Proullaud296

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  • Fragments de la Croix-Jugan

     

    L'Ensorcelée de Barbey d'Aurevilly : en ces temps réactionnaires, riche eau pour le moulin des Durs : riche, car bouillonnant de tous les sucs infernaux – à la soudure intime de Dieu et Diable, Barbey gicle la flamme ; répudiant l'encens pour la poudre. Nous sommes aux premiers temps de ce calme d'Empire, où les vieux sangs des passions chouannes pourtant brûlent encore. La Croix-Jugan, abbé, s'est encallé la paume et l'âme en ces tueries, naguère ; de plus, il s'éclate la face à l'espingole, après quelque obscure et sanglant désastre. Qu'un prêtre désespère, s'en défigure et s'en revienne expier que sur les lieux du crime il crime il scelle par son seul Paraître les cours et les destins ; que Dieu même consacre sa proie - voilà qui suscite la pire attirance, celle de la peur, de la plénitude du gouffre, le plus vertical déchirement jamais jeté au feu de l'écriture.

     

    Rien de plus obscène que cette face obstinément cachée de l'abbé de la Croix-Jugan ; le voile retombant dont s'obombre les traits ravagés du suicidaire appelle l'érotisme du troussement, ainsi que la charpie du moribond appelle l'arrachement – le Prêtre cumule sur son visage l'horreur des plaies du Crucifié. De ses mains actionnées par Dieu, de celles des Républicains Bleus du Diable, il a reçu la braise et le plomb : purification d'Isaïe, sceau de Caïn qui ne peut se tuer. Terrible complaisance de Barbey à ne pas détailler les tortures infligées à sa créature, à épuiser l'arsenal des prétéritions : jamais ili ne dit où les balles ou bien les braises ont labouré la chair, ni le tracé, ni la compacité des boursouflures cicatricielles ; mais la redondance généralisatrice nous inculque bien qu'il fallait que ce fût au paroxysme de l'atroce qu'atteignît le martyre de l'Elu.

     

    De même que les exaltés se jettent aux pieds du Sauveur pour les lécher, de même une femme, Jeanne-Madelaine de Feuardent, brûle pour le prêtre aux traits torturés. Son orgueil ne peut concevoir de placer son amour ailleurs que dans ce qui révulserait, mortifierait les sens. Le frisson de la terreur ébranle seul chez cette fille de noblesse les ressorts de la passion : il faut avoir -au moins par le récit des pères – joui des convulsions sanglantes d'une face décimée pour découvrir l'admiration, celle qui jette éperdue et le souffle coupé, dans le miroir tendu à l'aristocratie déchue, par le martyre de son prêtre. Même fascination chez l'auteur par la superposition des extrêmes. Il y a du Racine chez le touffu Barbey, chez le héros, qui, avec l'obstination exaspérante du sectaire, tend les paroxysmes au-delà de ce qui se peut, dans une volonté têtue de débusquer l'absolu.

     

    Le héros doit par son seul aspect, par l'exhibition masquée de son voile, infliger à ses spectateurs et à son auteur une attirance comme une répulsion que seuls viennent tempérer le respect dû au prêtre et le mystère “qui fait vrai”. Comme on le pressent, la Croix-Jugan réincarne le Christ “dont le royaume n'était pas de ce monde”, mais n'en fut pas moins pris à tort pour le restaurateur temporel d'Israël : ainsi l'abbé supplicié n'est-il qu'un Signe, tout en passant aux yeux du monde pour un Chouan mal repenti. Barbey ne nous livre d'ailleurs de son prêtre que ce qu'il faut pour l'incarner : quelques chevauchées sombres, quelques visites à la vieille marquise de Montsurvent ou à la Clotte... La cause chouanne est morte, et Jéhoël de la Croix-Jugan ne fait plus que songer, remâcher ; ce ne sont pas là des Actions susceptibles d'enraciner le prêtre dans le tissu social, mais propprement des inactions, des laconismes, des absences.

     

    Précisément le jour de l'écharpage, nous diri (...) -chage, de la Clotte, qui le fixent dans la (...) propos, le verbe : un “creux d'actes” as- (...) vide le potentiel fantasmatique de (...) -nt sous ce silence autant de té - (...) qu'il s'en amasse sous son voile. (...) -e-t-il sans créature dans le (...) l'émacier en Symbole. (..) -ut pivote : passion de (...) Maître Le Hardouin (....) -e fixe (...)

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    ...De plus, consacré. Consacré, mais “suspens a divinis” : présentant dans son être le mélange le plus détonnant de damnation et de rédemption – par sa sooumission extérieure la plus étroite à la punition infligée, voire au strict conformisme local, inapte à mordre sur la vie privée de cet homme, autant que par son inouï franchissement du tabou du suicide : ainsi par un paradoxal renversement d'équivalences l'assassin du César se rendait-il sacer, inviolable lui-même jusqu'à ce qu'il tombât sous les coups de son successeur. Mais ici, le “droit du poignard'” est appliqué par Dieu lui-même qui promet la fois le salut à son sacer-dos, et l'Enfer s'il enfreint la Loi. La tentatie de suicide initial, par l'opprobre, consacre précisément la mission édificatrice du pécheur avec une force irréversible.

     

    Le refus de témoigner du Christ par Jéhoël de la Croix-Jugan, sa souillure dans le monde par le jet du froc et la prise d'armes, puis à la dé- ou mieux trans-figuration que le sort lui inflige, n'ont eu pour but qu'une mission plus haute encore, qui est de témoigner non plus du Dieu d'Amour mais du Dieu Jaloux, du Dieu vengeur. Lui que manquèrent tant de balles à bout portant doit être tué, par-dessus tous les fidèles, par l'exclusive balle à lui seul réservée, fondue comme dans le creuset de Samiel. Comme Gilles de Rais, pour le salut duquel tout un peuple pria, il soit être immolé, par là même sauvé. Car, malgré son ultime apparition en squelette éperdu, il est certain que Barbey d'Aurevilly n'a pas voulu damner sa créature.

     

    L'admiration chez lui le dispute à l'effroi, y participe (...)