Proullaud296

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

BAGATELLES DE LA MORT

BAGATELLES DE LA MORT

 

Ex « Glossaire»

 

refusé aux éditions de la M. par un publicateur vétilleux,

 

puis accepté avec reconnaissance

 

aux ÉDITIONS DU TIROIR

 

Semper clausus

MORS, MORTIS

La rédaction de cet ouvrage me fut proposée par un de ces « petits éditeurs indépendants », drapés dans leur inénarrable opposition aux industriels de la bouquinasserie copinassière. Ce publicateur hélas crut pouvoir à son tour se livrer au sport favori de tous ceux, petits ou grands, qui, les doigts crispés sur la clé de l'armoire aux confitures, se complaisent à faire danser sur leurs pattes arrière les cochons d'écrivants : « Ceci ne convient guère, cela doit se changer,

supprimez donc aussi ce chapitre de merde.

Il eût fallu que mon ouvrage fût didactique, mais pas trop, humoristique, mais pas trop, complet mais pas trop, bref : des conditions de parution tout aussi confuses et touffues que ces fameux critères labyrinthiques où vous ligotent les femmes sitôt qu'elles soupçonnent que vous voulez (horreur !) coucher (beurk) avec elles : vous vous y empêtrez tant et si bien, tas de porcs, que finalement le parcours du combattant cesse faute de combattants, lesquels s'en vont aux putes par exemple - mais je sors du sujet. Nous avons donc volontairement multiplié, à notre seul gré, méandres, coq-à-l'âne et culs-de-sac, non sans recourir, plus ou moins judicieusement, à la Grande Pute Internet.

Or il se trouve que personnellement, comme tout un chacun, nous écrivons, et que, l'âge venant, nous jouissons désormais de la chatouilleuse outrecuidance de n'avoir plus à tolérer la plus infime leçon d'écriture, excepté de nous-même. Voici donc mon « Glossaire de la mort » personnel, à ma sauce, que j'ai plaisamment intitulé

MORS, MORTIS 

Polemique,belge,cercueil

en latin, langue dont les antifascistes finiront bien par débarrasser l'enseignement (merci Jean-Charles, merci Jacques Brel Rosa rosa rosam, eh oui, même les génies chantent des conneries). Tel est mon incipit, à prononcer inn-si-pitt, et non pas « inn-ki-pitt », tas de barbares. . De même, la fin ne se dit pas un « excipit », mais un « explicit », ex-pli-sitt ». Un jour en effet, l'éminent Arnozan, chirurgien bordelais (1852-1928), assistait l'un de ses maîtres, qui se fût senti déclassé de céder la main ; soudain ce dernier par inadvertance déclencha une hémorragie abdominale.

Se tournant alors vers son assistant, il s'écria carnifex, carnificis ! se traitant ainsi lui-même de « bourreau » ; à quoi son brillant disciple répondit flegmatiquement : Vous déclinez, Maître. Or c'est bien du perpétuel déclin de la vie que traitera cet ouvrage, Mors, Mortis. C'était notre ubrique Quand on ne sait plus le latin, on ferme sa gueule. Quand on est mort aussi, d'ailleurs. Mais en attendant, comme disait la Fréhel (1891-1951), Fermez vos gueules, j'ouvre la mienne.

Voici donc la liste des rubriques prévues : pour des raisons de répulsion personnelle, nous n'avons pas souhaité poursuivre au-delà du F.

DE PROFUNDIS

DEUIL

DISPARUS

DON DE SON CORPS

EFFUSIONS

EMBAUMEMENT

ENFANTS

ENFER (MORTALITÉ INFANTILE, MORTS-NÉS)

ENFER(S)

ENFEU

ENTERREMENT

ÉPANCHEMENTS (larmes...)

ÉPIDÉMIE

ÉPITAPHE

EUPHÉMISMES

EUTHANASIE

EXÉCUTIONS (FUSILLER, GUILLOTINE, INJECTION LETALE, LAPIDATION, LYNCHAGE, PEINE DE MORT, PENDAISON, ETC.)

EXTRÊME – ONCTION

FAUCHEUSE

FLEURS ET COURONNES

FOSSE COMMUNE

FOSSOYEUR

FUNÉRAILLES

Et dans notre fosse commune :

(FUNÉRARIUM, HÉRITAGE, HYPOGÉE, INCINÉRATION, INHUMATION, JUBILÉ, KADISH, KOUBBA, LIMBES, LINCEUL, MACABRE, MACCHABÉE, MARIAGE AVEC UN MORT, MAUSOLÉE, MEURTRE, MILLE MORCEAUX, MONUMENTS AUX MORTS, MORGUE, MOMIE, JUPPÉ.

MORT AU CHAMP D'HONNEUR, MORTALITÉ, MORTS VIVANTS, NÉANT, NÉCROMANCIE, NÉCROPHILIE, NÉCROPOLE, OBITUAIRE, PARADIS, PARRICIDE, PLEUREUSES, POLLUTION, POMPES FUNÈBRES, PROFANATION, PSYCHOPOMPE, PURGATOIRE, REPAS DE FUNÉRAILLES, RÉSURRECTION, R.I.P, ROUE, SALUT, SARCOPHAGE, SÉPULCRE, SQUELETTE.

SUAIRE, SUICIDE, TERRE, THANATOPRAXIE, TOMBES, TRIOMPHE DE LA MORT, TUEUR, TUMULUS, TURBE, URNE, VANITÉS, VENDETTA, WILDE, ZIGOUILLER, ZOB)



 

AVANT-PROPOS

 

 

Il me vient une multitude de lieux communs : chacun n'en sait-il pas autant que moi sur la mort, c'est-à-dire rien ? la mort n'est rien, ce qu'on en sait, moins encore. L'avant-propos ? c'est la vie. La question en effet n'est pas tant de savoir s'il existe une vie après la mort, mais s'il en existe une avant la mort (dixit Rabhi, Pierre). Rien ne sera vraiment de moi dans ces pages, pour l'excellente raison que "l'on vient trop tard, et tout a été dit, depuis qu'il y a sur terre des hommes, et qui pensent" ; avant La Bruyère, Montaigne pour sa part affirmait que "Philosopher, c'est apprendre à mourir", et cela non plus n'était pas de lui. Cette avalanche de références hérissera tous ces ingénus qui vous exhortent à "donner le meilleur de vous-mêmes".

Ils ont tort assurément, car tous ceux que nous avons cités possèdent le point commun d'être morts. Car celui qui prétend à l'originalité (je pouffe) est très exactement semblable à celui qui voudrait écrire, en se passant du dictionnaire par exemple.

"Il faut être ignorant comme un maître d'école

Pour se flatter de dire une seule parole

Que personne ici-bas n'ait pu dire avant vous.

C'est imiter quelqu'un que de planter des choux. » - petit dernier pour la route.

Voici donc, Mesdames, Messieurs, et autres, un assortiment que nous avons intitulé

MORS, MORTIS. ou mieux encore

BAGATELLES DE LA MORT

 

 

Exergue : "La vie n'est que l'usufruit d'un agrégat de molécules" Edmond (ou Jules) de Goncourt, 22 juin 1862

 

 

X

X X

ABSOUTE

La multiplication des formalités et des liturgies ont pour but de ritualiser, voire fétichiser la catastrophe de la mort plus complexement encore que les conjurations de chacun de nous dans nos toilettes ; car un jour, c'est sur toi qu'on tirera la chasse.

L'absoute est donc une prière au-dessus du cercueil catholique, avant qu'on l'emmène au cimetière ("c'est comme les chiottes et le cimetière : quand faut y aller, faut y aller" (Truffaut parlait des planches ; celles du théâtre valent bien celles du cercueil). Malgré le sacrifice du Christ en effet, malgré le baptême qui lui aussi délivre du Péché Originel, en dépit de l'immortalité bienheureuse promise par Yahweh aux descendants d'Abraham (...quam olim Abrahae promisisti), et de l'infinie miséricorde divine, même après le sacrement de l'Extrême onction, nul ne sera totalement, intégralement rassuré sur son bonheur posthume avant que le prêtre n'ait prononcé l'absoute. Ni même après.

L'édulcorant concile Vatican II, qui a châtré du rite tout ce qui pouvait faire peur, appelle cela désormais "dernier adieu". Il est vrai que le prière primitive comportait la fameuse formule Dies irae dies illa - "jour de colère que celui-là, jour de calamité et de misère, qui résoudra le monde en cendres - donne-leur, Seigneur, le repos éternel, et que la lumière brille à jamais sur eux » - c'est ainsi que passe à la trappe, avec le défunt, l'un des plus beaux textes du rituel romain ; on ne demande même plus à Dieu de vous absoudre : il montre une telle miséricorde, n'est-ce pas, que le pardon nous sauve par automatisme : la mort n'est-elle pas déjà un supplice suffisant ? Ô humains ! On ira tous au paradis. Ô téléspectateurs ! vous encensez le corps du défunt, « demeure désertée de l'Esprit », trop souvent déjà de son vivant ! et demain poussière !...

Vous l'aspergez de la même eau bénite qu'au-dessus des fonts baptismaux ! A l'occasion d'un enterrement, je faillis même laisser tomber bruyamment le goupillon sur la caisse, faisant hélas de mon signe de croix, in extremis, un bredouillement gestuel : mimique d'athée. « Maman, pourquoi on enterre grand-mère ? - C'est pour qu'elle repousse, mon enfant. »

ABSURDE cf Lazarus

 

ACCIDENTS

Ça n'arrive qu'aux autres. On s'entasse entre filles soûles à six dans la bagnole, et on fonce - "elles y sont passées toutes les six !" nous disait le cafetier de Poitiers, tout content, bien fait pour leurs gueules. Elles fêtaient leur succès au concours d'infirmières ! et puis les filles, c'est bien connu, ça fait marcher les garçons, et encore plus les gros patrons de cafés qui n'auraient jamais touché leur cul. Rappelez-vous aussi ce jeune homme de 15 ans fauché dans un village du Gers, et ce vieillard qui criait par sa fenêtre : "Pourquoi la mort ne m'a pas pris moi, qu'est-ce que ça pouvait me foutre, à 95 ans ?" Et sur une tombe à Chantonnay, Vendée : "Pourquoi à 20 ans ?" - pas un mot, pas un monument pour le drame ferroviaire du 16 novembre 57, 29 morts. Avez-vous observé que dans le journal, les faire-parts usent et abusent d'une expression à laquelle nul ne prend plus garde : "le décès de M. ou Mme Untel, survenu à l'âge de 91 ans ? "La mort ne surprend pas le sage » assurément - mais c'est toujours la plus révoltante injustice.

Les commentaires sont fermés.