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  • L'affaire Calas


        Notre ami Voltaire, à la faveur hélas du terrorisme islamique, se vend comme des petits pains, en particulier son Traité sur la tolérance, inclus justement dans ce volume Folio Classique intitulé L'affaire Calas, où l'on a regroupé tous les documents de la main de Voltaire concernant d'autres affaires également, l'affaire Sirven par exemple, mais essentiellement celle d'une famille protestante de Toulouse. Ville connue alors pour son attachement à la religion catholique, pour ne pas dire son fanatisme, car en plein XVIIIe siècle s'y déroulaient encore des fêtes en mémoire du massacre de la St-Barthélémy. Ville pourvue d'un Parlement, moins dangereux que celui de Paris, mais qui en l'occurrence, l'affaire Calas, jugea de façon particulièrement inique : un vieux père protestant de 62 ans, Voltaire dit 68 pour en rajouter, aurait pendu son fils entre deux battants de porte parce que ledit fils, Marc-Antoine, aurait voulu embrasser la foi catholique à la suite de son frère Louis, qui entretenait avec sa famille des rapports tendus.

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        Pendant un repas, Marc-Antoine s'est absenté, puis on l'a retrouvé dans une autre pièce, par terre, étranglé. Par qui ? Nous ne le savons pas encore aujourd'hui. Mais la famille Calas, chez qui le meurtre ou le suicide s'était produit, a jugé utile, pour éviter le scandale, de prétendre que l'on avait retrouvé Marc-Antoine pendu, et que le père l'avait dépendu, pour qu'on ne traine pas son cadavre dans la rue comme suicidé. De là à conclure qu'un père, un vieillard, ait eu la force d'accomplir un meurtre, c'est trop. Physiquement, il ne le pouvait pas. L'enquête fut menée en dépit du bon sens, les témoignages les plus saugrenus furent retenus (« j'ai vu s'enfuir en pleine nuit, en regardant par le trou de la serrure, deux ombres qui couraient », « j'ai entendu, de l'autre bout du quartier, le fils hurlant qu'on l'étranglait »).
        Les enquêteurs ont suivi la clameur publique, de ce peuple dont Voltaire a toujours stigmatisé non sans raison la sottise, et qui détestait les protestants. Et le père Calas fut roué publiquement, c'est-à-dire qu'on lui rompit les quatre membres en public, soit huit coups de barre, puis la poitrine. Et le pauvre homme criait son innocence. Puis on l'étrangla. Après coup, Voltaire, habitant de Ferney, entend parler de ce déni de justice. Au début, il prend cela en plaisantant : que ces fanatiques de tout bord se massacrent donc entre eux. Mais en, quinze jours, ce qui est une performance vu la lenteur de l'information à cette époque, il s'enflamme pour ce déni de justice.     C'est d'Alembert, et Damilaville « athée radical », qui le convainquent de se lancer dans la bataille de réhabilitation, car toute la famille est atteinte. Il ne rate pas l'occasion de s'attaquer aux Parlements, qui avaient pouvoir de justice, et en jugeaient si ignominieusement : la vie de Voltaire ne fut en effet qu'un vaste procès, un enchevêtrement de chicanes et de duels plumitifs ou juridiques, et cette affaire venait à point pour lui permettre de régler ses comptes avec une classe judiciaire souvent de mèche hélas avec le clergé, car l'Eglise et l'Etat s'entremêlaient, sous Louis XV. Cette affaire Calas montrait une injustice horrible, où les règles de la procédure n'avaient pas été respectées, où la veuve et les orphelins se voyaient écrasées sous le déshonneur et la privation de ressources, tout un drame : or Voltaire adorait le drame, il en composait de fort mauvais qu'il croyait fort bons, et l'affaire Calas lui fut un excellent moyen de prouver son art de la mise en scène.
        Cependant, sans cette mise en scène (et nos présentateurs le savent bien), il eût été impossible d'attirer l'attention des personnes d'influence qui pouvaient faire casser le jugement (trop  tard), et surtout, Voltaire mettait ses capacités naturelles au service de la justice, car il était sincère, convaincu, éloquent, réellement indigné. C'est par cette affaire Calas qu'il devint le précurseur de Victor Hugo et de Sartre, premier écrivain « engagé », qui risquait, lui, sa vie sur le bûcher. De nos jours, d'autres aussi risquent leur vie pour les dévoiements de la religion. Les premières lettres de Voltaire sont adressées aux personnes influentes, car le peuple ne lisait pas les journaux, qui parlaient très peu de tout ce qui ne concernait pas les réceptions à la cour du roi...
        Et il cria si fort et si efficacement que les pensions furent attribuées à nouveau à cette famille qui avait perdu tous moyens de subsistance, surtout après un séjour en prison pour une imaginaire complicité dans un meurtre qui n'en était pas un : en effet, allez pendre votre fils adulte entre les battants d'une porte à l'aide d'un billot qui retombe tout le temps ! Impossible. Sur cette affaire existe un téléfilm d'Alain Moreau, Claude Rich tenant le rôle de Voltaire. D'autres ouvrages vous en conteront les détails et les rebondissements avec toutes les émotions possibles. Abus des gens de loi, stupidité du bas peuple, crime de l'Eglise, passion de la justice, autant d'aiguillons pour l'énergique réfugié de Ferney.
        Ensuite, il intervint dans l'affaire Sirven, et d'autres, protégeant les meurtris de l'erreur judiciaire, mais à tout jamais auréolé de son immense réussite. Cependant, pour l'affaire du Chevalier de la Barre, il se remua moins : l'hydre criminelle, soutenue par les évêques, avait encore de beaux soubresauts de queue, et le jeune chevalier fut à son tour roué en place publique pour avoir chanté des paillardises sur le passage d'une procession. Nous avons eu, nous aussi, nos talibans, il n'y a pas si longtemps. C'est pourquoi nous ne voulons plus les revoir par chez nous. Cette fois-là, Voltaire a calé. Nous en aurions fait autant. Et nos fameux penseurs autoproclamés qui vitupèrent contre la Terreur feraient bien aussi de voir tous les bienfaits que nos ancêtres nous ont apportés grâce à la Révolution, grâce à Robespierre, parfaitement, et grâce à Voltaire, dont les accès de colère et de courage ont inspiré de profondes réformes judiciaires, en particulier l'abolition de la torture, et l'institution de la guillotine, plus humaine tout de même, relativement, que les dix coups de barre de fer à section carrée sur les membres des suppliciés. Voltaire tenait en piètre estime le bas peuple, il estimait nécessaires pour les gens les préceptes religieux en particulièrement chrétiens, mais à conditions qu'ils restassent chrétiens, c'est-à-dire respectueux de la dignité humaine et de la justice dans ce qu'elle a de plus noble. 
        Les lettres dont nous allons donner lecture se rapportent aux débuts de l'affaire : Voltaire, au lieu de se faire mal voir par des braillements, reste encore souriant et badin. Mais il faut en passer par là, et respecter les formes, si l'on veut que les juges respectent les procédures : « Cette tragédie », écrit-il au comte d'Argental, « me fait oublier toutes les autres, jusqu'aux miennes. Puisse celle qu'on joue en Allemagne  finir bientôt ! » (Allusion à la Guerre de Sept Ans, car Voltaire brillait aussi par son pacifisme ; reviens, Voltaire, ils sont devenus fous!)