Proullaud296

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  • Le contrat de midi

     

    Ici 30 janvier 2062. Ici 30 janvier 2062. Seigneur ayez pitié de moi car je suis nul. J'entreprends une chose que tout un chacun a déjà faite, pour le plus grand malheur, bonheur, ou la plus grande indifférence de sa postérité : enfants, petits-enfants, s'il savent lire, et quinze siècles ont passé, et Grégoire de Tours est toujours vivant, j'en possède une médaille, avers et revers, sculptée par Maître Paoli. Il pleut, une scie à pierre retentit dans la rue pour la nouvelle maison, aveugle et très haute. Hier donc à midi ne se signale d'aucune victoire sur les Perses ou les Saxons, mais par un travail acharné à la fois et très mou, celui de mon oeuvre léguée aux poussières d'asticots. Mais vaillamment je porte ma petite croix de bois léger, et vous en aurez.

     

    Il ne s'est rien passé, j'ai englouti du risotto avec poulet souffrant, blanc et fondant. J'ai refait un lit aux multiples couvertures, je me suis reposé, et vous, qu'avez-vous fait ? Le jeu consiste à s'étendre sur un canapé vert de skai troué, dont un accoudoir soutient mes péronés raides. Puis à sombrer dans une agréable rêverie douloureuse, où surgissent des constructions imaginaires répétitives : mes disciples, leurs locaux, toutes sortes de lieux où je bouge et m'agite, où je vis enfin. Nous poursuivons nos mystérieuses énergies, à mon rythme, à son rythme, car nous vivons en couple. Nos échangeons nos codes et nos anecdotes plus ou moins remaniées, y trouvant un charme. Nos connaissances les plus chères, masculines pour mon épouse et pour moi faminines, sont menacées d'un redoutable cancer. L'ami masculin se tape une grosse couille en langage vulgaire, et mon amie qui m'aima tant une forme de leucémie, contre laquelle je sais qu'elle se mobilisera sans épargner les forces de sa râlerie. Les seuls évènements sont les sentiments face aux adversités. Ces dernières vous arrivent, sans qu'on puisse connaître en elles ses responsabilités. Ainsi, d'occupations en occupations, de lectures en consultations de blogs ou de facebook, mamelles de notre temps qu'uen panne d'électricité suffira à détruire, nous parvenons à l'extinction de l'après-midi.

     

     

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    Il ne s'agit que de trombes d'eaux et de coups de vent, de porte en bois qui bâille refermée à l'aide d'une échelle bien pesante. Nous parlons, Arielle et moi, de nos deux destinées, de leurs différences et ressemblances. Nous refeuilletons l'album de nos destinées : j'ai écouté, allongé sur le petit lit, des extraits du Freischütz de Weber pressés en 1969, l'année de Woodstock, après laquelle plus rien ne serait comme avant. Sur la couverture, un splendide cor du XIXe siècle expose les gravures intérieures de son pavillon. Et c'est Kempf qui dirige. Nos écoutions cela jadis, exaltés, chantant avec les virils chasseurs "Yo-hô tralala tralala" dont l'attaque est si joyeuse, si couillue. A présent le disque miaule, brouille les sons sous le saphir en plastique made in China, et même il a fallu me relever pour pousser un peu le bras de lecture, vu la répétition, la répétition du même motif : rayure. Et je nous évoquais coincés dans cet atelier de 7m sur 3, où nous attendions la gloire au milieu des exhalations du radiateur à gaz. Arielle peignait, je lisais ou composais des fragments à présent réunis pour l'éternité dans leur armoire verticale. Et nous savions de source sûre qu'un jour, sans qu'il nous en coûtât rien, l'univers viendrait prosterner devant nos œuvres ses pieds admiratifs. Hélas, nous n'étions pas doués aux jeux de société, nous étions repoussés dès que l'on nous voyait, et les couleuvres se succédèrent dans nos gosiers larmoyants.

     

    Cela nos mena jusqu'à l'inéluctable messe, car le seul, le grand événement de nos journées séparées, c'est le Grand Journal de Vihngt plus avantageusement nomme le Grand Enfumage. Nous y apprenons l'incompétence et la mollesse de nos dirigeants, bardés de précautions pour ne pas déclencher la guerre, gérant le naufrage à grands coups de dossiers administratifs. Nosu voyons la Grèce redresser la tête grâce à l'éloquence de Tsakiris, qui ne pourra pas manquer de virer réaliste. Nous paierons donc, la Grèce aura cessé d'être esclave pour avoir embauché de nouveau les femmes de ménage du ministère des finances, et stoppé net les acquisitions d'hectomètres de quais et d'entrepôts.

     

    Le monde va de crise en crise, et la mafia constitue, après tout, le modèle même de l'organisation humaine, aussi les Napolitains appellent-ils la Camorra il sistemo. Ensuite, après des chipotages de vieux couple ou ploucs, nous atterrissons dans les jardins enchantés de la littérature, moribonde depuis sa naissance. Nous y voyons la dégaine et le visage fascinants de Virginie Despentes, qui porte l'alcool et la vie sur ses joues, dans ses yeux larges et attentifs, et qui évolua, dit-elle, depuis Baise-Moi, où le fin du fin consistait à tuer les hommes d'un bon coup de revolver dans l'anus. On ne comprend pas ce qu'elle dit, elle se la joue Sagan, elle est Sagan, elle écarte les jambes sur son fauteuil.

     

    En face un pédé marocain, lui aussi très sympa, salué d'un "Encore !" par ma stupidité, expliquant qu'à treize ans sa volonté fut déjà d'émigrer à Paris, où l'on peut s'enculer sans problème. Nous avons apprécié Busnuel, qui donne à chacun sa chance, anime ces personnes qui n'ont rien à se dire, effectue entre eux des rapprochements, présente tous ses livres comme autant d'œuvres intéressantes, sans jamais parler de leur style, qui fait tomber des mains les livres laborieux. On ne sait plus ce qu'on lit. Au moins, les classiques sont les classiques. On sait qu'on ne perd pas son temps. Pourquoi l'écrire ? insistait un philosophe dans une réunion ; celui-là ne se consolait pas de son refus chez l'éditeur, et voulait réduire les autres au silence. En ce temps-là, j'étais vivant, je traçais sur ma paume l'Etoile de David et je faisais dédicacer mes livres par l'auteur. Jamais je ne passerrai dans les émissions littéraires, à moins qu'on ait pitié de ma silhouette branlante à braguette baveuse : l'urine, l'urine de Paul Guth. Nous quittâmes l'émission emballés, prêts à acheter tel ou tel, et tel est le but du jeu. Puis nous nous calmâmes de part et d'autre d'une glace au café, puis je laissai Arielle rejoindre sa vie mystérieuse de seule au lit, où elle vit pleinement, comme moi dans mes involontaires rêves.

     

    Pour achever ma journée, je me replongeai dans ce que les médias nomment les "réseaux sociaux", dont ils prédisent une apocalypse à venir, mais depuis le temps, personne ne les croit plus. Depuis plus de 30 ans Télécaca criaille qu'Hannibal est à nos portes, et nous déroule sur des pages ses têtes de premiers de la classe, qui réussissent une semaine et replongent dans la boue des foules. N'empêche que j'aurais bien aimé, moi aussi, relever les narines au-dessus de la vase pour qu'on, aperçoive mes bulles au-dessus du marécage. Je me plonge dans Facebook, surnommé Fesse-Bouc par les humoristes, et me délecte d'appels à la haine des djihadistes, des célébrations d'Israël dont les avions de chasse out survolé Auschwitz, des projets pour bouleverser l'Education Nationale, qui ferait mieux d'en revenir purement et simplement au préceptorat, avec CAP de vacher ou de menuisier à partir de treize ans.

     

    Me voici à la fin de mon petit contrat, persuadé d'avoir pondu un petit bijou de Fabergé, qui sent un peu la merde de la poule.