Proullaud296

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  • Blattes, Blattes

    C O L L I G N O N

     

    B L A T T E S , B L A T T E S

     

     

    I Regarde-les, mon âme ; ils sont vraiment affreux - Baudelaire – Les aveugles

     

    1. a) Détail de la reptation, dans les angles, le long des plinthes.
    2. b) Le couple effaré, serré l'un contre l'autre, musique de Schubert.
    3. c) Vision élargie à l'ensemble de la cuisine et de la boucherie de Fort-St-Jacques

     

    II L'héritage

     

    auberge,boucherie,exposition

    a) Ils lisent, effarés,le document descriptif

    b) L'obligation de résidence alla Ponzia

    c) Ils prennent possession des lieux en se déplaçant, toujours l'un contre l'autre – musique

     

    III Les lieux

     

    1. a) Les aubergistes, sur leurs talons, expliquant.
    2. b) Montée de l'escalier, les douches, les chambres merdiques
    3. c) Le puits des miliciens, retour aux blattes

    Tout être qui se sent persécuté est réellement persécuté

    MONTHERLANT Le cardinal d'Espagne

     

    A I a

     

    Les blattes sont de petits insectes dégueulasses, hétérométaboles et dictyoptères. Ils trottent dans les lieux obscurs en faisant cra-cra-cra et se nourrissent de Nos débris.

    Les voici en pleine lumière, au plafond, sur les murs. Partout. Non pas en files ou queue-leu-leu comme les cafards noirs et ramassés, non, la blatte longue et brune a son identité, son autonomie. Elles sont toutes là en positions différentes, éblouies par l'ampoule à 100W qui les fusille aux yeux, les aplatit dans l'illusion qu'elles ont d'être invisibles, elles font les mortes sans penser encore à se contracter d'un coup les six pattes sur le ventre pour se laisser tomber et filer, sans pressentir encore leur extermination à grands coups de savates à même les parois et le plafond nu. Et paf à deux tatanes chacun ça fait quatre taloches qui tapent et tapent sur les blattes qui tombent.

    La mort la plus simple pour l'organisme le plus simple. Ce n'est pas compliqué, un rectangle brun qui craque à peine. Éviter de coller le cadavre au mur en claquant trop fort.

     

    A I b

     

    Sur les blattes les babouches à la main, carnage en dépit du grand nombre de planqués par tous les angles et toutes les fissures, deux humains crâne rasé, roux pour la femme :

    - Vingt-cinq dit l'homme.

    - Quarante-quatre dit la Marquise, rase, rousse, en sarrau bleu. Elle s'est acharnée la vache. Total 69. "C'est un h asard – Fait chier tes obsessions Pascal, cherche un balai." Pascal cherche au hasard vers le fond, là où c'est le plus sale, où trouvent les placards normalement, dans un appartement qu'on ne connaît pas.

    Les cadavres s'empilent sur la pelle et ça fait penser à Auschwitz c'est au tour de Pascal de gueuler T'en as pas non plus toi des obsessions dégueu? Donc ils débouchent leurs oreilles et coupent le son C'était quoi pour toi dit la femme Schubert comme d'hab répond Pascal Passe-moi la poudre à lessiver dans la bagnole il est tout pâle. Il jette les cadavres dans un grand sac en plastique.

     

    A 1 c

     

    Ils sont arrivés mains dans les poches, le reste suit par autocar. Les écouteurs au fond des oreilles, bonne provision de cassettes dans le sac, pendu dans le dos comme une couille arrière. Ici c'est une ex-boucherie, désaffectée désinfectée, avec des grilles serrées serrées de droite à gauche de la vitrine. Des barres creuses, étroites et rondes impossible à frotter sauf à la brosse à dents modèle enfant, semi-cylindres maculés de minium et de sang séché. Odeur fade et vague qui donne la sensation de mâcher du steak juste assez salé limite avarié. Une espèce d'arrière-goût dans la bouche, dont on veut d'abord s'assurer, puis se débarrasser en miappant dans le vide, et qui précisément s'accentue, dans la salive, là, juste au-dessous du creux de la langue.

    A l'arrière, non pas aveugle ni privée de fenêtre, l'arrière-boutique, le boyau-cuisine où se cache un vieux réchaud à gaz tout poreux, une table sous toile cirée. Très grasse. Et si, tout de même, une fenêtre aux volets clos qu'on ouvre à ras du sol de la ruelle latérale (dans un grondement d'espagnolette oxydée) avec vue sur le goudron, le caniveau cimenté mais fendu (ses eaux sales) ainsi que le plâtre du mur d'en face, où s'ouvre une fenêtre de chez les autres avec rideaux plus le cul d'un appareil TV.

    A II a)

    "...soit, pour les époux Schongau-Schongauer" (Marquise Arielle et Pascal Papier) "en propriété indivise un bâtiment sis au six, rue des Puniques sur trois niveaux dont une Boucherie désaffectée plus arrière-boutique, chambres et dégagement sur le premier étage" (toilettes et point d'eau), chambres et point d'eau, combles, le tout

    " - constituant immeuble de rapport dit "hôtel désaffecté" pour insalubrité par décision préfectorale du 20 juillet 84, chaque chambre pourvue d’une literie, de meubles hôteliers adéquats et de tous tuyaux, robinetterie, lavabos et bidet en bon état de marche, à charge tôt ou tard l’obligation pour les époux de réaménager à leur gré exclusif tout ou partie, intérieur ou extérieur des bâtiments décrits susdits – sous réserve d’habitation et occupation domiciliaire constante et définitive des lieux sous peine d’expulsion en vertu de l’article (etc).

    Jeanne de Schonau et Pascal Schongauer dit Papier, unis par cousinage impliquant bâtardise de branche et par liens de mariage ont reçu et accepté le Six rue des Puniques à Fort-St-Jacques à charge d’habitation et d’ « occupation bourgeoise » des lieux » suite à condamnation par contumace de Blatt-Oliver Blattstein en poste puis destitué au Consulat français de Montevideo (Uruguay). »

    Pour trafic illicites Blatt-Oliver croupit dans les prisons dorées de Punta del Este sans extradition possible : c’est du gouvernement uruguayen lui-même qu’il est justiciable.

    « Que mes cousins » écrit-il « occupent cet immeuble. Tout, plutôt que l’Administration

    des domaines ; les Schongau-Schongauer, au moins, n’ont pas, et de loin, les moyens de transformer l’hôtel de mes ancêtres en minable palace de luxe ».

    Accord entre les parties.

    Dont acte.

    « Eh bien… répète Pascal en relisant les textes additionnels.

    - Parcourons, dit Jeanne, Marquise de Schongau.

    Pascal replie lentement le document, et, main dans la main, écouteurs pendants, tous deux s’engagent sur le raide escalier de bois noir qui monte là-haut.

     

    A II c)

     

    A la douzième des vingt marches, Pascal s’arrête net : « Douzième marche de ma vie ; à 4 ans par marche, me voici à 48 ans sur 80 ».

    Jeanne de Schongau ricane.

    Ils poursuivent épaule contre épaule, jusqu’à leurs chaussures sentent la blatte. Ils débouchent à quatre-vingts ans sur le grand palier, qui comprend : une pierre à eau (« évier », de « l’ève » ou «l’ eau », aqua) ; un coin douche, dont les deux parois, dans l’angle, n’atteignent pas le niveau du plafond.

    Et autres choses disgracieuses, armoires, coffres, et tout se qui se désaffecte, le tout affligé de poussière. Des bruits grinçants. C’est éclairé par une vue sur un boyau d’entre-deux-murs.

    Comprenant de surcroît : un corridor tordu au plancher traître, plus au bout à droite une chambre en parfait état d’abandon d’un coup.

    « C’est la plus belle.

    - Sûr ! dit Pascal, qui n’en a pas vu d’autres.

    La cheminée grasse de poussière, une brochure d’histoires belges dans le tiroir de la table de nuit. Couvre-pied lourd, sol déprimé au centre, l’envie poignante d’habiter là à tout jamais, nulle part, et puis de peaufiner des premières phrases toute sa vie. Philosophe à Fort-St-Jacques.

     

    A III A°

     

    « La meilleure chambre » dit l’aubergiste. Et comme on ne l’a pas entendu venir, il frappe sur l’épaule de Pascal.

    «  Je vous ai suivis. Demandez les clés. Vous penchez pas trop. Votre fenêtre donne juste au-dessus de la porte au boucher. Ça c’est de l’étage : 4,50m. »

    La femme de l’aubergiste sur ses talons.Elle avait dit :

    « C’est mon mari qui vous a installé la pompe sur l’évier dans le dégagement. Et des toilettes dans le boyau. Vous avez pas vu les toilettes ?

    - Il y a des blattes, observe Jeanne, de Schongau.

    - Vous aurez du produit. »

    Elle souffle à cause de l’étage. Le mari aussi. Ils sont tous les deux très typés. Sans intention d’être drôles, mais vraiment très gros, très essoufflés. La femme plus que l’homme. Quand on la regarde dans les yeux, on sent une jeunesse éternelle et poignante qui donne envie de la baiser , vers la 15e marche sur 20, mais par derrière, ou sur une table d’auberge, la sienne. En même temps, ce n’est pas drôle, pas comique du tout, le mari non plus ne porte pas à rire : très gros, très fort, très grand, à l’alsacienne, avec des bretelles, un schnurrbart et des restes de blond sur les pattes. Les deux couples se contemplent avec intérêt.

     

    A III c)

     

    Les aubergistes habitent en face, à l’auberge, qui fonctionne, ils ont les clés d’ici, la gestion de l’hôtel leur a été retirée : « Insalubre » dit l’homme, « insalubre ».

    - Il faudrait des frais énormes, dit l’épouse, qui rougit.

    Ces deux personnes suivent Schongau-Schongauer Jeanne et Pascal de chambre en chambre, désaffectées, matelas roulés sur les sommiers, volets mal clos, donnant sur des portions de rues typiques, étroites, dans ce bourg mort signalé « médiéval » : très haut directement par dessus le goudron, 5m 1/2.