Proullaud296

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  • Gygès

    C O L L I G N O N

    G Y G È S

    Sujet tiré d’H érodote

    par COLLIGNON Bernard

    (Camembert, prêt-à-porter)

    PERSONNAGES

    CANDAULE - roi de Lydie

    TYDO - reine de Lydie

    GYGÈS - favori du roi, conseiller de la reine

    XIPHOS - conspirateur, ami deGygès

    LYGDIA - servante de Tydo

    COURTISANS N° 1 - Scatophagos

    N° 2 - Phallokratès

    N° 3 - Pompattyphus

    N° 4 - Trichomonas

     

    ELBATÈS - ennemi mortel de Gygès

     

     

    ACTE UN

     

    La scène représente, côté jardin, un portique, d’où descendent trois marches.

    Un plan incliné, large, figure une large rampe de faible hauteur, terminée par une pierre

    angulaire figurant un échiquier.

    Au lever du rideau, XIPHOS et GYGÈS jouent aux échecs sur cette pierre d’angle.

     

     

    GYGÈS va déplacer une pièce.

    XIPHOS l’arrête d’un geste :

    Pas ça. Ton cavalier est en prise.

     

    GYGÈS hésite, remet sa pièce en place.

    XIPHOS

    Pourquoi n’avances-tu pas ce fou ? ...tu prends ma reine, et je suis presque mat. (1)

     

    GYGÈS

    Je te vois venir : juste après, tu descends ta tour, et c’est moi qui suis mat. (Silence concentré) (À lui-même :) Dois-je déplacer ce cavalier ? Hein ?

     

    XIPHOS

    Hmmmm...

    GYGÈS, avec résolution :

    Je le déplace…

    (Silence. Xiphos avance la main)Tiens !

    Ah non ! Non ! je le laisse où il est.

    (Il replace le cavalier)

    Et pourtant…

    (Xiphos montre des signes d’impatience. Gygès reprend le cavalier, le laisse en suspens, puis le repose)

    (Pris d’une illumination subite)

    Tiens ! J’avance le fou, je prends la reine, et ton roi est presque mat !

     

    XIPHOS

    Mais si je descends ma tour ?

     

    GYGÈS

    Pas du tout ! Où vas-tu chercher cela ?

    (Il joue)

    Je prends la reine…

    (Il insiste lourdement)

    Je prends la reine…

    (Xiphos déplace une pièce avec fatalisme)

    (Hilare)

    Le roi est mat ! qu’est-ce que tu dis de ça ?

    XIPHOS

    Ailleurs se tourne mon esprit est tourné ailleurs…

    GYGÈS, l’interrompt :

    Moi, je suis toujours tout à ce que je fais…

    XIPHOS

    Je songeais à notre affaire… Ne devrions-nous pas soudoyer Ogdoas ?

    GYGÈS

    Ce démagogue, ce sac à vin ? Il gâcherai tout. Qu’il reste dans son trou.

    XIPHOS

    Ogdoas, c’est le peuple, donc, toute la garnison. Il a vingt mille hommes, à nous tous dévoués.

    GYGÈS

    Dis plutôt à toi, oui…

    XIPHOS se lève, solennel

    Que le ciel…

    GYGÈS

    C’est à lui de tenir de tels serments…

    XIPHOS

    Le roi se l’est attaché à coups de millions. Mais (il se penche, jette un regard circulaire) – si tu lui donnes le gouvernement de Bithynie (2), il te suivra, toi.

    GYGÈS

    Et ensuite, comment se débarrasser de lui ? ...Et puis il est énorme. Il marche comme ça.

    (GYGÈS se lève et l’imite grotesquement)

    XIPHOS

    Tu es trop seul Gygès. Tu ne connais pas la cour. Malgré ce que tu crois, tu te trouves aussi isolé que le jour de ton arrivée.

     

    GYGÈS

    Je gagnerai le peuple. J’octroierai vingt talents par tête.

    XIPHOS

    Vingt talents ! Où les prendras-tu ?

    GYGÈS

    Dix, alors. Mais sera-ce suffisant ?

    XIPHOS

    Je pense bien !

    GYGÈS

    Ne vaudrait-il pas mieux quinze talents ,

    XIPHOS

    Et la garnison, comment la garderas-tu ? Tout le trésor n’y suffirait pas. Si tu commences comme ça, tu ne pourras plus t’arrêter.

    GYGÈS

    Laisse-moi réfléchir… J’ai une idée : soudoyons Ogdoas. Je lui offre les revenus de Bithynie, car si nous le tenions à l’écart du complot… (geste circulaire)…il ameuterait le peuple contre nous.

    XIPHOS

    Mais comment se débarrasser de lui ? Et puis il est énorme ! Et il marche…

    GYGÈS l’interrompt

    Quand cesseras-tu de me contrarier ? Qui commande à la fin ?

    XIPHOS, effrayé

    Chut… Chut…

    GYGÈS

    Nous pouvons agir dès demain.

    XIPHOS

    Je t’apporte mille hommes et toute la cavalerie.

    GYGÈS, se ravisant

    Attends… Ne pourrions-nous repousser cette échéance ?

    (XIPHOS reste dans l’expectative)

    Et puis non… Hier – hm, demain… soir… cours avertir Ogdoas.

    (XIPHOS va pour se retirer, quand apparaissent LE ROI et sa suite)

     

     

    SCÈNE II

    GYGÈS, XIPHOS, LE ROI, SUITE

     

    LE ROI est couvert de bagues et de bijoux. Il porte une longue robe à l’orientale. Autour de lui, quatre courtisans. Il descend majestueusement les marches. Devant lui, COURTISAN N°1

    (SKATOPHAGOS), balaie la poussière d’une main, la recueille de l’autre et l’avale avec empressement. À côté du ROI, COURTISAN N°2 (PHALLOKRATÈS), agité de tics, avec des gestes précieux, époussette sans cesse le vêtement du ROI et le rajuste. Derrière, POMPATYPHUS et TRICHONOMAS se poussent à qui sera le plus possible en contact avec le ROI. Ils sourient et redoublent de courbettes quand le ROI les regarde, mais sitôt qu’il détourne les yeux, ils s’envoient des reards furibonds, se marchent sur les pieds, se donnent des coups de coude, se bousculent, se pincent, etc.

    POMPATYPHUS imite ou esquisse tous les gestes du ROI, essayant même de les anticiper ; se trompant quelquefois.TRICHONOMAS essaie de voir ce qui va sortir de sa bouche, empressé, l’oreille tendue, et se retourne vers les autres en approuvant frénétiquement de la tête.

    Ce jeu doi se prolonger pendant toute la scène, sauf indications contraires.

     

    CANDAULE, écartant les bras -POMPATYPHUS même jeu

     

    Ah, Xiphos, et toi, Gygès, que je suis aise (3) de vous voir en ce lieu.

     

    TRICHONOMAS , en écho

    en ce lieu/

    POMPATYPHUS, bouffonnant

    Oh oui alors !

    SKATOPHAGOS, toujours à quatre pattes, agite frénétiquement la tête, XIPHOS s’incline profondément, GYGÈS légèrement tout en gardant sa dignité.

    XIPHOS

    Majesté…

    GYGÈS

    Divinité…

    SKATOPHAGÈS fixe Gygès d’un air courroucé parce qu’il ne s’incline pas suffisamment

    CANDAULE distribue un sourire à celui-ci, une caresse à celui-là, se laisse toucher, mais d’un air parfaitement détaché

    ...Tous conviennent en ce palais que, de dépit, les géraniums se flétrissent aux pieds de la reine.

    TRICHONOMAS

    de la Reine.

    TOUS

    C’est juste, Sire… Aphrodite elle-même… Hélène… Europe (4)… Narcisse (5)…

    GYGÈS

    Nous en convenons aussi, Divinité. Nous en parlions justement…

    TOUS

    Aaaah… Aaaah… (mines diverses d’extase ; SCATOPHAGOS doit outrer tous les mouvements des autres).

    CAND AULE

    Eh bien, qu’en dites-vous ?

    POMPATYPHUS

    vous ?

    Airs interrogatifs de tous. SCATOPHAGOS, soupçonneux, est prêt à sauter sur XIPHOS et GYGÈS ; PHALLOKRATOS suspend son époussetage.

     

    XIPHOS et GYGÈS, extatiques

    Ah, Divinité…

     

    XIPHOS, seul

    Cythérée (6) en personne…

    Les visages se détendent. N°3 (POMPATYPHUS) envoie des baisers à Gygès. N° 1 (SCATOPHAGOS) baise ses pieds et revient à quatre pattes aux pieds du roi CANDAULE

     

    N° 3 (POMPATHPHUS)

    Ce regard, Divinité…

     

    (N° 1 (SCATOPHAGOS) désigne ses yeux, qu’il a écarquillés)

     

    N° 4 (TRICHONOMAS) en écho

    Ah, ce regard…

    (XIPHOS porte la main à ses yeux)

     

    N° 2 (PHALLOKRATÈS)

    Et sa chevelure ? (aux autres, péremptoire) Vous avez vu sa chevelure ?

     

    N° 4 (POMPATYPHUS) en écho

    ...sa chevelure ?

    (N°1 (SKATOPHAGOS) mime une haute coiffure très compliquée, ou imite une coquette se peignant)

     

    N° 3 (POMPATYPHUS) d’un ton pâmé

    Sur ses lèvres embaumées…

    (N° 2 (PHALLOKRATÈS) mime une coquette se mettant du rouge (GYGÈS écœuré) N° 1 (SCATOPHAGOS) envoie sur le roi CANDAULE un nuage de poudre parfumée)

    CANDAULE

    À toute heure, pour moi seul, tant de joyaux : ne suis-je pas le plus favorisé du royaume ?

     

    TOUS, enthousiastes

    Oh si ! si Majesté, si Sire…

     

    N° 4 (TRICHONOMAS)

    Sissire, sissire, sissire…

     

    N° 1 (SCATOPHAGOS) manque se décrocher la tête

    N° 3 ( POMPATYPHUS)

    ...du monde, Sire…

     

    N° 2 (PHALLOKRATÈS)

    ...de toute la terre entière, Sire…

     

    N° 1, SCATOPHAGOS

    Et de la lune…

     

    CANDAULE au N°3 (POMPATYPHUS)

    En attendant, on n’entend pas ses seins grelotter sur ses cuisses, comme la tienne…

    (Tous rient)

     

    N° 3 (POMPATYPHUS) la main sur la poitrine

    Mais, Divinité… (il rit très jaune)

     

    CANDAULE au N° 4 (TRICHONOMAS)

    Ni cette verrue si mal placée…

     

    N°4 (TRICHONOMAS) cesse de rire d’un coup

    Mais… Mais… (N° 3 (POMPATYPHUS) d’un seul coup explosé de rire)

     

    CANDAULE au N° 2 (PHALLOKRATÈS)

    Et ta Myrto, Phallokratès, pleure-t-elle toujours sur sa toison… occipitale ?

    (N° 2 (PHALLOKRATÈS) rit très, très jaune)

    CANDAULE reprend son air faussement rêveur

    ...Et ses pyges ? Vous avez vu ses pyges ?

     

    N° 1 (SCATOPHAGOS) à quatre pattes, à XIPHOS et GYGÈS)

    Ça vient du grec, ça…

     

    TOUS, presque en même temps

    Ses… ah oui ! ses py… parfaitement !

     

    N° 3 (POMPATYPHUS)

    Ah oui, ses pyges !

     

    N° 2 (PHALLOKRATÈS) admiratif, mais méfiant

    Mes dieux !…Mes Dieux !…

     

    CANDAULE, soudain sévère

    Et qu’en savez-vous, pour évoquer ainsi les fesses de la Reine ?

     

    TOUS

    (N° 2 (PHALLOKRATÈS) envoyant au ROI des nuages de poudre que celui-ci tente d’éviter) – se chevauchant mais distinctement

     

    PHALLOKRATÈS :

    Nous supposions, Sire…

     

    POMPATYPHUS

    On vous croit sur parole…

     

    TRICHONOMAS

    On ne veut pas vérifier…

     

    POMPATYPHUS

    Mais vous disiez…

    SCATOPHAGOS

    On supposait… (geste équivoque, évoquant la mise en place d’un suppositoire. Le ROI lui botte les fesses, il court à quatre pattes en gémissant devant la scène (9). Il reviendra peu après.

     

    CANDAULE

    Donc, Mesdames et Messieurs, concluons : quel miracle la nature a-t-elle suscité, pour éclairer nos Faibles Yeux sur le Beau Immortel ?

     

    TOUS sauf Xiphos et Gygès

    La Reine !

     

    CANDAULE

    Pourquoi cries-tu « La Reine ! » après les autres ? TRICHONOMAS balbutie ; POMPATYPHUS le fusille du regard. SCATOPHAGOS rigole en douce, PHALLOKRATÈS le dévisage d’un air méprisant. Le ROI se retourne rapidement vers SCATOPHAGOS qui rabaisse brusquement les coins de sa bouche.

    ...Passons pour cette foi (à tous) Et quelle femme, mortelle ou immortelle, peut soutenir l’éclat de ses perfections ?

     

    TOUS, plus XIPHOS

    Aucune !

    CANDAULE

    N’est-ce pas Gygès ?

     

    GYGÈS se reprend vivement

    Aucune, Divinité.

     

    SCATOPHAGOS lèche les pieds du ROI. PHALLOKRATÈS soulève sa robe et l’évente par dessous.

    CANDAULE, mi-soupçonneux mi-plaisant

    Mais que disiez-vous exactement sur la Reine, à mon arrivée ?

    Les manèges des COURTISANS s’estompent jusqu’à la fin de la scène.

     

    GYGÈS

    Sire, nous avons tous loué la fermeté de votre cœur, lorsqu’il éleva sur le trône une humble servante de la cour de Phrygie.

     

    CANDAULE, pensif, sans plus se soucier de ses courtisans

    ...Tout au long du voyage, Papa n’avait cessé de me seriner : (il imite) : « La fille du roi de Phrygie est le meilleur parti que nous pussions trouver ! Elle t’apporte en dot un canton… d’une richesse ! de l’orge, des cochons, des vaches… comme s’il en pleuvait ! Tu te rends compte ? Surtout que le trésor est assez bas en ce moment. Et puis (clin d’œil) c’est une gaillarde, quatre coudées de haut, elle te fera de beaux gros enfants. Guili-guili ! - Mais elle a dix ans de plus que moi ! - Ça ne fait rien, tu auras tes petits camarades (les COURTISANS se tortillent) (CANDAULE baisse la voix, prend un ton grivois et rauque) ...et des concubines ! (10) » Bref, nous arrivons… Et là je vois… Zeus, Apollon, Hadès ! Une grande et grasse fille blême, qui me souriait de ses trente-et-une dents, et qui avait un nom… Agathô ! Agathô ! j’en ris encore : pendant le repas (les COURTISANS se préparent à rire, XIPHOS pousse GYGÈS du coude, en levant les yeux au ciel) je lui ai susurré : « Passe-moi le plat, Agathô ! (les COURTISANS s’esclaffent) Vous comprenez ? « Le plat, Agathô ! » Wahaha… (GYGÈS et XIPHOS rient poliment) Non, mais là, je ne sais pas si vous avez très bien compris : le plat, Agathô ! « plat », « à gâteaux »… C’est un jeu de mots : »plat », « Agathô »… Hmm ? (GYGÈS et XIPHOS rient un peu plus fort). Mon père était furax. Y bavait dans son assiette, le vieux. (il change de ton) Soudain parmi les femmes qui nous versaient le vin, je remarque… alors là fini de rire… Je ne savais plus où j’étais… Nous nous sourions…

    D’un sourire engageant le premier est suivi

    De ses bras elle effleure au passage ma tête

    - comment faire ? Ma prétendue ne me lâchait pas d’un cothurne. Alors on s’est rejoigné aux cabzingues. (grave)

    Dès le premier élan elle m’a tout donné :

    Sa couronne de violettes » -

     

    LES COURTISANS s’apprêtent tous à rire, mais POMPATYPHUS, qui a mieux observé, les calme en vitesse. XIPHOS feint une quinte de toux. GYGÈS reste impassible.

     

    Je reviens, et devant l’assemblée : « CANDAULE a choisi son épouse : TYDO, fille d’Agapès ! » Big scandal. Le père d’Agathô sourit en parlant de folie de jeunesse, de toute part on veut me faire avouer que je plaisante, que je suis ivre, mais je n’en démords point, et je me retire en

     

    déclarant que je ne veux pas quitter la cour avant d’avoir obtenu satisfaction. Mon père, verdâtre, vient me trouver : « Quoi ! espèce de petit déguieulâsse, alors que je te présente en personne à l’héritière du trône de Phrygie, c’est d’une de ses servantes que tu t’amouraches ? De quoij’ai l’air,je te le demande ! Je lui ai répondu, et ça ne lui a pas plu. Mais il a bien pu me rAbattre les oreilles de sa dot, de son autorité paternelle et de la gloire immortelle de nos aïeux (chœur en sourdine desCOURTISANS (11), je n’en suis pas moins revenu de là-bas avec TYDO… Et depuis… j’admire…

    « Chaque jour me découvre une beauté nouvelle,

    Et il n’est pas de jour que je ne rêve d’elle ».

     

    Mines extatiques des COURTISANS qui scandent, chuchotent :

    Oh ! des alexandrins !… (Ils respectent une ou deux secondes de rêverie)

     

    CANDAULE

    Allez, vous autres. Je voudrais parler à GYGÈS, seul.

     

    Les COURTISANS sortent silencieusement, avec le même manège qu’à l’entrée, autour d’une firle de roi. XIPHOS les suit sur un signe discret du ROI.

     

    SCÈNE III GYGÈS, CANDAULE

     

    CANDAULE

    Gygès, je pense que tu ne me crois pas quand je parle de la beauté de la reine.

     

    GYGÈS, se récriant

    Sire, qui peut mettre en doute…

     

    CANDAULE, indulgemment

    Je t’observais. Oh, pour la politesse, aucun reproche : un léger sourire, juste assez pour paraître te divertir, mais rien de trop, digne, les yeux à terre – une contenance…

     

    GYGÈS

    de sept litres environ, Divinité.

     

    CANDAULE

    ...mais dans ton regard, je n’ai vu qu’un enthousiasme de commande.

     

    GYGÈS, amer

    N’as-tu pas autour de toi suffisamment d’approbation ?

     

    CANDAULE

    Ne me parle pas de ces guenons. C’est ton opinion qui m’importe.

     

    GYGÈS

    Qui suis-je, pour en juger ?

     

    CANDAULE, vivement

    Il ne me suffit pas, vois-tu, de n’oser murmurer son nom que dans le silence de l’alcôve.

    « Libre aux gens du commun de celer leur amoureuses

    D’asphyxier leur cœur sous les draps de la honte,

    Et le mesquin reflet d’une beauté commune ».

    Mais moi, à qui Zeus envoya Aphrodite en partage, quelle honte saurait me retenir ? (avec force et conviction) Ma reine est ma foi (12), elle est ma preuve de Zeus, et je la répandrai, et j’en ferai croisade (13). Si princes et seigneurs font fi de mes appels, détournant leurs regards, j’irai, je les renverserai, et les enchaînerai à son trône. Si le monde n’accourt au pied de ses autels, j’irai, je conquerrai le monde. Quant à toi, Gygès, si tu restes incrédule, ou tiède seulement,

    « Dussent les Rois de Tyr, d’Elam et de Memphis

    Déposer à ses pieds leurs insignes royaux,

    Et franchir les déserts pour un de ses sourires, »

    je serai malheureux, tout simplement. (14)

    (il sanglote) /

    Boo-hoo, hoo, howhow…

    (se reprenant)

    Les oreilles sont moins crédules que les yeux. Et voici à quoi je songe : que diras-tu, sije e la fais voir… nue ?

     

    GYGÈS

    Divinité !

    CANDAULE

    Tu es de ses familiers. Tu connais les arcanes du palais. Il te sera aisé de la surprendre.

     

    GYGÈS, fortement choqué

    Divinité ! ces propos malsains…

     

    CANDAULE

    Poil au sein.

     

    GYGÈS

    Qui perd sa chemise, perd son honneur. Une femme doit rester cachée.(solennel) Nos aïeux ont dit une excellente chose, il ne faut pas transgresser…

     

    CANDAULE

    Justement, elle n’en a pas.

     

    GYGÈS

     ...les anciens ont dit : « Que chacun respecte son bien » - ô roi Candaule, respecte les lois des ancêtres, si tu veux être respecté.

     

    CANDAULE, ravi (15), se lève avec empressement, étreint les éâules de GYGÈS

    Cher, dévoué Gygès. Quel poids tu m’ôtes ! Comment pouvais-je douter de mon serviteur, de mon seul ami. Ta présence me comble. Je te veux en retour combler de mes faveurs. Je te nomme sur-le-champ gouverneur de Phrygie, et te charge d’y veiller aux levées d’impôts, dont tu auras bonne part. Tu toucheras sur l’ensemble de notre royaume les droits d’hypothèques et de scellés. Le domaine de Pourizouskalos et toutes ses terres, je te l’octroie aussi, tu en seras propriétaire. Le palais de Gâtheux-en-Bavarois t’appartient également, tu pourras t’y installer, toi et ta domesticité, et il sera à toi et à tous tes descendants, jusqu’à la septième génération et demie (16). Et tu seras capitaine de ma garde d’honneur.

     

    GYGÈS se gardavouse

    Je le suis déjà, Sire.

     

    CANDAULE

    ...eh bien, je crée pour toi la dignité de Grand Chasse-Mouches de la Garde. (le roi garde un silence très fin)

     

    GYGÈS (après un silence plein de grands mots)

    Ainsi mon Prince voulait m’éprouver ? Que me réservais-tu, si j’avais accepté ? (le ROI se tait, mais le regarde par-dessous, tripotant ses ongles) C’est contre moi, ton seul ami, que tu as machiné une ruse aussi grossière ? Crois-tu qu’à ce point j’aie perdu la mémoire ? ...les yeux d’Agazoklès (17) transpercés au fer rouge… Pharos (18), broyé hurlant sous un amas de pierre…

     

    CANDAULE

    Tais-toi…

     

    GYGÈS

    Kadanès éventré (129

     

    CANDAULE

    ...Pardon, KadaMès… (20)

     

    GYGÈS

    ...d’entrailles couronné.

     

    CANDAULE, sourd et rageur

    Tais-toi !

     

    GYGÈS

    Sa mère, devant ses yeux, forcée…

     

    CANDAULE l’interrompt, la main crispée sur l’avant-bras de GYGÈS, en un rugissement

    Tais-toi ! Tais-toi !

     

    GYGÈS

    Ah, je sais ta douleur !

    CANDAULE même jeu

    Tu connaîtras la tienne ! - Si je veux, Gygès, entends-tu, si je veux, à l’instant même où je peux me débarrasser de toi, pour tes mauvaises manières. Et je l’aurais pu depuis plus longtemps (insinuant) Au retour de Phrygie, ne te surpris-je point à courtiser la future Souveraine ? Tu faisais moins le fier ! Comme tu me supplias de t’épargner ! Te souviens-tu comme, en sa présence, tu tombas à MES genoux ? ...Mais tout cela est oublié, cher Gygès. Si je l’avais voulu, pourquoi eussé-je attendu si longtemps ?

     

    GYGÈS

    Et pourquoi pas ?

     

    CANDAULE brusquement dur

    J’ai des ordres à donner. (Il sort)

     

     

     

    ACTE DEUX

     

     

    SCÈNE PREMIÈRE GYGÈS, XIPHOS

     

     

    XIPHOS (furtif)

     

    Il est parti ?

    GYGÈS

    Oui.

     

    XIPHOS

    La plus belle gaffe de ta carrière de gaffeur, tu l’as faite/

     

    GYGÈS

    En lui rappelant ses crises d’humanisme ?

     

    XIPHOS

    S’il n’y avait que ça… Son bouffon lui en rappelle bien d’autres… Mais ton refus...(il se tortille)

     

    GYGÈS, scandalisé

    Mais… çà, mais…

     

    XIPHOS

     ...de voir…

     

    GYGÈS, outré

    ...de voir quoi, je te prie ?

     

    XIPHOS

    La… la reine… (il esquive une baffe)

     

    GYGÈS

    Mais tu écoutais, gredin ! (il lève la main)

     

    XIPHOS, précipitamment

    Seigneur, tu n’auras pas à le regretter ! Je te sauve la vie si tu m’écoutes. Il t’a bien donné le gouvernement de Phrygie ?

     

    GYGÈS

    Eh bien ?

     

    XIPHOS, en un souffle, exorbité

    Elbatès…

     

    GYGÈS

    Quoi, « Elbatès » ?

    XIPHOS

    Il l’a promise également à Elbatès.

    Très vite pour tous les deux :

    GYGÈS

    À Elbatès ?

    XIPHOS

    À Elbatès

    GYGÈS

    À Elbaba… ?

    XIPHOS

    Ja. Yes. Da.

    GYGÈS

    À mon plus mortel ennemi ? À Elbagie, la Phrytès ? (emphatique) mais il va me trrrucider ! (il s’effondre sur le cube de pierre).

    XIPHOS

    C’est bien là-dessus que compte le roi.

    GYGÈS

    Que faire ?

    XIPHOS

    Crois bien qu’il va s’arranger pour qu’Elbatès le sache au plus vite.

    GYGÈS

    Que faire ? (22)

    XIPHOS

    ...et qu’Elbatès te trrrrucidera…

    GYGÈS

    Sans aucun doute, dans une heure tu es mort.

    XIPHOS

    ...et les asticots…

    GYGÈS

    Et puis cesse de répéter toujours la même chose ! Va, cours, vole, et ramène Candaule, trouve quelque chose !

     

    SCÈNE II

     

    GYGÈS, seul en scène

    Ô despote plus fourbe que tous les plus fourbes !

    J’avais bien deviné, mais c’était le contraire.

    Comment après cela te regarder en face ? Ô reine, comment supporter ton regard sans rougir ? ...les rides du remords ravageront mes traits…

    La pourpre de ma honte chiera sur mon front

    Mes genoux s’entrechoqueront.

    Mes dents s’entrechoqueront.

    Si tu me dis « Qu’as-tu, le Mendès ? » - où trouver les mots pour te répondre ?

    Ma reine, ce n’est pas ainsi que j’avais espéré te voir nue ! Ô couche royale au milieu des carbases (23) et des purpuréines !

    C’est pourtant vrai qu’elle a du charme la vache… Et j’aurais fait un bon roi, après l’assassinat…

    Mais soyons réaliste : qu’elle me voie, et c’est la fin. Elle se plaint au Roi, et kouik ! (24)

    adieu ma belle tête !

    ...Et puis j’en ai marre de ce Candaule, Dancule ! (25) Depuis quand me tourne-t-il autour ? « Mon cher >Gygès » par-ci, « Mon cher Gygès » par-là, il me prend à l ‘écart pour des futilités, je n’ai pas un moment que je ne sois épié – si je consens, je suis lié (26). Des deux côtés, la mort m’attend… Mon devoir est de tout révéler à la ÈReine – un-un-un-un instant… qui va-t-elle croire, du conseiller fidèle ou du mari ? Il serait plus facile de me faire disparaître pour étouffer le scandAUle très drôle.. Hé, tentons le sort. Si Candaule me croit complice il se méfiera d’autant moins. Je m’en lave les mains, et je m’en rince l’œil.

    Silence

    La seule solution c’est de tuer Elbatès avant qu’il ne m’égorge. (Il se monte) Qui est-il après tout cet Elbatès ? Un fier-à-bras, un soudard qui n’a jamais que deux têtes de plus que moi ! D’intelligence autant qu’un amys, qu’un érébinthe ! (27) Croit-il m’intimider ? qu’il se présente, qu’il vienne me chercher! (il fait des moulinets)

     

    SCÈNE III. -

    GYGÈS, EBATÈS

     

    ELBATÈS (colosse hilare, féroce)

    Me voici. Que me veux-tu ?

    GYGÈS (dans un sursaut d’épouvante)

    Rhâââââh !!

    ELBATÈS (doucereux, fielleux)

    Te serais-tu converti au dieu des Égyptiens, (28) ô amys, pot de chambre à pédales ?

     

    SCÈNE IV

    LES MÊMES, CANDAULE

     

    CANDAULE

    Doucement, Elbatès. Ce n‘est pas le moment de te fâcher. (À Gygès) Gygès me fait appeler, j’accours à l’appel de Gygès. (Elbatès sort)

    I, SCÈNE IV

    GYGÈS, CANDAULE

     

    CANDAULE (s’installe et se drape sur la rampe)

    Je t’écoute.

    GYGÈS (très embarrassé)

    Céans vous ai mandé (29), Sire ; je sais que les usages…

    CANDAULE

    Eh bien tu le vois, je suis venu. Que veux-tu ?

    GYGÈS

    Sire, c’est trop d’honneur. Je rampe dans la confusion. Je ne saurais assez vous exprimer mon infinie gratitude…

    CANDAULE

    Certes, certes. Mais expose-moi, je te prie, la raison de ton appel.

    GYGÈS

    Majesté, c’est que… je ne sais… Peut-être allez-vous trouver… (il prend un grand élan)

    Je crois que…

    CANDAULE le coupe vivement, à mots chevauchant :

    As-tu peur d’Elbatès ?

    GYGÈS décontenancé

    Naturellement il se reprend, de façon à faire croire à une amphibologie (30)initiale ) …, non, (se raffermit) je suis votre garde, rien ne saurait m’effrayer.

    CANDAULE

    Tout à l ‘heure pourtant, il se montrait bien insolent avec toi.

    GYGÈS

    Sire, pour être soldat je n’en suis pas moins homme. (Explicatif) Je ne suis pas de ceux qui frappent d’abord et disputent ensuite (prenant l’air de celui qui expose un point de vue particulièrement sagace) Ce qu’il faut, avant tout, c’est être diplomate, Divinité. Ne pas foncer à tort et à travers, mais concilier, réconcilier, circonvenir, négocier au plus près (il s’arrête sur un sourire expectatif, figé, mains contournées restées immobiles)/

    CANDAULE

    Je vois que je possède au moins un soldat intelligent… ; (GYGÈS montre de l’embarras, soupçonnant qu’on se moque de lui) Et, Xiphos, dis-moi, que penses-tu de lui au juste ? (GYGÈS hésite) Tu peux t’exprimer sans crainte, nous sommes seuls (à ce moment paraissent quatre têtes de part et d’autres des coulisses) Oui, je comprends, tu ne l’apprécies guère.

    GYGÈS

    Boff (31) vous savez…

    CANDAULE

    N’est-ce pas ? Je le vois toujours à tes côtés, et « mon cher Gygès » par-ci, « mon cher Gygès par-là » - tous les prétextes lui sont bons pour te consulter. Ne t’a-t-il pas retenu l’autre jour une bonne heure à propos de l’inclination de l’aigrette sur le nouveau casque Psi 3-14 pi-pi-prime ? (32)

    GYGÈS

    Si, et une autre fois sur l’écartement réglementaire des deux premiers orteils pour le salut militaire de campagne… et une autre fois…

    CANDAULE

    Oui, j’ai bien vu que tout ce fayotage t’importunait. Ce n’est certes pas avec des flatteries de ce genre qu’on peut te corrompre…

    GYGÈS

    Assurément. Pour la modestie, je ne crains personne.

    CANDAULE

    C’est d’ailleurs pourquoi tu l’as chargé de mener en personne le défilé du 14 Hécatombeïon. (33)

    GYGÈS

    Il fallait bien s’en débarrasser d’une façon ou d’une autre.

    CANDAULE, avec grande commisération

    Quel fâcheux que ce Xiphos.

    GYGÈS

    On ne s’en défait pas.

    CANDAULE, montrant ses jambes

    C’est comme des varices.

    GYGÈS

    Un vrai pot de colle forte.

    CANDAULE

    Et, note bien, prêt à te trahir à la première occasion. Bref une promiscuité fort dangereuse. Il t’enlisera dans les marécage de la cour.

    GYGÈS

    ...toujours (34)

    CANDAULE

    Et moi, je veux qu’elle te soit au contraire un refuge, un asile. Je vais te débarrasser de ce Xiphos (dans un rire, et se courbant pour claquer la cuisse de GYGÈS qui rit à son tour, contraint) Dès demain, je le mute à Perségratokupolis. (35)

    GYGÈS

    Ah ! Perségra… !

    CANDAULE

    ...tokupolis, parfaitement. Es-tu heureux ?

    GYGÈS battant des mains

    Oh oui alors !

    CANDAULE change de ton ex abrupto

    Mais tout cela ne nous apprend pas, mon cher Gygès par-ci par-là, ce qui t’a fait me mander en ces lieux, où j’ai eu la bonté de me transporter…

    GYGÈS

    Divinité, c’est au sujet de votre… proposition…

    CANDAULE

    Quelle proposition ? (36)

    GYGÈS

    La reine…

    CANDAULE répète, attentif

    ...la reine…

    GYGÈS

    La reine, nue…

    CANDAULE

    « La reine, nue… (brusquement, feignant l’indignation) Que viens-tu me braire ?…

    GYGÈS

    Mais, Divinité, tout à l’heure, ...sur la reine…

    CANDAULE

    Sur la reine ? qui, sur la reine ? qu’est-ce que tu délires ? (il coupe GYGÈS chaque fois que celui-ci veut s’expliquer) Qu’as-tu à bégayer ? … Pourquoi ces mots sans suite ? Exprime-toi clairement !

    GYGÈS, le coupant avec force

    JE-VEUX-VOIR-LA-REI-NA-POIL comme tu me l’as proposé tout à l’heure !

    CANDAULE, chafouin

    Et tu ne pouvais pas le dire plus tôt ? ...par Zeus, si je m ‘attendais… comment eussé-je pu le deviner ? tu m’avais si bien assuré qu’une femme devait rester cachée…

    GYGÉS

    Il est vrai, mais…

    CANDAULE

    ...qu’il ne fallait contempler que son bien…

    GYGÈS

    Sans doute…

    CANDAULE

    ...que nos ancêtres avaient bien raison…

    GYGÈS

    Certes, mais…

    CANDAULE

    ...que leurs lois étaient inviolables…

    GYGÈS

    Je n’en disconviens pas, mais…

    CANDAULE

    ...et qu’un Roi se devait le premier de les respecter (contrit) quelle déception, Gygès, quelle affliction me ravage le cœur.

    GYGÈS, hors d’haleine

    Elbatès !

    CANDAULE

    Allons, je vois avec plaisir qu’il me reste au moins un soldat intelligent

    GYGÈS

    Un officier majesté.

    CANDAULE

    Un grand officier intelligent. Eh bien soit. Tu verras dès ce soir ce que tu… ce que je désire.

    GYGÈS

    Mais comment la Rein prendra-t-elle  la chose ?

     

    CANDAULE

    Elle ne prendra rien, et surtout pas la chose, car elle ne te verra pas. Voici comment nous procéderons : avant l’heure du coucher, je m’introduirai moi-même (37) derrière (38) le battant de la double porte. Peu de temps après, la Reine se présentera, puis moi-même, derrière elle, au lieu de fermer la porte, comme les nuits sont chaudes, je tirerai seulement la tenture. (pause).

    Devant la porte se trouve un siège, où la Reine chaque soir fait glisser un à un ses vêtements. Tu pourras ainsi l’admirer à l’aise. Quand elle tournera le dos pour se diriger vers le lit, à toi alors de te faufiler hors de la pièce sans être vu.

    GYGÈS a écouté très attentivement ; il sourit, se lève, et acquiesce

    C’est entendu.

    CANDAULE se lève et ajoute négligemment

    Je te laisse Pourizouskalos, et la forteresse de Gathys (GYGÈS s’incline). Quant à la Phrygie… je penserai à te confier une province moins lointaine et plus accueillanter. À tout à l’heure, Gygès (exit)

     

    SCÈNE VI – GYGÈS, seul

    (fait une grimace au Roi en direction des coulisses).

    OK Ducon (voix étouffée) Ciel ! La Reine !

     

     

     

    A C T E I I I

     

    SCÈNE PREMIÈRE

    GYGÈS, TYDO, LYGDAMIS (suivante)

     

    TYDO

    Pour te montrer qu’il n’est pas que le Roi pour te venir trouver .

    GYGÈS semble souffrir beaucoup au cours de la première partie de l’entretien)

    Votre Éternité peut en tout lieu m’honorer de sa présence.

    TYDO

    C’est pour cela que je t’ai choisi : pour ta fidélité – qu’as-tu ?

    GYGÈS

    Éternité, vos paroles me touchent.

    TYDO

    Tu es mon meilleur interprète. Qui, excepté le Roi, est plus haut placé dans mon estime ? … Tu vas mener auprès de lui une intervention qui demande beaucoup de tact. Dis-moi : que s’est-il passé en Mysie ? (39)

    GYGÈS se retrouve sur le terrain politique

    Eh bien le roi Sélévon (40) a péri, voici deux semaines, et que le rustre Milas (41) règne désormais sur le royaume.

    TYDO

    Or ce rustre, comme tu le définis si à propos, cherche à se faire reconnaître : Arsénikys de Mylos (42) est à demi gagné.

    GYGÈS

    Mylas et Arsénikys, Voilà qui nous prend en tenaille.

    TYDO

    N’est-ce pas ? et je veux, moi, que tu dises au Roi Candaule que le  seul remède est de reconnaître Milas et de faire alliance avec lui.

    GYGÈS

    ...contre Arsénikys, justement. Mais le roi Candaule acceptera-t-il de reconnaître un usurpateur ? Vous savez combien il tient au principe de droit divin…

    TYDO

    Tu penses que ce sont des idées de femme ,

    GYGÈS

    De la plus aimée des Reines ;;;

    TYDO

    D’une femme quand même… et dès qu’une femme se mêle de politique… (43) Toi seul peux le convaincre. Présente cela comme le fruit de tes seules réflexions. Ce pays n’est pas prêt pour la guerre. Tu as mieux que moi l’oreille du Roi. Persuade-le.

    GYGÈS

    Bien, Éternité.

    TYDO, plus douce

    Déjà pour le rejoindre ! Il te quitte à l’instant. De quoi t’entretenait-il ? Car il te parlait de bien près, te retournant avec sa serre ! (44)

    GYGÈS

    Euh… Ben…

    TYDO

    Quelle que soit ton opinion, Gygès, tu lui dois d’abord assistance.

    GYGÈS

    Cependant, Majesté, en l’occurrence…

    TYDO

    Tu discutes le Roi ? Je ne t’écoute plus.

    GYGÈS, fataliste

    Nous avons aussi parlé de XIPHOS. Le Roi l’envoie en garnison à Perségratokoupolis…

    TYDO

    Comment peut-on placer un tel crétin à un poste aussi menacé ? Je t’y verrai bien davantage. Tu saurais mieux braver les Assyriens. Tu saurais les contenir, les forcer sur leur propre territoire.

    GYGÈS

    Ne me regretterait-on pas si je succombais ?

    TYDO

    Tu reviendras, GYGÈS, les coups ne sauraient atteindre un homme tel que toi.

    GYGÈS

    Bien sûr, je suis si prudent…

    TYDO

    Pense au retour triomphal que tu ferais à Sardes ! sais-tu que de toute part on te veut marier ?

    GYGÈS, minauderies pédrastiques

    Merci bien…

    TYDO

    Va, n’oublie pas ta mission.

     

     

    SCÈNE II – TYDO, LYGDAMIS

    Le plateau s’obscurcit, projecteur sur les deux femmes. Un serviteur apporte un fauteuil (46). L’espace troué par le projecteur est censé représenter le cabinet de toilette de TYDO. LYGDAMIS, debout derrière elle, la coiffe. Pendant ce temps, changement de décor.

     

    TYDO

    Ce Gygès ! Quelle orudebnce barbonnesque ! « Ne me regretterait-on pas si je succombais ? » Je le vois très bien dans vingt ans d’ici, vieux renard de cour, le front dégarni, l’œil en coulisse et la barbe en vrille, susurrer quelques doctes préceptes du haut de son embonpoint (alors seulement elle s’assied, et Lygdamis commence à la coiffer). As-tu vu cet air froid, compassé ? ...Je crois bien qu’aujourd’hui, il se guindait plus encore que d’habitude. Quelle pâleur !… - il était pâle, n’est-ce pas ?

    LYGDAMIS l’air con

    Voui Madâme…

    TYDO

    « Éternité, vos paroles me touchent ». Il aimerait parler sur un autre ton – à droite celle-là, Lygdamis. J’ai réussi à le faire nommer capitaine de la Garde. Pourquoi ne cherche-t-il pas à se mettre en valeur ?

    LYGDAMIS

    P’êt’ben qu’c’est pas un guerrier, Madâme.

    TYDO

    Dommage…

    LYGDAMIS

    ...ellan.

    TYDO

    Comment ?

    LYGDAMIS

    Magellan.

    TYDO

    Comprends pas. Un peu plus haut, derrière, s’il te plaît. (46)

     

    Le projecteur sur le couple TYDO-LYGDAMIS, côté cour, s’éteint. La Reine sort. Autre projecteur sur le fond (tenture). Le ROI dispose GYGÈS comme prévu, puis ressort (47) (48)

     

    SCÈNE III LE ROI, TYDO, GYGÈS

     

    Le ROI entre ; tenant la REINE chastement par la main, de loin. Il s’assied sur le tabouret et se met à chanter. La REINE écoute d’un air amoureux et hautain à la fois, se conformant à son personnage. Puis noir absolu et projecteur sur le ROI qui se dévêt style travelo, éparpillant ses vêtements aux quatre coins. Par dessous, il peut porter un caleçon 1900, des fixe-chaussette, toute la panoplie, voire anachronique (râtelier, œil de verre, au choix de l’acteur. Il se couche en plongeant sur le lit, folâtre. Bruitage grotesque : basson, cris d’animaux, rires stupides, chasse d’eau…).

    Projecteur sur la REINE seule, qui se dévêt le plus simplement possible (collant chair de préférence). GYGÈS, après hélas un ou deux gestes d’hésitation, s’éclipse alors que la REINE se retourne pour s’allonger. Il s’enfuit, éperdu. Elle l’aperçoit, puis finit par s’allonger, au ralenti.

     

     

    ENTRACTE

     

    ACTE IV

     

    SCÈNE PREMIÈRE TYDO, LYGDAMIS, SERVITEURS

     

    TYDO, énigmatique et majestueuse

    ...car « nul n’est plus digne que celui qui vient de marcher dans l’ordure » (49).

    Vivant, THOULOS, je le veux vivant. (À un autre) Surtout restez de marbre. Que rien dans votre voix ni votre attitude n’éveille le soupçon. (les serviteurs acquiescent et sortent par des directions opposées).

     

    SCÈNE II TYDO, TROISIÉME SERVITEUR

     

    TROISIÉME SERVITEUR (air puceau)

    Vous, Majesté, si pure, si digne de respect…

     

    TYDO (sans s’attendrir)

    Va, mon bon Zélis, rejoins-les, fais ton devoir. (exit Troisième serviteur)

     

    SCÈne III TYDO, LYGDAMIS

     

    L’éclairage baisse progressivement. Lumière diffuse, vert d’eau. LYGDAMIS se rapprochera progressivement de la REINE. Celle-ci montre une grande agitation

     

    TYDO

    « Si digne de respect... » ...tellement digne en effet qu’on a voulu voir ce qui se passait là-dessous ! (elle froisse sa robe) (silence) Oui, Lygdamis. Souillée, violée du regard (cela lentement, comme dans un rêve) (puis le débit s’accélère) Pis encore : examinée comme une jument par un (ce mot doit éclater) palefrenier ! (faiblement) Et cela, par un homme, en qui j’espérais un peu… J’espérais qu’il me délivrerait… Ah ! j’aurais préféré cela du dernier de mes marmitons… (élan, cri) Pourquoi n’as-tu rien demandé toi-même ! (plua sourd, puis crescendo) Mais il est un homme que je méprise plus encore : c’est Candaûaûaûle… (geste de surprise de LYGDAMIS) (ex abrupto) Oui, c’est lui, n’en doute pas ! ui a inspiré – qui a ordonné ce gesten car Gygès n’eût jamais conçu de lui-même un tel acte. Seul un être qui me (écraser le mot) méprise – a pu me réduire de la sorte au rang de putain. (Bruits grotesques : basson, cris d’animaux, rires stupides, chasse d’eau)(Perdue en elle-même) Que de regards troublés en ma présence… Que de bouches voilées… Le Roi me trahissait, et tous le répétaient… Que de fois je tentais de l’arracher à ce rôle… (les bruits s’accentuent) Puis lasse de mendier en silence, je le méprisais – que je suis submergée par tous ces mépris ! (un pet en coulisse) le voici… (elle fait un geste pour renvoyer LYGDAMIS, mais esquisse elle-même un mouvement de fuite) Va t’en, LYGDAMIS (exit LYGDAMIS) – que je me compôôôse… (disant cela elle revient lentement au centre de la scène et se campe,majestueusement, drapée, impassile, sur un pouf-trône...=

     

    SCÈNE IV – TYDO, GYGÈS

     

    GYGÈS (vêtu de vert sombre, entre d’un air normalement dégagé. La REINE, marmoréenne, lui désigne un siège plus bas, où GYGÈS se drapê)

     

    TYDO (voix nette, lente, éviter le ton coupant)

    Je t’ai vu hier soir…

    LYGDAMIS, en coulisses

    ...Poil aux génitoires.

     

    GYGÈS change de couleur, et, insensiblement, d’attitude. Son cœur bat à coups redoublés) (bruitage possile)

     

    TYDO

    Désormais, Gygès, ton choix est clair. TUE (sursaut de GYGÈS) le Roi et usurpe son trône, après avoir usurpé ses droits – ou bien moi, Tydo, qui suis encore Reine après l’affront, je te ferai châtier comme tu le mérites, pour ton abjecte docilité ;

     

    GYGÈS

    Reine ! ...Je vous en conjure !

     

    TYDO

    Gygès ! Quand cesseras-tu d’être un courtisan ! Ou bien lui pour m’avoir prostituée, ou bien toi pour m’avoir regardée.

     

    GYGÈS

    Reine !

     

    TYDO (poursuivant)

    Achève ton acte. Car une femme de mon rang, SEUL UN ROI PEUT L’AVOIR VUE. (GYGÈS ne soupire pas, baisse les yeux mais garde la tête droite. Éviter pour la REINE le regard sévère, et pour l’ensemble le style engueulade du « naughty boy ». Sobriété)

     

    GYGÈS (un peu plus ferme, résolu à l’inévitable ; voix sèche)

    Comment ferons-nous ?

    TYDO

    Le châtiment viendra d’où est venu le crime ? Ce soir, tu te placeras derrière cette même porte, avec ton poignard. Quand le Roi sera endormi, tu le poignarderas. (elle le tire de son sein et le jette à Gygès qui l’attrape au vol, sans trembler). Mes amis !

     

    SCÈNE V .- LES MÊMES, GARDES

    Pendant l’apparition des gardes, GYGÈS considère le poignard, interdit ; puis la résolution revient sur son visage ; il dissimule l’objet)

    TYDO

    Accompagnez le Seigneur Gygès à son cabinet ; il y trouvera de quoi s’occuper jusqu’à ce soir. Veillez bien à ce que personne ne le dérange. (Les gardes encadrent respectueusement Gygès. Exeunt.)

     

     

    A C T E V

     

     

    SCÈNE PREMIÈRE . - TYDO, CANDAULE

     

     

    La Reine se regarde pensivement dans un psyché. Le Roi entre furtivement. La Reine l’aperçoit mais ne marque aucun sentiment. Il s’assied sur un pouf.

     

    CANDAULE

    J’étais venu contempler la Reine au lever de l’aurore. J’étais venu voir si la nuit t’avait transformée.

    TYDO

    Transformée ?

    CANDAULE

    Si un soleil nouveau s’est reflété en toi.

    TYDO, se retournant théâtralement

    Eh bien me voici (elle se lève) Contemple. (elle esquisse autour du Roi une lente ronde de possession sphyngienne et le fixe d’un œil profond. Le Roi se tourne à mesure sur son siège, amusé et pensif)

    CANDAULE

    C’est toi qui me contemples…. ?

    TYDO

    Pourquoi non ? (elle poursuit au ralenti)

    CANDAULE la prend par la main

    Cesse – « Je hais le mouvement qui déplace les lignes »… (49) Laisse-moi te regarder.

    TYDO

    C’est moi qui regarde aujourd’hui, c’est moi qui possède.

    CANDAULE, fièrement

    Qui veut me posséder ?

    TYDO

    La Reine.

    CANDAULE (mélodie descendante)

    Le ROI possède la Reine.

    TYDO

    Et Gygès, le Roi.

    Jeu de scène à la discrétion de l’acteur : feint de ne pas comprendre, ou tique légèrement, ou sur le point de s’expliquer, ou bien feint l’étonnement, etc.)

    ...Qui es-u, toi qui te livres à tes courtisans, et te fermes à moi ? (faisant la liaison après « fermes »)

    CANDAULE

    Est-ce que je me livre ?

    TYDO

    ...cajoles tes gitons, mais évites ta femme ?

    CANDAULE, laudatif et explicatif

    Tu es la Beauté. Tu es l’idéal.

    TYDO

    Es-tu heureux ?

    CANDAULE

    La Beauté ne se touche pas, l’Idéal ne s’atteint pas.

    TYDO

    L’Idéal ne se contemple pas. Il se prend (Elle esquisse un geste, il se gare instinctivement) (50)

    CANDAULE

    Arrière ! (La Reine se recule et laisse retomber le bras, découragée)

    TYDO, morne

    L’ennui me ravage. As-tu pensé que les statues peuvent s’ennuyer ? (Silence) Lygdamis me peigne, je la peigne à son tour, nous…

    CANDAULE

    Tu es aussi seule que moi ? (Silence, pause). Le Roi se lève rapidement, et tente maladroitement d’embrasser la Reine)

    TYDO, se dégage et crie

    Ne me touche pas ! (51) (Le Roi conserve sa posture, les bras en avant, foudroyé) C’est soi-même que tu embrasses ! c’est ta victoire que tu veux étreindre !

    CANDAULE

    Ma victoire ?

    TYDO

    Oui ! c’est ma dégradation, c’est ma souillure qui te transporte ! Et Gygès est ton complice ! (Elle s’enfuit. On entend au loin un battant de bronze qui se ferme)

     

    SCÈNE II. - CANDAULE, seul.

    Seul… (geste impulsif vers la sortie) Oh ! (regard circulaire) Tout est vide… Tydo ! Je l’ai tant regardée que je ne l’ai point vue – de ses grands yeux aveugles… Mais la frôler, mais lui parler sans jouer ! me découvrir… (plus bas, sourdement) Elle me méprise, depuis longtemps (rage contenue) Que ne me suis-je vengé d’elle plus tôt ! Oui c’est une juste vengeance que j’ai assumée. Devant toute la cour j’aurais dû l’exposer ! ...je me tourne moi-même en dérision, je demande à chacun d’être aussi esclave que moi… Et à Gygès, plus qu’aux autres… Toi qui m’as toujours fui, toi qui d’entre mes mains as toujours su glisser (plus vif) Tu ignores le bienfait que je te dois – qu’elle t’ait vu, tant mieux ! Je suis en ton pouvoir à présent…

     

    SCÈNE III .- CANDAULE, GYGÈS

     

    GYGÈS apparaît dans le dos du Roi. Éclairage sinistre vert sombre. Il tient son poignard (reflets jaunes sur le visage, verts sur le poignard)

     

    CANDAULE ; se retourne. Il ne manifeste pas de surprise trop forte

    TOI...

    GYGÈS - voix étouffée, comme se parlant à lui-même

    Douleur, angoisse, incertitude – je vous tiens – sans ciller – au bout de mon poignard.

    Ce disant, il s’estun en un lent mouvement de glissade. Les voici corps à corps.

    CANDAULE

    Je ne pensais pas mourir de ta main.

    GYGÈS

    Tu mens.

    CANDAULE

    J’aime la vie. (52)

    GYGÈS

    Meurs.

    Canndaule pousse un long cri mélodieux d’opéra. Rampe, recroquevillé, vers le public, de côté. Puis il s’affaisse, en boule. À ce moment, lumière blanche éblouissante.

     

    SCÈNE IVGYGÈS, LE ROI (mort), TYDO

    TYDO

    Gygès, qu’as-tu fait ?

    GYGÈS demeure immobile. TYDO alors va se pencher vivement sur le cadavre du ROI. On l’entend murmurer son nom. GYGÈS reste figé. Elle revient)

    Qui t’a ouvert la porte ? Qui t’a permis de frapper maintenant ?

    GYGÈS montre son arme.

    TYDO

    Je t’aurais délié. GYGÈS montre son incrédulité.

    Il ne m’a jamais approchée. Idole il m’a prise, idole je suis restée. Mon orgueil m’a gelée. Je l’ai poussé jusqu’ici.

    GYGÈS la prend aux épaules, tandis que la REINE ne peut détacher les yeux duROI. Sourdement :

    Je me suis échappé de vive force et je me suis vu face à face.

    Plein feu sur le groupe. Des esclaves recouvrent le ROI d’un linceul et le tirent discrètement. Fanfares de style Mouret.

    Il n’a pas résisté. Il est tombé très vite.

    TYDO

    Adieu.

    GYGÈS

    Nous serons dignes de toi.

    Rumeurs de FOULE, qui s’amplifient.

    Le Roi est mort ! Youyous. Gygès l’a tué !

    LA REINE écoute. Bruits de projectiles.

    TYDO serre les poignets de GYGÈS

    Tes mains ne tremblent pas.

    Un FORCENÉ surgit, l’épée à la main.

    LA REINE s’interpose vivement :

    Sacré ! La mort si tu le touches !

    LE FORCENÉ (souffle court)

    Ils te tueront, GYGÈS ! (il sort précipitamment)

    GYGÈS, résolu :

    Allons.

    Du fond de la scène s’est avancé un praticable. GYGÈS et TYDO y prennent place en le contournant. Ils se retrouvent face au public, derrière une tribune. La FOULE envahit le plateau. DesVOIX crient :

    Candaule !

    GYGÈS

    Peuple ! (Les voix se taisent assez vite)

    Toi qui cherches un recours,

    Toi qui, dans les ténèbres, vas criant

    Où trouver mon garant ? Où trouver mon roi ?

    Vois le signe des dieux au-dessus de ma tête (projecteur)

    Les dieux cette nuit ont tranché.

    Ils m’ont, cette nuit, investi.

    C’est moi, peuple, que tu attends !

    GYGÈS, roi de Lydie !

    Le praticable, insensiblement, s’est élevé

    Et à présent, Lydiennes, Lydiens, à pied, à cheval, en voiture, sous la pluie, la grêle et la tempête, partout où votre pied hésitera, partout notre honneur soutiendra votre toit !

    Il écarte les bras, renverse TYDO d’une baffe, tout s’écroule, et un corps de ballet burlesque fait son entrée côté Jardin sur un rythme de french cancan, musique d’Offenbach.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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    treuil,brouet,brouette