Ariège
Je rappelle : on est sur ma main ! (perfusion, sans doute) – Je peux le dire à Anne ? - Comme tu veux, tu es libre ! Anne s'est exclamée. Du coup, je n'ai même pas eu l'idée de savoir si c'était le pied gauche ou droit. Le soir, chute de brume. Je gagne Labarre, son barrage hydrolélectrique interdit, ses camions frôleurs et le bord de l'Ariège redevenu torrent. Ce soir, "Les Keufs" de Balasko(vitch), médiocre scénario incrédible où la vedette metteuse en scène essaye d'éclipser une magnifique Arabe prostituée, mais elle-même, Josiane, irrémédiable laideur étudiée, en cheveux carotte.
Le drame est qu'elle s'imagine "faire" vulgaire, alors qu'elle est vulgaire. Et ses émois vaginaux avec un gros nègre me laissent froids. Alors j'éteins, et je ne peux plus rien faire vu mon âge. Le lendemain 29, saints Pierre et Paul, ayant vu sur la carte que St Jean de Verges était proche, je m'y rends à pied, profitant d'un interminable défilé de véhicules grouillants, gagnant enfin deux rangées de cahutes que troue en permanence un serpent d'automobiles, autocars et camions, qui doivent participer aux charmes de la vie locale. J'ai poussé jusqu'à la poste, indiquée par un boulanger livreur. Fermé le mercredi – Pourquoi ? personne n'a donc besoin de poste le mercredi ? Traversée en biais du cimetière, tâchant d'accrocher ces portraits qui prouvent par l'image et par leurs regards chargés de choses inconnues l'étude de Barthes sur la fonction essentiellement funèbre de la photographie. Je pense à ce banal énergumène qui se filme en permanence toutes les 30 secondes afin de se rendre immortel pour ses descendants. Il transforme sa vie en corvée mortuaire. Je photographie donc l'église romane, étroite et pure dehors et dedans. C'est à Saint-Jean de Verges que Raymond-Bernard II, comte de Toulouse, se soumit en 1229 au roi de France, et je l'ai lu en occitan ; c'est pourquoi sans doute le souverain d'alors (Louis IX) n'est pas mentionné. Se déclenche sous la nef un éclairage direct et indirect, qui use beaucoup d'électricité (je reviens sur mes pas, j'appuie, suite de la minuterie).
Ne pas sortir de paragraphe convenu sur la supériorité ou non du roman pour contenir Dieu, ne plus mentionner le vide existant au sein des campagnes françaises où le moindre village ou sanctuaire pouvait aussi bien servir de cache aux évènements les plus importants (paix du Fleix en 1575 ?) Et je repars, à Vergès, comme l'avocat, commune de Crampagna, Crapougna, ce qui ruine tout jeu de mots sur les verges. Les premiers kilomètres sont difficiles, car le rebord herbu ne sert qu'à se tordre les pieds, je m'arrête donc sitôt que survient une voiture en face. "Il n'y a rien d'autre dans ces pages que les réflexions d'un homme ordinaire sur ce qu'il vit, ou bien lit" – sentence rêche comme un pubis d'étudiante bien frottée de Faculté.
Mais que voulez-vous donc, jeune sotte, que ce soit ? Me faudrait-il donc m'efforcer, ou posséder Dieu sait quel génie, pour survivre ? Avant de parvenir à Vernajoul, je vois un autobus scolaire effectuer un demi-tour en Y bien serré. Vernajoul ? des noms de rues ressuscitant des vieux lieux-dits, des gens qui vivent là. Et moi-même bouffant un fruit sur un banc "Place de la Mairie", ce qui fait plus sain que de Gaulle ou Jeanne d'Arc. Je prends en photo, outre une abside obligatoire, deux poteaux modernes reliés par des rubans. Je traverse des petutes gorges. Rien à signaler. Le château de Foix se profile, c'est beau, etc. Sur mon carnet, je lis : "Trouvé petit hôtel pas plus cher, avec petit-déjeuner à 6€ au lieu de 9." La prochaine fois, ne rien réserver, débarquer. Comme à Moulins. Tandis que je fais mes courses à Foix, un SMS de Sonia : David est reçu. Je tape : "Bravo ! David superstar !" Sur quoi il me rappelle.
Je suis en public, les "chalom" et "sur la Torah" pleuvent, David bafouille de joie, me redétaille ses stress, puis je raccroche, il appelait, il dépensait. Dans la mesure où je peux être ému, je ressens de la joie, la communique à ma femme par téléphone, me mets à bouffer, dors, tout le processus habituel. Vois un film sur le Baron Rouge, mal interprété par un petit blondinet aux yeux de furet. Bien germanique, et je me réjouis : pour une fois, nous voyons les souffrances de l'armée allemande. Peu importe le but de la guerre, l'empereur Guillaume II ramène ses moustaches en crocs. Mais notre héros émet des doutes sur la victoire. Il fonce au milieu des escadres ennemies, de nuit : "On n'attaque pas de nuit".
Eh bien si. Outré, le Kichthofen. Ses camarades meurent, dont Voss, qui avait oublié son bonnet fétiche. Le héros se retrouve à l'hôpital, à St-Niklaas (Belgique). Très, très peu de documents sur l'occupation allemande en ce pays. Mais j'aimerais que les Allemands gagnent. Ce que c'est que le changement de perspective ! Et cette atmosphère d'Ernst Jünger, d'Iliade, où la guerre est présentée comme un face-à-face salutaire et purgatif avec la mort, et l'expression la plus forte de la condition humaine ! Or Maupassant régla son compte à Moltke : des soldats crétins tirant sur des chiens et des vaches pour tester les performances de leur arme. Stupidité meurtrière. Et quand le héros meurt, par ellipse, et que la fiancée belge et chaste se recueille sur sa tombe, je me contente d'avoir assisté à la démonstration de l'imagination humaine.
Petite sortie nocturne dans le parc du lac, ultrapropice à toute agression avant dissimulation de cadavre, comme pour toute joggeuse. Puis second film, où j'accroche tout de suite en raison de Bruel, Benguigui-le-Souffrant, de son frère Elbaz ("David"), et de toute une brochette de juifs richissimes (tant mieux, tant mieux) : chacun défend ses frères, Gitans contre Feujs, Michel Aumont joue les salauds; enlèvement, rançons, massacre des kidnappeurs après un achat d'armes chez les crouilles, musique pathétique : Les 5 doigts de la main. Tu connais l'histoire du gars qui avait 5 bites ? ...eh bien son slip lui allait comme un gant. C'est beau l'imagination. Même avec Bruel. Moi je l'aime bien ce mec.
Et j'éteins. Après une rafale de pubs répétitives sur les numéros porno. Putain j'ai dû en rater un sur l'autre chaîne. Ne m'en remettrai jamais. Aujourd'hui 30, c'est le grand jour : départ, définitif, car, qui revient sur ses pas dans sa 67e année ? Alors je range bien tout. Auparavant shampoing, dernier petit-déjeuner à 9€ bande de sauvages. La responsable est un petit taureau frisé bien replet bien moche plus lesbien tu meurs. Elle parle volontiers au couple de vieux touristes hétéro, leur vante maints sites où je n'irai plus, dépourvu de voiture comme je suis. Mais quand c'est mon tour, elle montre de la distance. Je lui dis pourtant que j'ai pris quelques jours de congés conjugaux, ma femme faisant toute une histoire si elle n'a pas pour elle notre unique voiture. Elle écourte, apparemment c'est que je ne regarde pas dans les yeux, que je souris en fer à cheval, qu'on sent l'hostilité, la méfiance envers les femmes moches, et ces gens-là, qui travaillent dans la clientèle, possèdent un sens infaillible du contact ou non : elle sent parfaitement, la taurillonne, que je me force.
Alors je paye plein pot, car il y a les taxes, aussi. Sans regrets, je preprends la route vers le centre, avec les roulettes en bruit accompagnant. Aucun de mes pas ne sera plus refait sur ce tronçon Labarre-Foix, voici la gare au bout de sa "rue des Marbrulires". Dans la cour j'entends des jeunes gens expliquer à des jeunes filles qu'à Luchon tout le monde passe la frontière espagnole pour les cigarettes. J'entendrai d'autres conversations, d'un jeune homme instruisant des jeunes Canadiennes, d'une femme consolant une magnifique Turque voilée, de sa peine de cœur voilée. Je pense que je vais découvrir la douceur, la sincérité, la fraternité de tous les rapports humains, juste au moment où tout va finir, de même que j'ai enfin compris l'amour des femmes à l'âge où rien ne peut plus aller dans l'exaltation des sens. Amen. Le train fonce à vitesse effrayante, afin de rattraper trois quart d'heure de retard.
Ne risque pas nos vies, conducteur.
Commentaires
"Aoh, Williams, you are completely bourred. Faites attention vous allez en plein sur ces phares qui nous éblouissent ! - My dear Edward, je vous rappelle que c'est vous qui conduisez..."