Proullaud296

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  • Plus chiant que la télé, tu meurs (au cerveau)

     

     Deux adultes, qui jadis jouaient aux billes se révèlent les dessous de l'Histoire, qui sont de l'Histoire à deux balles. Et le commentateur d'observer à la loupe la vie de ces insectes décideurs : "Il observe que PAL et NIR ont quasiment les mêmes composants" (aussitôt, en bas de page, ibid, p. 1). Et à chaque bribe de propos, ce sera la même confirmation par note, car tout doit se prouver. Quelles austérités. Dire que c'est grâce à de tels pinailleurs que notre pays a remporté le marché mondial de la télé couleur. Pour être efficace, il faut négocier, se contredire, céder, mais, en coulisses, agir. Au lieu de s'exalter au pied des tribunes. "La seule différence que serait parvenu à déceler l'ingénieur Fagot, dont Peyroles se fait l'écho, réside dans la ligne à retard exigée par le NIR, qui devrait être de deux à trois fois plus précise que celle du PAL".

     

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    Et comme il faut bien prolonger le combat ou la "séquence plaisir", nous nous retrouvions quatre mois plus tard page 119 de ce redoutable monument de négociations franco-soviétiques. L'année 68 ancien style (2015) ne fut point tant marquée par de certains événements turbulents que par une certaine tension entre nos deux grands pays : les Soviétiques voulaient une exonération des taxes de brevet concernant la télé couleur pour les pays satellites d'Europe de l'Est, et d'autres concessions qui nous auraient floués ; il est vrai que la France prenait du retard dans la commercialisation des premiers appareils, hors de prix pour commencer, dans les trois femmes trois femmes et demie.

     

    Alors, les réunions s'enchaînent, rencontres qui avaient réuni les représentants de France-Couleur et ceux des organismes soviétiques, à Paris d'abord, en juillet 1968, à Moscou ensuite, en septembre, puis à Paris, en novembre. Il est bien entendu que nul n'aborda la question de l'invasion praguoise, totalement hors sujet. Soyons assurés que les affaires continuent entre les participants les plus opposés sur les plans idéologiques voire militaires, malgré les scandales que tentent d'irriter les journaleux de tout poil : non, les Français et les Soviétiques ne sont pas entrés en conflit à propos de la télévision, en dépit d'un titre virulent de la presse britannique. Le principal négociateur soviétique s'étant remis d'une maladie, les contacts s'assouplissent : la commission mixte prend acte enfin de la décision de la société France-Couleur : au singulier, car on a "la couleur" en général, et non pas "les couleurs" – la production en série des tubes débuterait en son usine dès le premier semestre de 1971.

     

    Des tubes plats je présume. Car les Russes avaient écopé, ou failli écopé, de tubes bombés, d'ores et déjà obsolètes. Il s'agit des écrans eux-mêmes, fonctionnant comme des tubes très aplatis. Souvenons-nous en effet que les premiers présentaient une forte convexité. Mais alors intervient dans le texte une de ces fameuses notes à rallonges, censée fournir aux chercheurs (s'il est envisageable qu'il y en ait) toutes les références nécessaires. Sachez cependant, comme disait Balzac, que vous pouvez vous identifier à moi, tandis que s'identifier à ces tubes s'avère totalement impossible. Sachez également, comme disait Honoré, que les historiens désormais croulent sous la documentation, ce qui peut nuire, paradoxalement, à la vérité, mais, à coup sûr, au rêve ; d'autre part et néanmoins, que l'auteur, Olivier Chantriaux, possède l'art, tout de même, de conférer à son ouvrage une grande solidité, en raison justement de ses répétitions incessantes : en effet, tout est tellement complexe, voire touffu, que de tels rappels demeurent indispensables. Notre auteur connaît son affaire, tant analytiquement que synthétiquement. Il arrive même au lecteur, s'il veut bien se concentrer, d'adhérer aux passionnantes perspectives de rapports humains consacrés aux négociations concrètes, au lieu de se noyer sans cesse dans la psychologie de bazar, avec amours, haines, jalousies, soif de gloire et autres fariboles. En un mot, cela nous change, comme les épinards de la glace au champagne.

     

     

    Eglise quelque part en Charente.JPG

    Et ce livre nous montre une fois de plus notre incapacité de louvoyer entre de tels icebergs, l'intransigeance, la négociation, les revirements, les concessions et marchandages, qui font aussi partie, ma foi, de l'âme humaine. Nous ne pourrions pas, nous autres, encombrés de raideurs égotistes, nous couler dans les moules, toujours mouvants, de la diplomatie industrielle. Ne nous déprécions pas, mais admirons de loin les fonctionnements imprévisibles de ces mathématiques relationnelles, et de ceux qui, par vocation parfois, s'y livrentavec succès. C'est qu'ils sont nombreux, ces bougres. Adoncques : Ce protocole définit de façon claire les tâches à accomplir pour pouvoir industrialiser le tube. Les détails techniques nous seront épargnés.

     

    Cela ressemble, aussi, à de la médecine : entre le remède et la maladie s'insère toujours, au niveau de la recherche, un élément intermédiaire qu'il faut d'abord traiter ; une fois cet intermédiaire surmonté, intervient alors un autre intermédiaire, entre le remède et lui, voire un autre, entre lui et la maladie. C'est un gymkhana, une accumulation constante, un binômage ou polynômage, en médecine comme en diplomatie. Suivons le guide ? Il en ordonne la répartition, rendant du même coup improbable toute contestation. Ne laisser aucune faille où s'immiscerait la fouinasserie d'un partenaire toujours prêt à jouer au plus fin pour grappiller quelques roubles ou quelques grammes de prestige... C'est que nous aussi, Français gaulliens, prétendions aux mêmes avantages. L'Angleterre et l'Allemagne avaient les yeux sur nous ! L'Antifrance veillait ! L'Antirussie aussi ! Et [ce protocole] fixe à l'ensemble de ces travaux un terme précis, puisque la société France-Couleur, dans une déclaration, annonce que la production en série des tubes débuterait, dans son usine, au début de 1971. Eh oui : en cette glorieuse année de service militaire, nous n'avions pas encore la télé en couleur, tout est allé si vite, etc.