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Ô grand Rosenfeld !

    Ô grand Rosenfeld ! Le point d'exclamation fait partie du titre. L'illustration de couverture montre un homme allongé bras et jambes écartés, vêtu d'une peau de bête, une bûche en oreiller. Il repose sur le sable tête droite et regarde à sa gauche. Très naïf. Je veux dire le dessin. L'homme aussi, mais également très sage et philosophe. C'est lui Rosenfeld. Une consonance juive totalement anachronique : j'aurais plutôt cru à quelque chef saugrenu de la Wehrmacht, avec un képi gris très impressionnant. L'auteur, c'est Daniel Wallace. Heureusement, j'ai lu en quatrième de couverture qu'il adorait Tim Burton, et pas plus tard qu'hier soir j'ai regardé la dernière heure de Charlie et la chocolaterie : même remarque pour les deux auteurs.
    On aime ou on n'aime pas. C'est une dimension à prendre, comme pour devenir la clé qui ouvre la serrure et pas une autre. En cinéma miniature (j'ai la télé), ça fonctionne. A peu près, parce que le clinquant criard des couleurs et l'imagination féroce du cinéaste soutiennent efficacement la faiblesse narrative. Mais ici, dans ce petit roman plat, nul style n'agrandit le propos. Nous avons déjà lu par exemple Comment j'ai mangé mon père de Roy Lewis. C'était rigolo, rapide et profond. Ici aussi, de la rapidité, de la fausse naïveté, mais un second degré trop apparent. Que les noms des personnages soient Wilson ou Sally, à la rigueur. Mais qualifier de poésie l'indigence sous prétexte qu'aux premiers temps de l'humanité les humanoïdes utilisaient un langage rudimentaire ce qui est archifaux, c'est excessif.
    L'auteur adopte un ton qu'il croit naïf, mais, vrai, nous sentons trop qu'il le fait exprès. Dessine trop comme un enfant de neuf ans pour qu'on y prête attention. Un adulte joue à l'enfant. Il raconte l'histoire d'une tribu, trente-cinq personnes environ, qui vit au bord d'une falaise. Mais sur ses dessins, la falaise domine des collines raides. Comment peut-on dévaler la pente et se casser la figure au pied des falaises si elles sont au-dessus de vous ? L'auteur aurait-il des problèmes dans la représentation spatiale, ou bien devons-nous trouver un sens philosophique sur le haut qui serait la même chose que le bas ou quelque chose de ce genre ? Non. Je crois plutôt que c'est un roman bâclé, Silex and the City sans l'humour, du moins sans le grinçant ni le satirique.
    Un produit de consommation. Une morale courante : le grand Rosenfeld, sans armes et toujours optimiste, serait l'esprit humain, l'intelligence, qui triomphe de tout, dont les exploits sont inventés par le scribe, alias l'auteur, sans lequel rien ne subsisterait dans les mémoires. Sally, c'est la femme, la beauté, l'aurore, le soleil. Wilson, c'est le gros lard qui veut sauter Sally – elle veut bien, le jour où le gros Wilson saura faire la roue, malgré son amas de graisse conne. À la fin c'est le  grand Rosenfeld qui se la saute dans l'amour, parce qu'il est l'homme par excellence fragile et rusé, sans peur de la mort menaçante et aussi banal et grandiose que vous et moi. La mayonnaise ne prend pas. Ce n'est que par comparaison, avec Johnny Depp, Silex and the City, Pourquoi j'ai mangé mon père, que nous pouvons définir cette fable fade et douce-amère, dans un genre préhistorique de carton-pâte déjà maintes fois illustré. C'est peut-être bien une fable pour enfants. D'aucuns y verront de la fraîcheur, de la poésie même (c'est écrit sur la couverture), de l'imprévu, de la finesse subtile, de la grandeur épique, une célébration de l'Homo Sapiens, que sais-je – et pourtant je n'y vois que des teintes mineures, du comique rudimentaire, un à vau-l'eau généralisé – bref je n'ai rien vu. 

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    Il me manque une dimension. La musique est trop ténue, le ruisseau trop clair, le nuage trop évanescent. Alors voilà, c'est l'histoire aussi d'un homme venu d'ailleurs, qui raconte l'histoire des montagnes qui crachent le feu. Et voilà ce qu'on lui répond :
    “En fait, ça s'appelle un volcan, interrompit Agatha. Ils apparaissent lorsque la roche en fusion remonte jusqu'à l'écorce terrestreet éclate à travers les failles et les fissures. Le “sang”, comme tu dis, c'est de la lave. Tu as vu d'autres choses ?” - l'anachronisme des propos et des connaissances participent paraît-il au décalage poétique.
    “ - Eh bien oui, j'ai vu... j'ai vu le soleil s'éteindre en plein milieu de la journée ! Seule la main d'un dieu aurait pu...
    “ - C'était une éclipse solaire, non ?
    “ Le barbu aux cheveux aussi longs que ses bras parut déprimé.” - le dieu qu'il évoque s'appelle Zoroathée, ce qui est très drôle dans un congrès de philosophie.
    “ - C'est un public difficile, marmonna-t-il.
    “ - Continue, s'il te plaît, dis-je.
    “ - Eh bien...
    “ - S'il te plaît...”
    Chacun crée à cette époque les histoires qu'il raconte. C'est ce que l'on appelle le nominalisme : il suffit de nommer les choses, les animaux, les océans, pour qu'ils se mettent à exister. L'écrivain, le conteur, écrivent l'histoire en racontant leurs histoires. Ingénieux. *
    “ - D'accord. Il y a autre chose que j'ai trouvé assez amusant.
    “ - Nous sommes tout ouïe, lança Agathe, sarcastique.
    “ - Je meurs d'impatience, dis-je.
 COLLIGNON        LECTURES    “LUMIERES, LUMIERES”
DANIEL WALLACE     “Ô GRAND ROSENFELD !”    61 12 31         86
   


        “ - OK, j'ai vu un très gros bonhomme qui faisait la roue.”
    Cette fois-ci, nos sédentaires apprennent du voyageur-conteur quelque chose qu'ils ne savent pas déjà et qui bouleverse leur tranquillité : le gros Wilson s'exerce à faire la roue, et pourra subtiliser la belle Sally.
    “Les éclats de rire et l'agitation cessèrent instantanément. Tout le monde s'immobilisa. Nous contemplâmes l'étranger, muets de stupeur et de crainte. Puis je me levai et m'approchai de lui.” Notre scribe tribal veut vérifier de près. “Les flammes éclairaient son visage barbu alors qu'il rongeait goulûment une patte d'oiseau.
    “ - Un gros bonhomme ? Qui faisait la roue ? Tu es sûr ?” Le fameux Wilson, de la tribu des Wilson, tous très forts, très gros, très bêtes.
    “ Il hocha la tête.
    “ - Gros comment, d'après toi ?
    “ - Plutôt très gros. Il était tellement gros qu'il aurait pu nous faire de l'ombre à tous.” Comique, je suppose. Naïf, je suppose. Primitif, je suppose

Commentaires

  • Ouais... renseignements pris, cela ne m'a pas l'air terrible non plus...

    La référence à Tim Burton fait penser au dessin animé, voire au réalisme magique...

    Dans ce genre-là, avez-vous lu Bruno Schulz ? Un auteur de premier plan et néanmoins méconnu.

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