De et sur Brigitte Bardot
« Le 14 novembre de cette année 1966, Gunter eut 34 ans.
« Il organisa avenue Foch une fête déguisée dont le thème était « Dracula ». Même les extras appelés en renfort portaient smoking, cape et canines imposantes !
« C'était grandiose !
« L'appartement, uniquement éclairé par des chandeliers à cinq branches, prenait une couleur de mystère, l'orchestre tzigane faisait pleurer les romantiques et chanter les nostalgiques. Les femmes étaient belles, les hommes élégants. Gunter en Dracula se prenait pour le Mal en personne. N'ayant pas eu le temps d'aller me chercher un costume, j'étais moulés dans un maillot académique de danseurs en nylon transparent, couleur chair, sur lequel j'avais fait broder des motifs en forme d'algues. De faux cheveux tombant jusqu'aux fesses cachaient discrètement ma nudité de sirène. À mon cou, deux pointes de sang, et flottant derrière moi telle une ombre, une immense cape de mousseline noire trouvée dans les costumes et accessoires des studios de Billancourt.
« De quoi perpétuer la légende...
« Le film enfin terminé, j'eus un peu de temps à consacrer à tous ceux que j'aimais et que j'avais provisoirement abandonnés. Mes parents, mes vieilles dames, Bazoches, » (une maison en banlieue) « mes toutous, mes chatons, mon Cornichon ! » (l'âne, je suppose). « Avec Olga, je pris les dates définitives pour le Show Bardot de Reichenbach. Ce serait pour la fin de l'année prochaine. »
L'amour des animaux ne peut pas être passé au crible simpliste du sarcasme ou de la névrose. Il remonte d'ailleurs, au moins, aux années 60 : « Un soir elle se mit à baver et fut prise de spasmes ». La chienne Hippie. Les animaux sont des personnes. « Gloria et Monique tentèrent vainement de lui trouver un vétérinaire ». Les livres de psychiatres se contenteraient de faire donner les canons de la morale, et les tromblons de la normalitude. Un jour nous découvrirons dans notre cervelle ces ondes qui nos permettraient de surprendre les énigmes vitales des animaux. «Par hasard, France Roche était là avec un ami médecin, qui diagnostiqua la maladie de Carré, et ne me laissa aucun espoir. » France Roche finit par porter un foulard de cou pour ne pas laisser voir son effondrement, et s'évertue à faire parler Chérau de son homosexualité, alors qu'il a tant d'autres choses à raconter. Ce sujet semblait exciter France Roche au plus haut point, prise entre stimulation et stigmatisation ; elle fixait Chérau avec effroi.
Comment avait-elle pu se trouver en 67 dans l'entourage immédiat de Brigitte, je ne saurais me le rappeler. Nous supposons que la chienne Hippie va crever, au milieu des larmes – eh quoi ! elle a vécu, la Brigitte, « la jeune Tarentine », brûlant tout par les deux bouts, les nerfs, la bibine, et le payant cash au prix fort. « J'étais désespérée. » Je me le disais bien aussi. Cette phrase apparaît bien pour la 6e ou 7e fois. « Je n'arrêtais pas de pleurer et ne pus plus tourner ». Brigitte est un animal en mal d'affection. Il lui faut un homme qui l'admire, la protège, la réconforte comme un dieu sa créature, ce qu'elle est à son tour pour les bêtes. «Elle fut enterrée au pied de l'hôtel dans un petit coin de pelouse ».
La chienne Hippie. Un grand bunker façon Bilal, sans paparazzi ni « congés payés ». « Mon désespoir fut tel que la production dut abrégér mon contrat et me renvoyer en France » - à moins qu'elle ne se soit fait virer ? BB s'incarne dans tous les animaux qu'elle sauve, joue à son tour le rôle de ce père ou de cette mère qui l'abandonnèrent, par leurs sots préjugés de bourgeois industriels coincés du cul. « On ne pourrait plus rien tirer de moi sinon des larmes ». Brigitte, tu nous fais chier, mais le paquet de nerfs que nous avons fait de toi nous incite à la fermer. « Günther, prévenu, vint me chercher. » C'est pourtant bien exact ce que dit Simone de Beauvoir (qui devait honnir Brigitte copieusement) : seule la condition de la narratrice permet d'excuser de publier ses états d'âme, y compris pour la mort d'un petit chien ; touchant, ...