Proullaud296

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Cette nuit-là

 

C O L L I G N O N

C E T T E N U I T – L À

 

" Je vis seul

" Je dors seul

" Je meurs seulement

 

"Rhacophore petite grenouille arboricole aux palmures postérieures très développées pouvant servir de parachute au cours de sauts effectués dans les arbres des forêts tropicales du Sud-Est asiatique (...) Nom usuel: "grenouille volante" (Larousse universel, t. XIII)". Chaque soir le garde m'ouvre les portes de la serre ; je trouve là, sur 30m de haut, de quoi satisfaire ma curiosité. À mes pieds les racines de palétuviers baignent dans un marécage en réduction où plongent les reflets sombres sur des profondeurs égales. Mes jumelles d'intérieur jouent sur les verticales, remontent vers les cimes où se distinguent les racophores sautant de branche en branche, atteignant même les eaux mortes à mes pieds : j'apprivoise ou du moins nourris mes petits ranidés de divers insectes tirés d'un petit coffret de santal cylindrique.

Le garde est natif de Malaisie, naturalisé – nous entendons par là "français". Distant et sec dans l'exercice de ses fonctions. Ma mère à moi provient de Battambang, près de Kok Ampil,au nord du pays khmer. On a dans ces contrées abondamment usé de cruauté, dans des grottes où se tinrent des massacres. Bien que je sois également né dans cette ville, je n'y retournerai plus. Perspective unique à cette heure nocturne, la haute verrière du Jardin des Plantes, accessible par pur privilège dans l'obscurité, après fermeture. Il en coûte bien des soins, et bien de l'argent, d'entretenir ces massifs arborés, dont les cimes se pressent aux membrures sommitales de la grande serre.

Je prends quelques clichés (800 ASA, grand angle) de ces merveilles batraciennes planantes, indiscernables à l'œil profane. Les lianes s'encordent sur les troncs moites. Il me vient l'image d'un corps aux membres soudés sous le feu des cauchemars. Cette nuit où je m'engage m'ouvrira le plus définitif des tunnels, jamais je ne replacerai mes pas dans mes empreintes ; juste avant de perdre connaissance brasenbae preah chong si Dieu veut, jeverrai sous mes paupières voleter les phosphènes étincelants de mes Créatures ; il ne me reste plus qu'à reposer en paix. Dans mon dos le Malais referme les panneaux de verre.

Je n'ai pu obtenir que la clef des grilles extérieures ; je marche au jugé dans ma nuit. Au 25 rue Buffon j'occupe au premier étage un appartement aryanisé dont l'occupant disparut à Kœnigsberg en 45. Avant d'y parvenir je dois effectuer quatorze fermetures de ma main, alternant à bout d'avant-bras les clés du pesant trousseau ; certaines actionnent jusqu'à trois serrures. Il m'en faut quatre personnelles pour ma porte, que le proprio juif a fait blinder avant sa mort. L'épreuve de la nuit constitue à proprement parler la véritable vie. Chez moi les vasistas haut placés, bridés à la façon des Génies courroucés sur les stoupas; étirés, menaçants.

Monté en chaussettes glissantes sur le bureau verni, je passe à l'étroit mon bras tout entier dans le noir extérieur, tremblant qu'une main ne m'agrippe. De là je saisis et déplie sans les voir les volets de plastique, assujettis très vite du dedans l'espagnolette.

La longévité moyenne des ranidés n'excède pas quatre ans. grenouille,obscurité,jardin

Je n'aurai pas plus qu'eux accès à la vieillesse. Les trois premières lettres forment le mot "vie" – vetus/ vita : sans parenté. Poursuivant ma seconde mission de clôture, j'accède aux portes-fenêtres en balcon d'angle,où tentent de pousser 25 petites cactées en autant de petits pots, séparées de la rue par des vantaux. Quand j'ai bien tout fermé me voici à l'abri des monte-en-l'air et autres vandales. Ma mère a pu rapatrier du Kampoutchéa l'argent, les bijoux "volés au peuple". Quand elle mourut, voici dix-neuf ans, 1 mois et 9 jours) elle recommanda de ne rien investir en fermetures automatiques en dépit des publicités (bulletin météo d'Euronews).

Je suspens mon trousseau personnel à côté du compteur. Je pense aux femmes croisées dans la rue tout le jour, que j'aurais tant voulu connaître à l'instant du plaisir ; ce sont leurs mains qui s'attardent à présent sur les clôtures de leurs logis, avant que leurs yeux ne se ferment à leur tour. L'instant du coucher reste celui du plus grand courage. C'est après m'être vu au miroir, la tête entre les lampes face à moi, qu'interviennent sur mes traits les convulsions de ma virilité : demain je serai ferme. Un homme – ferme, femme, à une lettre près. Cela ne peut manquer. Dormons et reprenons des forces. Sur l'Atlas blanc Bordas, "Index des noms", j'avance de trois villes par jour, en ordre alphabétique, dans telle pays, telle contrée où jamais nulle étincelle batracienne (l'ai-je oublié) n'aurait la moindre chance de survie. Si loin de tout tropique, entre Munich et Ingolstadt, in der Hallertau – double rangée de façades blanches dans le brouillard avec frontons, larmiers, doubles vitrages.

Et par beau temps le lendemain des cultivateurs à lunettes qui partent au labour en costume de confection.

Je ne pense pas que mon sommeil affole les foules : à peine sous les draps et dans le noir, je m'adonne avec ferveur à la catholique habitude de l'Examen de conscience. Qu'ai-je fait de ce dernier jour qui me fut confié, de ma vie qui n'a plus lieu d'être. Si j'ai suffisamment souffert et bien rendu. Défilé dans mes yeux fermés des mines défaites et des habits des hommes ou de leurs rictus, éclats de voix, de rire etc. - écriture et méditation malgré le sommeil toujours en embuscade, envois de messages - moins par téléphone toutefois, où se dépense en pure perte un trésor de chaleur, plutôt par lettres, aux réponses tardives et décevantes.

Bénie soit la toile, qui sans profondeurs ni brouilles ni mort d'homme parvient à parler sans fard. Sur la toile envoyer paître tel ou tel, peu importe le tort ou la raison, les échecs viennent tous de l'autre et la sottise est réciproque. Préférence encore pour ces jours de solitude ou de compagnies légères (vendeur de journaux, cafetier qui me pose la tasse sous le nez sans un mot, manques d'égards où couve la haine, c'est la vie, je ferme les yeux. Heureux les hommes qui referment leurs tiroirs avant la nuit comme des portes ou des volets.

Je fus soupçonné du meurtre d'un vieillard locataire au fond du jardin, c'était à s'y méprendre un Gartenzwerg bien glabre et cabossé, voûté, le nez pendant et le pantalon flasque. Je l'aurais tué disait-on pour retrouver mon carré d'herbe et de plantes si rares à Paris, au fond d'un puits de murs où le soleil vient peu. J'aurais dû signaler ses grommellements, ses loyers en retard, ses incessantes allées et venues (alors je l'ai tué) – "Monsieur Truong Phan Van" ont dit les journaux "n'a rien laissé paraître" il me gâchait le paysage, de sa cambuse je ferai un pavillon d'été – le vieux a disparu. Famille introuvable (deux nièces à Lyon, qui l'ont peut-être interné au Vinatier – certains vieillards s'enfuient vers leur "âtre" comme ils disent, glacial mais où ils ont vécu trente ans.

Je me soupçonne fortement d'avoir tué ce vieux. Je ne peux rassembler ce qu'il faut d'argent pour réhabiliter son bouge, sa bauge, à mon seul profit. Peut-être qu'il n'est pas bien mort. Ce souci me taraude avant mon sommeil, puis viennent les grenouilles rhacophores, qui veille ? qui dort ? qui vit qui meurt et toutes ces choses. Puis les grenouilles s'évanouissent en pleine mangrove. Épreuve ultime : dans le lit, affronter ma mort – que philosopher, c'est apprendre à mourir à bon marché (ou à vivre ? jamais de la vie) - j'ai ouï dire qu'il existait "une forme de bouddhisme" qui laissait subsister les passions tout en s'en détachant – à vérifier – consulter Sénèque, Nazianze (Grégoire, dit le Théologien) "Sois à la fois l'athlète et le spectateur" ou mon prochain.

Mon lit de mort est le centre du monde – quoy ! N'ay-je faict suffisant exercice ? - avec mon jeu de réussites "Les Dames de la France". J'explique : si la carte que je dis à haute voix coïncide avec celle que je tire (la carte), c'est que je mourrai demain. Roy de Pique ! - l'As est sorti, je survis d'un jour et rebats trois fois. Le record est à fin avril, et quand enfin je meurs coïncidence Bouche et Main je pousse un grand cri et mon cœur bat plus fort, la roulette russe n'est pas mal mais c'est très, très dangereux. La fusion finale au sol àl'herbe ne m'effraie pas car je suis très, très loin de l'échéance (l'imminence) on dit que Charles-Quint lui-même chanta les répons du fond de son cercueil : répétition générale Monastère Cuacos de Yuste 1557.

Vitalie Cuif épouse Rimbaud se fit descendre ("la mère Rimbe") dans sa bière sur deux cordes au fond de la fosse "pour voir". J'ai de plus en plus peur j'expire lentement ente mes lèvres question : Suis-je le seul sommes-nous seuls à souhaiter tout au fond de soi l'exact ajustement de l'instant conscient et de l'éternel, seconde après seconde - autre chose, tout de même ! que la quête du bonheur pursuit of happin (n ?) ess

 

 

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