Proullaud296

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C'est la guerre

 

Si d'aventure la guerre s'achève, je me marierai. Voici le parc d'Ifîmil, je ne sais pas qui peut encore s'y aventurer, je m'effondre sur un banc, j'éprouve les mêmes sensations que pendant ma dernière ivresse (il y a si longtemps), la pierre sous mes fesses est ébréchée mais tient bon ; devant moi les troncs d'arbres brisés devant moi font de l'allée centrale un véritable parcours du combattant, personne ne prend garde à moi, Motché compte encore hélas six cent mille habitants. Avec ma femme (si j'en réchappais) j'échangerais des phrases sur le temps, sur la poésie de Nudjaym – un tract à mes pieds, coincé dans les rameaux, parle justement de “la renaissance des poètes”, alors que se déclenche une offensive là bas en bordure.

 

Je gagne la sortie nord où le chien m'a précédé, j'atteins une terrasse intacte où je commande un gâteau, du champagne : “C'est gratuit, on se casse !” - une trentaine d'intellectuels hommes et femmes devisent verre en main, confrontent leurs traductions ; je suis agrippé par un vieillard à la braguette douteuse qui me déclame du latin, du grec et du syriaque, m'emmène chez lui dans une longue voiture de luxe en fin de course, me montre des rayonnages entiers d'antiquités védiques et juives, il me fait boire, en vrai, avec de l'alcool. Nous lisons face à face en hébreu, les lignes dansent et nos mains frémissent, nous ne parvenons pas à nous accorder sur une définition de la poésie.

 

La proximité de la mort le rend éloquent. La mort fausse tout. Je le quitte sans avoir lu la carte qu'il m'a glissée dans la main, et, dans la rue, me fais presque faucher par un tir de roquette qui pulvérise un banc public en bois. Je sens à présent que mon but est de boire. Je retourne frapper chez l'Italien marchand de grains. C'est un Noir qui me montre du pouce un écriteau, en arabe et en italien : “Chiuso la domenica”. “Prends la rue, première impasse, dernière maison. Deux issues.” Il me dit encore que je suis célèbre, non pour mes qualités guerrières, mais pour ma manie de tirer dans les murs pour éviter de faire mon devoir. “Aucun devoir” lui dis-je. “Ton amitié avec Paziols” dit-il “a fait le tour des cours de casernes. Tu es célèbre ! Un peu. Parfois.” Je fais observer que pour le moment personne ne nous tire dessus. “Les Blancs peuvent bien ne pas tirer!” Il se met à pleuvoir.Passage.JPG

 

Je dis : “Les Blancs ?” Je le regarde de travers et nous nous taisons. “Ils ont relâché les enfants des écoles pour la pluie ? - Les enfants des écoles ?” A son tour de me regarder de travers. Et puis, sous la pluie, nous entendons une clameur. Cela prend dans toute la ville, c'est immense, c'est dans notre dos. Nous nous mettons à courir, la pluie détrempe nos vêtements. Très vite, passées les rues désertes près du rempart, nous débouchons sur une vaste artère où défilent des

 

automitrailleuses. Une foule très dense applaudit sur les trottoirs, devant les ruines d'immeubles. Ils scandent : “Ot-gom ! Ot-gom !” - Dinzeb'bouk, dis-je au Nègre, “je l'aurais parié : les Yahouds envahissent MOTCHE. - Interviennent rectifie le Noir qui me crie dans l'oreille en contournant une rangée de vieilles grasses. Les véhicules tournent au bout de l'avenue. On tire en l'air. Le drapeau jusqu'ici tant maudit flotte sur tout ce qui peut le porter. Alors, la Conférence de Paix est sans objet...! - à moins qu'elle n'ait atteint son but, et que l'occupation des Yahouds n'en soit une des clauses.

 

A la télévision dans un café, j'apprends qu'il n'y a rien de plus exact ; Otgom annexe tout le sud du pays. La paix s'est abattue comme un faucon. Des manifestants crient leur joie en courant, doigts en V – que savent-ils de l'alphabet latin ces culs-terreux ? Une rafale en couche trois, d'autres s'enfuient en glapissant. Il y a même des avions – des avions ! - qui tracent dans le ciel couvert une belle étoile à six branches. Hadjian saute en marche d'une automitrailleuse retardataire et me serre dans ses bras. Je ne le reconnais pas, il a des cicatrices autour des yeux. Il serre la main du Noir, se présente, la foule se disperse lentement.

 

Nous remontons tous les trois l'avenue à contre-courant sous les troncs de palmiers décapités. Les deux hommes discutent, je reste en arrière, des magasins rouvrent, le temps passe à grande vitesse, les Pompes Funèbres demeurent fermées. Plus haut quatre paras de la Ligue des Frères (?) bâtissent mollement un semblant de barricade en pierres encore humides. Je reconnais mon fils sous l'uniforme, à l'extrême droite du groupe, les trois autres ont disparu, je veux rester près de mon fils : “As-tu fait tes devoirs ?” Il comprend mal la plaisanterie, me braque, puis baisse son arme : “C'est la guerre.” Je reconnais bien là ce sens héréditaire de la formule.

 

Je me suis assis sur une chaise en pleine rue, les dernières gouttes ne mouillent pas. Je fais remarquer à tout hasard qu'il n'est plus vraiment temps d'ériger même un embryon de barricade. “Et alors ?” gueule mon fils. Je lui dis “mettons que je n'aie rien dit.” Des rafales éclatent encore en ville basse. Une musique passe par d'improbables haut-parleurs, on scande “paix” en arabe, Salam, Salam, les noms des dirigeants aussi, de tous bords. “Pour qui te bats-tu à présent ? - Je n'ai jamais varié, Papa.” Hadjian et le Nègre sont revenus de la boutique italienne, couverts jusqu'aux épaules de chapelets de saucisse de porc : “Pour une fois !” bégaie Hadjian. “Pour une fois !” Le Noir a chipé un énorme transistor : “Les membres de la Conférence Internationale viennent de se voir signifier leur congé ; ils seront réexpédiés sur Mësëlë par le prochain avion militaire” - des “avions militaires”, il n'en est jamais autant passé sur nos têtes. Ciel changeant, carillons catholiques, un muezzin se fait descendre à trois maisons de nous du haut de son minaret. “Où est la bibliothèque ? - Elle a brûlé Papa, vraiment brûlé ! Où t'enfuis-tu ? - Je vais retrouver Paziols, ma caserne jaune, tout ça ! - Tout ça ?” Je lui réponds je ne sais quoi dans l'explosion d'une porte – je me suis jeté par terre, puis relevé à la course vers les rues du centre que je devine à cette heure congestionné d'humains.

 

Plus on en tue plus il en reste. J'espère de tout cœur que l'armée des Yahouds va se lancer à la conquête pour que je puisse piller les caves.

 

Commentaires

  • Poète, prends ton luth et te baise une pute.

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