ROUTE DE BRANNE
C o l l i g n o n
R O U T E D E B R A N N E
Qui veut voyager loin prend la route de Branne. Inutile de pousser jusqu'à Bergerac, où l'on se rend de deux façons : soit par le Pont de Pierre estampillé "N", les Quatre-Pavillons et la route de Libourne, soit par le Pont St-Jean, inauguré le quinze sept soixante-neuf par le bal sur tablier – puis Fargues-St-Hilaire – et Branne. À St-Pey d'Armens les deux routes se rejoignent (Castillon, Ste-Foy...) - mais il suffit d'aller à Branne : "le lieu des terres brûlées" – ou "le marécage" – bourg disgracieux au premier abord mais beaux rivages, agrafés par un pont de fer, tronçon tombé là comme un morceau de Tour, Eiffel, signe particulier : brouillait la radio.
La route de Libourne est pour les pressés, qui font Paris-Sète par Bordeaux, pour la vitesse – en ce temps-là le Massif Central n'était pas encore "désenclavé", et s'il l'était resté on y retrouverait moins de cons – "à main gauche St-Émilion et son église monolithique" troglodyte, en fait.
La seconde façon d'aller, par Branne, est celle des flâneurs, des intelligents flâneurs. Une route engorgée de villages, laissant de côté les centres-bourg – Tresses, Baron, Vieux-Procédé – pas une demi-lieue qui ne soit jalonnée de souvenirs. Et s'il est vrai que toute route soit la Route, la mort au bout,ou bien le beau retour aux sources, alors qu'importe en vérité, qu'on s'accomplisse ou meure...
Nous verrons bien ce qu'il advient de cette sérénité.
Ma ville, c'est Bordeaux. La route de Branne est le cordon ombilical, effilé, insectionnable - partons du début, non pas des enfances enfouies désormais dans leur préhistoire, mais de cette interminable, fascinante et immobile adolescence, où l'avenir avait le goût doré de ces orages mort-nés.
Cela me vint d'abord sous forme de comptine :
Une chambre sur un mur
Qui donne sur l'arrière-cour
Avec des murs de vert cru
Où pousse le lichen bien dru.
C'est de moi. En baissant les yeux par la fenêtre je voyais aussi une terrasse aux rebords d'alu bitumé. Tout est parti de là. Ou resté. La consigne est de décrire cette chambre comme une cellule, un boyau où vécurent sous la poussière, classés à plat dans les placards, tous les dossiers, tous les projets empilés bien étiquetés sur tranche : ROMANS, ESSAIS, POÈMES, lève-toi et marche. Dans ce décor un homme, prénommé B., dont la femme lui gâte la vie sans qu'il se soit jamais demandé pourquoi, et qu'il fuit jusqu'au bout de sa laisse aux confins des campagnes départementales, mettons Créon, Sauveterre - et Branne, en lisière.
L'homme fait signe du pouce, la vie passe sans s'arrêter, "Vignonet", ces temps remontent fort loin, j'étais bien vivant. L'air portait en ces temps-là une texture, un parfum de frais, de feuilles vivantes et mortes, qui s'en souvient ? - d'espoir peut-être. L'air d'aujourd'hui est mou ("beau temps" sur la moitié sud) - un homme basané s'arrête dans la nuit - d'Antananarivo ? Mananjary ? L'auto-stoppeur évadé ne dit rien.Ne drague pas. Les Indiens noirs ou Dravidiens n'ont rien de négroïde : traits fins, lèvres bien ourlées, nez droit, faciès européen. Soit 70kilos de tendresse noire sur le dos dont seize centimètres dans le ventre - où est le risque?
L'auto-stoppeur B. comme Blanc connaît cet homme,
Ils bossent tous les deux dans la même prison
exposés tous les deux aux mêmes affleurements et contacts de jeunes filles et B. le Blanc se remémore l'Indien Noir le Dravidien aux prises avec les mêmes circonstances ridicules : en ce temps-là, quelques diplômes et 5 années de plus constituaient une frontière infranchissable : deux jeunes prisonnières au parloir ("ambiente carcerario femminile") insistent auprès du Dravidien, très beau, très grand, sur un point de détail de grammaire anglaise. Il répond doucement, battant des cils sur ses longs yeux - hélas en ce temps-là, l'opinion commune était que les objets de désir des jeunes filles ne pouvaient être que d'autres jeunes filles.
Tous les hommes se travestissaient, d'expression, de comportement, de ports de tête - hélas encore, elles aimaient aussi, certaines, parfois, de vrais hommes à peau
dure avec de gros rires. Les prisonnières en centre éducatif ont tourné les talons, singeant avec mépris le battement de cil de l'Indien. La jeunesse du monde grinçait. Et l'autostoppeur B., témoin dans l'ombre du siège passager, repassait dans sa tête la scène infame du mépris des filles, sans pouvoir confier au chauffeur foncé que lui aussi battait des cils en langoureux, sans avoir pris conscience de son dérisoire.
Il se jura ce soir au fond de son fauteuil que jamais plus, lui, Bertrand le Blanc, il ne prêterait le flanc à l'interprétation des jeunes filles. Cinq ans plus âgé qu'elles. B. vivait chez père et mère, plus loin, où ils sont morts depuis, la maison familiale au hasard des rachats devant abriter pour finir une famille de rouquins très antipathiques, la tombe des parents portant le n°113 au cimetière de Belle-Yves - au-delà de Branne, en Périgord pourpre. Route des tombes et des sources
S'accomplir est mourir
Ne pas le faire est mourir
Tel est le choix - alors mourir.
Parcourir une route où rien ne passe. Où rien ne se passe. Ce n’est plus le cas. Où les rencontres, les hommes et les femmes, s’engluent comme les mouches sur le papier brun au-dessous du plafond de l’enfance voyons dit le roi Arthur si la rivière aujourd’hui nous apporte quelque aventure – l’aventure est ce qui advient, ce que nul n’est jamais venu rechercher, car la vie n’est qu’un cours terrible et tranquille – « or voici : descendant la rivière à leur rencontre, le Roi et la Cour découvrirent la barque merveilleuse, où gisait une jeune fille, la plus belle, la mieux parée qui se vit oncques ; et cette belle était morte ».
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L’homme errait toujours, flairant les bas-côté de son passé – ou peut-être un chien. En ces temps de route clairsemée, il se trouvait au pied du ressaut de Tizac. Deux jeunes femmes le prièrent courtoisement de prendre place à bord de leur automobile ; plus un jeune enfant, plus un petit oiseau dans une cage, tous trois sur le siège arrière. L’homme errant ce soir-là se sentant atteint de malaises (d’un gros rhume contagieux) évita l’enfant pour ne pas le contaminer, contraignant la passagère à descendre, qui s’installa mortifiée près de l’enfant fragile et de l’oiseau en cage, leur parlant à l’un puis à l’autre en alternance. Il n’y a rien de plus dangereux pour un tout petit enfant que le rhume. Il en souffre beaucoup. Ses voies respiratoires, nez, gorge, s’irritent et s’obstruent, sa mère ne dort pas. Je ne les revis plus, ni les femmes ni l’enfant, ni l’Indien de Tamatave aux longs cils. Les ombres ne signifient rien. Ou alors, le rien – éloignez-les de moi, aucune voix ne monte vers l’homme ou ne descend des cieux Seigneur écarte de moi ce Graal que je ne saurais voir.
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De son vivant le même homme connut monsieur C. La scène se passe au bord de la route, et je lui dis ma femme (savez-vous) est très compréhensive. Le Sieur C., vendeur de chemises, donna son adresse à Pau mais sans suite – était-il vraiment opportun de prendre pour la circonstance mes airs les plus chafouins
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Quatrième insecte englué sur la torsade : repartant d’Agen (tout petit périmètre) j’ai dragué sans intention de résultat j’ai allumé l’homme qui m’avait pris à bord. Le restaurant m’avait gavé de pilaf au safran. Une grosse pyramide bien pointue, un petit serveur typé tout rougissant, soudain pardon - s’éclipsant - je vous empêche de manger – j’ai tout englouti à éclater pour justifier sa honte et confusion – et nous voici le fondé de pouvoir gros et gras et moi tassés comme deux sacs de grains le tutoyant parlant de sa femme et de ses enfants, car les pédés s’enquièrent à fond des vieilles épouses et quand il m’a largué sur le bas-côté du crépuscule je l’ai entendu péter sur fond de claquage de porte.
J’étais planté sur la route noire en plein cœur du Lot-et-Garonne partout le désert je hais les départementales et du milieu de la chaussée je m’étais guidé sur le ciel moins foncé entre les cimes des peupliers. À minuit d’un coup pile toutes les lumières de St-Maurice s’éteignent et tous les chiens me sautent dessus contre les grilles en gueulant, bout de conduite et frisson sur facture. Quand je suis arrivé à Monsègue les croix du cimetière sur la butte se détachaient comme des dents creuses sur l’aube à l’horizon : pendant dix ans j’ai mis bas là-dessus tout un livre Enfants de Montserrat vendu dans toutes les librairies de ma rue.
*
La cruauté des rapports humains m’a toujours épouvanté.
Indice n° 1 le titre Mouvement Perpétuel ou Sur Place écrit par saint Cloporte qui se mord la queue – tu es le plus fort mais sitôt franchie la barrière fin du message et c’est Moi qui gravis la pente noire en me crottant jusqu’aux genoux sous la bruine du monde, je monte vers mes morts dans la tombe et la pluie sur eux, agrippé tout en noir les deux mains dans la terre, en direction de mon destin de fou trempé, trompé. J’ai raconté ma vie à la table de bois du bistrotier tombé du lit route de Branne à l’heure où les soiffards se parlent de femmes entre invertis de la cloche, marins de terre ferme et fiancés de la bouteille – je te connais mieux que toi-même puisque tu me manques.
Alcool perdant.
La route se perd après les croix du cimetierre.
Prénom de femme.
Quel est le chant, le livre, l’oraison… qui n’amplifie pas le prénom d’une femme.
Voilà bien de l’histoire. Voilà bien de l’aventure. Non pas une forteresse, mais un véhicule qui m’appartiendrait, pourvu de tout ce que l’insertion comporte d’accessoire : lavabo, raccords électriques, couchette – finis, les hommes nocturnes, désormais les nuques rases, l’abandon des tournures d’Église, mais de larges rideaux tirés, des baises à petits coups précis pour éviter le plafonnier, de bons ressorts fidèles, rien qui se voie sous la tôle jaune griffée d’éraflures. En vérité le bouclier d’Achille représente le monde entier roulez bolides.
Changement de ton
C’est un camion. Une estafette. Sous le plancher une invraisemblable foule de connections électriques. Le garagiste lève les bras au ciel quel est le couillon qui vous a bidouillé ce bordel l’ami bricoleur a tronché ma môme derrière le tas de chiffons bourré de cambouis et puis je l’ai récupérée, camion en sale état fille à peu près retapée je n’ai rien dit sur le moment ça recuit des années avant que ça vous repète à la gueule
Le lyrisme revient de suite
...tous les boutons pour que ça remarche, l’allume-gaz à pression, la bouteille plate sous le frigo, le petit lavabo où tu pisses à l’arrêt tout tordu fais gaffe que ta pisse aboutit dans les eaux usées que tu te trimballes au flanc comme une sonde vidange interdite si tu pollues tu payes. Se mettre sous la guinde donner un quart de tour, avec du pot tu évites ta merde sur la gueule juste à côté des vidanges d’huile ne quittez pas vidages réguliers j’ai revendu tel quel pour trois fois rien j’espère que le suivant s’est pris toutes mes vieilles pisses sur la gueule.
Moi, l’homme, hésitant, étourdi, évadé, à présent, bien présent, muni du CAP « tournage bagues et bracelet », tour mécanique pour le cuivre, fin burinage, croix celtique, basque, etc. - je ne veux pas passer pour nazi je ne me fâche avec personne - mon ex était basque. Nous avons roulé neuf mois. Les marchés, les robinets de cimetières – l’eau des morts est bonne à boire, derrière le mur nul ne te soupçonne de remplir ta tonne de 40 litres à l’œil. Un soir, errant parmi les tombes à la tombée de la nuit je cherchais la prise d’eau lisant les plaques. Mais il est rare de péleriner sur le tombeau d’un grand-oncle avec un bidon à la main merveilleusement luminescent dans le crépuscule.
Quand je suis ressorti du cimetière cinq hommes se promenaient dans ma direction, un peu vite pourtant, le maire et ses ânes-joints qui vérifiaient mine de rien ce que c’était que ce zombie qui scrutait les dalles avec un jerrycane. Nous nous sommes dit gentiment bonsoir sans plus. Les bouseux sont sympa. Mon ex s’appelle Monique. Nous faisons les marchés, ça me revient. On se lève à l’aurore, bourgeois. En pleine nuit lyrique les oreilles qui piquent, même l’été, le plein de sommeil n’est pas fait, le paysage s’il y en a un vous rentre par dans les yeux, l’estomac tire. Arrivée parmi de parfaits inconnus ou qui font semblant, un apprenti équilibriste tâche de tenir sur un fil entre deux chaises, très mauvais, les gosses admirent.
Les Arabes et les Manouches passent très tôt en costards fripés, blasés, les mains aux poches et hurlant dans leur langue pour bien faire voir que le monde leur appartient, ce qui se pourrait bien. Ils supputent les bonnes arnaques. À neuf heures les bons coups sont partis – l’air dédaigneux, trop bons de te liquider tes rogatons – puis la place qui s’anime, la matinée qui se met en place, tu restes là dans la brume humaine qui s’accroche et qui meuble à ras de pavé, la place prend son relief normal, des Cajuns font du raffut sous chapiteau ça va dix minutes après tu en as marre, tu reviens à ton stand où rien n’est vendu, rien ne sera jamai vendu parce que personne n’en a strictement rien à foutre de tes merdes parce que tu ne t’intéresses pas à leurs merdes à eux.
Le clown débutant jongle sur sa corde molle et se casse la gueule, les Cajuns bouffent, les gosses trimballent leur tête à claques au bistrot qui les engueule c’est un établissement de boissons ici je ne peux tout de même pas passer mon temps à vous offrir des verres d’eau – si t’avais su t’aurais fait bistrot mais t’as fait trop d’études, tu n’as toujours rien vendu et ton voisin ne t’a toujours pas adressé la parole alors que tu bouffais encore avec lui il y a huit jours c’est peut-être pour ça d’ailleurs qu’il te fait la gueule fallait pas faire du genou à sa sœur sous la table merde elle est libre à 38 ans tout de même en tout cas la solidarité entre forains mes couilles.
En plein été on te place en plein cagnard sur la pente du château zéro vente le matin because la messe et l’après-midi tu te prends le soleil pleine poire jusqu’au coucher t’es bien le seul à ne pas avoir prévu de parasol chacun pour soi, le seul à vendre c’est le stand pain d’épices et le vendeur de Coca. Plus bas c’est les dessus de cheminées, chiens en plâtre Hercule en plâtre David en plâtre, tu marches coudes serrés cul serré en guettant du coin de l’œil parce que si tu engages la conversation ça va tout de suite retomber sur tu me le donnes ton fric cher ami de mes deux fils de pute oui ou merde ça décourage, forcément – vous aimez ça les contacts humains, vous autres ?
On ne s’achète pas entre exposants. Chacun son badge. Tiens la sœur s’est mariée cette conne, le mari n’est pas mal je me l’enverrais bien mais faut pas me prendre pour un pédé, prétentieux mais beau gosse, quatre mois à Paris ça vous pose un homme, dès que t’es beau vaut mieux que tu fermes ta gueule lyrique, chaleur, mouches, consommations à renouveler pour ne pas crever de soif – et ce morveux de 3 ans qui braille – cette rage des prolos à vouloir se reproduire il faut vraiment ne rien avoir à foutre de sa conne de vie pour perdre son temps à élever un con de morpion qui te chiera à la gueule à quatorze quinze ans, faut vraiment avoir la tête vide comme un bricoleur pour pondre un gosse.
Reprenons : des marchés en plein air ou à couvert, avec les artisses qui tortillent le blé le pin le maïs et la fleur séchée, le taulard qui vend tout exorbitant de chez exorbitant, les ploucs qui te traitent d’intello parce que tu as eu le malheur de parler russe avec des Popov, tous ces marchés, ces rassemblements de viandes molles qui de toute façon ne veulent jamais acheter rien acheter rien de rien ben c’est vulgaire prout et rintintin.
X
Moi je m’étais payé le camion lyrique pour faire la route, juste un petit coin de France, Bretagne à la rigueur ou Picardie, et puis Monique me fait le coup de la bonne femme elle tombe enceinte putain c’est vulgaire et tout, seuls les hommes vulgaires peuvent sentir ce que j’ai senti tout un château de cartes qui s’effondre, toute la vie qui s’écroule sur vous c’est dans « Monsieur Ripois » - les femmes font ça, vous rivent au pied du produit de vos couilles et plus moyen de faire quoi que ce soit ça ronge ça bouffe – je ne suis pas encore parvenu à déterminer si les gens qui font des enfants sont des héros ou des cons.
Et que fait une femme avant de vous balancer sa purée de placenta ? Elle dort. Elle roupille. Ne peut plus supporter le camion. S’invente un médecin, deux médecins, des soins, l’homme est coupable, coupable à se les couper, tous les matins ce con-là s’enfuit sur sa machine roulante et tressautante. Les nuits d’insomnie allongé près du ventre. La reproduction c’est la mort – les femmes, c’est rien que des bombes à retardement la grosse bête qui gonfle, qui gonfle…
Quatre longues années perdues plus tard, quatre années de ruine de bite parce que le mouflet lyrique ne vous laisse plus une nuit de répit, la chose et l’enfant deviennent présentables.
Le père a pris quatre ans de plus. Encore heureux quand la mère ne décide pas de remettre ça. Ma fille s’appelle Rachel Sarah Svoboda liberté en tchèque. Une petite fille toute brune qui touche à tout, qui vous obéit bien et qui vous aime beaucoup. Peu de chose suffit pour se faire aimer d’un enfant. Sa mère et moi baisons doucement, faible amplitude, plafond aux fesses, camion docile, c’est la femme, c’est la fille qui vous tendent les clous pour fixer, tu dois aider l’humain à vivre, à braire un peu avant d’agoniser.
Reste les matins.
Le matin l’artisan, le fabricant de bracelets, s’emmerde, s’emmerde, on ne peut pas dire qu’il se réveille en bénissant Dieu, bobonne au lit ronfle tout éveillée (ça se peut) tu te lèves (c’est tu à présent), tu te cognes dans tout ce qui bouge, tu brosses le chat tu vides sa merde et tu te laves c’est désagréable, tout est désagréable. Au petit-déjeuner tout seul tu broies le noir, cinq biscottes avec la confiture dessus.
Le plaisir qui subsiste est celui du camion. Pour moi tout seul. Un Diesel avec le retard Diesel à l’allumage. Seul moment libre de la journée. La seule aventure. Le seul avenir est le souvenir de ses rêves. La sono à fond. En variant les poses, et les postes – tant que tu veux. S’appuyer du genou pour atteindre le siège en faux cuir craquelé. Hurler pour parler au passager (jamais de passager ; surtout pas de passagère) – et le son, le son pour couvrir la ferraille qui danse, l’estafette qui gigue. Camion bâché. Camion du matin, chambre aux volets mi-clos, de nuit la femme chaude dans ton dos – contact – allumage – tonnerre et pot verdâtre à l’échappement qui attaque le goudron – dans la gueule des vieux par dessus le mur – retour du soir, Extérieur Nuit Tombante. Un sentier de sable tout droit dans les Landes, l’huile de vidange en mare noire qui s’infiltre – sous moi je ne sais quel volant qui bat comme une bielle et sur main gauche la porte ouverte en métal craquant, un jour elle coupera ma jambe en tombant, je pose le pied sur le sable – vingt minutes aller, vingt minutes retour entre les pins.
Tous les sentiers diffèrent. Des chasseurs passent à qui je demande autorisation de promenade, « Faites, faites » disent-ils en se détournant. Je déclame que Oui, je suis anarchiste (je joue le rôle du Banquier dans Pessoa) Des flaques. Des grumes. Des troncs rouges comme de jambes empilées. Une pluie légère avec entre les cimes une voie grise dans le ciel, et la certitude amère de ne plus rien voir d’autre. Les anciens, confinés dans leur univers de douleurs, faisaient de la souffrance la condition essentielle de la vertu. De même l’impuissant qui nous parle nous a-t-il persuadé que les visions du même se varient à l’infini.
Une infinité de détails à déchiffrer sur un sentier des Landes sous les espèces du pin et du sable. Le 26 septembre j’ai vu Dieu dans une pigne de pin poussée du pied puis ramassée serrée dans le creux de la main comme l’univers. Le 28, gueulé sur les femmes en général pour ne pas perdre mon identité ; nul ne m’entend. Au sein de ces austères paysages, pénétrant jusqu’au cœur de ce frémissement de soi, j’expectore encore mes ferments de vieille haine – de vieux carnets d’années comme un criminel « que faisiez-vous le 3 octobre 93 » quatre-vingt douze, les faits et gestes vous confondent chouriné le tant la mère X à tlle heure ouvrir en tremblant les carnets d’antan.
Fébrilement.
Se souvenir est une grande victoire ; jamais je ne me rappelle ces incidents du métier Cocasseries Blessures d’amour-propre vengeances – jamais le moindre traître souvenir.
Mais le vivant nous revient
Écoute. Le seul Jugement Dernier sera celui que je décréterai sur mon lit de mort. Moi. Dépouille. Pour peu qu’il lui reste de conscience, que dira-t-il ce Moi que je ne connais pas – j’entends tout cela qui gronde tout au long des kilomètres mots et moteur entre les quatre roues de mon bunker roulant où sous mon palais déferlaient le rire et les doutes soldats je suis content de vous J’ai beaucoup fait rire les enfants ; qu’il me soit beaucoup pardonné. Trajet d’aller, puis de retour, flux et reflux, lyrisme et lassitude, langueurs incessamment redécouvertes, elles m’attendent, hospitalières.
XXXX
Figurez-vous à présent que le temps s’accélère et que parvenu à la fin de ma vie