Proullaud296

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TRADITORE

C O L L I G N O N

 

 

T R A D I T O R E

 

Notes de L.P.

 

 

Tous les commentaires que je fais sont en rapport avec ce que je connais de ta personnalité, j'outrepasse donc la fiction pour traquer l'auteur même. Ne prends rien pour un reproche, mes commentaires sont tout-à-fait spontanés et bienveillants, comme un œil extérieur souhaitant te délivrer de certaines manies.

 

 

 

Seul à ma table avec les fourmis.

 

Tous les éveillés font semblant de dormir. Sensation de danger comme hier, au sommet de la tour de Najac. La peur provient de ce fait : chacun peut se lever sur la pointe des pieds, pour lire par-dessus mon épaule.

La peur provient de moi : je laisserais traîner ce que j'écris, eux, le liraient. Retenez ceci : quoi que vous fassiez, il y a toujours quelqu'un qui lit par-dessus votre épaule. J'aime

 

Hier mon père et moi sommes allés au château de Najac. Mon père me suit, partout. C'est lui, par-dessus l'épaule. Il m'a conduit jusque très tard aux cabinets.

Une queue sort d'un arbre, un jet de merde tombe : mammifère ou oiseau ? Cette nuit je fus réveillé par une sorte de glapissement.

C'est un écureuil.

Est-ce que les écureuils crient ?

J'avais cru jusqu'ici que c'était le cri du renard. Ainsi, pendant les nuits de Pasly, entendais-je le renard et le rossignol. Puis j'appris que c'était celui de la mésange. Mais le renard, c'était ...?

Partout des frémissements : dernières poursuites, derniers massacres entre les branches. La mort la plus fréquente chez les animaux est de se sentir englouti, déchiré vivant. Tout sera bientôt englouti par la grosse vulgarité humaine.

Mme Schmoll est grise, grosse et vulgaire. Mon père fréquente cette femme. Ma vie sexuelle est bien plus secrète. (ça c'est de la fiction !)

 

Au sommet du château de Najac, le corps engagé dans les créneaux, je faisais le tour de mon vertige, j'aime

le sol semblait se relever vers moi comme l'angle d'un tapis vert, je pensais qu'un peu de courage

aurait suffi pour sauter dans le vide. Tout serait fini.

Non accompli.

À ce moment la voix de Frau Schmoll me parla de réincarnation.

C'est la première fois que j'écris à la main depuis si longtemps.

...La pente du village est raide. Nous avons acheté du beurre. J'obsevais une petite fille plate et pathétique. Longiligne et visiblement couvée. Qui nous fixait. Le soir elle écrirait dans son carnet : des adultes laids et puissants. (si exact !)

Rien ne ressemble en moi aux choses que livrent les écrivains dans leurs interviews : ils se sont tous donné les mots... le mot

Et autre chose encore : le jour de ma mort, sur mon lit de mort, si tant est qu'il y a un lit, les couces feuilles de mon Œuvre ne bruiront pas à mes oreilles pour m'emmener, sur leurs ailes, dans l'Éternité. métaphore ! Ah la métaphore filée, qui plus est, n'en abuses-tu pas, comme dirait... ? Ça fait cliché mais ça me plaît.

Alors je note. Qu'il fait frais. Que les oiseaux très isolés font entendre leurs divers cris. Que la grand-route passe au fond très loin vers Montauban.

Nous sommes au cœur du Ça.

Das Es. Essen. Mon père va me contraindre à manger. Il engloutit des kilos de petits-déjeuners. Celui-ci durera trois quarts d'heure. Puis viendront d'autres châteaux.

 

...Qu'est-ce que j'apporte aux autres, – est-ce une vraie question ? - et que les autres n'ont pas ? Cette lueur d'été infâme, ces siestes vautrées dans la demeure, cette décomposition d'où je me suis à l'instant relevé, vous les avez vécues, également.

oui, mais nous ne les avons pas écrites, ni décrites, donc, réponse à la question, tu nous apportes ta belle écriture.

Les journaux éternels sont peuplés d'êtres imaginaires. J'y reviendrai.

Frau Schmoll va et vient seule dans la maison fraîche, la vaisselle tinte sur l'évier de pierre, nous avons mangé trop de fromage, il faudra digérer, payer tout cela. Il n'y a plus que mon père qui dort. Il est très difficile à réveiller en début d'après-midi.

Réendossons la vie. Que la vase vous envahisse, que l'action vous mène, mon Dieu, n'y a-t-il donc que la mort dans la vie ? Excellente

Le soleil chauffe. La première des politesses serait que je sorte de ma chambre.

 

*********** ****************** ****

 

Mon père joue de l'orgue. S'il se contentait de se distraire ! hélas, il se prend pour un génie. Méconnu, ce ne serait pas si grave. Hélas encore, il se prend pour un génie à venir. A soixante-douze ans, mon père attend toujours son avenir. Il s'imagine encore en capacité d'atteindre, à force de persévérance et de progrès, un stade supérieur qui tarde à venir. Qui lui est dû ; par le nombre des années.

Une garantie.

Or il existe aussi des vieillards cons.

 

xxxxxxxxxx

 

Plusieurs ainsi Pitt s'offrent à nous. Ce ne peut être une date : tout verserait dans le réalisme, où chacun s'empresserait ou craindrait de se reconnaître. Où moi-même...

L'un de ces commencements consistait à reprendre les propos de Connolly, disant en substance que tout romancier doit être un homme d'acquiescement, tandis que l'homme divisé s'épanouissait dans le journal ou le dialogue.

Une troisième introduction implique une réflexion sur l'inévitable permanence des personnages secondaires ou (plutôt) épisodiques. Mais où Claude Mauriac, Gide ou Nin évoquent Miller, Allégret, Cocteau, nos pas ne croiseront que des Fritz et des Zimmermann. Ceci me semble une digression et présente un décalage, on veut poursuivre avec toi dans la fiction (ou pseudo-fiction).

Henri-Frédéric Amiel me fascine. Son oeuvre figurait parmi les usuels de la Bibliothèque de Bordeaux, alors qu'il ne voyagea pas, et borna le cercle de ses connaissances à quelques amis aussi obscurs que lui.

Voyez comment la démarche de l'auteur diffère ici infernalement de toutes celles de tous les autres écrivants : quel autre, au mépris de toutes les lois de genre, ne cesse de s'interroger sur l'effet de son écriture ? non pas dans la postérité, mais dans le moment même ? distanciation de l'auteur avec lui-même, qui nous rapproche de lui.

l'artiste s'interroge toujours.

 

Ce narcissisme escargotier le mène droit aux gémonies - en latin scalae Gemoniae : escalier, dans la Rome impériale, où les corps des suppliciés étaient exposés avant d'être jetés au Tibre. J'inscris ce mot sur mes tablettes. Mon père fait ses ablutions dans le cabinet de toilette attenant. Il s'est levé tard, ce qu'ordinairement je ne puis supporter - je le houspille, et la matinée se passe dans l'aigreur ; au lit, il ne dort pas : ressassant ses souvenirs, parfois les yeux grands ouverts au-dessus de la ligne du drap. j'aime

Il perd son temps. Il ne doit pas ruminer ainsi. La rumination ranime le goût de sa jeunesse, justifiant la totalité de son passé - tiens, ça me rappelle une personne que je connais bien !

 

Nous verrons. A son âge.Mais le temps qu'il repose ainsi : je ne peux ni sortir ni me promener. Même si je ne me serais jamais promené on a le droit de dire ça ? Ah oui, c'est ce fameux "même si" où je me trompe sans cesse...

Le temps qu'il repose, je lis sur un banc de bois raide, engourdi par le ronflement du réfrigérateur. Je marche autour de la table pour me dégourdir. La machine est sur mes genoux, moi maintenant sur la chaise cannée, coincé dans le coin d'un buffet près de la prise de jus faute de rallonge. Est-ce que je joue bien. Je me souviens d'un dessin féroce illustrant, jusque chez les plus grands, la manie du journal intime : j'avais envie de prendre un bain froid lisait-on à l'envers d'un rouleau manuscrit. Mais cet auteur n'avait pas d'humour. Ai-je de l’humour ? Douteux. Oui il est douteux.

Je scinde ma vie en heures et minutes. Même en congé. Inspiration ou pas. Inactif jamais.Les enfants immatures appliquent les préceptes appris, que les pères ne respectent pas. Plongé pour le moment, le mien, dans un traité d’échecs. Trop fort pour moi. Il m’entraînera bientôt dans une promenade au soleil, d’où je reviens la tête tournante. Choisit-on la vie de son père ? Mon emploi du temps s’étale à qui veut le lire : chaque jour, à chaque page, ce sont des insignifiances. Le reste de ma vie repose en maints tiroirs, attendant le camouflage. J’aime. Si je parlais de mon père il faudrait un voile de plus. Certains disent que je manque de maturité, exact. À l’âge où je suis parvenu, je ne vais tout de même pas m’emmerder à acquérir des forces que les autres maîtrisent déjà.

Ils me distanceront toujours, c’est pourquoi ils tentent de m’attirer sur leur terrain. Mais dans les contrées méconnues de la soumission, je conserve une avance irrattrapable. Quand il mourra je m’arrangerai pour disparaître. Il atteindra bien les 90 ce qui ne me fera pas loin de 70. Les hommes vivent vieux dans ma famille. C’est aussi la mienne. Soixante-dix me suffiront. Je me souvient très bien de son père.Il n’écrivait pas, il ne calculait pas. Le dernier homme décidé. Hier je suis allé consulter Sergueï Ibrahimovitch. Il m’a dit « Vous avez un cancer ! » Ce vieux crétin. Il riait aux larmes. Il me palpait le foie, le sigmoïde, et si je piaulais, il riait. « Vous devrez faire une échographie ».

Puis une échographie. Puis une cœlioscopie. Moi qui veux rester en surface. Comme si je n’avais pas assez souffert. Mon père;lui, n’a toujours rien. Je guette : rien, rien. Il y a pourtant ce signe qui ne trompe pas : ce besoin de se lever toujours plus tôt. Il en est à cinq heures et demie. Si encore il se tenait tranquille. Mais non. Il tourne, il gyrovague. Remue des bols, s’asperge, claque les volets. On change les rôles : je suis le malade – foie, pancréas, ce qui nettoie vite son homme. Cette idée aussi d’annoncer aux hommes leurs cancers en riant ! J’espère que la douleur ne viendra pas trop vite. Je dois apprendre à ne plus me moquer de ceux qui ne savent plus parler que de leur maladie. J’ai autrefois lu avec intérêt les trois premiers récits de cancéreux publiés par Sélection du Readers’ Digest. Puis systématiquement sauté tout ce qui s’intitulait « Derniers mois d’une vie épanouie » ou »La peur vaincue par la prière ». Tu es limite superstitieux.

Mon père en ce moment dort, après une nuit agitée. Je pense devenir plus sobre, à mesure des progrès de la maladie. Ce qui m’exaspère dans tous ces récits de vaillants cancéreux, ou sclérosés en plaque, c’est cette exaltation de la volonté. Mais c’est Dieu qui veut, à travers toi. Je leur montrerais un malade qui gémit : les Héros démoralisent les lutteurs moyens, les mourants de base – à moins, à moins ! que le courage, l’héroïsme ne pousse en soi, ne se développe – que parallèlement à la maladie, à la douleur – donc : où est le mérite ? Pourquoi bombent-ils le torse, tous ces Moribonds Héroïques ? Ce sont de simples témoins et il faut du courage pour affronter une maladie gave.

 

*

 

Hier encore, Mme Schmoll est venue avec sa grande amie, 1m75, osseuse, nommée Dubec. Schmoll et Dubec ne couchent pas ensemble. Enfin, pas forcément : le même lit dans un refuge de montagne, par exemple ; elles avaient rangé leurs tibias par paires et s’étaient endormis du lourd et sain sommeil des randonneuses. Nous leur avons emprunté une somme considérable. Mon père et moi faisons bourse commune, ce qui est insolite en somme. Je n’ai jamais su ni pu ni voulu m’occuper d’argent, bien que Papa parfois m’entraîne dans des spéculations qui n’appartiennent qu’à lui – heureusement mes livres se vendent. Ces dames donc nous visitent assez souvent, afin de récupérer leurs sous.

Mais comme il ne faut pas y faire allusion, que nous évitons tous le sujet, l’atmosphère finit par d’imprégner d’une odeur de fiente. Nous parlions justement d’elles ce soir-là, souhaitant leur mort à haute voix. Ces salopes étaient passées par le petit couloir externe, sans le moindre bruit de pas sur la neige tassée. Elles se sont montrées ce soir-là d’une affabilité exceptionnelle.

 

*

 

Il n’y a pas de femme dans ma vie. Bénie soit la prostitution Ah non ! N’en déplaise aux féministes, la femme n’éprouve pas le besoin de réaliser ses pulsions : la masturbation lui suffit amplement qu’est-ce que tu en sais ? Elle se branle à satiété. Qui a déjà vu une femme « en manque » ? Moi. Aucun intérêt à la masturbation. Mon père me donne tout l’argent que je veux, moyennant force leçons de morale. Il m’en écrit même. J’en ai trouvé dans ses documents personnels, à mon grand amusement et profond dégoût.

Nous étions donc reçus par un couple à qui nous avions prêté des sommes considérables ; ils ont pu s’offrir un chalet à tempérament. À présent ils se plaignent : nous avons séjourné dans ce chalet pendant leur absence ; j’ai salopé leur gazinière et leurs cabinets. C’est faux. Ils ont trouvé un prétexte de rupture.

Ils m’ont prêté un livre de Böll : Le silence de l’ange. Le livre se passe pendant la guerre. Où est le mérite ? Cela semble bien mal traduit : j’entends l’allemand sous le français.

Pourquoi mon père s’obstine-t-il à vivre avec moi ? Il est valide, il a de l’argent. Si je voulais - supposition – trouver une femme, supporterait-elle que je vive avec mon père ?

Bénie soit la prostitution.

D’autres pique-assiette sont venus dîner. Il y avait l’homme, la femme et la petite fille. Nous avons sorti la somme exigée. La petite fille était si mignonne, et savait si bien le breton ! Nous avons acheté leur camionnette aménagée. Voilà ce que c’est de savoir bricoler : il y a une gazinière, et un réfrigérateur fonctionnant, ce qui m’a fait rire, au gaz. Et si je me mettais au breton ? Parce que la petite fille est mignonne ?

Nous dépensons de façon effrayante.

Ma maîtresse a téléphoné. Voilà, je jette le masque : en plus des putes, j’ai une maîtresse. Mariée. Pas d’histoires. Elle a un fils, reconnu par le mari. Je veux bien croire qu’il est de moi. Prétentieux.

« Vivien ne pourra pas partir en vacances cette année, tu pourrais pas allonger quelques billets ?

Non, chère Viviane, tu resteras avec ton fils, cet été encore, dans ton pouilleux ménage, en compagnie de ton chômedu de mari. Je m’achète des camions, moi, je prête à des amis pour qu’ils s’achètent des chalets près d’Annemasse.

Encore un drôle de corps que ce mari : un nommé Roland, ramassé à la sortie de je ne sais quelle prison. Il purgeait six mois pour je ne sais quelle tentative de cambriolage ; et l’amnistie l’a fait sortir. Viviane s’en est entichée, juste avant de me connaître, et s’est trouvée enceinte de deux hommes à la fois. J’aime.

Je vois si peu ce petit bonhomme que je ne saurais dire où va sa ressemblance. À sa mère, je crois, ce qui ne facilite rien. Pourquoi savoir, et qu’y a-t-il donc à savoir… c’est très vrai.

Quand il vient, je dois l’arracher à tous mes bouquins. Il les ouvre, les compulse, les étripe. Impossible de lui apprendre à lire : il se met au-dessus des pages ouvertes, et remue les lèvres avec une imitation parfaite. C’est beau.

Mon père me raconte l’histoire de ce camarade de classe qui n’a pas ouvert la bouche de toute une année, et que tous se préparaient à faire redoubler, mais qui, le dernier jour, alors que le maître lui présente en désespoir de cause et par acquit de conscience le livre de lecture, se met à déclamer très fort devant l’auditoire stupéfait la totalité du volume sans la moindre hésitation.

Il a fallu lui arracher le livre des mains.

Mon Vivien doit être jeté tout habillé dans la piscine pour profiter des amusements sains des enfants de son âge. Il coule, il remonte à la surface en pleurant :

« Mon livre ! Mon livre ! »

...Une piscine en caoutchouc, démontable, d’un mètre dix de profondeur. Nous n’avons pas les moyens de faire creuser une piscine, et nous ne les aurons jamais. Si seulement je gagnais au loto ! Bénie soit la machine à traitement de textes : mes jets de vie, mes lancers de foutre, se perdent à tout jamais enfouis dans les vagins rincés des putes, ou se conservent dans les mémoires. Ah!on dépasse le stade du liquide qui se transformerait, se cristalliserait en souvenir ! Tu as dû être tendre, même avec les putes.

Mais le temps passe, et je vois à travers le verre dépoli mon père qui s’affaire du côté de la cabane à outils. Je dois aller voir. Rien de plus pénible que mon père quans il s’imagine que toutes les corvées lui retombent dessus :

« Bertrand ! Viens m’aider ! »

Quand il crie, sa figure devient toute rouge, et c’est ridicule. Je ne veux pas que mon père devienne ridicule. C’est beau.

La Schmoll est toujours là. Elle se fait accompagner d’un jeune homme fluet, qui bricole, qui monte des étagères en sifflotant. Pendant ce temps la Schmoll s’envoie des bières sans alcool, au goût de serpillière, sous son gros bonnet B. de cheveux gris. Elle trompe mon père qui n’en saura jamais rien.

Lui-même s’exhibe dans une académie où l’on ne crache pas sur les vieillards : depuis que Vinci a croqué un ventre de vieux à la sanguine, chacun veut son Neptune ou son Mentor.

Il est évident que je refuse obstinément de regarder ces croquis. Après le départ de la Schmoll et de son Bourre-Cul, tout émoustillé, il a sauté sur le téléphone pour prendre rendez-vous. Dans ce genre d’académie, il n’y a que des hommes. Pas étonnant, c’est une race à part ! Voir un vieux nu satisfait chez eux le complexe des enfants de Noé : quelle joie sombre de voir la déchéance du Père…

Mon Dieu ce dimanche n’en finit pas, cet horaire d’été distend les après-midis à s’en décrocher les mâchoires. Du temps du Magloire, j’étais toujours pressé pour une signature, … ou que sais-je ? Un jet de sperme ? Mon père vient de me réquisitionner. Après son coup de téléphone, il s’est mis en tête de s’attaquer à son ménage, comme si en vérité c’était lui qui recevait un modèle. J’ai dû marcher sur ses traces, de pièce en pièce, le secondant pour toutes les menues corvées qu’il appelle « le ménage » : essuyer une table, ramasser un crayon, passer 4m² à l’aspirateur (sans achever la pièce) – c’est la réalité, n’est-ce pâs N

Je commentais, suspendais à mon tour une chemise ou rangeais des chaussettes qui traînaient… Le voilà satisfait pour deux semaines… Ah ! Du temps où je tutoyais BHL un fantasme ! où j’offrais des pots à Rinaldi, où je gardais la petite fille à Cartano, jamais je n’aurais passé un dimanche aussi commun !

J’ai voulu renoncer à la gloire.

Je n’imaginais pas tomber aussi bas.

Mieux encore : j’avais fait connaissance d’artistes de bas étage – de ces troupes d’étudiants qui prétendent, les prétentieux ! Ils ont raison de l’être, c’est l’apanage de la jeunesse – reconstituer les bases du théâtre ! ah les cons ! en autodidactes ! ...et les théories, les théories ?

...des « jeunes sympathiques » - un peu pique-assiette – mais - passionnés.

Je me revois, ne sachant pas que j’allais réussir, pas plus qu’eux… sous prétexte que son père ne se sent pas bien… tu décommanderas tout le monde pour le pot-au-feu… qui mijote déjà… le premier interprète qui se décommande… malade à travers père… alors qu’en réalité :

C’EST LUI QUI VEUT REGARDER CHÉRI CHÉRIES à la télévision !…

(« devant un parterre de 250 femmes, douze hommes font étalage de leurs charmes au cours d’une succession d’épreuves, deux d’entre eux sont éliminés à chaque tout, dernière épreuve : strip-tease »)

Nous mangeons du pot-au-feu pendant une semaine.

Mon amour aucune ligne ne t’a échappé.

Le prof refait surface. Tel le caïman implacable tapi au fond de la vase

et déboulant comme un forcené au moment le plus incongru

...Ce ne sont pas des personnages éphémères : tous les Grands Hommes nous entretiennent de leurs innombrables connaissances – l’index du Temps immobile de Claude M. est proprement effrayant, monstrueux en fait on passe du pot-au-feu et du strip-tease (qui est en soi un pot-au-feu) - à la Digression de prof (qui nuit à la limpidité de l’histoire) plus loin étalage de culture qui n’apporte rien plus loin « il couve en fait de sombres histoires de cul Lettres Persanes ! - je suis jeune encore, et vaniteux – VRAI – n’ayant vécu jusqu’ici que de mes charmes : la bite ou le livre alors je préfère le livre même du temps où j’écrivais des articles de journaux les petites stagiaires et les mouches se bousculaient autour de ma braguette – à présent je me suis retiré – coitus interruptus - « La mort dans votre œuvre » - « La mer dans Poe » - et qui couchent dès la troisième question – et même, même :

JE ME SUIS FAIT REFUSER PAR SUD OUEST…

Papa me traite encore en grand jeune homme à surveiller.Il s’en contrefout mais il me plaît d’imaginer (avec sa Frau Schmoll) qu’il m’épie, qu’il me tétanise/

Je claque mon fric et mon sperme dans les bordels si bien qu’en fin de moi il ne me reste plus que de quoi me branler, sans même pouvoir inviter mes amis pour la collective – les hommes, au moins, me seront restés fidèles.

Alors que Fritta, poétesse bien connue, me ramenait du bas de la côte dans sa deux chevaux, elle me parla de son voyage en Grèce :

« Nous étions très jeunes, et nous partions pour les vendanges à Chio. Et nous nous disions « Il faudra faire attention aux Grecs, on les dit très entreprenants ! »

J’avais explosé. C’étaient bien là des réactions de gonzesses, de se demander comment surtout NE PAS baiser ; comment pouvait-on à ce point s’attacher à ses chères et confortables branlettes.

Fritta était bien emmerdée. Elle finit par prétendre que d’autres jeunes filles s’étaient exclamées « Chouette, des Grecs, on va en profiter ».

Mais ça manquait de conviction.

En marge les propos convenus des femmes qui « n’aiment pas les machos et les queutards », « pourquoi devrait-on avoir envie de abiser avec le premier connard venu » et autres crétineries qui montrent bien la larguer du fossé. Mesdames, il existe des hommes délicats qui aimeraient faire l’amour délicatement. Désirer une femme ne signifie pas être un queutard fort en gueule – révoltant, non ?

...Sacré nom il a fallu qu’elle y passe, et quinze jours plus tard je l’ai baisée, je l’ai sodomisée, je la lui ai mise dans la gueule et je l’ai fait pleurer quand je l’ai quittée, merde alors, justice !

...Une attaque à la Miller ? Mais c’est un fantasme. Tu es plus tendre que tu ne l’imagines, et tu reproduis le schéma des gros virils débiles, mais tu ne seras jamais à leur image (heureusement) !

...Il n’empêche que dans l’immédiat, je suis bien embarrassé pour offrir un bon repas aux « Comédiens de la Bible ». Frau Schmoll a beau me rapporter des poireaux et des carottes, elle a beau se proposer pour faire la cuisine elle-même :

« Je serai absente pour le repas, et votre père aussi ! »

...ce n’est pas la sensation d’indépendance que j’avais recherchée en revenant vivre avec Papa.

Il est d’ailleurs significatif – de quoi, je l’ignore – que les premiers mots prêtés par moi à Frau Schmoll dans ce scénario tardif - quelle incongruité d’amorcer un journal à 50 ans passés ! - que ces mots soient « je serai absente ». Elle ne parvient jamais à s’extraire de mon père. Lui aussi adore les interminables adieux. Quelle chance !

C’est toujours, d’une seconde à l’autre : « Je m’en vais ». Mais entre eux deux, cela dure des quarts d’heure. S’ils habitaient à faible distance l’un de l’autre, ils se raccompagneraient sans cesse, comme moi petit avec mon copain Claude. Ou les héros du Diable au corps. J’ai voulu coucher avec une éditrice. Truc de PROF. Problème récurrent:la baise. J’ai entendu un beau sermon sur la nécessité de ne pas « mélanger les genres ». Out !

Le sang-froid des femmes en matière de sexe m’a toujours épouvanté. Elles ne ressentent donc rien ? Nul ne peut rien prévoir. Je suis tombé amoureux c’est possible ? Je m’étais bien promis de ne plus me couvrir de ce ridicule.

On n’aime point, Seigneur, si l’on ne veut aimer – cependant : quoique (de préférence) sans issue, un tel sentiment me rapprochera de ces créatures banales – tu considères donc qu’il est banal d’aimer – masculines et grises, qui hantent les romancicules de Galuchard and Sohn.

Je peux toujours espérer que d’aujourd’hui à son prochain épanchement, tout se dissipera.

Il s’agit d’une femme.

Je tiens à le préciser. Oui, c’est bien de préciser,car le doute pourrait subsister.

Nous nous sommes rencontrés à « La Pédale de l’Entre-Deux-Mers ». C’est un club cycliste, car je m’ennuie tant – récurrent ! - que tout m’est bon.

Seul l’amour m’offrira la dégradation - ? - la plus profonde, combinant la plus extrême exaltation et le démocratisme universel du meilleur aloi. Je compte bien d’ailleurs sur mon lassant narcissisme pour me délivrer – de l’amour ? - donc, nous roulions à vélo (« Un soir,t’en souviens-tu, nous roulions en silence ») et parvenus au sommet d’une côte, je sentis nos cœurs battre à l’unisson – non. Ce n’est pas cela.

Je m’exprime si maladroitement.

Mon père s’est absenté. Cette femme est venue chez moi. Je suis heureux quand elle parle, quand elle se tait, quand elle se met au travail : confectionner des centaines de cocottes en papier contenant un message :

PAIX EN BOSNIE – PAIX DANS LE PACIFIQUE

Mais ce bruit de pliage plonge dans une extase dont j’ai grande honte. Quant à la paix, pour qui ne rêve que de sauter avec la planète entière…

Les messages sont rédigés en quatorze langues. Dernière en date : le roumain. Il va falloir que j’achète une méthode de Roumain – encore !

Retarder le plus possible le passage à l’horrible Acte – récurrent et lassant - , quoique les privations ces derniers temps m’amènent des visions de vulves géantes posées sur les visages – Tu ne parleras plus de cette manière le jour où tu aimeras vraiment, mais a priori, ce n’est pas gagné – sur les virages (ma conduite est mal assurée), sur tous les paysages, de ville ou de forêt.

Phantasme ? Renoncer au vedettariat est une épreuve aux embûches imprévisibles. Un avantage mortifiant pourtant : tandis que je pédalais, une paire de lunettes noires a suffi à éteindre la curiosité de tous les spectateurs. À vrai dire, quand je les ai ôtées, ils n’y ont vu que du feu. La déformation du visage, sans doute : fatigue et sueur.

Mathilde n’a pas sourcillé quand je lui ai révélé ma véritable identité : elle ne lit pas d’auteurs français. Lirait-elle des Roumains ? se renseigner. « La Bosnie », disais-je : enfin des bombardements sur les positions serbes. Voilà ce que je devrais dire si je briguais une traduction en américain. Cent francs seulement la Méthode Assimil de roumain. Je me souviens d’une nommée Carole, attachée de presse : vierge à 31 ans, vivant chez son père, sortant des énormités sur les tziganes et me recommandant de lui écrire sous pseudo féminin pour ménager la jalousie de son géniteur…

...Combien de branlettes féminines par 24h ? ...je deviens obsédé. C’est exact. Je n’ose l’imaginer. Je suis certain qu’elle est pure. Quelle connerie la pureté ! Je crois que ton problème vient de ton profond égocentrisme.

Le vélo lui suffit.

À moi non. Je ne te comprendrai jamais.

Nous avons emprunté des chemins innommables, semant le peloton. Nous aurons un blâme de Club. C’était un dédale de hautes fougères, d’où nos têtes dépassaient à peine. Le sol n’était plus qu’un aiguillage d’ornières défoncé. La moindre pluie transforme en bourbier les landes de Bussac. Ce n’étaient plus les coteaux d’Entre-Deux-Mers !

Nous rayonnons sur 100km autour de B. Le plus difficile : les côtes bien sûr, et la promiscuité : devoir parler à quelqu'un, s’assoir sans choisir près de n’importe qui à l’étape, sous les branchages, pour ingurgiter d’atroces sandwiches au ketchup fortifiant…

Nos trouvons là une quantité industrielle de femmes seules ou de gouines Récurrent ! Tu commences à t’enliser dans tes propres démons, et l’histoire se délite. qui tentent en vain d’entrer en conversation avec moi ; suis-je un « camarade » si flatteur ? Avec lequel ces dames se sentent en confiance, à égalité c’est important pour toi ? - ou suis-je… comment disent-elles, déjà ? ... « dragué » ? (« draguer » un homme, pour une femme, c’est lui adresser la parole…) Je suis sûr qu’il existe à ce comportement une logique cachée.

Mathilde est la seule à ne pas puer des aisselles à l’étape. Je parviens toujours à me faufiler, à la rattraper, à m’isoler, à parler. Nous nous asseyons, nous devisons à l’ombre, et arrivons parmi les derniers, en ménageant un savant décalage. Les autres retardataires sont toutes des femmes. Y a-t-il vraiment une telle proportion de lesbiennes ? Suis-je grotesque ? Tu n’es pas grotesque, tu ne te poses pas les bonnes questions.

Quand elle aura fini de plier ses cocottes, Mathilde se mettra aux petits clowns en copeaux, ou bien aux coquillages collés, ou encore, au contreplaqué représentant la Sainte Vierge sur fond de rochers en lentilles. Serait-elle conne ? Ou simplement idéaliste ?

Mon Dieu faites que ne partage pas ma vie avec cette conne. Fût-ce pour échapper à mon père. Le drame est qu’en fait, il m’est devenu impossible de composer une ligne en fiction. Je tremble qu’une équipe de France Culture me déniche et m’accable de questions sur mes personnages, mes intrigues – parole, j’ai tout oublié.

Aujourd’hui donc, j’aime Mathilde. Premier versement fait aux Amis de la Pédale d’Entre-Deux. Un peu de Sport, un peu d’Amour, ça va.

J’essaierai de tirer mon coup avant la fin de la période de cotisation. Toujours le but visé en fait ! mais masqué par des parades hypocrites. Ensuite je retrouverai mon orgue, bien délaissé depuis quelque temps. Et tout ira mieux, elle sera moins con Mathilde quand elle aura enfin baisé, car comment pourrait-elle se refuser à un homme aussi irrésistible ?

 

* Je m’explique : toutes mes annotations peuvent te sembler bien agressives. Il est vrai que j’écris sans détours, car dans toutes ces pages se concentrent tes problèmes qui semblent insolubles. Je n’aimerais rien faire d’autre que de t’aider et te mettre le nez sur tes « incohérences ».

Les femmes existent, pas seulement pour satisfaire TES APPÉTITS, mais pour elles-mêmes, pour d’autres hommes aussi, et tu n’as pas le droit d’être frustré de ces choix !

...La Maîtresse de Papa nous a invités, lui et moi : une journée dans son appartement de femme seule. Seizième étage. Le temps pour elle d’un saut en Roumanie – un week-end, un avion, un pays - visite d’un orphelinat, quatre mille pour l’avion, quatre mille pour l’orphelinat. Mais quelle joie de franchir l’un contre l’autre en ascenseur les seize étages qui mènent au balcon ! C’est sain, enfin. Car l’essentiel, chez Madame Mère, c’est le balcon. Il est garni de fleurs en pot, dont les tiges retombantes masquent les pieds de l’admirateur qui s’avance. C’est beau, car on revient dans la « fiction ». Elle vient à votre rencontre « Le vol est annulé ! » pour préciser les noms, français et latins, de chaque « fille » en pot, c’est ainsi qu’elle les nomme.

Je peux enfin ouvrir la porte-fenêtre et me pencher sans subir de récriminations apeurées. Papa me rappelle, apparemment pour entendre les noms de toutes les plantes aux tiges retombantes : je descends m’esquiver jusqu’au rez-de-chaussée . Il pleut. Je me promène avec mon appareil photographique. Les habitants se sont accoutumés à se voir mitraillés : Mohammed, Midou, Mosché, qui ne se droguent pas et me prennent pour un fou. Je me suis fait passer pour fou dès la première fois. Ils m’ont dit : «Qu’est-ce que tu fabriques avec cet appareil ? J’ai répondu en roulant des yeux : grouîîîîk ! Depuis, mes trois balèzes haussent les épaules, ouvrent mon boîtier vide, et me livrent à mes clichés ; parfois ils ne vérifient rien.

 

C’est le jour des bonnes prises. Aujourd’hui il pleut. Mon appareil est chargé, mais je n’ai pas envie de grosses lippes et de gands nez. J’ai préféré aspirer les fines gouttelettes qui tombent entre les tours. C’est beau. Mes sujets me font signe abrités sous les porches ; ils se sont abrités, engoncés dans leurs blousons journée foutue. Moi, nez en l’air, avalant l’eau du ciel sale. J’accentue ma folie en roulant des yeux. C’est un peu fatigant mais je m’y suis habitué. Ils me demandent parfois de descendre avec eux dans les caves. Mais je refuse comme une fille – ce n’est pas tant de la drogue que je me méfie, mais de la sodomie. On retombe dans tes obsessions. L’indépendance que me procure cette comédie est proprement incroyable : un jour j’aperçois un kéké d’ailleurs qui frime sur sa petit cylindre ; ils le coursent sur leurs vieilles bécanes et ils le forcent à repartir avec la roue voilée ; moi, ils me laissent prendre des photos que je pourrais aussi bien communiquer au poste du coin. Tendance à la délation ? Contrairement aux ragots, l’air est très pur entre les tours.

Le ciel touche les terrasses, les nuages pissent de l’eau, je respire à pleins poumons, je frappe de loin en loin une boîte à conserve, sans plus, pour ne pas les exciter  c’est beau ils détestent le bruit et le rap. Ensuite j’ai rejoint mon père au seizième. Il finissait d’arroser les plantes, à l’abri de la pluie.Il a rangé l’arrosoir vert et s’est lavé les mains. Puis il s’est plongé dans l’Encyclopédie du Désert : il adore les paysages désertiques, il en reproduit sur papier Canson RAS c’est très bon. Le voici qui trace une ligne. C’est l’horizon. Il nous dit : « Au-dessus, le ciel ; en dessous, le sable ».

Il reste des minutes à contempler son dessin. Il dit encore :

« Plus beau que sur les photographies. Même dans l’Encyclopédie, tout en couleur. Je suis plus pur que le noir et blanc. Regarde : 1930 - voilà de l’extraordinaire ! » Il éprouve une grande admiration à Théodore Monod. Un ami à lui le connaît : « Je te le présenterai un jour ». Monod a 94 ans. Dépêchez-vous mon père. Je fréquente le fils de cet ami commun. Il s’appelle « Eustache ». Nom de famille. Il s’intéresse volontiers à l’éléphant. Je lis chez lui des passages sur la vie de l’éléphant, sa manière de se reproduire, de se décomposer : les cimetières d’éléphants sont des légendes. Lui et moi faisons de la musique ensemble. L’éléphant n’est qu’un prétexte. Pour mon père : les déserts du globe.

Pour sa maîtresse de mon père : les voyages éclairs. Je lui demande pourquoi il ne lui demande pas de l’emmener avec elle au Sahara. Il me répond qu’elle n’y resterait pas assez longtemps.

- Mais en n’y allant pas, tu n’y restes pas du tout ! »

Il pleut toujours. Avant que la mère Schmoll ne revienne. Je vais écouter du classique.

 

 

 

B E R N A R D

 

 

C O L L I G N O N

 

 

 

 

 

 

L’AN SOIXANTE - TROIS

Hiver. Neige. Trois mille habitants.

Les morts s’accumulent : Poulenc, Adelkrim, Schuumann – Piaf, Cocteau - tous morts de 63. Les parents qui ne meurent pas. Mornes. Tournés en bas.

Serrant ma bite vers en bas jusqu’à ce qu’elle étouffe. Je vis là vieilli sur pied (dans la Maison Verte route de Ste-Foy. Grand maigre voûté à la tête pendante, mains pesantes, l’air abasourdi faux, dans les rues glacées de Mussidan, sous la pluie, dans la pluie ou la neige fondue de Mussidan (Dordogne).

Il se fait remarquer.

Il attire l’attention.

La police oisive l’épie, le convoque, lui demande ses papiers.*

« Vous êtes de la région ? »

...de qui le fils, le neveu, le frère…

L’amant de personne, le couillon des deux vieux là-bas en bordure de commune, sans boulot, sans vélo, chiant et le regard en dessous.

« Et qu’est-ce qu’ils font vos parents ? »

La moustache et les yeux de l’agent Fichier, qui préviendra sa famille : laideur, inconvenance, vagabondage avachi sous la pluie pleutre de Mussidan « Porte du Périgord ».

Il y a mauvais genre à gifler Marie-France en public pour un œil de travers, à sortir son cran d’arrêt dans le bal de Douziac en disant « Tu l’as vue ma grosse lame ». Délit de sale gueule en bas de la terrasse des flics juste en face de l’asile des vieux on a séparé les vieux des vieilles comme ça plus d’histoires « Ça fait bien vraiment de se faire convoquer par la police (les parents) parce qu’on a un fils de 19 ans qui traîne dans Mussidan les mains dans les poches et les épaules remontées, regarde-toi, tu ne nous auras causé que des emmerdements

des Français du Maroc avec leur fils tous les trois nés en France mais en poste au bout du monde et revenus en bateau avec tous ceux d’Algérie

- …sans aucun rapport Monsieur l’agent – juste en fin de contrat.

L’année suivante (62), torride, réfugiés sur le bateau, les ballots les familles entassées couchées sur les ponts les tnreponts les cales. Mais eux, les D.E., n’étaient pas de ces gens-là. Ils revenaient des Colonies pour les études du Fils unique, « a raté ses études, traîne dans le virage qui descend, au pied de la terrasse des Gendarmes ».

Il y avait des attentats en ces temps-là. Il fallait bien les comprendre, aussi, les agents.

Avec l’hiver les Pieds-Noirs se sont tous calfeutrés, mais lui, Jean-François D.E., n’était pas né natif, il supportait le froid, il remontait ses épaules sous le manteau ou l’imper, en descendant sans fin la Grand-Grand-Rue de Mussidan qui s’appelait De la Résistance, comme toutes les Grands-Rues du Grand-Périgord.

L’été dernier Jean-François D. de retour de Là-Bas s’est couché sur l’herbe chaude au bord de l’Isle avec pas mal de Jeunes – Salut les Copains – des Parisiens des Banlieusards des Pieds-Noirs aux noms bizarres T’es pas juif toi ? Colombes ou Carrières-sous-Poissy garçons et filles tout riants tout flirtant avec cette facilité d’antan garçons-filles – du coin, de «Paris », de Méditerranée.

Il les voyait aller aux fraises on disait aller aux fraises branler les sexes entre les gros buissons là-bas au bord de l’Isle, plus loi, où c’est touffu, où c’est épais, dans le méandre.

Il n’y allait jamais lui Jean-François, avec les filles.

...que les filles, il n’en aurait jamais, il avait bien compris ça, parce qu’il était voûté, rigolo, maigre et grossier, alors que les filles ça aime ce qui est propre, sain, bien terne et comme-il-faut, tu parles de toi, et qu’elles ont toujours, mais il saurait plus tard, un doigt, leur doigt dans le con faux et qu’elles n’en ont rien à foutre du désir des hommes et qu’elles savent s’en passer et comment, et qu’elles n’aiment jamais par désir, jamais, mais par intérêt, toujours par intérêt de quoi ? // à supprimer depuis « il saurait plus tard » nuit à ton histoire qui a superbement démarré – Que les gonzesses se branlent ou pas, moi, lectrice, je n’en ai rien à foutre, et si je ne te connais pas, je vais me dire que l’auteur a vraiment une dent contre les femmes, et je ne le relirai jamais ! Je te dis tout ça pour te libérer de choses inutiles et nuisibles à ta prose

 

Mais c’était pour plus tard.

Pour l’instant il n’était pas résigné, pensez donc à dix-neuf ans, mais il faisait trop froid, quand ce récit a commencé, en 63 (janvier), pour que les filles bien, éduquées, pour que Marie-France et Marie-Cécile aillent se faire toucher au bord de l’Isle, sur l’herbe détrempée par la grande rivière qui vient de Périgueux, St-Astier, Neuvic, arrose Mussidan, Montpon et Libourne où elle se jette enfin dans la Dordogne.

Alors il a pris son vélo. Un tout petit vélo. Avec un tout petit cadre – mais selle montée au maximum il obtenait tout juste de quoi peser de la jambe et du pied B(IEN) sur toute la pédale avec la pointe et l’articulation des orteils.

Il appuyait plein de rage, fuyait sur la terre gorgée d’eau,balayée par le vent et semée de verglas par plaques. Appuyé par St-Cydan, il faisait une boucle, l’aller par une route et le retour par l’autre, Super ! le retour servant d’aller pour le trajet d’après, en marguerite.

Il se fixait un village, un hameau, aux noms si particuliers, des noms en ac, Échourgnac, Estissac, Issac, ou St-Michel-de-Double, Beaupouyet, des noms d’une France mais plus de sa France à lui, au nord où il vivait en contrées reculées (Aguilcourt, Guignicourt, Pignicourt) – ce pays-ci à conquérir, grand développement petit développement, petit grand braquet ou pied à terre dans les montées. Des routes aux fossés débordants, fougères dégouttantes sous l’orage pas sous les arbres mais il y a plein d’arbres que des arbres que la forêt. Des vieux qui ne répondent pas bonjour. Des jeunes qui se foutent de lui dans les villages (petit biclou, crispation des épaules).

Quel beau pays.

Mais que les hommes sont donc bien tous partout semblables.

Mais le pays l’a envoûté.

Il avait débouché sur le plateau, celui qui fait triangle entre Les Lèches et St-Bosset, en plein froid sur le front comme un étau, et sous les roues la glace dans les ornières, qui craque et glisse, et face au vent, à découvert, il avait lutté sur le sentier qui s’amenuise au creux des champs bruns et blancs enfouis jusqu’à la feuillaison excellent.

 

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Jean-François connaît des garçons. Ils s’appellent Simon, Jo (« tu bandes, Jo ? »), Sérou, Petit Brothers. Il lui donnent des conseils. Ils lui disent, pour les filles. Comment faire. « C’est facile ». Y a qu’à. Sympas tout de même, aux flippers, au baby-foot. Ils le trouvent amusant. Jean-François n’a pas sa langue dans sa poche, il raconte, des histoires, des cochonneries, on rit autour de lui, c’est un fameux conteur, une bonne tapette.

- Mais qu’est-ce qu’ils me trouvent, qu’est-ce qu’ils me trouvent. C’est trop du Bernard. D’ailleurs tu te poses encore la question.

 

 

 

 

 

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