erreur et par obstination

 

Description   

Trottoir ébréché

cantal,province,hôtel

sur caniveau sale. Une pantoufle en surplomb : placide, Ripa, à trois pas de sa porte, un chat gris sur l’épaule. Une ville en forme de cœur serrée sur l’éperon Planèze. En bas le Lander sous-affluent du Lot, qui déborda l’an passé. Une sous-préfecture du Massif Central, sept mille habitants, quatre écrivains. La vie s’effondre comme un fleuve, tout contre nous, obstinés, têtes basses.

 

Identité

Ripa, la Rive. Il se débarrasse des prospectus : « La Course aux Ânes », « Flambourg dynamique, Bal Mousse au Naïte »- je ne veux pas que ça vive.

 

Température. Date

6 degrés. Dix avril 2002. 900 mètres d’altitude.

 

Description (le personnage)

Un nez, dont le bord inférieur (de profil) évoque la courbe d’un canif ou ganivet a écaler les noix. C’est emmerdant les descriptions. Toutes les filles me l’ont dit. Elles qui passent bien vingt minutes par jour à se branler ne vont tout de même pas en perdre dix à lire une description.

 

Âge – Domicile

53 ans. A toujours habité mettons rue St-Jean, n° 43, Flambourg, quartier Banclou, sur le plateau. À Banclou, pas de conflit. Juste une petite envie d’assassiner sa tante, quatre-vingt six ans, sur son lit. Tous félicitent Ripa de son dévouement, il ne lui reste qu’elle, grabataire, exigeant des soins constants ; il a obtenu de l’hôpital Montieux (Fermons-l’Écran) un lit médicalisé qui se monte, s’abaisse, s’incline, comme chez Nègre, le dentiste. Ripa aime bien sa tante : rien que du matériel de pro. Il compte bien qu’elle durera le plus de temps possible (indépendamment de sa pension, qui passe toute en soins) ; il ne chauffe que la pièce, à gauche, où elle végète, avec le feu dans l’âtre – et comme il a bien refermé dans son dos, le voici qui prend l’air, en pantoufles, sur le pas de sa porte.

 

Menus

Ses menus ne varient pas. Longtemps, un employé apporta de petits repas tout cuits. À soulever successivement les couvercles, l’odeur s’élevait, délectable :  « On en a bien assez pour deux. » Le plateau vide était repris le soir, sans corvée de vaisselle. Mais Ripa s’est vexé. Il a fini par refuser « la charité ». Il s’est mis à la cuisine. La tante en sera peut-être bien morte (adhérences intestinales ? ...ravioli à tous les repas.

 

CHAPTER THE SECOND

 

Organisation

Ripa se paye une infirmière à mi-temps, à mi-coût avec les Services Sociaux. Il ne pourrait se passer de Firmine, quand on soulève la tante paralysée, qu’on la repose sur sa couche bien propre. 

 

Culture

La Maison de la Presse est sise au coin de la rue du Gu, entre deux murs en angle et trois tourniquets de cartes. Le proprio, c’est Servandeau. Ripa fait son entrée, son chat sur l’épaule : pur bâtard qui crache, noir et blanc à longs poils, Louksor. « La Montagne ! - Un euro 10. Qu’est-ce que c’est ? - Un autre chat, pour remplacer celui d’avant. Perdu à Pampelune, coursé par un chien fé-roce. Foutu pour foutu, il a préféré sauter par-dessus le mur de terrasse dans les branches d’arbres, en contrebas. Je ne l’ai jamais revu. »

Ici tout le monde se connaît.

Le chien de Servandeau se redresse en gueulant : pas le même fumet. Servandeau tend le journal et rend la monnaie.

 

Description, II

 

Julien Servandeau : grand, mou, 56 ans, lunettes "Haphine-Monture" made in Clermont. De celles qui vous renvoient,, sur du tain blanc, votre propre image :

insupportable. Sa femme Greta, petite rousse et maniaque, se précipite pour vous rajuster sous le nez, dans l’étalage la revue que vous venez de feuilletere.

 

Vie privée

Les Servandeau habitent sur place, un petit réduit avec canapé, réchaud. La maison de campagne est loin. Ils ont fait venir une table, un buffet bas. La nuit, Servandeau pose son bijou de poitrine en argent (le bijou) sur le dessus du buffet couvert de linoléum. Le lit n'a pas de pieds. Il est à même le sol, dans une pièce sans fenêtre.

 

CHAPTER THE THIRD

 

 

Servandeau at work

Servandeau travaille dur. Les journaux sont reçus à sept heures. Il les place en rayons, les pose à l’endroit s’il y pense. La boutique ferme à 7heures. « Me voilà en retraite » dit-il. « Ça me laisse plus de temps pour visiter ma tombe. » La dalle porte son nom, né le tant, tiret d'attente - et l'épitaphe, plagiée sur un tombeau de Quinsac : HOMME DE LETTRES. A cent francs la lettre; 1400F ("plus de deux cents-z-euros" (il fait la liaison) "en monnaie d'Occupation" (sic). Des contes moraux de Servandeau paraissent dans Feuilles d'Auvergne. Mais il n'a garde d'abandonner son comptoir. Il reçoit le client, lui vend, le remercie : "On ne prend jamais sa retraite", dit-il, "dans le commerce".

 

Dessin, lecture

Derrière son comptoir, aux heures creuses, il dessine des tombes. "Désir d'indépendance" disent les pédopsy. Mais à cinquante-six ans ? Ripa cependant, sortant de sa chambre-hôpital, achète sa Montagne. SERVANDEAU s'est plongé dans un "Poche".

RIPA

Fais voir ?

SERVANDEAU, présentant la couverture :

Ernst Jünger.

"C'est bien", pense Ripa ("...pour un marchand de journeaux").

Le lendemain, Servandeau lit un autre livre. Mais il se dérobe : "C'est sans importance" - il ferait beauvoir qu'un Ripa contrôlat ses lectures ! Servandeau collectionne aussi les grands titres de journaux : "Coup de grisou en Chine", "Tsunami en Indonésie", "Ecrasé sous son tracteur retourné". Il colle ces manchettes dans un classeur.

Sur un carnet à part il note les Prophéties de Nostradamus ; beaucoup servent plusieurs fois. Servandeau et Ripa se connaissent depuis quinze ans. Ils haussent les épaules l'un de l'autre.

 

CHAPTER THE FOURTH

 

 

La Toile

Flambourg a trois Cybercafés, en sursis : chacun s'équipe, ici comme ailleurs. Serrvandeau choisit le plus sombre. Au fond d'un boyau garni de "moniteurs" gris (en français : screenplays) officient deux prêtresses géantes, suceuses des indigents de la com' . La première a des lunettes d'écaille, la tête à droite, elle apprend le mandarin. La seconde, tifs queue-de-vache et menton galoché : de la présence, du piquant. Servandeau découvre tout. Courriel l'enthousiasme. Restons français. Des Françaises en interface, des Belges, des Comoriennes : "Relations discrètes - Race indifférente".

 

The girls

Servandeau truque sa date de naissance. Pas de photo non plus - no webcam. Sa femme Greta, née Gus, jalouse et maniaque (celle qui replace les journaux) - avare ! p as prête d'investir dans l 'achat d'un P.C. (Portable Computer). Servandeau va au cyber comme on va au bordel. Il dit : "Rupture de ramettes A4 ! je fais une virée à Fermont.

- Passe donc ta commande par téléphone, comme tout le monde !"

Elle croit les prêtresses du Cyber-Point [saïbeur-poïnnt] incorruptibles : impardonnable... Servandeau se les tape dans l'arrière-boutique. "Autre chose que les parlotes sur la Toile."

 

CHAPTER THE FIFTH

Coquart and C°

Ripa s'est organisé un roulement d'aides-soignantes. Ça permet de sortir avec Coquart, que je sais même plus qui c’est. Coquart, ex-notaire, pousse des bordées de jurons tout bas : « Quarante ans que je me suis retenu. Je vais me gêner ». Coquart est tout petit, tout jaune, comme Feu Mitt’rand. Il n’est ni prêtre défroqué, ni fils de prêtre (des bruits courent ; les mêmes que sur Baudelaire ; Coquart tient des fiches sur tous les bruits qui courent).

Il habite une magnifique maison place Ste-Ischrine avec de splendides caissons de plafond, qu’on regarde en contre-plongée de l’extérieur, par les fenêtres.

 

Distraction

Promenade avec Ripa place des Brilles, face à l’Institut Selvat. Ils s’assoient tous les deux sur le banc, tous journaux dépliés (La Montagne, Le Centre, La Pinachval) devant les yeux, matant les filles à travers les trous. Des journaux. Ils se relèvent en craquant des genoux, replient leurs envoilures en grognant contre les culs-bénits. Chez Coquart ils boivent de bons coups de Floch de Gasc, Me Coquart jure. La place des Brilles donne en terrasse, vers l’est, sur le ravin de Serres-Salles aux flancs couverts d’arbres et de prés. Tout au fond c’est la Maronne, affluent de la Cèze. À l’horizon, le Cantal qui s’étage, mauve, pourpre, poulpe.

Par temps de neige tout étudiant transgenre serait transporté, pas la peine de rester perclus sous La Montagne en bandant vaguement. J’sommes ben d’accord dit le notaire.

Autres distractions

Ce n’est pas ce qui manque. Ni ce qui abonde. Ex-Maître Coquart, de mèche avec « Jean-Claude Auxbois, Biens et Propriétés », se fait confier des trousseaux de clés. Bien des vieux crèvent, dont les enfants ne se dérangent même pas pour l’héritage : « Trop de frais, trop de réfections ! » Alors Coquart et son con plisse, nuitamment, s’introduisent comme des gueux dans les demeures branlantes : « Un pays qui crève ! - Eh ben tant mieux !  - Je quitterais bien ma vieille tante ! dit Ripa. « Achève-là ! » jure Coquart. Passant devant l’agence Auxbois, Ripa salive devant ce qu’on vend, et les prix hors de prix, émoluments compris : « Tout croule dedans bordel » avertit le notaire, déchargé de son devoir de réserve.

Ex-Me Coquart ne sous-prête pas ses clés. De nuit les fentes des volets tracent des raies sur les parquets, les murs vides résonnent, Ripa se sent chez soi. Il ne se confie pas au marchands de journaux (Le Centre, Bitachval), Marcel Servandeau : ce dernier préfère les tombes, à chacun ses manies ! Les retraités occupent à présent la place et l’emploi des princes et princesses de jadis, qui avaient tout loisir de vivre des tragédies d’amour. « Je ne veux rien savoir des jeunes de Frambourg » dit Ripa. Les visites clandestines se prolongent. Les lattes de parquet craquent. « Et le chat sur l’épaule ? » Il ne bronche pas.

Son nom est « Kraków », prononcez « -kouf » à la polonaise : « Cracovie ».

Un gros chat gris à longs poils, avec de grands yeux dorés.

 

Dernière distraction, « la plus nulle mais pas la dernière », least but non last

Ripa, dans les appartements déserts, joue à l’aveugle, déambulant de long en large, Kraków sur l’épaule. Le maître du chat repère le notaire à sa résistance magnétique, à la crispation des griffes sur l’épaule : »Si je me crevais les yeux, cela m’avantagerait ». À dix ans il lisait Contes et légendes tirés de l’Antiquité classique : « Je serais » dit-il, « aveuglé comme Œdipe » - il prononce « é- », comme il convient (ésophage, fétus, Édipe ; écuménisme, énologue.

 

CHAPTER THE SIXTH

 

Dévotions

Servandeau fait ses dévotions ; lui l’athée, à Ste-Istrine-Bas-de-Pente,il s’agenouille et il croit croire. Une église « Napoléon III », aux vitraux laids, pour prier les yeux clos. À genoux bras en croix sans voir ni être vu dans l’absidiole, pas même du curé qui joue au foot à St-Bastien avec les minimes. Ou à plat ventre sur le pavé. L’inconvénient est de ne pas savoir où tourner la tête, car, sur le bout du nez, c’est intenable : à droite comme à gauche on attrape des crampes, sans pouvoir jouir de son sentiment de déréliction (« sentiment d’abandon, de privation de tout secours »). Il faudrait un bourrelet de tête, qui laissât sur le devant un espace pour l’appendice nasal, qu’il porte long et bourguignon. ; s’il était vu ne fût-ce qu’une fois par Servandeau, adieu vente de journaux. Mais où qu’il soit, fût-ce au comptoir, Servandeau récite trois Je vous salue aux trois angélus, matin, midi et soir, trois fois trois coups suivis d’une courte volée de cloches enregistrées ; l’angélus fut institué l’an quatorze cent soixante-et-un par le bon roi Louis XI, classé parmi les Pères de l’Église à la Bibliothèque monacale de Belloc (Pyrénées-Atlantiques).

 

Autres superstitions

À Nuestra Señora del Pilar de Zaragoza, le notaire en veston, l’avocat, touchent au matin l’énorme clou sanglant des pieds du Christ et se signent, la bouche, le front, pour dès l’aurore être inspiré de Dieu. À la Basilique de St-Antoine à Padoue, les fidèles font des vœux, priants et tête basse, la main plaquée de toute la paume sur la paroi tombale du saint. Servandeau se rend Pont du Drer où pendent au-dessus de l’eau les poivrières. C’est là qu’en treize-cent soixante s’enclosaient les pénitentes, juste nourries par un jour-de- souffrance, pissant er pourrissant sur place pour expier les péchés du monde. Servandeau fasciné s’accoude au parapet, regardant sous ses pieds filer l’affluent païen, tandis que « nos curés jouent au foot et répètent « Dieu veut que nous soyons heureux ».

Car si en vérité corps et crampons de foot sont rédimés par l’Incarnation, à quoi bon les religions. Le pont du Der conserve deux cellules en pierres noyées par les crues avec leurs occupantes. Certains ans de grâce le courant ne montait qu’à lèche-fesses, de quoi nettoyer la sainte merde. Et c’est ainsi que Dieu est grand.

 

Massacres

À dénoncer : l’abbaye romane d’Urbanville (Oise) est défigurée par une pyramide de gobelets de plastique sales, juste devant le porche.

À Cormilly, un sombre connard a bouché les abat-sons du clocher avec des planches de chantier : les  « vitraux » de Soulages, obstruant de leurs fades laideurs lesbaies médiévales. Et 4€ la crêpe.

Malgré cela, à St-Flour, s’incline en porte-à-faux une magnifique, fine et provisoire forme en fil d’acier, gracile, inaltérable, inclinée là de toute éternité ; éphémère au seuil de l’inaltérable.

 

CHAPTER THE SEVENTH

Réunion

Chez Coquart se réunissent Madame et Monsieur Coquart ; les Servandeau, quatre hommes et femmes scrutant toujours l’Homme au Chat sur l’Épaule, Ripa. Forte circulation de bons vins et de Verveine du Puy. Un chat se porte sur l’épaule ou en terre. « Plus jamais de chat », dit l’épouse Servandeau qui souffrit tant lorsqu’elle inhuma, en fond de jardin, son regretté Birman mort faute de soins : Greta Servandeau née Güs, d’Abyssinie. Amélie Coquart née Guibaud révèle ou confie : « Ripa cherche femme ».

 

Mariage

À plus de 50 ans, la chose est plus facile qu’à 25 ou 30 : « Il n’y a plus de jeunesses. À 25 ans, elles sont toutes en ville. On ne trouve plus ici que des hommes. Culs-terreux costauds et célibataires,voir ces bites à l’air devant les K7 porno ». « L’homme au chat trouvera », c’est la sentence admise. La revue des princesses à prendre est vite faite : ce sont des rougeaudes, grasses et laides. D’autant plus difficiles et revêches, comme il est de rigueur, qu’elles tiennent à être aimées pour elles-mêmes, comme au bon vieux temps. « Ce qu’il faudrait à Ripa, c’est une infirmière » dit Greta, « qui le prenne par la main jusqu’à la Section J » (cimetière Ville Haute).

- Je n’aimerais pas justement » coupe Coquart, « une infirmière qui m’aide à mourir. Elle ne voudrait pas se toucher devant moi. Elle m’angoisserait jusqu’au dernier moment, comme elles font toutes ». Il se souvient avec émerveillement de la séquence de What ? (1972 Polanski) où le vieillard expire en contemplant de près l’origine du monde : « Que c’est beau » murmure-t-il, avant de retomber mort. Amélie née Guibaud le fait taire.

 

CHAPTER THE EIGHTH

De la femme. Des hôtels.

Ripa se détache de sa grabataire. Tout l’héritage en effet file dans les soins et frais de garde. Il part coucher au Terminus, en face (l’établissement n’ouvre plus que quinze jours par an, pour causes touristiques) – une chambre avec le chauffage et l’eau, juste la place pour un lit et le lavabo. S’il déplie ses jambes ses pieds sont dans le lavabo. La tenancière et sa fille survivent méfiantes et seules, grosses et rouges. Retranchées à l’entre-sol derrière leur comptoir à rabattant, sur l’escalier juste après le tournant des chiottes en montant. Ripa ne les connaît que par ouï-dire. Il entreprend mère et fille – il fait l’aimable. Mademoiselle de 23 ans coince un sourire dans sa gueule de graisse : « Tous les étés je vais au Club Med c’est facile pour les rencontres. Le reste de l’année je me branle ». Ça se défend.

Les femmes gèrent leur sexe. Ripa ne s’y fait pas. Ça le désappointe. C’est un homme comme les autres. Tant de sang-froid. Tant de calcul. L’homme se sent sale. Obscur. Abandonné. Anormal. l’homme qui se branle, ça, oui, c’est de la solitude. Plus tard l’hôtelière introduit des amies, des cousines, en contrebas, par une rue où personne ne passe. « Les chats sont interdits Monsieur Ripa. Depuis six ans que vous passez devant chez moi ! ...c’est bien parce que c’est vous. N’oubliez pas votre litière ». Les deux hôtelières ont beaucoup d’amies. Ripa s’imagine bien des choses. Mais pas toutes.

 

Photographies coquines

Chez Coquart il montre ses photos : « Chambre 6 ». L’hôtelière a des caméras cachées. Le secret sera bien gardé. Il faut bien que la ville s’amuse. St-Flour est petite et ses habitants ternes.

Aucune pécheresse en porte-à-faux ne prie plus dans sa cellule au-dessus du Der. On se montre en ville certains couples, divorcés, sans avoir, ni l’un ni l’autre, déménagé. Se côtoyant comme si de rien n’était. Inertes. « Et l’on s’étonne, dit Servandeau, que les ventes de fictions soient en chute libre ? » Lorsque Ripa n’est pas là, chacun regarde les autres photos, les clandestines, celles qui sont prises du plafonnier : « Ripa drage », « Ripa se couche », « Ripa s’endort ». Greta, née Gus, épouse Servandeau ; Amélie Coquart, née Guibaud, entre elles, après le dessert, jugent ce client d’hôtel immariable. « Imbaisable », dit Servandeau.

 

CHAPTER THE NINTH

De la retraite

Rien, du comportement de Ripa, n’implique dépression ni souci : pour lui un chat d’épaule, quand d’autres se contentent d’une casquette de marine à galon dédoré, achetée en brocante : c’est Coquart. Ils vivent retirés du monde, c’est toujours vivre au même endroit. On n’imagine pas l’horreur que c’est de toujours vivre au même endroit. Le bienfait, aussi. La douceur curative de l’argile natale. Ces prolongations que l’on joue, ces arrêts de jeu, jusqu’à la fusion du moi, jusqu’à l’aplanissement de la tombe : l’extrémité du monde est une Sous-Préfecture. Avec jardin public pour le chien.

Ripa ne bouge pas. Le chat grogne et détourne la tête. Acculé à Saint-Flour, coincé au fond de soi, même pas malheureux : Je n’ai pas cet honneur, dit-il. Ses interlocuteurs ne comprennent pas bien. On le prend pour un modeste. Ou un orgueilleux. « Vaniteux », dit Servandeau. Fuir loin devant soi ? « C’est bon pour les gros budgets » . Ripa ne s’abîme que dans ses contemplations – je ne contemple rien dit-il aux femmes trop curieuses, j’habite Hôtel Terminus. Les épouses échangent un coup d’œil.

 

Hôtel Terminus

Il en existe un peu partout en France : « Enfin on se sent chez soi ». Au bout du monde. Il n’y a pas d’ « Hôtel Bout du Monde » - on appelle ainsi des culs-de sac ou reculées, terminées dans le Jura par un demi-cercle de falaises. Le Terminus de Saint-Flour a pour grave défaut la dureté des lits. De vrais battants de portes, sous des matelas raides et maigres. Ripa y transporte une couche de rab, en mousse, et cale dans son dos les deux oreillers de l’armoire. La télé là aussi a tué toute solitude. Le grand nivellement commence avec l’écran dans l’angle en haut à gauche, au-dessus de la salle de bains « avec un s, parce qu’on prend plusieurs bains » - nous ne sommes plus au temps du crottin de chevaux.

Il allume, éteint, somnole, se promène en ville à l’heure du ménage, revient parfois chez lui où l’entretien du lit médicalisé lui coûte un bras – Ripa fuit par tous les trous. « Irresponsable » dit Servandeau. St-Flour comme ville étrangère, aux Éditions des Trois Colonnes.

 

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