Proullaud296

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  • 24 DISSERTATIONS + UNE

    C O L L I G N ON

     

    VINGT-QUATRE DISSERTATIONS

    plus une

     

    I BRANLOMANIE

    Dans les années 2030, en retard déjà sur le bouleversement des mentalités, nous écrivions ce qui suit :

    « Toute vocation pédagogique es d’ordre sexuel. Mais si vous éprouvez la moindre velléité de tentation de passage à l’acte, vous n’êtes pas faits pour ce métier, vous y êtes même diamétralement opposés. Fuyez vite, loin, à tout jamais. Nous ne parlons pas des femmes, dont le contact physique, n’en déplaise aux effarouchés ridicules, n’a jamais fait grand mal ni aux garçons, ni encore moins aux filles. C’est aux hommes que nous nous adressons, qui forment la quasi-totalité de ce genre de malades : messieurs, s’il vous est arrivé de glisser dans cette fosse à merde, sachez que vous n’êtes plus, que non seulement ne compterez jamais plus au nombre des hommes au sens plein et viril de ce terme – mais que vous serez tombés au-dessous même de ce qu’il est convenu d’appeler « l’espèce humaine ».

    Or, l’éducation sexuelle, obligatoire et jamais assumée (chacun se repassant la patate chaude) est un des seuls moyens légaux et propres dont nous disposons pour cimenter les relations humaines dans le cadre pédagogique. Putain c’est bien dit. Mais con ne vienne pas nous parler d’Autorisation Préalable du Principal ou d’Accord des Parent, car à supposer que nous les obtinssions, ces autorisations, elles seraient assorties de clauses tellement restrictives et tellement comminatoires que pratiquement rien ne serait possible. Terreur latente et l’arme de poing dans la poche. Comme me disait Jeune Sépluqui, « quand je fais l’amour avec mes élèves, je ne tiens pas à ce que n’importe qui puisse venir me prendre par derrière » - c’est de l’humour tas de Cosaques. Aborder la pédagogie sous cet angle me semble désormais secondaire, bien qu’une telle approche ait été déterminante, non dans le déclenchement ni dans le déroulement d’une carrière suivie à contrecœur, mais en tant que justification a posteriori d’un comportement verbal plus ou moins obsessionnel – pour la plus grande joie des élèves auditeurs.

    Le jour de la Décision, il convient d’être au top de son honnêteté, en indiquant ses propres blocages, limites et tout ce qui s’ensuit : les vôtres, et pas celles d’une organisation chapeautante quelconque : « Vous me verrez hésiter, balbutier, rougisser. À chacun les séquelles de sa propre éducation. Mais je dirai toujours ce que je pense personnellement. Vous allez donc tous me rédiger vos questions sur un bout de papier anonyme » - si j’ai fait du bien, du mal ? les deux, sans doute. J’ai fortement soulagé le garçon C. en lui révélant que non, les règles ne coulaient pas « à gros bouillons » ; j’ai révélé au garçon O., très étonné, que oui, les femmes aussi éprouvaient du plaisir. Mais le garçon R. se montra profondément écœuré d’apprendre, à quatorze ans, les gestes exacts de ce fameux « acte sexuel » dont on parlait tant. Et toujours, point capital selon moi, je proclamais à la face du monde que les filles, elles aussi, parfaitement, se masturbaient, et comment. Les jeunes garçons ayant bien trop tendance à « idéaliser » leurs « petites amoureuses » - tu parles…

    La chose me semblait essentielle : révélation pour les deux sexes. Soulagement pour les filles qui pensaient être seules, soulagement souvent émerveillé pour les garçons qui s’imaginaient le seul sexe à ce point tourmenté, sale et dégénéré, dans l’opinion générale des années 80. Il semble que désormais les deux sexes connaissent tout des coutumes de l’autre. Il semble aussi que les films dits porno ne soient pas exclusivement pourvoyeurs de techniques agressives inspiratrices de tournantes, chose qu’ils ne montrent pas, mais participent par là à la simple éducation sexuelle. Que si l’on m’objecte les vies amoureuses brisées de tels ou telles à la suite d’une exposition au porno, nous pourrions en montrer bien plus encore, par milliers, brisés encore bien plus sûrement par la répression sexuelle sauvage perpétrée pendant des siècles par la prétendue Église…

    Or, ne trouvant pas dans l’éducation sexuelle proprement dite un exutoire suffisant à ma perversité mentale, je ne le répéterai jamais assez aux punaises, j’ai exploité le filon du rire. Non pas en me bornant aux histoires de dessous de ceinture dites « drôles », hélas réclamées par les élèves (et accordées par moi) aux dernières heures de l’année scolaire, je me suis saisi de toute occasion dans mes cours, dans mon langage, de sexualiser, ouvertement, la relation professeur-élèves : la langue française, comme toutes les autres je suppose, est ainsi faite, que le moindre déplacement de syllabe ou d’intonation déclenchent aussitôt, dans l’esprit de mes branleurs et surtout leuses, toute une série de connotations marquées au coin (cuneus) de la sexualité.

    Pensez seulement aux incongruités qui peuvent résulter de l’intonation d’un groupe de mots comme « l’habitat urbain » ou « le taureau est entré dans l’arène ». Une fois l’attention aspirée par ce terrain, il est impossible de l’en dégager. Au détour d’une phrase sévère de Pascal ou d’un cours sur les participes, le sexe peut même survenir par simple suppression de syllabes : « Il en a pris l’habitude » devient « il en a pris l’ha - üde », suivi ou non d’un fin silence. Se garder, surtout, de prononcer le moindre terme grossier : le sexuel doit venir en quelque sorte s’imprimer en creux dans le discours, au prix d’une certaine attention, d’où une atmosphère constante de complicité dégoûtante.

    Bien entendu, ces plaisanteries sont on ne peut plus stupides et dégradantes, ne me faites pas l’injure de me croire inconscient. S’il existe un Dieu, je me présenterai devant lui : « J’ai fait rire mes élèves », et il me sera beaucoup pardonné, car le temps passé à rire n’est jamais perdu. Ils rient, ils se débloquent (en marge, au crayon : moi non ; qui a écrit cela?). Ils écoutent chaque phrase, où peut se glisser à tout instant un sexe baladeur, et retiennent, prétend-il, le sérieux en compagnie du plaisant. Tout rire est sexuel. Toute subversion du langage abat un interdit, tout calembour abat une chaîne de calendos. S’il est vrai d’après Freud que la délivrance n’est que pour l’auditeur, tandis que le locuteur renforce son blocage (il rit peut, mais voit rire) (voyeur, non actif), nous serions volontiers tenté par ce paradoxe de poser au martyr, sacrifiant son épanouissement personnel sur l’autel de l’abnégation libératrice, comble de la mauvaise foi.

     

    DU VÉRITABLE OBJET DE MON ENSEIGNEMENT

     

    Nous voudrions établir une ligne de démarcation très nette. Creuser avec véhémence un abîme sans fond : il n’est pas question pour moi du sexe masculin. Rien ne nous est plus étranger que les extases sulfureuses d’un Michel Tournier sur les genoux écorchés des garçons, ou le fumet des pissotières d’école, « autel(s) fumant(s) de la garçonnie ». Rien ne me répugne autant qu'un adolescent furonculeux qui se tripote la quéquette derrière la porte entrebâillée des chiottes. Jamais je ne me suis reconnu dans ces individus grossiers, prétentieux, pétant de vulgarité, toujours prêts pour le poing sur la gueule à 5 contre 1 de préférence. Je n'ai jamais voulu, un seul instant, leur ressembler.

    Ce sexe malotru qui fut le mien par les hasards de la génétique, entre le dérisoire et le pathétique, ne me semble tout juste supportable que sur mon propre corps, à force d'à bite hude. Et s'il existe paraît-il un "masochisme féminin", j'en verrais volontiers l'illustration la plus consternante dans son attirance pour cette espèce de cornemuse flasque et baveuse qui sert d'organe érotique à mes cons génères. Ce cou de vautour pelé, maladif et malodorant, cet incongru et vaniteux sac à pus. Dispenser cours à une classe de garçons équivaut à faire un plongeon nauséabond de 45 en en arrière dans une espèce de fosse-cloaque où fermentent en cloques de longs tourbillons d'étrons et de résidus de branlette.

    La lectrice (les hommes ne lisent pas) comprendra sans difficulté notre particulière attirance pour l'onanisme féminin, si dissemblable, dans son élégance, dans son innocence (car la fille et plus tard la femme se branlent dans la plus parfaite bonne conscience voire inconscience), du trayage cradingue et laborieux qu'effectuent les garçons disgraciés. La masturbation, chez la débutante, n'a pas encore acquis ce stade de fixation qu'il atteint irémédiablement plus tard, quand la femme décide de "choisir" et ne choisit personne.

    Donc, tandis que les hommes seraient prêts à se contenter de n'importe quel croûton, les femmes exigent de la brioche. Pour le faire court : le garçon se "tripote" dans la honte la plus totale ; la jeune fille se caresse dans l'incertitude parfois, ce qui est tout de même moins grave, et reste en tout cas entre soi et soi (le garçon fait des taches ; il ne peut rien cacher ; les filles aussi, mais pour d'autres raisons qui n'ont rien à voir). Pour s'absoudre à ses propres yeux, l'homme se trouve ainsi condamné à l'enfournage répétitif et mécanique ; l'adorateur se mue alors s'il le peut en punisseur déespéré, pilant sous ses coups de boutoir ce foutu sexe capable de jouir à lui seul... le plus souvent à lui seul.

    L'objectif serait donc, plus modestement, de transformer ces jeunes oies butées, résolues à se faire hacher menu plutôt que d'avouer leurs pratiques (telles ces connes d'avant-guerre qui répétaient en boucle "je ne comprends pas ce que vous dites", ayant le putain de culot d'aller jusqu'à nier la question posée) en femmes révélées, reconnaissant leur plaisir sans réticence, et le pratiquant le plus possible sous nos yeux. Nous n'avons rien trouvé de plus complet, de plus ingénieux, de plus irrévocable, que le vénérable Manuel du Confesseur : pour amener n'importe quelle femme à reconnaître ses masturbations, il faut lui parler en confesseur d'expérience, à qui "on ne la fait pas".

    Le questionnaire doit donc porter non pas sur l'existence ou non de l'acte, posé comme indubitable, mais sur sa fréquence. Le qualitatif se trouvant éludé au profit du quantitatif, la femme se débat ainsi non plus sur le oui ou le non, mais sur le combien : "Trois fois par semaine ?... vous ne répondez pas ? serait-ce sept fois ? dix fois ? vous gardez le silence ? mon Dieu ! iriez-vous jusqu'à vingt fois ?" "Ne craignez pas, dit le Manuel, "de pousser le nombre aussi loin que possible dans l'absurde.Tôt ou tard il vous sera donné un démenti à partir duquel il sera aisé d'établir la vérité : car si vous ne le faites pas un nombre incalculable de fois, - c'est que vous le faites. C.Q.F.D.

    Dans le cas qui nous préoccucupe, il s’agit avant tout de parvenir à l ‘identité mathématique jeune fille ≡ masturbation. La Masturbation est l’essence même de la Jeune Fille. Au premier regard entendu, elle comprend sur-le-champ de quoi il est question. « Se masturber » se dit, entre elles, « le faire ». « Faire » par excellence, c’est « se masturber ». Au premier regard entendu, elle comprend que c’est de sa masturbation, à elle toute seule, que l’on parle. Elle ne nie jamais. Plus jamais. Le contact ainsi établi au plus intime, la confiance est totale, absolue. Les allusions peuvent alors se multiplier, de part et d’autre, et c’est alors que l’Interlocuteur apprend avec délices toute sorte de précisions voilées parfaitement claires, sur la fréquence, la qualité de plaisir ou de frustration.

    Autre conséquence extraordinaire : la composante masculine du groupe, jusque là sur la réserve indienne, sur la « touche », acquiert une tendresse inconnue. Eux qui se croyaient sales et méprisés découvrent, ô merveille, ô soleil levant, que ces monstres, ces invraisemblances angéliques, les jeunes filles ! se masturbent tout autant qu’eux, voire plus, en haletant tout aussi fort. Il en résulte une saine complicité – et surtout, surtout : une impossibilité radicale de concevoir une de ces atroces passions sado-maso, ver de terre amoureux d’une étoile. Car, Dieu merci, on ne peut plus envisager de se rouler en suppliant aux pieds d’une jeune fille hautaine et glacée, qui, tout bonnement, se branle comme vous et moi.

    Ceux – et surtout celles – qui auront lu jusqu’ici n’auront pas manqué de se répandre en sarcasmes, invectives et menaces. Nous allons leur river leur clou en trois rounds :

    1. a) Les tartufes

    On pourrait croire qu’en ce siècle où la sexologie… où Sigmund Freud… où les sex-shops etc. - eh bien non. Pas du tout. La dose d’insecticide n’a pas été assez massive. « Freud, connais pas. Veux pas le savoir » - argument adventice : « on ne plaisante pas de ces choses-là avec des enfants ». Je refuse cette sacralisation aliénatrice. « L’enfant a besoin d’être sécurisé ». Non. Secouez les enfants. Montrez-lui la vanité des choses. Scandalisez-le. C’est à ce prix que s’accroît la Conscience Humaine. Tout est permis à qui ne fait que parler. « Mais alors, vous avouez que votre système a-pédagogique est essentiellement destiné à assouvir vos propres fantasmes ».

    Écoutez-moi bien : je n’ai pas envie de débrouiller mon écheveau psychanalytique. Je me comporte exactement comme ceux que je viens de blâmer. Les gens de l’art pataugeront avec des lis dans mes refoulements, transferts et autres. Ils concluront que je suis psychopathe comme tout le monde, attardé comme tout le monde, bref, un pauvre type à remettre dans le droit chemin à grands coups de « projecteurs impitoyables ». Ils me trouveront un Ééédipe gros comme une patate et la bite à papa dans le cul. Tant pis. Ce n’est pas mon boulot. « Qu’est-ce que le moi ? » Je n’en sais rien. Je me suis réveillé (nous nous sommes réveillés) un jour sur cette terre, prisonnier d’un corps, d’un caractère, d’une destinée.

    Irais-je (Irions-nous) m’amuser à vouloir les changer, et, en faisant cela, m’abstenir (nous abstenir) de vivre ? Duperie ; je me soumets à leurs défauts » - massacre de Stendhal. Que si d’ailleurs le centième de mes délires se réalisait, je ne bougerais pas d’un cil. Une jeune fille réellement amoureuse me paniquerait, me pétrifierait de respect. Je ne sauterais pas sur l’occasion. Nous parlerions ensemble, nous essaierions l’un et l’autre d’y voir clair. Peut-être que je l’aimerais. Mais ceci est une autre histoire.

     

    * * * * * * * * *

     

    Un jour, à propos de la surpopulation carcérale, nous avions conclu quel ‘on pouvait bien « s’amuser » dans une cellule, à partir de deux... » - « ...et même tout seul », avais-je renchéri. Une petite fille « chaste et pure » fut la seule à s’étonner en toute bonne fois au milieu des rires gras. « Demandez à votre voisine », lui ai-je dit. « Elle a l’air particulièrement au courant » - de fait, ladite voisine, déjà formée, pulpeuse, portait sur son visage, plein et velouté, voluptueusement sournois, les stigmates mêmes et le masque de la masturbation fréquente et accomplie. Elle s’empressa de renseigner sa camarade à l’oreille tandis que l’Interlocuteur poursuivait son discours. Alors ce dernier fut interrompu par une exclamation dont l’indignation révélait le plus ingénu et le plus intense des émerveillements : « Oh ! Monsieur ! Si je disais ça à maman, je ne sais pas ce qu’elle me ferait ! » (braves parents…) - l’Interlocuteur passa outre, les autres pensant déjà à autre chose.

    Je rencontrai ensuite plusieurs fois la même petite jeune fille dans les couloirs. Elle riait, métamorphosée en jeune fille, ouverte, gourmande, heureuse. Tel est le plus grand péché, la plus belle réussite dont l’Intervenant puisse jamais s’accuser...

    Si notre vision est fragmentaire, c’est par déformation professionnelle. Mais l’étroitesse du machisme permet, elle aussi, d’approfondir. Pour la connaissance de la véritén reportez-vous à votre hebdomadaire habituel.

     

    II

    DES AMBIGUÏTÉS DE L’ AMOUR

     

     

     

    Les enfants ne se livrent jamais. Leurs chairs y font encore obstacle : opaques, hors-jeu. Nous parlerons donc de la chair des jeunes filles, origine du monde.

    Certaines, sur lesquelles je ne m’étendrai pas, possèdent des yeux de vaches, où se lit la vaisselle, l’enfant. Le stade ruminant. Vie faite et cercueil vissé.

    D’autres sont des jeunes filles qui s’ignorent. Ont-elles un sexe, rien n’en transpire. « Les jeunes filles bien » travaillent, rient, jouent, mangent. On les rencontre jusqu’à l’âge avancé, sur les bancs de la fac : les « copines », les « chic filles ». Pas un poil d’ambiguïté. Le sexe ? « On n’y pense jamais » disent-elles. Nous éprouvons devant ces absences le même malaise que devant l’abeille, la fourmi, le termite, dépourvus de cerveau sexué. Nos regards se traversent. Castré, je passe outre. En peau de chèvre.

    Devient fille d’Onan toutes celles aux yeux faufilés : paupières en biseaux, cils battants, lèvres mordues. Plus flagrant : la chair grasse et luisante comme d’une constante exsudation de cyprine, les yeux frottés et charbonnés. La bouche et le rire lourds – l’onanisme Dieu merci n’est plus chlorotique, mais insolent. Le point crucial n’est plus focalisé, mais diffusé. Nous pensons aux lourdes femmes de notre enfance, lourdes choses blanches et chaudes, couvertes de bas, de culottes, d’arrière-mondes vaguement grouillants de dentelles et d’étoffes imprécises aux finalités floues.

    Quant aux adolescentes en fin de course, que dire ? ce sont déjà des femmes, avec leur chevelure, leurs seins, leur pubis, leurs flirts. Elles n’appartiennent plus à l ‘univers fantasmiques – et parfois même, elles baisent.

    Ailleurs.

    ...Nous avons connu des élèves attirantes et tourmentées, supérieures, bourrées de recherches. Nous discutions. Leurs yeux fiévreux traquaient ma vérité, sans y trouver vraiment de quoi m’admirer. Un jour d’exposé où je m’étais assis près d’une fille, nos hanches se sont touchées. Elle s’est vivement décalée, le temps d’un regard de flic fou. L’érotisme des filles est intellectuel. Nous en sommes lassés, à tout âge.

    Quelques-unes ont envoyé des lettres, sur leurs élans, leurs vagues confusions… Naïf

    est celui qui verrait dans leurs demi-aveux le signe ineffable d’une aspiration au harem, au vivier de nos vieux jours éventuels - spirituel, spirituel… Mieux vaut alors nager dans le bonheur parfait : l’éréthisme pédagogique, expérimentée le temps d’un trimestre en 2021, dans une classe de filles presque exclusivement. Tout mon répertoire y fut épuisé. Je me fis passer pour homo : elles m’adorèrent. Je fis l’amour avec la classe entière, métaphoriquement parlant – lorsque G. ouvrait la bouche, je pensais voir un fruit fondant, et toutes ces sortes de choses…

    À la rentrée de janvier, tout soudain, je leur dis : « Aujourd’hui, je ne vous « sens » pas. Nous allons faire une dictée ». Je ne les ai jamais plus « senties ». Lorsqu’elles sont revenues me voir l’année suivante, j’ai balbutié. Je me suis très vite enfui aux toilettes, providentiellement proches. Mes troisièmes étaient devenues des jeunes filles, baisables, sans plus.

    ... »Mais », direz-vous, « parlez-nous des garçons ; vous les avez trop durement esquintés pour ne pas avoir été attiré ».

    Exact. Là aussi j’ai connu mes coups de foudre, uni- ou bilatéraux.

    ...Les petits viennent à vous en toute innocence : leurs yeux clairs et confiants, et toute la panoplie – l’horrible T., aux grandes oreilles rouges, avec sa mine d’assassin au nez plongeant, dissimulant derrière sa bosse la bouteille de grand cru ; le blond B., sa course en va-et-vient dans l’allée centrale : « Monsieur, vous êtes bon ; vous êtes trop bon ; pourquoi êtes-vous si bon ; vous ne devriez pas être si bon ». M., noir de cheveux, blanc de peau, vif-argent, sa main sur mon cul et ma BAFFE immédiate ; Jd., les yeux ronds, la bouche en cerise, la brosse de jais – pour cause d’indiscipline, je l’avais enfermé dans un réduit d’1m² entre deux salles ; les autres élèves avaient remarqué ma rougeur extrême lorsque je l’avais saisi à l’épaule…

    Plus complexes : les collants. Celui qui me montre ses dessins à la fin du cours ; ceux à qui j’ai précisé que je n’avais pas besoin de cirage… Le plus attachant fut encore un certain Holf, capable de me lire Tacite dans le texte, pauvre rejeton d’un attaché militaire belge, fils définitivement noué (sa sœur ôtée à ma section pour ne plus entendre mes allusions nocives à l’impureté des jeunes filles) – Hol me confie, un jour de printemps : « Je n’aime pas toute cette matière qui fermente, ça fait trop « vivant » - pauvre diable morose…

    Certaines conquêtes masculines exigent en revanche une efficacité foudroyante : ceux dont la tête à claques est en elle-même un explosif à désamorcer d’urgence. Ils traînent des pieds comme un yakuza, balancent leurs cartables dans les coins, critiquent bruyamment (maussade et agressif, le ton) – DONC, leur donner raison, leur donner la parole. D’urgence. Que le jeu soit truqué, ils n’en ont aucun soupçon. Vous connaissez d’avance les positions qu’ils vont attaquer – n’ayez crainte : ils se contrediront, ils s’embrouilleront avant vous. Le seul grief cohérent qu’ils pourraient avancer, s’ils avaient la moindre parcelle de conscience, c’est qu’ils sont jeunes, et que vous êtes vieux. Ça ne va pas plus loin. Avouez à fond vos insuffisances, arborez un puissant sourire, affirmez haut et fort que mieux vaut un contact rugueux que pas de contact du tout : « Nous verrons bien comment cela marchera ».

    ...Et tout en professant, clignez de l’œil entre complices, par dessus le marais. Il vous admirera peut-être, du moins vous respectera. Si de surcroît le garçon est beau, s’il vient vous voir chez vous, vous aurez gagné un ami. Et des ragots…

    Si le coup rate, l’Opposant, n’ayant pu séduire le Chef, séduira immanquablement la Masse : un caïd… car ils auront vu dans l’œil vaincu de l’enseignant l’admiration soumise. Je me suis laissé entraver dans la bande d’un store, ligoté, incapable de maîtriser un rire convulsif… « La seule présence de l’élève D. empêche à la lettre le cours d’avoir lieu – comment voulez-vous, madame, que j’accepte votre fils dans mon école avec un dossier pareil ? - ne vous affligez pas : il a sûrement gagné plus que moi.

    Mais dans le meilleur des cas, l’insolence et la vulgarité vous laisseront sans armes, comme si vous aviez douze ans. Vous pouvez gueuler , engueuler, votre caid va se marrer. Vous n’aurez pu mater personne. Tôt ou tard, le « copain » jouera pour son propre compte : « Puisque ça t’emmerde tant prof, ...ne me punis pas pour ce que tu as envie de faire toi-même » - au mieux il se détache, et dort. L’humanité n’a pas besoin d’avenir.

    Pourtant si j’ai devant moi de braves petits bûcheurs aux yeux candides, je vais les trouver ternes, trop sages – et dangereux : « Ma mère ne veut plus que j’aille avec monsieur D. l’année prochaine : elle le trouve idiot ». Ça fait plaisir. Mais qu’une autre « tête blonde », toujours au premier rang, gavée de recommandations, de renseignements, de timbres-poste, rentre ensuite se plaindre à son papa de l’inconvenance de mes propos et parvienne à me faire jeter sur un score de 3 lettres défavorables sur 23 de soutien, c’est intolérable.

     

    III

    LE COURS – SPECTACLE

     

    « Mossou le Proufessour,

    Vous cultivez l’utopie et le flou en chambre : d’abord ce sexe que vous faufilez, puis ces prurits affectifs… Mais nous ignorons toujours le contenu proprement dit de vos cours... »

    Réponse : « La Peur ».

    Seule façon de l’affronter : Le Cours-Spectacle.

    Peur tricéphale : fonctionnelle, bordélique, textuelle.

    Fonctionnellement : la première fois, devant la classe, on se sent con. Je le jure.

    « Faites-leur donc faire des exercices ! »

    Bien sûr mon brave. On peut dicter, aussi.

    En sixième, on m’a collé des cours d’histoire. Je ne savais plus rien des pharaons. Il a bien fallu que je m’y remisse : dictée… Les pauvres ne se rendaient même pas compte qu’ils recopiaient leur livre, phrase après phrase.

    Autre truc génial : la remise des devoirs. Prendre un paquet de copies, et, l’une après l’autre, dans l’anonymat, éplucher toutes les notes marginales. Ça peut durer deux heures quand on est doué.

    Le fin du fin: le cours par cœur. Tout noté. Jusqu’au moindre mot – en tout petit, pour qu’on ne me voie pas compulser. Technique à vrai dire extraordinaire du doigt sur la ligne et du battement de paupières – sans oublier la modulation phonique – mais quel épuisement : avant pour préparer, pendant, et après pour récupérer. Très, très vite, la peur cruciale : celle du bordel.

     

    - T’arrives, tu fais ton cours et tu repars.

    - ...Essaye, pour voir…

    ...Faire avec ce qu’on a – l’humour, la névrose.

    Le bordel est inévitable ? Organisons-le. Et ça donne :

    1) Un cours sur les sangliers. À deux pattes, à roulettes, à feu rouge incorporé, à queue traînante, avec questions véhémentes, interpellations drôlatiques aux moindres velléités d’initiative potachière : comment faire tourner à gauche un sanglier qui veut tourner à droite ; mœurs familiales des sangliers à éoliennes – et toujours : l’amour chez les sangliers.

    2) Un cours sur Le Cid en western comique : « Don Diègue a un pied dans la tombe et l’autre qui glisse », « Monsieur le Comte a eu son compte »… Une dizaine de joyeuses facéties de cet acabite et le cours vire au bordel, mais c’est vous qui l’organisez – à condition de ne plus faillir ; car de ramener le calme, il n’y faudra plus songer.

    3) La lecture à contre-sens, à contrepets, à syllabes retrancher (dont l’absence fait ressentir l’obscénité : «  - jugaison », «  -ré », « mauvaise ré - … -ation », «  - riosité ») ; lectures à imitations successives et rapides d’accents allemand, arabe, anglais, espagnol – bref, les élèves n’ont rien compris, même avec le texte sous les yeux – mais ils ont rigolé, et vu que l’on pouvait cracher sur la littérature, ce qui n’est pas rien. Le texte théâtral se prête particulièrement à ce genre d’exercice : je vous recommande les rôles de fem-mes et d’hommes à voix interverties, le débile mental, Hitler (sur Lamartine, impayable), et mon chef-d’œuvre, le Bègue-Belge-Pédé.

    ...Blâme de l’administration ? Cette injustice m’ulcère.

    Comme il est difficile de se renouveler, il faut faire de répétition vertu. Si vous avez des tics, signalés par les élèves d’ailleurs, incluez-les dans vos fantasmes à tics. Enfin, poussez la mauvaise foi jusqu’à l’extrême : « Je ne cherche pas à vous faire rire, mais à découvrir sous le rire le tragique de l’existence ». Mouchoir.

     

    ...La Troisième Peur est celle de l’effort. Ce texte ne vous dit rien. Vous ne pouvez pas en choisir d’autre, pour l’excellente raison que vous êtes persuadé que tous les textes se valent, et équivalent à zéro – dans ce cas, on se cramponne au texte. À sa première phrase. Elle contient toutes les autres : chaque mot fait l’objet d’une question, qui renvoie à d’autres mots du texte. À la fin de la phrase, virgules comprises, vous pouvez avoir traité le texte entier. Cette première phrase, vous aurez pu la tordre comme un drap qu’on essore : soit un ensemble calembour – explication dudit calembour – assorti du temps de à la rigolade, et vous serez parvenu au bout des longues 55 minutes de cours.

    Petite remarque cependant : pour éviter l’effort de préparer le cours,  vous aurez dû vous dépenser trois fois plus pendant le cours. Pour les économies d’énergie, c’est raté.

    Pourtant, de temps en temps, le hasard, et non pas vous, permet d’accéder à la catégorie des Bons Profs : tout a été fait dans les règles : lecture expressive, avis général de la classe, plan au tableau, remarques fines et profondes. Quand vous ressortez de là, vous bombez du ventre et du cerveau. Vous avez enseigné, formé les esprits. Misère de nous ! Tenez, je ne peux plus y tenir : je vais vous en exhiber deux, d’états de grâce. Les fleurs ne son pas chères. Soit Horace, de Corneille. Un truc hyperchiant. « Lisez ». (L’élève ânonne le premier vers :

    « Je comprends rien !

    Moi : « Normal, c’est de la langue poétique du XVIIe siècle ».

    Soulagement sur les bancs.

    Épluchage : versification, grammaire, sens – ce qui permet (voir plus haut) de potasser, mine de rien, toute l’expression. Relecture des premiers vers. Exercices de diction, d’intonation. Résumer la fin de la scène, truffer de brefs dialogues sur l’État, la Famille, l’Amoir (avec références à l’époque contemporaine), sans oublier le texte, le tour est joué : « Vous avez réussi à intéresser mon fils à Horace ? ...un véritable exploit ! »

    Second triomphe : 75 collégiens dans une même salle pour une « Conférence sur la musique ». Préparation minimum : 1/4 d’h pour l’idée, 1/4 d’h. pour le choix des disques. Au lieu de faire chier le peuple avec du Haydn, je commence par Sylvie Vartan. Jeu : retrouver, en s’y mettant tous, les paroles de la chanson. Elles sont débiles, tout le monde rigole. Un cran au-dessus, Aznavour : même exercice. Barbara : ça marche encore, mais juste. Changement de vitesse : du rock, impeccable. Du pop : ça passe. Attention, premier tilt, confluent rock-pop-chanson-jazz : Pierre Henry, Messe pour le temps présent : « Orphée, tu m’aimes ? Orphée, tu m’aimes ? ».

    Deux filles de 16 ans reprenaient côte à côte ces paroles sur leurs lèvres, les larmes aux yeux. Un crochet vers le jazz, que je n’apprécie pas, mais indispensable pour aborder Stravinsky : la danse de l’Élue dans Le sacre – j’ai bondi la-dessus, tout seul dans ma chambre, à dix-sept ans ! Avec Stravinsky, le poisson était ferré : 9è de Bruckner (5 mn du deuxième mouvement, là où ça balance, là où ça cogne), puis la Cinquième de Beethoven – au bout de 120 minutes, les 75 élèves écoutaient religieusement une sonate de Bach… Si j’avais commencé par Jean-Sébastien, c’était le bordel dans les trente secondes… Tous piégés !

    ...Mais vous ne ferez de bons cours, en vérité je vous le dis, vous ne réussirez quoi que ce soit que par la Grâce. Même la Volonté - est une Grâce.

     

    IV

    BORDEL, CÔTÉ POTACHE

     

    S’il est vrai que le mal se guérit par le mal…

     

    Il n’existe pas de « section calme » ni de « section agitée » ; chacune secrète ses déconneurs attitrés : virez-les, il en repoussera d’autres.

    « Repérez-les dès la première heure ! Matez-les ! » disaient à peu près les manuels dit pédagogiques. Ils oublient, nos braves gens ! que l’on met plusieurs semaines avant de mettre un nom sur un visage ou le contraire. Ils oublient tout autant que tout élève, pris la maîn dans le sac, niera systématiquement, entraînant dans son sillage d’une cohorte de petits Zorros justiciers et catégoriques. Ils oublient enfin que tout élève, par définition, refuse l’école, et s’en trouve très fier, point à la ligne. Au point que d’aucuns, d’emblée, se mettent à déconner dès la première minute de la première heure. Un sot trouve toujours un plus sot qui l’admire : l’opposant tire les sots comme la corde sur le puits.

    À quoi reconnaît-on un sot ? à ses lèvres épaisses ? à son front bas ? à ses intonations de harengère ? discutable. Mais si vous commettez l’erreur de l’isoler, il ne vous faudra pas une semaine pour vous retrouver avec deux, puis trois, puis une demi-douzaine de petits cons fermement décidés à ne pas s’apercevoir que votre cours… est en cours. Ils n’ont d’ailleurs pas le moindre grief encore contre vous.

    Cependant le bordel s’invite, sournois, dès que vous poussez la porte. Sortez-vous, il disparaît : il est bien connu que ce sont les flics, n’est-ce pas, qui excitent les manifestants. À partir de là vous êtes tenté, malheureux ! d’intervenir. La non-intervention est aussi une intervention : piégé. Vous. Et c’est la cacastrophe.

    Comportement a)

    Compréhensif. Les collégiens s’ennuient. Voix posée, raisonnable : sympa. Vous avez la paix. 30 secondes. Pas 31. À refaire, un peu plus ferme. 25 secondes. Vous voici donc par la force des chose au

    Comportement b)

    la gueulante

    Réponses :

    1) c’est pas moi, c’est l’autre.

    2) « Y a pas que moi » - réponse archiconne, mais archicourante, même chez les adultes:pas le droit d’arrêter le petit revendeur tant qu’on n’a pas débusqué le commanditaire… ben voyons…

    3) « Vous nous avez laissé faire au début »

    4) « Vous n’avez qu’à ne pas écouter nos conversations » [sic]

    et pour finir

    5) c’est vous qui avez commencé

    …et si bas qu’ils soient descendus, il s’en trouvera toujours pour descendre d’un étage. Rappelez-vous toujours que chez les élèves, la parole est très exactement la seule chose qui les distingue (à peu près) des bêtes. Vous n’en croyez rien ? … Effectuons la manœuvre la plus quotidienne, puante, vicelarde :

    1) L’élève déconne : sarbacane, bordée de jurons.

    2) Vous faites semblant de ne pas entendre : pas que ça à foutre, le cours à poursuivre, etc.

    3) Vous intervenez.

    4) Même et surtout pris sur le fait, l’élève nie farouchement, ôte sa sarbacane de sa bouche pour jurer qu’il ne lance pas de boulettes avant de vous en recracher une sur la chemise. Il gueule, il ameute, il prend à témoin – que dis-je ? il répète et fait croire que c’est vous, le prof, qui avez sorti la bordée de jurons, et même, que c’est vous qui les lui avez appris. Il en répand le bruit à l’extérieur. Il trouve chez les adultes un terrain tout ensemencé. Il est cru, chers conseilleurs de mes fesses. Il est cru. Vous n’avez plus qu’à attendre le 30 juin.

    Pourquoi ?

    La réponse est d’une simplicité atroce : vous n’avez pas le don, le rayonnement, l’aura – le sharisme, pour prononcer à la Busnel – votre gentillesse ? elle cache la peur ; votre sévérité ? elle cache la peur. Ça se sent comme le gibier. Les conseils? Laissez-moi rigoler. Notre métier ne s’apprend pas.

    S’abstraire ?

    Chiche.

    Votre cours préparé, faites votre entrée, dans le vacarme. Disposez vos affaires sur le bureau. Le cours commence. Personne pour écouter, sauf au premier rang. Votre voix ne porte pas plus loin… Parlez pour ce premier rang. Au milieu de la tempête, quelques autres se rendent compte qu’il se passe quelque chose. Encouragez-les à se rapprocher. J’ai réussi ainsi à faire apprécier à cinq ou six élèves, au milieu d’un bordel gigantesque, tenez-vous bien, les Stances du Cid.

    Un craquage :

    « Qu’est-ce qui pue, qui est con, et qui remue ?

    - C’est vous, m’sieur !

    - Non. C’est une classe de sixième.

    Vous n’akJ’ai pleuré un jour, moi, un mâle, ridicule (pléonasme) devant une classe rigolarde : « Il a des complex- es ! Il a des complex-es ! » J’ai hurlé que j’allais devenir fou, que j ‘allais mourir, j’ai crié « je veux qu’on me respecte », j’ai frappé, insulté, « vous êtes des poubelles ! » - tout ce qu’il ne faut pas faire, Monsieur le Conseiller Pédagogique, je l’ai fait, collègues humiliés, je me la suis jouée Jésus-Christ, Les parents d’élèves commencent à se plaindre : « Vous aller tâcher de corriger votre langage. Plus une grossièreté. Plus une ambiguïté ». Le Directeur : « S’il y en a un qui bouge, vous me l’envoyez » - par paquets de dix ? « Vous n’allez pas vous laisser marcher sur les pieds ».

    Traduction : « Mon cher cul-de-jatte,

    Votre caisse, vos fers à repasser, ce n’est pas ça du tout. Vous allez me faire le plaisir de mettre un pied devant l’autre, de courir un peu pour vous réchauffer, de sauter quelques haies. Et pour voler, rien de plus simple : vous étendez les ailes, comme ça, un peu d’élan, et hop ! » - et hop ! on se casse la gueule. Et surtout, surtout, ne pas se plaindre d’une classe. Le coupable, bon sang, mais c’est bien sûr ! C’est vous !

    - Mais alors,vos solutions ?

    - Aucune.

    Quand on n’a pas la Grâce, c’est cuit. On peut jouer les Sauveurs, les Rédempteurs, on se retrouve tout seul devant sa glace. La Grâce, et la Glace. La vérité n’est pas une aiguille dans une botte de foin, mais une savonnette dans une décharge. Reste la littérature. Le blabla.

     

    V

    L’ÉLÈVE DOIT PAR-TI-CI-PER

     

     

    « M’sieur ! Pourquoi qu’on ferait pas un débat sur quelque chose d’intéressant ?

    Excellente idée : un camarade, on l’écoute. Effort restreint du professeur… Travail collectif… le Saint du Saint...

    C’est un beau moment, certes, quand la salle entière s’arrache les sujets d’exposé : « Moi ! Moi ! » - ou bien qu’elle baisse la tête comme un seul homme pour « passer entre les gouttes ». Cependant, je n’ai jamais connu de dérobade, même des plus timides. Les élèves ont même souvent proposé les sujets. De plus, l’exposé se prépare en commun. Et le débat qui s’ensuivra va permettre à chacun de s’extérioriser.

    Que c’est beau.

    En fait, les élèves repèrent surtout une chose : la suppression du cours. Malheur au prof qui demande à ce qu’on prenne des notes : un exposé, c’est la récré. On y vient les mains dans les fouilles. On pourra même 1) roupiller pendant l’expo, 2) s’engueuler pendant le débat.

    Le prétendu « groupe de travail », en effet, se compose la plupart du temps d’individus sans contact hors de la classe (le téléphone, c’est pour le fun ). Chacun fera donc sont travail dans son coin. Affinons l’analyse : le crac bossera tout seul. Les autres empocheront la note collective.

    Devant la classe, aucun compte n’aura été tenu des recommandations antérieures : ânonnage et bredouillage, transformation (par exemple) de Venise en catalogue de chiffres (dates de construction et dimensions de tous les palais…)

    ...L’exposé, conçu pour bousculer vers la haut, par la prise d’initiative, la collaboration, précipite dans la passivité ou l’embrouillamini. Sa réalisation est rendue quasiment inopérante par le manque de concertation préalable réelle des participants, et le manque d’expérience de l’exposant. Pour éviter ça : c’est vous qui devez choisir le sujet. Mais soyez bien persuadé que tout sujet, choisi par le prof, sera de ce fait même indifférent : « On s’en fout » - tout est dit. Quant aux sujets choisis par les élèves, ce seront toujours les mêmes : les groupes de rock, la moto, la planche à voile. Encore une fois : assez de monde extérieur. Secouez-vos, petits vieux de quatorze ans.

    Surtout n’écoutez pas ce con qui vous suggère de tout mettre à plat, de discuter de touot ce qui ne va pas dans la classe ! un prof lavette ! Quelle aubaine ! ...comment d’ailleurs le professeur pourrait-il tenir le moindre compte des revendications, ces dernières impliquant l’abolition de tout système scolaire ? ...si le prof cédait, il serait immanquablement méprisé.

    *

    Il ne faut pas endoctriner les enfants- très bien ! - l’ennui, c’est que d’autres s’en sont chargés avant vous. Que le débat porte sur la peine de mort, le féminisme – l’impressionnisme (déjà mieux) – le rap – démagogie quand tu nous tiens – vous aurez toujours affaire aux grandes gueules de la classe, ceux qui gueulent le plus, donc sans aucun respect pour l’opinion des autres : ils seront toujours pour la peine de mort, pour Horace Vernet (« avec lui au moins on voit ce que ça représente « ) - contre les immigrés, contre les femmes. J’en ai même vu faire de l’obstruction systématique : ils agitaient tout simplement

    les bras en criant (aaaah ! aaah!) pour empêcher les filles de parler.

    . En un mot vous aurez droit à toutes les beaufitudes de beaufs. Come ce sont eux qui font le plus de bruit, ce sont leurs conneries qu’on aura le plus entendues, le plus retenues. Vous avez gagné : ça vient des parents.

    « ...Eh bien moi, je suis intervenu, j’ai rectifié le tir, dérouillé les timides, guéri les muets, ressuscité les morts et l’Esterel…

    - Vous avez de la veine. Moi j’ai plutôt vu l’élève défendre sa merde comme un chien son os, soutenu par le chœur hargneux de tous ses sectataires… enfin, admettons – que vous ayez insufflé à votre classe l’esprit « démocratique » : on discute entre jeunes gens de bonne compagnie, on apaise les exaltés, on suspend les conclusions – tout est dans tout et réciproquement – le Café du Commerce – qu’est-ce qu’y a à la télé…

    Je crois bien, Docteur, que j’éprouve la violente tentation de supprimer tout débat, l’enseignant enchaînant lui-même les questions et les réponses, le procédé permettant d’une part de camoufler son incapacité à suivre une discussion en prétextant de l’imbécilité des élèves, d’autre part de se livrer à la propagande. Ce serait plus franc, l’élève choisirait comme au supermarché, mais je suis en plein délire

    VI

    TEXTES ET CONS TEXTES

     

     

     

    La matière, c’est le texte.

    Son support, c’est le livre.

    « Nos enfants ne lisent plus »
    - OK chialards. Encore faut-il voir de près ce qu’on leur propose – et ce qu’ils proposent eux-mêmes, les pauvres…

    Car malgré tous les efforts, les thèmes des manuels sont restés identiques. Vous ne trouverez plus la rentrée, ni l’automne, ni la chasse. Mais l’imagination des pédagogues se déchaîne sur le camouflage des anciens. Ce qui donne « les copains », « le jeu » - en avant pour Le grand Meaulnes (oui, ça m’a plu, mais je ne le prostitue pas dans les classes), La guerre des boutons- soit. L’élève qui-ne-paie-pas-de-mine et qui se retrouve premier, ou du souffre-douleur (Charles Bovary ; Bamban ; Silbermann), les ambiances de collège ; les histoires de profs ; sans oublier les subtils distinguos entre « camarade », « copain », «ami » - m’sieur ! c’est pas pareil ! m’sieur ! - ta gueule connard tu vois pas qu’euj lèv’le doigt ? Les belles leçons de morale sur la délation, la triche – les profs rigolos ou terroristes, les farces, les entraides…

    L’univers des enfants… j’ai pressé le citron… les élèves intéressés : ça leur permet ç chacun de placer dans le bordel général son brevet démocratique d’intelligence : trois-quatre

    ah ben ouais… ah trop pas… pour venir réclamer au prof, à l’animateur, l’insulte et la bave aux lèvres, la bonne note de participation.

    Camaraderie, copinage, amitié – je n’ai jamais connu ça. Exclus. Concours de quéquettes, toujours bon dernier – humour. Pour moi la rentrée, « les autres », c’est la trouille : passer inaperçu, ou faire chier tout le monde ?. Et passer pour dingue, puisque je suis dingue : « T’es trop con, on joue pas avec toi » - ça n’est pas dans les livres – on n’en parle pas. Dans les textes, il y a toujours un camarade généreux pour rétablir la Justice – pas pour moi.

    Eh bien évadons-nous ! ...le sport, l’aventure, la Frique, la Mérique, la Zie – le Maine-et-Loire (coups d’épée, gros bras, sexe fort, vent debout, les Noirs, le 100m, le 500m il court, elle accélère, elle remonte, il se décourage clameur de la foule – poumons qui brûlent – pets qui s’empilent – mais dans un formidable élan de volonté hhhan ! Il (ou elle) arrache la victoire (le stade en délire, pipi, la douche euch(tâcherai d’faire mieux la prochaine fois victoire sur soi e tutti quanti.

    Quant à vos Récits d’aventure, je n’en ai rien à battre. Mes élèves n’auront jamais les couilles de les vivre, ils en seront gavés sur l’écran. Ils n’auront jamais le premier pognon pour voir l’Amérique voir plus haut – ou alors en Thaïlande pour les gosses et les dos d’éléphants – où ça, l’aventure -

    Là où tu cherchais des perles rares

    Des ploucs installent

    Leur planche à voile

    Pour faire un p’tit tour dans les étoiles

    Manset

     

    Et pour ce qui est des jeunes spéléos, exploro, ethnolo – c’est au détour du réel, d’un mec, d’une pineco,qu’ils ont pris le virus – pas en classe, qui est à l’aventure ce que le Caprice des dieux est au rugby.

    Allons ! qu’est-ce qui pourrait bien intéresser nos petites têtes creuses ? La LIBÉRATION de la FEMME ? quoi, encore ! ont crié toutes les filles comme un seul homme – en revanche, la drogue, la prostitution, le terrorisme – inconnu aux manuels : AT – tention : l’extérieur soit, mais à la sauce gamin : fade et chiante… sécuriser… comme ils en voient cinq fois plus à la télé, ils trouvent l’école bébé boy-scout.

    « Les Djeunnz, ça s’intéresse au polar, à la science-fiction – plus maintenant – mais qu’il y ait des bons, des méchants, des poulets, des gangsters (pas iraniens), d’un côté les vivants, les cadavres de l’autre – les extra-terrestres, et moi et moi et moi. La brave petite intrigue d’enfant, un gosse tombé du ciel qui fait le détective (« ...mène l’enquête »), que ça à foutre, pas d’école pas de parents, découverte des vilains messieurs, un peu Gitans un peu racistes, tous au trou, pouf ! - ou alors, de l’audace : un jeune délinquant, qui s’est fait entraîner, qui se dégonfle, qu’on oblige, drame psycho, bons sentiments, à la cuillè-reu ou bien dans un ve- rreu, les larmes coulent et glou et glou.

    Les adultes non plus ne veulent pas le savoir : la balance enfonce largement le détective, les délinquants pas de quartier ben si justement, quartiers au pluriel, coupables de quoi ?