Proullaud296

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  • Vous n'avez rien à transmettre

    J'ai lu ça, sur le blog "Veilleurs de Blois". L'auteur peut se contacter à veilleurs.blois@orange.fr. FAITES PASSER;

    Il s’est produit, dans nos sociétés occidentales, un phénomène unique, une rupture inédite : une génération s’est refusée à transmettre à la suivante ce qu’elle avait à lui donner, l’ensemble du savoir, des repères, de l’expérience humaine immémoriale qui constituait son héritage. Il y a là une ligne de conduite délibérée, jusqu’à l’explicite : j’étais loin d’imaginer, en commençant à enseigner, l’impératif essentiel qui allait structurer ma formation de jeune professeur. « Vous n’avez rien à transmettre » : ces mots, prononcés à plusieurs reprises par un inspecteur général qui nous accueillait dans le métier le jour de notre première rentrée, avaient quelque chose de si étonnant, qu’ils ont marqué ma mémoire. (…)


    Nous voulons toujours éduquer mais nous ne voulons plus transmettre. La faillite de ce projet éclaire la crise contemporaine d’une lumière neuve : les enseignants ne sont pas subitement devenus médiocres, les parents n’ont pas massivement oublié leur responsabilité. On leur a simplement confié une mission impossible, impensable. La société leur a demandé d’éduquer mais en laissant l’enfant libre, vierge de toute trace d’autorité, délivré de tout le poids d’une culture antérieure à son individualité. Nous voulons absolument éduquer les jeunes, au respect, à la tolérance, à la citoyenneté… Mais cela ne suppose pas de transmettre, croit-on. Il suffit de créer, pour se rassurer, le cadre flottant d’un ensemble de valeurs qu’on répète consensuelles en espérant qu’elles le deviennent ; puis l’enfant devra se lancer tout seul à la recherche de son savoir, de ses décisions morales et de son destin. (…)

    La jeunesse est pauvre aujourd’hui de tout ce qu’on ne lui a pas transmis, de toute la richesse de cette culture que, pour une très large part, elle ne comprend plus. Désemparée, déséquilibrée, elle revient bien souvent au dernier mode d’expression qui reste toujours disponible  pour celui qui n’a plus de mots pour parler : la violence. Inarticulée, incompréhensible, dépourvue de sens, cette violence marque ceux qui n’ont pas la chance de fréquenter la culture par un autre moyen que par l’école. Dans les familles les plus fragiles, les quartiers les plus défavorisés, la violence devient un moyen d’expression, quand la langue est un lieu hostile. Voilà le résultat de notre propre projet. Nous voulions dénoncer les héritages ; nous avons fait des déshérités.

     

    Commentaires

    Magnifique. Je copie en vous mentionnant.

  • Ecriture à deux balles

     

    Ce que je vois devant moi est très simple : rien. Des étagères contre un mur, structure instable, un rabattant, donc, sur lequel il est dangereux de s'appuyer. Sur la tablette, une montre dorée très toc, qu'il m'a plus d'acheter. Plus loin une brosse à chaussures, poils en haut, dissimulant à demi une pellicule photo enroulée sur elle-même. Faut-il que Nous Autres Ecrivains n'ayons plus rien à dire pour nous contenter de ces pauvretés. De ces ressassages. Et plus personne ne lit rien. Les hommes, particulièrement. Devant moi un volume jaune de la collection Budé : du Platon. Gorgias suivi de Ménon. Je m'en contrefous. Platon m'inspire la plus profonde aversion. Je n'aime pas Socrate non plus, cela va sans dire.

     

    Pourtant les quelques pages que je viens de lire concernent au plus haut point le souci de culture : la vertu peut-elle s'enseigner ? Peut-on apprendre à quelqu'un à désirer lire, à aimer ce qu'il n'aime pas ? Car la vertu, chers Socrate et Platon, chers curés constipés, je m'en contretape. Tous les beaux textes, tous les grands maîtres, quelque talent qu'ils aient déployé pour me convaincre, ne sont jamais parvenus qu'à me la rendre rébarbative, la vertu. La vertu, c'est ce qui m'empêche de faire ce que je veux, alors que les autres se permettent tout. La seule morale et l'unique vertu que je vois à l'œuvre, c'est la loi du plus fort, ou du plus rusé, ce qui revient au même. Celui qui me passe devant dans les files d'attente a repéré mon air couillon, distrait, coupable, et en profite, c'est tout.

     

    Le plus vertueux, le plus crétin, c'est moi. Cela chacun peut le vérifier. Non, la vertu ne se peut enseigner. Non, la culture ne peut se transmettre. Tout est joué, dès la naissance, ou « avant six ans ». Innombrables exemples d'enfants massacrés sous nos yeux. Futurs hésitants, quoi que l'on fasse par la suite. Rabroué par le père ? ...soumis à la mère. A trente-six ans comme à dix, malgré les excroissances bénéfiques de ses compensations. Socrate dit pourtant à Ménon que l'homme vaut mieux quand il cherche la vérité, même s'il la sait à tout jamais inaccessible, plutôt que de renoncer, en se comportant à vau-l'eau. Il ne faut donc ni prétendre avoir trouvé, ni prétendre à l'ignorance. Ni se replier sur le raisonnement bâtard consistant à évoquer la « vérité relative », tributaire de «mon » expérience, et valable pour « moi » seul.J'avais pris pour vérités comptantes ce qui désormais s'effondre. Disons mieux : des cloisons qui s'abattent me livrent accès aux vérités des autres, celles qu'ils partagent les uns avec les autres.

     

     

     

    X

     

     

     

    Quand mon raisonnement se tarir, revenir à la description. Sous le Platon jaune se trouve mon carnet bordeaux 2052. Je note là tout ce que j'ai fait, et les choses à faire : agenda, et mémorandum. Il en dépasse une feuille confuse. La paresse me saisit de disserter sur le caractère dérisoire du mémorandum, et celui, contraignant, des choses à faire : « agenda », « choses devant être faites ». Je devais bien noter ce mot de Léon Bloy, vers 1907, où il constate le faible poids de la poussière des jours, le déroulé du quotidien à la balance de l'efficacité ; ce qui a constitué ma vie – mes heures de cours, ou de composition – ne laisse nulle trace jusqu'ici dans ma mémoire, qui mérite du moins de s'y inscrire.

    Le perron extérieur.JPG

     

    Alors que tant d'anecdotes garnissant ma mémoire, petits faits, incidents, n'auront été de rien dans la construction de ma vie. Ma vie, ce sont tous ces volumes mal reliés par ordre plus ou moins alphabétique, dans mon armoire ; et tout le vécu, tout ce que les autres et moi aurons eu finalement de commun, parties de badmington dans le jardin avec Annie à St-Germain, voyages de représentant de commerce, tout cela ne sera rien, n'aura jamais été.