LECTURES "LUMIERES, LUMIERES" FINKIELKRAUT / SPIRE
HARDT VANDEKEEN "LUMIERES, LUMIERES"
FINKIELKRAUT "LE MECONTEMPORAIN" 48 01 05
Finkielkraut est un petit malin. Finkielkraut commence à m'intéresser. Après avoir calmé le jeu dans la ridicule et odieuse affaire Camus (Renaud, précisons), j'ai fait connaissance avec l'une de ses oeuvres antérieures, datant de 1991 : "Le mécontemporain". Ce mot-valise cache l'un de nos auteurs le moins connu désormais et le plus vilipendé : Charles Péguy.
"Il a mauvaise presse", me confiait dernièrement une documentaliste goche bon teint, sans autre précision de sa part. Je soupçonne certains recruteurs de livres d'avoir plus ou moins, tlutes sympathies politiques mises à part, un comportement souterrain de directeur de bibliothèque à Orange : pas un Péguy dans le CDI de je ne dirai pas quel lycée. Mais pas un non plus, sinon un ouvrage fort ancien, daté, très cher, dans la librairie intégriste de la rue Georges-Bonnac (je fouine partout).
Péguy est mal vu, aussi bien à gauche qu'à droite, parce que d'une part il a trahi la lutte des classes chère à Jaurès au profit de la mystique (toute lutte pour l'amélioration des conditions humaines et l'instauration du règne du socialisme universel commence en mystique, avait-il coutume de dire, et s'achève en politique, c'est-à-dire en luttes d'influences et de propagande afin de conquérir le pouvoir ou desp ositions dominantes) ; parce que d'autre part, jamais il n'a consenti à rejoindre les rangs des cléricalistes, jugés obscurantistes, étouffant la jeunesse et les femmes sous des préjugés moyenâgeux.
Pour Péguy, être de gauche, ce n'est pas nécessairement se vouer au matérialisme le plus épais, ce n'est pas renier les aspirations de l'âme humaine vers l'infini, ce n'est pas chasser les sorcières souis prétextes qu'elles sont croyantes et pratiquantes ; d'ailleurs il ne fut pas pratiquant au sens grégaire du terme, ses enfants ne furent pas d'abord baptisés.
Pour Péguy, être croyant, ce n'est pas se réfugier dans l'ombre moisie des sacristies, ni obéir inconditionnellement à un pape despotique ; le patriotisme consiste à exalter tout ce qui est français, Orléans, Jeanne d'Arc, les terres de Lorraine et Notre-Dqme de Paris, mais ce n'est pas jeter sur tout ce qui est prussien la haine d'un fils de Daudet, ce n'est pas exalter l'esprit revanchard qui finit par déclencher la guerre 14.
Mais ce n'est pas s'aveugler non plus par un pacifisme bêlant ou utopique, c'est savoir faire ses périodes militaires et se tenir prêt pour une invasion qu'il sentait venir dès le coup de Tanger en 1905. Trop souvent l'on a vu en Péguy un godillot fleurant la sacristie, un flingueur de Boches portant le missel dans sa giberne. Finkielkraut fait justice de tous ces préjugés, nous ramène en particulier à un retour aux sources, à un retour aux textes.
Ce n'est pas la première fois en effet que l'on condamne par ouï-dire sans relire. Péguy s'est brouillé avec tout le monde de son époque, y compris avec les dreyfusard triomphalistes criant "à bas l'armée, à bas la calotte", y compris avec les dreyfusards honteux disant "nous sommes peut-être allés trop loin", non : il revendique sa lutte pour la justice et la liberté, il revendique aussi ses accents non pas bellicistes mais de mise en garde, sans rien renier, ni son engagement auprès des classes défavorisées, ni sa profonde croyance catholique.
En quoi consiste l'originalité de Finkelkraut ? En sa méthode tout d'abord, sinueuse comme souvent, nous menant par des passerelles imprévues d'un point de vue à l'autre, d'un raisonnement à l'autre, toujours vaguement juste, toujours légèrement tirant par les cheveux, mais nous enveloppant, nous séduisant par sa grâce universitaire dans un style juste assez trapu pour un intellectuel, juste assez fluide pour un "honnête homme" du XVIIe s.
Déjà nous avions pu apprécier pour le déplorer parfois cette faculté de se faire briller mine de rien, de paradoxiser afin d'enserrer le lecteur dans un filet de convictions défendables, où ce dernier avait été délicieusement mené, d'abord à son corps défendant puis avec toutes ses aises. Nous avons tout compris à la fin de l'ouvrage, nous sommes en effet convaincu, mais avec le sentiment d'avoir été menés en barque.
Nous autres du corps professoral préférons par tic professionnel certains ouvrages comme le "Péguy par lui-même" où tout est exposé bien clairement, de façon qu'on retienne bien tout. Et ce qui cloche dans l'ouvrage de Finkielkraut, c'est cette volonté de montrer, de démontrer que Péguy fut un précurseur, qu'il est bien notre contemporain, et fortmécontent, quel'on trouve chezlui toutes sortes d'idées qui sont de nos années quatre-ving-dix / deux mille, et que l'on pourrait alléguer certaines de ses phrases sans en changer une ligne.
Voici ce que cela m'inspire : nous lisons dans Flaubert maintes diatribes sur la sucrerie vertueuse et odieuse des bourgeois et autres "gens bien intentionnés", qui tuent l'art, qui assomment la musique, et abrutissent le peuple. Ces phrases flaubertiennes, grossièretés comprises, pourraient figurer effectivement dans une revue satirique contemporaine, et nous en dirons autant de Péguy.
Faut-il conclure de ces deux hommes qu'ils furent des précurseurs ? Péguy avait 7 ans à la mort de Flaubert. Faut-il au contraire poursuivre notre remontée dans le temps, et s'extasier avec Jean-Jacques Rousseau qu'à son époque aussi, l'écrivain, l'inventeur, devait se mettre sous la protection de quelqu'un qui fût bien en cour afin de faire valoir son génie ? Ces jérémiades nobles ne sont-elles pas de tout les temps ?
N'y a-t-il pas eu deux poètes qui se suicidèrent fort jeunes sous Louis-Philippe afin de protester contre les conditions léonines posées par les éditeurs aux pauvres poètes, brebis désarmées ? j'ai oublié le nom de ces deux poètes, dont le sacrifice fit si grand bruit, et ne modifia nullement lepaysage social, dominé encore aujourd'hui par le favoritisme et l'argent ? Ne s'agirait-il pas d'un lieu commun ?
C'est Musil qui comparait la pensée humaine à une tête changeant souvent de chapeaux, une vingtaine environ, et se figurant chaque fois qu'elle avait inventé une nouvelle façon d'entrevoir et de fustiger le monde, eine neue Weltanschauung, alors qu'elle ne faisait que remettre un très .vieux couvre-chef pris pour un neuf. Il y a ainsi une vingtaine de thèmes qui reviennent faire florès, à intervalles réguliers, parmi lesquels, mais alors à titre celui-là de basse continue, le thème de l'argent qui pourrit tout.
Que Péguy flétrisse l'argent, la corruption, la dégringolade de l'intelligence humaine et la déshumanisation de notre espèce ne le classe pas parmi les jérémiadeurs contemporains qui entonnent tous exactement la même antienne (mais qui sait encore ce que c'est qu'une antienne), mais parmi les râleurs de tout poil qui ont vu dans leur époque, précisément dans leur époque, le summum de la décadence.
Chacun de nos siècles s'est cru le point d'aboutissement nécessaire de toute l'histoire. A présent que nos connaissances historiques ne remontent plus guère au-delà de 1910, nous croyons que nous sommes terriblement modernes - mais non, ô sublimes analphabètes, les contemporains de saint Louis eux aussi croyaient que la fin du monde et la fin de l'histoire étaient proches !
Bref, l'ami Finkielkraut s'imagine faire une bonne oeuvre, et nous l'en félicitons, car les bonnes causes disait Nietzsche se gagnent toujours par de mauvais argument, en se battant les flancs pour nous démontrer que Péguy est notre contemporain, c'est dans le titre. Que Péguy est sympa, qu'il pourrait parler avec nous à notre table, qu'il avait bien tout prévu, que nous sommes en plein dedans, et qu'il est jeune, à la mode.
Eh bien pour en revenir à mon cher Renaud Camus (ça fait chier les braves gens), je dirais que Finkielkraut, même s'il a pris sa défense (fût-ce sur un mode éventuellement dédaigneux), n'a pas lu attentivement son journal de 1994 ("Campagne de France"). Il y est dit en effet que non, mille fois non, les artistes ne sont pas nos contemporains, que nous rebattre les oreilles de la contemporanéité de Sophocle, d'Eschyle ou d'Homère est faire fausse route, et que l'artiste au contraire fascine par son étrangeté, par son éloignement, par sa lontanéité, à opposer à sa proximité.
Un certain Lodéon, passé de France-Inter à France-Musiques, ce qui en dit long sur l'évolution de la chaîne du sieur Bouteiller, tentait et tente encore peut-être les après-midi de nous faire passer Chopin, Mozart et Schubert pour une bande de joyeux copains qui, dans la décontraction, et pour le peuple, composaient de la bien belle musique M'sieurs-Dames, et même parfois des chefs-d'oeuvres à la portée de tous les cervelas.
Pas du tout, pas du tout : ils eurent des vies et des inspirations âpres et combattues, isolées au milieu de la bêtise de leur époque, la même qu'au temps d'Hölderlin, de Monsieur Homais ou de Charles Péguy, la même bêtise prétentieuse qu'à notre époque à nous. Nous autres non pas chevaliers du Moyen Age mais intellectuels des broussailles et du XXe siècle, nous avons la fâcheuse manie, comme les autres, de tout ramener aux problèmes de notre époque polie comme un chinois.
Cela ramène les lecteurs, cela rameute les jeunes universitaires, cela fait flairer le vent aux éditeurs qui pressentent que des livres sur Péguy pourraient bien revoir le jour d'ici un ou deux an, ce qui leur rapporterait des bénéfices, qui est le maître mot depuis la nuit des temps : il suffit en effet qu'une coterie de journaleux le décident pour que Péguy, Charles, revienne à la mode, habillé des oripeaux de notre temps.
Chacun sait que la maîtresse réussite du Surréalisme fut de se constituer tout un vivier de précurseurs, Bosch, rabelais, les Baroques e tutti quanti. La tactique est légitime. Nous avons pris un grand intérêt à suivre les méandres convaincants de Finkielkraut dans son ouvrage publié en 91 (c'est vieux ! diront les Hugo Reyne) chez Gallimard (encore ! diront les petits malins) et nous espérons bien que, remise à jour ou pas, la pensée de Charles Péguy, épris de justice et de noblesse, retrouvera sa place dans notre paysage culturel encombré de Rinaldis ou de del Castillo (encore des amis que je me fais, tiens; but who cares ?)
Il reste bien sûr à juger sur pièces, car je fus souvent vague, rien ne m'ayant à vrai dire laissé un souvenir impérissable - et puuis mieux vaut avoir tout de même un petit bagage péguyssois - Péguy soit qui mal y pense - pour mieux goûter les fines analyses de Finkielkraut à qui je conserve toute mon estime: ce sera la page - prenons notre pièce de monnaie - 182.
Et comme la chose n'est pas si rare, elle est blanche, comme est blanc le livre de la sagesse du "Candide" deVoltaire. Tout est joué à la page 182. Alea jacta est. Ce n'est qu'à la page 183 que commencent les innombrables références dont les ouvrages universitaires ou assimilés se croient tenus d'assommer leurs lecteurs. Ainsi, pour l' "Introduction", sous-titrée "Notre jeunesse" (titre emprunté à Péguy) et la jeunesse du monde", trouve-t-on la n. 1 renvoyant à Claude Simon, in Promesses et menaces à l'aube du XXIe siècle (Conférence des lauréats du Prix Nobel, 18-21 janvier 1988), Odile Jacob, 1988, p. 145.
Note 2, Péguy, Dialogue de l'histoire et de l'âme païenne, in Oeuvres en prose, 1909-1914, Pléiade, Gallimard, 1961, pp. 111-113.
Note 3, Ibid. ( ce qui veut dire "ibidem", "au même endroit", p. 216.
Et ça continue, encore et encore... Il vaut mieux se référer en effet à Péguy qu'à ses saints, fussent-ils ses thuriféraires, et ne le critiquer qu'à bon escient, non, Bonnessian n'est pas un Arménien, parfois je me sens fatigué, mais fatigué...
HARDT VANDEKEEN "LUMIERES, LUMIERES"
SPIRE "L'OBSESSION DES ORIGINES" 48 01 12
Une fois n'est pas coutume : le compte-rendu qui sera fait aujourd'hui portera sur un ouvrage que je n'ai plus entre les mains, ayant dû le rendre, et vous n'en ouïrez hélas aucun extrait. Il s'agit de "L'Obsession des origines" de Spire, officiant à France-Culture, et désireux de s'opposer à Renaud Camus. Encore lui, direz-vous en parlant de ce dernier. Certes. Il introduit dans sa première version de "Campagne de France" ou Journal de 94 un antisémitisdme sournois en même temps qu'avoué, dans une démarche vicieuse que M. Spire nous dévoile avec bonheur.
Ce sont tout d'abord dans ce livre, "L'Obsession des origines", des pages magnifiquement écrites et sincères sur l'enfance de cet homme, la découverte de sa judéité, les questionnements qu'elle a induits en sa personne. Nosu retrouvons cela dans maints récits de jeunesse, et pourvu que le style et la hauteur d'esprit en imprègnent les pages, le lecteur demeurera captivé par ces relations toujours à la fois vaguement les mêmes et si humainement individualisées.
L'ouvrage cependant diffère des simples constatations chronologiques et se dirige rapidement vers son but : dévoiler disais-je, une fois de plus, car les portes ouvertes possèdent les plus solides chambranles, ce que cachent les discours bien-pensants et cauteleux de l'antisémitisme comme-il-faut. Première contre-vérité de Renaud Camus, "les" Juifs. Le pluriel lui-même est une absurdité. Il y a 1 Juif plus 1 Juif plus 1 Juif. Cela n'autorise jamais le pluriel. Il est impossible de déterminer "ce que pensent les juifs", "comment votent les juifs", "quel est le niveau de culture des juifs". Ils constituent, comme les Belges, les femmes, les Auvergnats ou les coiffeurs, une communauté qui n'a de communaujté que par le nom. "Les" juifs donc, puisque pluriel il y a, se déchirent entre eux aussi bien que les autres, voyez ce qui se passe en ce moment en Israël, voyez la multiplicité des points de vue qui les font s'affronter à travers le monde au sujet des affaires du Proche-Orient par exemple.
Il est donc particulièrement absurde et dangereux d'affirmer que "les" Juifs ne seraient pas aptes à assimiler aussi bien la culture française que les paysans d'Auvergne ou du Velay, purs Gaulois. Nous nageons là en pleine faribole. La culture française a précisément cette caractéristique de fédérer toutes les ethnies, toutes les origines, juive, marocaine, écossaise, polonaise, dès l'instant où l'individu s'est appliqué à étudier, à aimer - car on s'applique à aimer - les écrivains, les peintres et les musiciens de la France.
Cette capacité de fédérer les intelligences s'applique d'ailleurs aussi bien à la culture grecque contemporaine, mongole ou serbe. C'est l'intelligence, c'est l'ouverture qui priment, et non pas telle conception étroite de quelque nationalisme que ce soit. Nous sommes nos parents et grands-parents et arrière grands-parents, soit, mais nous pourrions peut-être avoir fait quelques progrès depuis Barrès, et je citerais ici volontiers Stefan Zweig :
"Toujours la nature, conformément à sa tâche mystique qui est de préserver l'élan créateur, donne à l'enfant aversion et mépris pour les goûts paternels. Elle ne veut pas un héritage commode et indolent, une simple transmission et répétition d'une génération à l'autre : toujours elle établit d'abord un contraste entre les gens de même nature et ce n'est qu'après un pénible et fécond détour qu'elle permet aux descendants d'entrer dans la voie des aïeux".
Cette traduction de Stefan Zweig, due aux efforts d'Alzir Hella et d'Olivier Bournac, a le mérite d'étayer la thèse évidente suivante : le rapport de l'individu avec la culture est individuel, et n'a rien à voir avec son ascendance, surtout quand elle est aussi discutable que l'ascendance juive. En effet, figurez-vous que les rabbins eux-mêmes ne sont pas d'accord sur la définition qu'il convient d'adopter pour définir celui qui est juif et celui qui ne l'est pas.
"Est juif quiconque dont la mère est juive", c'est reculer pour mieux sauter ; le coup de la poule et de l'oeuf... Vous pouvez même vous faire convertir au judaïsme et produire un certificat de conversion, fourni par un rabbin modéré, certificat qui sera déchiré par un rabbin radical. L'obsession des origines est donc celle de tout juif en fait, alors que celle de Renaud Camus semble celle du Gaulois menacé dans son identité franco-française et refusant toute assimilation, fût-ce après maintes générations.
Nous prétendons que Senghor est bien plus assimilé français, lui le Sénégalais, que n'importe quel bistrotier de la Marne aussi inculte qu'un pied de chaise, ivrogne et fier de l'être. Français, mais con. Sénégalais, mais cultivé. On m'excusera de préférer celui-ci à celui-là. Il y a trop de juifs à France-Culture ? Faux. Il y a trop de cons en France, vrai. On parle trop des problèmes juifs en France ?
La question juive tiendrait trop de place dans le débat philosophique, social, politique en France ? On pourrait peut-être parler d'autre chose ? C'est bien cela qu'insinue Renaud Camus ? Spire l'envoie valser : depuis Auschwitz, qui a été préparé je le répète par des siècles d'antisémitisme, le choc sur les consciences européennes est inépuisable. Nous ne pouvons plus renvoyer négligemment d'un revers de main l'obsession cette fois-ci du massacre.
Qu'on le veuille ou non, le problème juif, posant la question de l'identité humaine, des limites de l'humain et de l'inhumain, est devenu désormais central pour la pensée européenne et universelle. N'en déplaise à Renaud Camus, il nous est difficile de pe,nser à quoi que ce soit sans nous heurter désormais aux questions soulevées par la Shoah. Oui nous aimerions bien que la question de l'antisémitisme soit secondaire.
Elle ne le peut plus désormais, elle nous bouche la vue et nous empeste les narines pour un bon bout de temps encore, et il n'est pas temps de passer à autre chose. Nous ne pourrons plus jamais "passer à autre chose". Nous pourrons considérer les gazages de mille façons encore, mais nous ne pourrons plus tout à fait en détourner le regard. Les chambres à gaz n'existeront plus pour les juifs, mais en est-on si sûr, elles se rouvriront bien pour d'autres personnes.
Nous devons rester extrêmement vigilants. Ce qui est extrêmement dommage, c'est en revanche le dernier chapitre du livre de Spire. Charles Péguy avait bien vu que la mystique se dégradait toujours en politique. Sartre s'était sali les mains, il avait mis son honneur à entrer dans l'action, avec tous les risques d'erreur. Et voici notre Spire qui tombe à bras raccourci sur Renaud Camus, en toute logique.
Il déclenche un tir de barrage contre une mouche, une offensive au bazooka contre un éternuement de zouave, il justifie les prises de position les plus hallucinantes, en toute logique d'ailleurs avec ce qu'il vient de développer dans ses chapitres précédents. Il refuse d'accorder le moindre crédit aux craintes de Renaud Camus concernant la mondialisation et le culte de la médiocrité.
Pour Spire, tout ce qui est métis est bon, et j'aimerais savoir s'il préfère le rap en français aux admirables mesures de Mozart joué par Brendell, et qui justifieraient les sarcasmes de tous nos petits cons bien français en casquettes de banlieue. Est-ce qu'il faut vraiment balayer toute notre culture au nom de l'internationalisation, et entendre un jeune homme de 15 ans affirmer en rigolant que Jeanne d'Arc a brûlé Orléans ?
Tout n'est pas à jeter dans un auteur sous prétexte qu'il a pété par-ci par-là quelques vents nauséabonds sur les juifs. A présent Renaud Camus est à tout jamais interdit de média, on lui fait reproche de se défendre, on lui jette à la face qu'il ne trouve plus à se faire publier que chez un petit éditeur inconnu, on lui reproche de ne pas éprouver d'émotions, comme si on pouvait faire exprès d'être ému, on lui dit que le racisme c'est de condamner un être non pour ce qu'il a fait mais pour ce qu'il est, alors que c'est justement ce qu'on est en train de faire avec Renaud Camus, qui décidément est trop ceci, trop cela...Bref je suis perplexe, de constater à quel point "L'Obsession des origines" de Spire, après une série de chapitres admirables, clairs, démonstratifs, convaincus, s'achève sur un tel piétinement haineux, parfaitement justifiable au vu de ce qui a précédé. J'aurais préféré qu'il nous fût dit "ces opinions sont contre le bon sens, elles heurtent notre sensibilité, elles risquent de réveiller la bête immonde toujours prête à reféconder les esprits malades, DONC oublions cet écrivaillon à son triste sort, et n'entonnons pas les grandes orgues."
Quant à moi, j'ai toujours eu horreur de faire suivre mes bonnes, mes excellentes paroles et résolutions par des actes salissants. Après tout, peut-être Spire a-t-il eu raison d'écraser salement la bête, et de réaffirmer qu'il n'y a pas, qu'il ne saurait jamais plus y avoir d'antisémitisme "de bon ton", "de bonne compagnie", "de salon", de "poulaillers d'acajou" comme le dit si justement Souchon.
Tout de même ma chère, quel déséquilibre en ce dernier chapitre de l' "Obsession des origines", quel manque soudain de style, quel manque de générosité, de noblesse, de tenue. Le réquisitoire s'achève dans le sang. Est-ce que Monsieur Spire s'est engagé aussi vigoureusement contre la montée du Front National? C'est là peut-être qu'il faudrait frapper fort. Mais dans les médias, c'est curieux, nous n'en avons pas beaucoup entendu parler en Gironde.
Toute ma sympathie donc à Spire, mais son livre a un chapitre de trop. Peut-être ma rubrique a-t-elle d'ailleurs aussi duré quelques minutes de trop. Va savoir.